Ludwig Fineltain : Pathologies psychiatriques transculturelles

Auteur : , 2004

Ce texte s’inscrit dans un effort pour déterminer les pathologies psychiatriques à partir d’un point de vue transnational. Il paraît très important de mesurer l’impact des cultures qui offrent une sorte de modèle aux formes cliniques des troubles mentaux.

Pathologies transculturelles d’ici et d’ailleurs, de l’Occident et des pays exotiques Une psychiatrie portative ou une psychiatrie embarquée doit prendre en compte les formes cliniques exotiques des syndromes psychiatriques qui n’ont guère été répertoriées dans la nosographie psychiatrique occidentale. Ces quelques notes concernent donc les syndromes liés à une culture ou « culture-bound syndroms » :

Formes transculturelles de la dépression névrotique grave, formes exceptionnelles des syndromes borderline et formes exotiques de la mélancolie

Koro : La dépression des malais d’origine chinoise s’exprime sous la forme d’un fantasme ou d’un délire suivant quoi le pénis va s’atrophiant et s’invaginant dans l’abdomen avec un risque d’en mourir. Ces syndromes sont des formes limites de la mélancolie proches du syndrome de Cotard.

Latah : Forme de la dépression visible en Extrême-Orient et en Afrique du Nord : écholalie, échopraxie et approbativité qui pourrait en imposer à tort pour un syndrome de Pick.

Susto ou Espanto : La dépression dans les milieux indigènes des Hauts Plateaux des Andes se traduit par un repli dépressif sous l’influence des forces surnaturelles selon les guérisseurs de la région de Cuetzalan. Le syndrome touche également les « latinos » des Etats-Unis. Le susto équivaut au sentiment de peur, au stress post-traumatique ou bien à un état dépressif majeur Windigo ou Wihtigo : La dépression dans les milieux Hopi et autre tribus indiennes d’Amérique du Nord, en particulier chez les Algonquins du Canada, prend la forme d’une sorte de lypémanie en ce sens que le délire consiste à se sentir transformé en un être cannibale.

Forme transculturelle occidentale de la dépression

La dépression occidentale comme syndrome transculturel ! La dépression et l’anxiété. L’angoisse.

L’anxiété est une peur sans objet. On a coutume de mettre en regard l’anxiété et l’angoisse et de les comparer. L’angoisse se définit ainsi (le mot est issu du latin angustiae, resserrement et du grec agônia, agitation de l’âme) : c’est une peur sans objet, un état affectif douloureux, une attente inquiète et oppressante et une appréhension de quelque chose qui pourrait advenir. L’angoisse serait plus précisément le versant somatique et l’anxiété le versant psychique. Maintenant le terme d’angoisse indique plus volontiers l’intensité et la profondeur du symptôme. L’anxiété (issue du latin anxietas, disposition inquiète) est donc le versant psychique de l’angoisse. Ce terme en effet soulignait autrefois le pôle psychique de la peur sans objet. Le terme désigne maintenant de plus en plus des manifestations plus superficielles que celles de l’angoisse proprement dite. On connaît différentes formes cliniques de l’anxiété : crise d’angoisse aiguë, attaque de panique, angoisse névrotique, angoisse psychotique (angoisse de morcellement)

La dépression est un syndrome omniprésent dans la culture occidentale au point d’occulter l’immense variété des troubles psychiatriques. Ce diagnostic est bien souvent attribué à tort ou avec excès. Mais voici qui me paraît plus important : les personnes issues d’autres cultures ne manifestent pas de façon comparable les affects dépressifs et la douleur morale. Aussi peut-on légitimement considérer a contrario la forme occidentale de la dépression comme une forme clinique transculturelle. Les occidentaux, en phase pathologique, fantasment plus et cultivent en outre excessivement la douleur morale ! Beaucoup de formes cliniques doivent être pensées sous l’angle de la psychiatrie transculturelles. Le champ séméiologique de l’anxiété et de la dépression mineure par exemple sont la manifestation d’un véritable syndrome transculturel occidental. Les études récurrentes à propos des rapports de la co-morbidité entre anxiété et dépression ont une importance uniquement dans la culture occidentale.

Formes exotiques de la dépression névrotique hystérique La psychose nuptiale des pays musulmans : L’enjeu de la maladie et de sa résolution réside dans une sorte de négociation entre des « djinns ».

Ce syndrome typiquement hystérique a été étudié en Egypte par Bruno Lewin en 1957 mais nous connaissons des cas étudiés en France soit parmi la population immigrée soit auprès de consultants venus exprès pour cela du Maroc ou d’Algérie (j’ai suivi par intermittence deux cas typiques).

Formes transculturelles grave du stress post traumatique Le « syndrome de Porto-Rico » ou « mal de pelea » : Syndrome hystérique bien qu’on ait invoqué une maladie cérébrale organique autonome ! Ce syndrome a été bien décrit par les médecins militaires américains.

La « Maladie des Partisans » ou « partizanska bolest » : Elle se déclaraient parmi les partisans yougoslaves comme un mal en fait comparable au syndrome russe des tranchées de la guerre 14.

Formes exotiques de la décompensation psychotique ou de la crise d’agitation psychotique non définie

Amok : Ce syndrome dépressif est célèbre. Le raptus anxieux est observé Polynésie et dans toute l’Asie du Sud-Est. Il prend la forme d’un état de fureur avec déambulation et agressivité meurtrière. On dit alors « Il fait son Amok ». Il est difficile de préciser s’il s’agit d’un raptus anxieux névrotique ou d’une manifestation de la décompensation psychotique type bouffée confuso-délirante.

Kayaksvimmel ou Piblokto : Décrit initialement par FREUCHEN puis BERTELSEN, apparenté à l’hystérie par ELLENBERGER, il serait devenu maintenant anecdotique transformé par l’acculturation et l’alcoolisme endémique. Le Piblokto appartient aux cultures cousines du Groenland.

La crise de Kayakvimmel : Elle est déclenchée par une émotion vive, frayeur et colère. Elle débute brusquement : le patient est envahi par une agitation furieuse. Il déchire ses vêtements et se met à courir, nu, sur la glace ou sur la neige. Il frappe tout autour de lui et peut devenir dangereux. Il est capable de blesser ou de tuer un enfant et de briser à coup de marteau des récipients avec toutefois des mesures de précaution utiles. Les psychiatres danois décrivait chez les groenlandais un manque de maîtrise de soi, une impulsivité explosive, de la frustration sexuelle et de la jalousie féminine, de la suggestibilité et une tendance à l’imitation, de la labilité affective. Ces populations faut-il le rappeler avaient une vie si dures qu’il était parfois, autrefois, nécessaire de sacrifier les plus faibles en les abandonnant sur la banquise.

PEARY cite quant à lui le cas d’une patiente en crise de Piblokto qui tout en imitant des cris d’animaux cherchait frénétiquement à marcher au plafond de son igloo.

Des arguments viennent immédiatement à l’esprit des cliniciens. Ce monde était celui de la souffrance mentale chronique, de la perte de repères identitaires et de l’acculturation à marche forcée. Ce monde était hostile et glacial. La nuit hivernale y dure six mois et les traditions animistes imprègnent encore profondément les mentalités. Tout s’oppose à la « world culture » tandis que la médecine et la psychiatrie sont priées de s’adapter.

Le Kayaksvimmel et le Piblokto (on écrit maintenant Pibloktoq) sont donc habituellement classées parmi les phobies ou les hystéries. Mais cela me paraît discutable. Pour moi le Piblokto est une forme de la schizophrénie féminine en milieu Inuit se traduisant par des agressions meurtrières ou des suicides spectaculaires. Je rappelle qu’en Occident les suicides spectaculaires et surtout les suicides altruistes sont au contraire plus volontiers mélancoliques.

Formes transculturelles des psychoses schizophrénique et des psychoses délirantes aiguës

Il existe une problématique comparable dans le champ des psychoses mais les variations transculturelles sont moins claires que dans la dépression. Ainsi les schizophrènes manifestent-ils des décharges comportementales violentes de façon plus fréquentes sous certains climats (comme dans le Piblokto). Chacun connaît d’autre part la fréquence des décompensations sous la forme d’une bouffée délirante dans les pays africains et maghrébins. cette observation clinique est si ancienne et si classique que je n’y insiste pas.

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