Opérativité et culture par J. Richard et L. Bizzini*

Confrontations psychiatriques n° 21 1982 Opérativité et culture

Résumé

La psychologie génétique inspirée par J. PIAGET a donné lieu à une série d'études interculturelles. Elle a non seulement servi de mode d'approche particulier de la cognition, mais a aussi été utilisée, intentionnellement ou non, comme un procédé de validation des conceptions piagétiennes. Il est donc fait état, tant chez l'enfant que chez l'adulte, des travaux qui soutiennent ces interrogations, en particulier dans le domaine des conservations des quantités physiques. En dehors des obstacles méthodologiques, qui ont retenu l'attention, nous sommes obligés de constater que plus que de pouvoir actuellement mettre en cause la théorie piagétienne à partir d'observations tenant compte des variations de milieu, c'est sa valeur heuristique qui est à nouveau démontrée.

Aborder la culture avec le dynamisme de la méthode de J. PIAGET, c'est aussi contribuer à mieux définir le fait culturel, dont les caractéristiques sont encore, malgré tout, imprécises. L'actualisation des structures cognitives devrait être au premier plan des préoccupations de ceux qui poursuivent leurs investigations dans le champ que nous avons envisagé.

Summary GENETIC PSYCHOLOGY AND CULTURE

The genetic psychology inspired by J. PIAGET has given rise tc, a series of intercultural studies. It has not only served as a cognitive approach but whether intentionally or not it has been used as a procedure to validate piagetian concepts. As such it has been the frarnework for work in adults and children which supports these interrogations, particularly in the field of the conservation of physical quantities. Apart from the methodological obstacles, on which attention has been concentrated, we are obliged to say that rather than actually being able to dis ute the piagetian theory from observations in which cultural differences were taM into accourit, we must acknowledge its heuristic value.

To approach civilisation front PIAGET's dynamic method is to improve the definition of civilisation itself, whose characteristics are still only vaguely understood.

The up dating of cognitive structures should be among the most pressing priorities of those who work in the field we have been discussing.

Resumen OPERATIVIDAD Y CULTURA

La psicologia genética inspirada de J, PIAGET ha dato lugar a una serie de estudios interculturales. No sôlo ha servido de modo de aproximaciôn particular de la cognicciôn, sino que también ha sido utilizada intencionalmente o no como un procedimiento de validez de los conceptos iagetianos. Asi pues, se contentait, tanto con el nifio como con el adulto, los trJajos que sostienen estos interroeantes, prin almente en el àmbito de las conservaciones de las cantidades fisicas. Ademàscyl los obstàculos metodolôgicos, que han retenido nuestro interés, nos vemos obligadw ; a constatar que màs que poder actualmente porter en tela de juicio la teoria piagetiana, a partir de observaciones que toman en cuenta las variaciones de medio, es su valor heuristico que se demuestra de neuvo.

Absorber la cultura con el dinamismo del método de J. PIAGET es también contribuir a definir mejor el hecho cultural cuyas caracteristicas son aùn, a pesar de todo, imprecisas.

La actualizaciôn de las estructuras cognoscitivas deberia estar en primer plano de las preocupaciones de quienes prosiguen sus investigaciones en el campo que hemos considerado.

Introduction

L'évaluation des fonctions cognitives étant un des problèmes fondamentaux de la pathologie comportementale, il nous a semblé important de vérifier, particulièrement dans le domaine de la conservation des quantités physiques, en quoi l'étude des influences de milieu pouvait permettre de valider ou d'infirmer certains aspects de la théorie piagétienne. Avant même l'apparition de critiques telles que celles de P. MOUNOUD (1979), que nous rapporterons brièvement pour l'exemple, des questions pouvaient se poser s'il devenait évident que des conduites de différents niveaux de développement cognitif pouvaient être décrites au moyen des mêmes structures formelles ou si un sujet pouvait présenter un raisonnement formel dans un contexte donné et non dans un autre. Ces préoccupations ne sont peut être pas étrangères à l'intérêt que porta J. PIAGET (1966) à a mise en oeuvre, en psychologie génétique, de recherches comparatives impliquant la culture.

a) Acquérir l'opérativité ou capacité « d'opérer », c'est, dans la conception de J. PIAGET, accéder à un type d'action particulier, qui présente les propriétés d'être intériorisé (au lieu d'effectuer réellement l'action, le sujet peut la penser dans sa tête), réversible (Paction peut être faite et défaite), de faire partie d'une structure d'ensemble (Faction tend à s'articuler avec d'autres types d'action du même genre pour former un système d'opération) et de porter autant sur des objets réels ou concrets que sur des objets ou concepts ou propositions abstraites. Le sujet qui fonctionne au ni veau des opérations concrètes est limité dans la complexité des systèmes qu'il peut articuler. Il ne peut organiser des univers composés d'objets quelconques. Il a besoin d'une certaine parenté entre des objets qui constituent son univers d'action. Cette parenté, comme le rappelle R. DROZ (1972), doit préexister à son action sur l'univers. Les opérations formelles apparaissent comme une structure « pure », libre de supports concrets et, comme nous l'avons dit, applicable à n'importe quel contenu. C'est ce qui amené J. PIAGET à n'accorder au milieu qu'un rôle secondaire et aspécifique bien qu'il soit susceptible d'accélérer ou de ralentir la construction de ces nouvelles structures. J. PIAGET cherche, en effet, à expliquer dans une perspective épistémologique, l'apparition de ces dernières dans le monde vivant. C'est en transposant ce problème biologique au domaine de la psychologie qu'il envisage le développement cognitif comme leur apparition successive. Il les croit d'ailleurs déterminées par l'action réciproque des structures antérieures ou initiales des comportements et des propriétés de l'environnement qu'il juge les mêmes pour tous les sujets. Les structures nouvelles des comportements peuvent, bien que fonctionnelles, être qualifiées de formelles, puisqu'elles apparaissent à des degrés divers, indépendantes des contenus sur lesquels elles s'appliquent et des contextes dans lesquels elles se réalisent.

b) En développant l'hypothèse que les structures formelles de nos actions et de nos raisonnements sont préformées et que l'organisation interne des contenus s'effectue au moyen de ces structures préformées, P. MOUNOUD (1979) tente de montrer comment le développement cognitif peut être considéré comme la construction d'organisations internes de contenus et non comme celle de structures nouvelles, telle que la.conçoit J. PIAGET, P. MOUNOUD précise que la notion d'organisation interne est partiellement comparable à celle de représentations, de traces, de schémas et de conceptualisation. Il ajoute que des contenus qui sont l'objet de cette activité d'analyse et d'élaboration peuvent être les dimensions de la réalité. les propriétés des objets, les caractéristiques d'une personne et leurs variations. Il examine la démarche de J. PIAGET de son point de vue structuraliste, et relève que le découpage des comportements selon les catégories de l'objet, du temps, de l'espace et de la causalité a été soit imaginé pour mettre en évidence les structures formelles du raisonnement du sujet, soit effectué au moment de l'interprétation. L'objet étudié a été, d'une certaine façon, unidimensionnalisé par la simplification des situations retenues. C'est ainsi que l'approche des conduites a mis à l'écart leur aspect finalisé. Les situations ont perdu leur signification d'échange ou de communication. C'est la compréhension de l'objet lui même qui devient la finalité proposée au sujet. Il s'agit, en effet, de découvrir seulement le moment dans lequel ce dernier maîtrise telle ou telle transformation. en ne prenant en considération que les situations qui donnent directement accès aux opérations. Les structures formelles apparaissent donc successivement au cours du développement par un processus de maturation qui, selon P. MOUNOUD, ne dépend que des caractéristiques très générales de l'environnement, en prenant en compte autant ses aspects propres que généraux d'une part, et autant ses aspects sociaux que physiques d'autre part. La détermination de l'organisation interne des contenus apparaît donc soumise au milieu.

c) Même si l'on assimile la culture à l'environnement pour juger du rôle de ce dernier dans le développement cognitif et y trouver qu'il n'y a pas d'arguments susceptibles de contredire la théorisation d'un point de vue, il n'est pas facile d'en circonscrire la notion. Dans la quatrième édition de son Vocabulaire de la Psychologie, revue par F. BRESSON et G. DURUP (1968), H. PIERON considère la culture, dans son sens général, comme l'ensemble des actions de milieu, qui assurent une socialisation des individus au cours de leur développement ou leur intégration dans une collectivité. La culture implique une acquisition de moyens de communication, d'instruments de pensée et d'action, d'un bagage commun de connaissances et de croyances, d'une hiérarchie des valeurs. Elle entraîne une orientation corrélative des tendances. Elle pourrait se compléter par une éducation plus ou moins spécialisée et par un apprentissage permettant l'utilisation sociale d'activités individuelles. Si la culture peut être envisagée comme le résultat de l'assimilation des connaissances sur la manière d'être d'un individu (M. BESLAY 1963), elle nous intéresse aussi par le fait qu'elle s'inscrit dans la structure sociale. Transmissible comme facteur de civilisation, elle semble n'exister que par les individus qui la vivent. Elle contribue (M. DUFRENNE 1966) à former une attitude psychologique commune à tous les individus d'un groupe. La culture ne nous retiendra pas sous son aspect de mode de vie particulier qu'une société considère comme supérieur et désirable, mais nous concernera dans ses rapports avec le milieu humain c'est-à-dire avec tout ce qui (E. BENVENISTE 1966), dans l'accomplissement des fonctions biologiques, donne à la vie et à l'activité humaine, forme, sens et contenu. Elle naît du choix d'action de l'homme sur sa propre nature et sur la nature qui l'entoure. Elle est « le milieu fait à l'homme par l'homme » (CI. JAVEAU 1974).

Facteurs du développement cognitif d'après J. PIAGET

J. PIAGET (1966) distingue, dans le domaine des fonctions cognitives, au delà des facteurs individuels et collectifs, ceux qui, biologiques, sont liés au système épigénétique et interviennent dans la maturation du système nerveux, ceux qui concourent à l'équilibration des actions, ceux qui tiennent aux conduites sociales d'échange et sont indépendants du contenu des échanges et enfin ceux qui se rapportent à la culture et à l'éducation et varient d'une société à l'autre.

Les facteurs biologiques supposent une uniformité de l'évolution individuelle de la cognition. D'un milieu à l'autre, ils ne peuvent s'accorder ni avec des inversions de l'ordre séquentiel des stades de développement cognitif, ni avec des modifications profondes de leurs caractères.

L'équilibration est « une suite de compensations actives du sujet aux perturbations extérieures ». Elle permet au sujet de se réadapter au réel, lorsque celui ci se modifie. Les réglages, qui se réalisent, peuvent entrer en fonction soit lorsque la modification a déjà eu lieu, soit pour prévenir une modification attendue par le sujet. L'équilibration est le produit de l'action du milieu et de l'action sur le milieu. L'indépendance relative du milieu social pourrait encore être vérifiée.

Il y a lieu d'envisager, de façon distincte, dans les conduites sociales d'échange, les coordinations interindividuelles d'action, qui peuvent être le fait de toutes les sociétés. Il est donc important de s'assurer si elles intéressent autant les actions collectives que les actions propres du sujet et si elles obéissent aux mêmes lois.

La tradition culturelle et éducative, qui varie d'une société à l'autre, est un facteur surtout diachronique. Il est susceptible d'exercer une action « sinon sur les opérations elles mêmes, du moins dans le détail des conceptualisations » (contenu des classifications, des relations, etc.).

Les études interculturelles devraient, selon J. PIAGET, conduire à préciser le rôle respectif des facteurs évoqués, bien qu'ils soient très liés dans la réalité. Elles deviendraient alors essentielles à la connaissance des processus cognitifs.

L'enfant, les notions de conservation et la culture

a) Pour éviter d'attribuer d'éventuelles différences observées dans les études interculturelles à l'un plutôt qu'à l'autre des facteurs qu'il a retenus, J. PIAGET préfère s'appuyer sur certaines caractéristiques des résultats pour vérifier ses hypothèses. C'est ainsi que, d'une étude réalisée par N. MOHSENI. (1966) sur des enfants scolarisés de Téhéran et de jeunes ruraux iraniens analphabètes, J. PIA GET retient les points suivants :

a) les jeunes Iraniens de la ville et de la campagne, comme ceux de Genève, acquièrent les notions de conservation des quantités physiques , b) cette acquisition se fait selon le même ordre de succession : substance, poids, volume , C) il y a un décalage systématique de 2 à 3 ans dans l'accession aux différentes étapes des notions de conservation entre les ruraux et les citadins, qu'ils soient de Téhéran ou de Genève ; d) le retard des ruraux est encore plus important lorsqu'il s'agit d'épreuves de performance utilisées en psychologie différentielle. Tout en restant prudent, J. PIAGET considérait que ces résultats confirmaient l'essentiel de ses hypothèses. La constatation a) prouve l'existence du facteur d'équilibration des actions, et b) celle de facteurs biologiques puisqu'il y a invariance des stades du développement cognitif. La constatation c) serait due aux insuffisances de la coordination intra et interindividuelle des actions et d) aux facteurs de transmission de l'éducation.

b) Un certain nombre d'obstacles méthodologiques aux études interculturelles sont connus et sont fréquemment invoqués pour mettre en garde envers des confrontations ou des spéculations hasardeuses.

L'âge des sujets examinés n'est souvent pas établi avec précision :

R.A. PRICEZILLIAMS (1961), A. HERON (1969). L'étrangeté et l'inadéquation du matériel utilisé pour juger des capacités opératoires dans certaines cultures ont, par exemple, conduit à remplacer la plasticine par de la pâte à galettes en Algérie (M. BOVET 1968) ou par des sacs remplis de feuilles de thé en Australie (M. DE LEMOS 1969). L'effet d'ordre, c'est à dire la chronologie de passation des épreuves retenues, a dû être contrôlé (P.R. DASEN 1972). Si le langage, en tant que cristallisation de syntaxes et de sémantiques comportant sous leurs formes générales, comme le rappelle J. PIAGET, une logique, interfère, dans notre culture, avec le développement de l'opérativité (H. SINCLAIR 1967), il devient indispensable de posséder une excellente maîtrise de la langue que l'on utilise pour mettre en oeuvre une procédure d'examen la plus fidèle possible à l'approche piagétienne. Le fréquent recours à des interprètes montre que ce n'est que rarement le cas. L'idée que se fait le sujet interrogé sur le rôle de l'examinateur a pu rendre certains travaux difficilement comparables, car se sont parfois trouvés renforcés la timidité, la suggestion, la décentration de l'attention et les procès sur l'intention inavouée de l'intrus. Les modalités de présentation des résultats (pourcentage de réussite par âge, scorage des performances entraînant des analyses de variance à partir de moyennes de notes par groupes de sujets) peuvent avoir des conséquences identiques.

c) J. LAUTREY (1976) passe en revue les études interculturelles qui confirment la théorie de J. PIAGET et celles qui la contredisent en faisant état d'éléments nouveaux.

Les premières peuvent offrir des résultats identiques à ceux connus à Genève et en Europe. Elles relèvent d'observations faites sur des enfants demeurant en ville. Dans ce contexte, GOODNOW (1962) arrive à distinguer deux facteurs : la culture et la scolarisation souvent liées au fait d'habiter en ville. L'acquisition des notions de conservation est retrouvée identique à Hong Kong, chez les enfants chinois non ou peu scolarisés et les enfants européens scolarisés.

Le rôle de l'urbanisation est relevé dans l'étude de N. PELUFFO (1962) qui compare les résultats aux épreuves de conservation d'enfants immigrés à Gênes depuis moins d'un an, et depuis plus de trois ans, ainsi que ceux d'enfants nés à Gênes. Il est confirmé par H.E. POOLE (1968) sur des enfants Hausa du nord du Nigeria tous scolarisés, mais il est infirmé par R. OHUCHE OGBONNA (I971) dans un travail réalisé chez les Mende de Sierra Leone.

Le problème se pose cependant de savoir si l'urbanisation, en tant une telle, a un rôle spécifique, si elle ne fait que modifier les modes e scolarisation ou familiariser l'enfant avec une langue occidentale. De ce point de vue, B. GILLET (1976) catégorise de la façon suivante les résultats publiés sur l'influence de la scolarisation dans l'acquisition des notions de conservation :

la scolarisation a une influence évidente (P.M. GREFFIELD, 1967 ; M. DE LEMOS, 1969) ;

la scolarisation peut apporter certains éléments favorables (J.R. PRINCE 1968) ;

l'absence de scolarisation n'a aucune influence (E. MERMELSTEIN 1967) ;

la scolarisation peut avoir un effet défavorable, par suite d'un apport culturel ou de méthodes pédagogiques inadéquats (A. HERON 1969).

Pour B. GILLET, les divergences constatées pourraient s'expliquer par l'influence globale qu'exerce sur les enfants scolarisés et non scolarisés une société technique et industrielle. Ce facteur de civilisation serait important par le fait qu'il impose les activités proposées à l'enfant, modèle le type de réactions de l'entourage et peut diminuer, sinon supprimer, l'effet de l'absence de scolarisation.

Par ailleurs, la scolarisation apporterait un certain contenu, qui serait approximativement le corps. des concepts admis dans la société occidentale et qui pourrait aider à traduire l'expérience proposée en termes assurant la conservation. L'apport le plus intéressant de la scolarisation tiendrait dans les attitudes induites ou combattues par les méthodes pédagogiques. Une pédagogie active permettrait d'attribuer des éléments pertinents à la situation d'examen elle même et non à l'expérimentateur. Elle permettrait également de donner leur juste valeur aux éléments perceptifs Se la situation, en introduisant diverses compensations nécessaires au jugement de conservation.

Quoi qu'il en soit, les notions de conservation se retrouvent là dans des cultures différentes ainsi que l'invariance dans l'ordre des stades. Si, donc, semble se renforcer l'hypothèse de l'existence de facteurs biologiques dans le développement cognitif, celle relative à l'existence de facteurs d'équilibration des actions n'est pas, pour autant, vérifiée. Les retards de développement ne peuvent encore être attribués à un facteur particulier.

D'autres travaux permettent une confrontation différente avec la théorie de J. PIAGET. Celui de M. BOVET (1968), conduit en Algérie, semble ne pas le remettre en cause bien qu'il mette en évidence des faits nouveaux tels que l'apparition vers 7 9 ans de réponses de conservation qui disparaissent ensuite. M. BOVET n'estime pas opératoires ces réponses qui pourraient s'expliquer par le manque d intérêt des enfants algériens pour les indices figuraux et par la pertinence privilégiée de l'état de départ sur l'état d'arrivée d'une transformation. L'identité pourrait ne pas se baser aux âges indiqués sur une capacité réelle de coordination des indices figuraux. La prise en considération,de ces indices ferait momentanément disparaître les réponses de conservation. La ligne d'évolution rejoint cependant les stades connus, bien qu‘elle demande à être contrôlée. J. LAUTREY pense que les faits seraient plus convaincants s'ils s'appuyaient sur une étude longitudinale.

Cette absence de référence aux indices perceptifs est signalée par P.M. GREENFIELD (1967), chez les jeunes Wolof du Sénégal, de 6 7 ans, qui ne sont pas scolarisés et vivent dans la brousse. La scolarisation faciliterait là l'attention rapide aux indices perceptifs. Les réponses liées à une action directement observable, qui justifie un jugement de non conservation, sont nettement plus importantes que chez les enfants occidentaux, qui se servent toujours de ces réponses pour justifier la conservation. P.M. GREENFIELD y voit l'indice d'une pensée magique que tendrait à faire disparaître l'école. La différence observée lorsque l'enfant réalise lui même l'action à ju er s'expliquerait (M. BOVET 1979) par un effet de masquage par fa difficulté à établir une égalité précise de la composition des quantités initiales, qui serait identique à ce qui est observé chez les enfants algériens.

Le défaut d'intérêt aux indices figuraux, l'attention soudaine q u'il leur serait accordée au début de la scolarisation, de même que l'existence d'une pensée « magique » n'ont pas été notés par A. PINARD (1973) chez les enfants rwandais.

L'inversion de l'ordre des stades, constatée par exemple par M. DELEMOS (1969), en particulier entre poids et quantité, a pu être mise sur le compte de l'effet d'ordre. P.R. DASEN (1972), qui a contrôlé cet effet, rapporte que chez les enfants aborigènes l'épreuve de conservation de volume peut être d'égale difficulté, ou même moins difficile que celle du poids. La précession de la conservation du volume sur celle de la quantité et du poids a aussi été relevée par E. NEZVADOVITZ (1968) chez des enfants cubains. S. BOONSONG ( 1968) constate de même chez les enfants thai, le développe ment simultané des notions de conservation de quantité et de poids.

J. LAUTREY (1976) pense éférable de retenir deux hypothèses pour justifier les désaccorTsr La première fait état de difficultés méthodologiques qui introduiraient une instabilité dans les résultats. Le contrôle rigoureux des facteurs susceptibles de biaiser les observations pourrait cependant situer le problème à un niveau beaucoup plus fondamental que celui d'erreurs méthodologiques. La seconde hypothèse conteste la pertinence des mêmes invariants dans des cultures différentes. J. LAUTREY rappelle ainsi que les questions de quantité, évaluées par A. HERON (1969) chez des enfants de Zambie, ne sont pas traitées avec la même précision que dans d'autres cultures et qu'il y a là un élément de raisonnement crucial dans la notion de conservation qui ne se pose pas pour eux. De même, la distinction de l'égalité de niveau et de quantité ou l'explication d'un énoncé ne font pas partie des préoccupations habituelles des Wolof (P.M. GREENFIELD 1967). Les problèmes de conservation, tels qu'ils sont posés, pourraient ne pas avoir de sens dans certaines cultures. Les stades opératoires pourraient ne as apparaître partout dans le même ordre. La séquence connue à Genève pourrait être modifiée par les influences culturelles selon l'aspect du réel sur lequel est mis l'accent, sans remettre en cause ,existence de facteurs biologiques dans le développement cognitif.

Il pourrait se produire, selon les cultures, une construction d'invariants différents plus axés sur des activités de type social. Pour répondre à ces interrogations, J. LAUTREY suggère de s'intéresser à la genèse de la pensée dans des cultures différentes de celle qui a servi de premiers supports à l'étude du développement cognitif, en admettant que les influences de la culture interviennent sur les diverses manifestations des facteurs de ce développement. Mais il est possible (P.R. DASEN 1980) que les notions les moins valorisées culturellement soient les plus fortement influencées par les différences dans les pratiques éducatives et dans la façon de structurer les activités quotidiennes.

L'adulte, les notions de conservation et la culture a) A partir d'études déjà citées, il avère qu'une partie de l'humanité n'accède jamais aux notions de conservation puisqu'on observe un plateau dans la courbe du développement cognitif. Tout se passerait comme si les enfants qui n'ont pas atteint la notion de conservation à un âge donné, ne pouvaient plus l'acquérir dans leurs conditions de milieu. J. PIAGET (1972) rappelle que, si l'on est relativement renseigné sur les transformations assez profondes des fonctions et structures cognitives qui se produisent au moment de l'adolescence et qui montrent combien cette phase essentielle du développement ontogénétique intéresse tous les aspects de l'évolution mentale et psy chophysiologique, on connaît beaucoup moins la période qui sépare l'adolescence de l'âge adulte.

Dans le passage de l'adolescence à la adulte, un premier problème est celui de la vitesse du dé=ment cognitif. Pour PIAGET, l'ordre de succession des stades est constant, parce que chacun est nécessaire à la formation du suivant, même si les âges moyens varient sensiblement d'un milieu social ou même d'un pays ou d'une région à l'autre. La différence de vitesse de développement pourrait tertir aux possibilités d'activités de l'enfant propres aux différents milieux considérés et à la qualité ou à la fréquence des incitations intellectuelles dues aux adultes. Cela ne signifierait pas que ces structures formelles tiennent exclusivement à des processus de transmission sociale. Mais l'achèvement des constructions cognitives comporterait un ensemble d'échanges et d'incitations mutuelles favorisant la formation des opérations formées en commun. Il pourrait aussi être possible que cette différence de développement tienne à la diversification des aptitudes avec l'âge, ce qui parviendrait à exclure la possibilité, pour certains, de parvenir aux structures formelles même en des milieux favorables.

J. PIAGET va jusqu'à dire que certaines conduites sont caractérisées par des stades à propriétés générales jusqu'à un certain niveau à partir duquel les aptitudes individuelles l'emportent sur ces caractères généraux et diversifient de plus en plus les sujets de même âge. Une autre hypothèse lui paraît plus probable. Elle consiste à dire que tous les individus parviennent dans l'adolescence ou au début de l'âge adulte aux opérations et structures formelles, mais qu'ils y arrivent dans des domaines différents, selon leurs aptitudes et leur éducation, sans que l'utilisation de ces structures formelles soit exactement la même dans tous les cas. Rien ne prouve que les épreuves de nature logico mathématique et physique choisies soient les plus générales possibles et donc applicables dans n'importe quel milieu, bien que l'un des caractères de la pensée formelle ait paru à J. PIAGET être constitué par l'indépendance des formes et des contenus. On ne peut cependant assimiler le passage d'un contenu de pensée à des contenus différents, mais comparables (comme la généralisation de la conservation de matière à celle du poids), au fait de sortir d'un domaine et d'activités vitales pour aborder un domaine étranger aux intérêts et aux projets du sujet. C'est pourquoi, J. PIAGET dit qu'on peut conserver l'idée que les opérations formelles se libèrent des attaches avec leur contenu concret, à condition d'ajouter « à aptitudes égales » ou « à intérêts vitaux comparables ». La question qui se pose donc, lorsque l'homme aborde l'âge adulte, c'est à dire le moment où la construction des programmes de vie correspond aux aptitudes des individus, est établir s'il existe, à ce niveau de développement comme aux précédents, des structures cognitives communes à tous les individus, mais que chacun appliquerait ou différencierait en fonction de ses activités particulières. Même si la réponse est positive, il restera Pour J. PIAGET, à analyser l'ensemble des processus probables de différenciation, soit que les mêmes structures suffisent à l'organisation de domaines différents d'activité, mais avec des différences dans les modes d'application, soit qu'il s'y ajoute des structures particulières qui demeurent à découvrir et à étudier.

b) Nous ferons d'abord état de travaux, à visée pédagogique, poursuivis surtout à l'intérieur d'une même culture et qui laissent jouer les conditions de milieu. P. HIGELE (1978) rapporte, par exemple, les résultats d'une étude de l'opérativité chez 86 adultes peu scolarisés, qui travaillent dans une mine et sont pris en charge en cours du soir par un institut de formation d'adultes, soit pour se perfectionner, soit en vue d'obtenir deux types de diplômes d'études supérieures techniques. Quatorze pour cent ont le niveau formel, 22 % sont au seuil des opérations formelles, 54 % se situent à un niveau intermédiaire et 10 % sont au niveau des opérations concrètes. P. HIGELE compare ces résultats à ceux d'un groupe de contremaîtres algériens, dont 25 % sont soit au seuil du niveau formel, soit à un niveau formel établi, 66 % sont à un niveau intermédiaire et 10 % au niveau des opérations concrètes. Il remarque que des décalages dans la maîtrise des diverses opérations apparaissent fréquemment. Chez les mineurs, 18 % peuvent être classés au niveau des opérations concrètes dans un domaine et au niveau formel dans un autre. Il relève la nécessité de prendre en compte la familiarité que possède le sujet avec l'opération concernée. La vie professionnelle pourrait permettre de développer un certain nombre de démarches intellectuelles. Les expériences du sujet ne peuvent servir que dans la mesure où il est capable de les interpréter. Il ne peut faire cette interprétation qu'à travers les outils intellectuels qu'il possède.Le fait qu'à niveau d'études antérieures égal les adultes qui ont une expérience professionnelle sont d'un meilleur niveau prouver des capacités opératoires continuent à se développer au delà de la scolarité. En plus de la difficulté de mobilisation des stratégies, P. HIGELE souligne qu'il n'y a pas un lien obligé entre l'état de connaissances, telles que le calcul et le niveau opératoire. Dans une même recherche de l'amélioration des modalités d' apprentissage de l'adulte, S. LEMOINE (1978) indique que, chez l'aTu te, tout se passe comme si l'opération formelle était là, prête à fonctionner, suffisamment présente pour permettre l'assimilation d'un raisonnement, mais insuffisamment solide pour permettre au sujet de la reconstruire par ses propres forces. Ne pas retrouve-t-on là, chez l'adulte, le phénomène de clôture ou arrêt du processus d'équilibration lorsque aucune contrainte interne ou externe ne l'impose, évoqué par F. LEONARD (1979) à propos de la résolution de problèmes qui, situant le processus d'équilibration, ne l'explique pas. Selon F, LEONARD, la similitude entre les comportements cognitifs de l'enfant et de l'adulte ne serait pas due à la nature de ce qui est construit mais au processus fonctionnel de construction qui, à un certain niveau de généralité, est indépendant des contenus auxquels il s'applique.

H.G. FURTH (1965), qui étudie des adultes sourds, suggère que l'incapacité de manifester une pensée opératoire peut être souvent expliquée d'une manière raisonnable par une incapacité dans la communication des symboles. Il en vient à dire, à leur sujet, qu'un retard intellectuel dû à une expérience insuffisante sur le plan social ou culturel peut être compense par le contact avec les problèmes de l'adolescence ou de l'âge adulte. Il démontre l'indépendance relative des capacités logiques et linguistiques. Il constate d'une part que les sourds, qui réussissent comme les entendants dans l'utilisation des symboles, échouent dans un apprentissage de connexions logiques. Il apprend, d'autre part, que 1es adultes entendants d'un milieu rural défavorisé se comportaient, de ce point de vue, comme les sourds. Il lui semble que ces deux populations ont en commun une absence de stimulation intellectuelle qui empêche de les entraîner ou de les motiver à s'interroger sur les raisons ou à poser des questions. La langue ne fournit pas à elle seule les conditions de milieu nécessaire à la curiosité intellectuelle. Les opérations logiques, en tant qu'elles manifestent une structure intellectuelle, semblent se développer indépendamment de la présence ou de l'absence de langage verbal. Leur usage dépend d'une stimulation sociale. Le langage peut fournir un tel milieu stimulant mais il ne le fait pas par lui même. Les habitudes verbales peuvent opposer un obstacle aux opérations logiques. Il n'y a pas de terme qui, pour H.G. FURTH, désigne cet aspect de la pensée qui se réfère à la position du problème ou à la réception du message et qui donne le milieu Ens lequel la pensée opératoire s'exerce. Une condition nécessaire pour découvrir une signification générale est non seulement la capacité d'effectuer des opérations logiques. mais aussi de voir que la structure a un caractère symbolique. c'est à dire appelle une explication. Pour les adultes sourds ou entendants appartenant à Tes classes sociales inférieures, qui ont échoué dans la tâche de généralisation des symboles, la cause de l'échec tient à ce qu'ils se comportent à l'égard du matériel de l'expérience comme s'il s'agissait de signaux que l'expérimentateur associe de l'extérieur avec certains stimuli et non comme s'il s'agissait de symboles porteurs d'une signification. Selon H.G. FURTH, la caractéristique de la pensée opératoire serait sa liberté par rapport à tout intermédiaire symbolique particulier.

c) N. PELUFFO (1967) montre qu'un milieu socio culturel sous développé ou un niveau d'instruction nul ou insuffisant ou encore un milieu de travail peu acculturé peuvent faire obstacle au développement d'un processus de pensée apte à considérer simultanément plusieurs variables, même antagonistes, et à les intégrer dans une fonction unique par un réseau de relations multiplicatives. Il étudie, en particulier, l'élaboration des informations tirées de l'exploration d'une configuration perceptive relativement, entre autres points, à celui des notions de conservation. Il remarque que le raisonnement des adultes qui viennent d'un milieu sous développé fluctue entre schème notionnel et schème figuratif, en se rapprochant de l'un ou de l'autre selon le degré de pression qu'exercent les éléments perceptifs. Certains retards de développement intellectuel pourraient être rattrapés lorsque les sujets sont placés dans un milieu favorable.

A.J. GRAVES (1972) cherche à déterminer si la race, le sexe et l'éducation modifient le niveau de conservation des quantités physique d'adultes peu instruits. Cent vingt adultes des deux sexes, d un age moyen de 33 ans, de race noire et blanche, sont répartis selon leurs performances à une échelle de connaissance (Adult Basic Learning Examination). Ils sont examinés par une personne de leur sexe et de leur race. Le niveau d'éducation n'est significatif que pour la conservation de la substance. C'est seulement au niveau de la conservation du volume que les blancs et les hommes se montrent supérieurs. Soixante-dix-huit pour cent des adultes examinés sont au niveau de la conservation de la substance, 67 % au niveau de celle du poids et seulement 24 % au niveau de celle du volume. A.J. GRAVES en déduit que le développement des notions de conservation ne peut être expliqué par la maturation. Il lui semble qu'il y a un plus grand éclairage entre la conservation de substance et de poids et celle de volume que ne l'indique la théorie piagétienne. L'éducation et l'expérience pratique des sciences lui paraissent nécessaires pour que l'individu acquière la notion de conservation du volume.

P.J. 0WOC (1973) examine trois groupes linguistiques et culturels du Nigéria. Cent onze de ces 449 sujets ont plus de 18 ans. Il ne trouve dans le développement de la conservation de liquide aucune différence attribuable au milieu résidentiel, mais souligne le rôle des facteurs d'âge et de scolarisation. L'acquisition de la conservation est fonction de l'âge (33 % à 6/7 ans et 84 % au delà de 18 ans). Après 18 ans, 98 % des adultes scolarisés et seulement 71 % de ceux qui n'ont pas été scolarisés ont atteint la conservation étudiée.

D.E. PAPALIA (1974), qui passe en revue une série de travaux effectués sur des adultes âgés, constate d'importantes variations individuelles dans le fonctionnement cognitif de l'adulte. Elle affirme l'existence d'une baisse de la cognition avec l'âge. Au delà de 65 ans, elle relève que 62 % des sujets ont la conservation de la substance, 50 % celle du poids et seulement 6 % celle du volume. Le sexe, la race, le niveau d'éducation et les conditions de vie ne lui semblent pas des variables pertinentes. La régression suivrait un ordre inverse de l'acquisition. Dans la série de travaux effectués sous la direction de J. M AJURIAGUERRA, à partir de 1960, elle n'apparaît sous cette forme que chez le sujet âgé atteint de lésions cérébrales de type démentiel, telles que les plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires.

J.D. SINOTT (1975) pose la question de la nature du matériel utilisé pour étudier l'opérativité de l'adulte. L'observation de 60 sujets (30 d'un âge moyen de 33 ans et 30 d'un âge moyen de 67 ans). des deux sexes (50 % de chaque sexe) conduit à incriminer le rôle de l'âge dans les mauvaises réponses des plus âgés, le matériel s'il est plus ou moins familier et le nombre d'années de scolarisation.

M. BOVET (1975) précise que les femmes algériennes, qu'elle a observées, appréhendent les problèmes de conservation qui leur sont posés sur un plan intuitif plutôt que logique. Certains constats peuvent déclencher un type de raisonnement de nature logique. qui les amène à prendre en considération l'aspect transformationnel de la déformation effectuée et à fournir des explications de type opératoire. Il est indispensable de rechercher Mez ces adultes le moyen le plus approprié pour les détacher de leur mode d'appréhension perceptive. L'invariance opératoire deviendrait en partie actualisable à cause de l'approche particulière qu'ils ont de certaines situations et qui semble s'ajouter à celle de la notion opératoire. Les indices dimensionnels ne sont pris en considération que lorsque l'expérimentateur les désigne avec insistance, ce qui entraîne des jugements de non conservation par prégnance d'un indice et manque de coordination entre les indices enjeu. Cette inattention aux apparences dimensionnelles peuvent donner lieu au refus de juger chez les adultes, alors qu'ell ne peut conduire à des jugements de conservation chez les enfants. Les adultes peuvent avoir les structures d'un raisonnement opératoire, même s'ils donnent des jugements de non conservation. La différence entre enfants et adultes consiste dans l'effet déclenchant de raisonnement opératoire obtenu par des constatations. Un aspect commun est l'accession. à partir d'une centration sur un indice dimensionnel privilégié à la prise en considération des divers aspects du problème et à la résolution de celui ci par des coordinations opératoires. Il y a, par ailleurs, dans le procédé d'approche utilisé par les adultes, une sorte de récapitulation de l'élaboration enfantine, ce qui suggère l'existence d'un lien assez étroit entre la conception adulte des notions étudiées et leur genèse. Il y a aussi une nette relation entre la nature des activités quotidiennes des adultes et leur mode ou niveau de conduite face aux problèmes qui leur sont présentés. La nature des activités quotidiennes des adultes pourrait expliquer certaines particularités culturelles observées par l'enfant qui perçoit ces activités et auxquelles il peut prendre part.

Nous pouvons comparer certaines de ces constatations avec celles que l'un de nous a pu faire en 1964 dans le nord de la Mauritanie, en pleine zone désertique, à plusieurs centaines de kilomètres de la côte atlantique, sur des autochtones attirés par la mise en exploitation d'un gisement de minerai de fer. La population observée était composée d'une trentaine d'adultes et d'une dizaine d'adolescents (de 15 à 20 ans), dont la moitié étaient de sexe féminin et les trois quarts analphabètes. Ces sujets ont, en particulier, été soumis aux épreuves de conservation des quantités physiques. L'effet d'ordre peut être discuté, bien que les notions étudiées l'ont été le plus souvent selon la séquence volume, dissociation poids volume, substance et poids, Si l'on ne considère que les adultes non scolarisés de sexe féminin, on peut noter l'importance de l'emprise perceptive qui gêne le raisonnement au point d'émettre des jugements contradictoires, par exemple, dans l'anticipation de la réversibilité dans la conservation de la substance, dans lequel l'argument logique est annulé par la constatation que la galette ne redevient as exactement une boule comparable à celle qui n'a pas été modifiée dans sa forme. Le raisonnement peut n'être engagé qu'après u`n constat de transformation. Il part difficilement de certains supposes possibles, alors que d'autres sont avancés tels que l'eau qui entre dans la boule de lasticine, le degré de compressibilité de la boule lorsqu'on la confectionne, ou sa capacité de flottaison sur l'eau. Chez plusieurs sujets, l'acquisition des notions de conservation reproduit des descriptions de J. PIAGET. Chez les autres, l'intervention de la pensée magique décrite chez les Wolof n'a pas été retrouvée. La conservation du poids peut s'appuyer sur le fait que la qualité de la substance n'a pas changé. Nous nous sommes interrogés sur l'absence de toute conservation des quantités physiques chez quelques sujets et sur l'existence de la conservation du poids et même du volume sans celle de la substance, voire celle de la dissociation du poids et du volume sans celle du volume. Certaines des remarques de M. BOVET (1975) pourraient, sur ce point, nous tirer d'embarras.

Conclusions

Les informations recueillies à propos du rôle de la culture sur la capacité de l'individu à opérer ne permettent pas actuellement de prétendre juger de la validité de l'hypothèse piagétienne sur le développement et le fonctionnement cognitif dans sa visée épistémologique et son option structuraliste. Elles ont toutefois l'énorme intérêt de mettre en évidence, si au demeurant cela était encore nécessaire, l'étendue de sa valeur heuristique. La psychologie génétique est, en particulier, essentielle à la compréhension neuropsycho pathologique. Le milieu fait apparaître la multiplicité des variables en jeu, qui font douter du choix, dans une certaine mesure stéréotypé, de celles qui ont été traditionnellement retenues (âge, sexe, race, scolarisation, etc.). Au delà des problèmes méthodologiques souvent invoqués, c'est le sens même de ce qui est cherché qui est mis en cause, puisque la psychologie génétique risque également de contribuer à mieux définir le fait culturel. Avant même ou dans le but de s'orienter vers une meilleure connaissance de la genèse de la pensée dans des cultures différentes, peut être convient il de développer le processus de dynamisation inclus dans l'esprit même de la procédure d'observation inaugurée par J. PIAGET. L'étude approfondie de l'actualisation des capacités cognitives devrait, en effet, aboutir à compenser effectivement ce qui peut encore momentanément être considéré comme une particularité culturelle. en initiant la conduite opératoire par une vole mieux adaptée, qui est à trouver dans l'analyse de moyens de facilitation à découvrir et non dans un mode d'approche trop uniforme, qui brise l'invention et pérennise, en les figeant, les constats liés à des attitudes d'observation immuables.

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