Adolescence et sport de haut niveau : une rencontre à l’extrême du corps.

Karine DUCLOS, Psychologue clinicienne, CREPS de Lorraine Maître de Conférences en Psychologie, UFR STAPS, Université Nancy 1, 30, rue du jardin botanique, 54 600 Villers-lès-Nancy (06 85 08 49 09) CRPPC, Université Lyon 2.

Résumé : la question du corps constitue un point de rencontre essentiel entre la problématique adolescente et une pratique sportive de haut niveau. Face aux douloureuses questions de la construction identitaire et de la reconstruction de l’image du corps, certains adolescents s’engouffrent dans une mise en exercice corporelle extrême, risquant alors une désubjectivation parfois radicale. Dans une perspective préventive, il est nécessaire de dépister de tels phénomènes afin de pallier les risques de surentraînement, de recherche de la douleur et de traumatophilie, en contribuant, grâce à une prise en charge thérapeutique, à l’édification de la personnalité, au maintien, voire à la restauration de l’équilibre psychique.

Mots clés : Sport de haut niveau – adolescence – image du corps

Introduction :

Il est aujourd’hui courant de considérer le sport de haut niveau comme une pratique de l’extrême. Il organise une centration sur le corps dans sa mise en mouvement intense, voire violente. “ Le sport de haut niveau pousse à l’exercice d l’excès et à la répétition de la démesure ” (LABRIDY, 1997). L’adolescence, parce qu’elle occasionne un bouleversement radical de l’équilibre psychique antérieur, interroge elle aussi l’extrême. Elle correspond à un moment de rupture dans le développement, à un moment de crise qui peut parfois mettre le sujet en péril. En effet, elle entraîne un remaniement général de la vie psychique. Il s’agit pour l’essentiel d’aménager de nouvelles modalités de gestion des excitations exacerbées par la puberté, de réaménager les relations d’objet et d’affronter la délicate question de la construction identitaire. La question du rapport au corps n’est pas absente de la problématique adolescente. Le corps devient un étranger pour le sujet lui-même. La sexualité devient possible et de nouvelles sensations inconnues jusqu’à présent apparaissent. Il y a une perte de repères dans le sens où l’adolescent ne peut plus se référer à son corps idéalisé d’enfant, et il ne peut pas davantage se référer à ce corps dont il ne perçoit pas encore les limites clairement. Ce corps n’est plus contenant. Il va falloir le mettre à l’épreuve pour en percevoir les limites, se le réapproprier dans la reconstruction de l’image du corps. Que se joue-t-il dans cette rencontre entre l’adolescence et le sport de haut niveau ? Que se noue-t-il dans ces impossibilités au repos du corps souvent observées chez les jeunes sportifs que nous accompagnons ?

Adolescence et sport de haut niveau :

Dès la conception de l’enfant, l’activité motrice spontanée apparaît comme synonyme de vie et de santé. Certains athlètes font de ce constat une certitude sur le mode “ je bouge donc j’existe ”. Dès lors, l’immobilisation du corps – suite à une blessure, à des périodes de repos – se décline sur le registre de l’insupportable : un athlète confie “ il faut que je bouge tout le temps, je ne peux pas m’arrêter… je pourrais me tirer une balle dans la tête ”. Nous observons fréquemment une recherche de l’activité à la limite de leurs résistances ; cette recherche pouvant permettre de trouver des repères, des marques, afin de, ne serait-ce qu’un moment, se sentir exister. L’adolescent extériorise dans son comportement ce qu’il ne se représente pas clairement dans son vécu psychique, la fréquence de recours aux agirs reflète quelque chose d’essentiel au phénomène adolescent. L’agir semble être un moyen privilégié car il est favorisé par la fragilité narcissique, par la fragilité du Moi mis à mal par l’émergence pulsionnelle, et l’affaiblissement du refoulement si efficace lors de la période de latence.

Ces fragilités ne permettent pas de mettre en œuvre – ou difficilement – des processus secondaires de défense. La régression vers l’agir devient une forme de protection. Quand ce type de fonctionnement est mis en avant – en dehors de toute élaboration psychique – l’engagement des adolescents dans une pratique sportive intensive peut être lu comme une voie ouverte à l’exercice de cette tendance à l’agir qui constitue une occasion d’expulser hors psyché des contenus affectifs ou représentatifs ressentis comme persécuteur ou traumatiques. Dans ce sens, la pratique sportive peut s’apparenter à un recours à des procédés autocalmants tels qu’ils ont été définis par Claude SMADJA (1993). Dans ce cadre précis, l’activité sportive peut venir pallier la défaillance des fonctions du Moi. Le Moi régresse pour investir les systèmes sensori-moteurs et perceptifs dans une tentative pare-excitatrice de liaison des excitations, afin de lutter contre l’angoisse pour que l’appareil psychique ne soit pas trop envahi par cette dernière.

Dans ces conditions, l’activité physique intensive permet l’évitement d’une confrontation à soi-même, à ses désirs et ses angoisses. Il s’agit alors d’une recherche de sensations corporelles dans des activités mécaniques, musculaires, programmées. Ce sont ces sensations qui doivent venir remplacer les représentations mentales et les affects absents. Le corps s’inscrit dans le registre du travail et devient un véritable corps machine destiné à la performance et à l’exploit. Les entraînements intensifs, sans cesse répétés, les directives des fédérations transmises, imposées, par les entraîneurs vont conduire l’athlète à se forger un corps idéal, conforme aux exigences de sa pratique, sous le primat du rendement et de la réussite, de la performance. C’est ce qu’exprime C. CARRIER quand elle évoque l’image du “ néo-corps ” du sportif. “ Le néo-corps sportif bien conçu est soumis à une obligation de rendement. Quelles que soient les disciplines sportives, les niveaux de pratique, les catégories d’âge et les sexes concernés, la tendance actuelle voit augmenter les heures et les cadences d’entraînements : toujours plus souvent, plus longtemps, plus intensivement. ”. Ce modelage du corps exigé par la pratique sportive de haut niveau rencontre les angoisses corporelles propres à la problématique adolescente : le corps va être transformé mais cette fois au lieu de subir ces transformations, elles sont agies. Mais s’il s’engouffre dans les exigences liées à ce modelage de façon plus passive il risque alors une véritable fuite en avant sans réelle intégration psychique de l’image du corps.

Conclusion :

Ce surinvestissement du registre musculaire au détriment de la sphère psychique est un phénomène fréquent chez l’adolescent. Cependant, dans une perspective préventive, il est nécessaire de repérer ce type de fonctionnement. En effet, la recherche des limites corporelles par la voie comportementale, conduit souvent les jeunes athlètes à oublier la réalité organique du corps jusqu’à la rupture, la douleur, le traumatisme, la blessure, la contre-performance ou encore le dopage. Une prise en charge thérapeutique se révèle alors nécessaire pour permettre au jeune sportif à investir de façon plus équilibrée sa pratique en l’aidant à s’épanouir en tant que sujet désirant dans l’élaboration des angoisses, des conflits et des traumatismes.

Références :

BERGER M. (1998) Le sport de haut niveau : une emprise compulsive sur le corps, Cahier de psychologie clinique, 10, 117-135.

CARRIER C. (1996) Le “ musculaire ”, produit du travail de l’adolescent sportif de haut niveau, Adolescence, 14, 2, 153-167.

CHAMPIGNOUX F. (1992) La victoire en souffrant, Le corps surnaturé, ouvrage collectif dirigé par C. GENZLING, Editions Autrement, Paris.

DUCLOS K. (2002) Au sujet d’une modalité particulière de recours à l’activité physique : les procédés auto-calmants, Philosophia Scientiae, volume 6, cahier 1 : 93-103.

LABRIDY F. (1997) La performance, Sport, Science et Psychanalyse, ouvrage collectif,Col. Pratiques corporelles, PUF.

MORHAIN Y. (1992) Enjeu du corps, corps en-je, Nervure, V, 2, 41-42.

SMADJA C. (1993) A propos des procédés autocalmants du Moi, Revue Française de Psychosomatique, 1993, 4 : 9-26.

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