Alain VULBEAU : « Le travail contre autrui »

In BOUCHER M. (dir.) : Penser les questions sociales et culturelles contemporaines : Quels enjeux pour l’intervention sociale ?, Paris : L’Harmattan, 2010 ; chap 4 : 95-102.

Alain VULBEAU travaille au Centre de Recherches Éducation et Formation (CREF), Université Paris Ouest.

[INTRODUCTION]

La question sécuritaire a une réponse toute trouvée et des coupables tout désignés : la jeunesse des banlieues. Cependant cette entité démographique ne prend toute sa place comme population-cible que dans un discours qui déconnecte le social du pénal et s’efforce d’abolir le principe fondamental des intervenants sociaux dans leurs différents champs : l’éducabilité en vue d’une socialisation et d’une autonomie. La répression ordinaire qui s’exerce contre la contre la jeunesse des banlieues populaires n’est pas faite seulement de la lutte objective contre leurs crimes ou leurs délits réels, mais aussi d’un travail extensif de coercition contre les personnes. Ce travail s’illustre, au quotidien, par les contrôles d’identité à répétition, des refus d’accès, des formes variées de ségrégation, et par bien d’autres interactions en relation avec la vie urbaine dans les quartiers d’habitat social en difficulté, comme celles concernant le stationnement dans les halls d’immeubles.
Nous proposons de nommer « travail contre autrui » cette activité répressive qui va bien au-delà des impératifs nécessaires à la sécurité pour s’inscrire dans le sécuritaire. Ce terme de sécuritaire désigne une logique globale de traitement des problèmes sociaux à partir du champ institutionnel de la sécurité et de la coercition, bien repéré par les chercheurs (1). Nous formulons deux hypothèses concernant le travail contre autrui : l’une renvoie à ses liens systémiques, et l’autre s’intéresse à sa description interne. Premièrement, cette activité négative peut être analysée en référence à des formes relationnelles du travail social comme le « travail sur autrui » ou le « travail avec autrui » ; deuxièmement, le travail contre autrui est un monde social avec ses figures, ses objets, ses espaces, son langage, ses mythes, etc., qu’il importe de décrypter précisément. C’est dans le cadre de cette approche micro-sociologique que nous décrirons des éléments aussi disparates en apparence que les pistolets à impulsion électrique, les aléas d’un hall sans immeuble, et le floutage des visages télévisés.

[NOTE]

(1) Cf, entre autres, Mucchielli L. (dir.) (2008), La frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre et nouveau contrôle social, Paris : La Découverte ; Rigouste M. (2009), L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Paris : La Découverte ; Bonelli L. (2008), La France a peur. Une histoire sociale de l' »insécurité », Paris : La Découverte ; Boucher M. (2004), Repolitiser l’insécurité. Sociographie d’une ville ouvrière en recomposition, Paris : L’Harmattan.

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