Non seulement Albert Le Dorze choisit pour titre de son livre – vagabondages psy » mais, de plus, dans la quatrième de couverture, il emploie les verbes « vagabonder » et « musarder-, cherchant peut-être par ces mots légers à minorer la portée de son ouvrage qui ne serait que le reflet de l’itinéraire, sans grande embûche, d’un psychiatre clinicien, parfois enseignant et écrivain à ses heures. Il indique peut-être, par ces choix sémantiques, qu’il ne veut aucune inféodation à un quelconque dogme théorique et qu’il préfère rendre compte de son seul itinéraire réflexif, marqué par l’érudition et un savoir pluridisciplinaire. Il affirme peut-être ainsi qu’il estime son expérience clinique primordiale et que la praxis prévaut sur la théorie. Mais il faut, avec le Docteur Le Dorze, se méfier des évidences et l’on trouve une historiette, préambule au chapitre intitulé « la clinique, de la sensation au concept », dans laquelle il raconte une dispute entre des professionnels enfin réconciliés quand « le notable estimé de la psychiatrie et de la psychanalyse » (p.61) laisse tomber cette remarque mainte fois répétée : c’est la clinique qui compte.. il faut se laisser guider par la clinique » (p61). Il confie sa perplexité face à l’usage quasi oraculaire du mot « clinique dont l’effet est i mmédiat : (…) clôture du hourvari… clinique sacrée, sacrée clinique » (p61). Et la perplexité de ses lecteurs est au moins aussi grande que la sienne quand il fait immédiatement suivre, dans le, titre de son livre, le terme « vagabondages » d’une phrase qui semble, sinon le contredire, au moins s’y opposer : « il importe d’avoir des certitudes ». Cette apparente inconciliabilité récèle-t-elle sa véritable intention ? les vagabondages n’empêcheraient pas les certitudes et, pour le Docteur Le Dorze, ils sembleraient même les fonder, les certitudes n’étant possibles qu’à ceux qui consentent à musarder. Albert Le Dorze ne se contente pas de la clinique psychiatrique ou psychanalytique et, au-delà de ses patients, ceux qu’il rencontre dans la confidentialité de son cabinet ou à travers leurs productions littéraires (comme Catherine M. à laquelle il consacre un chapitre), il s’intéresse au contexte social, politique voire artistique dans lesquels ces mêmes patients tentent de vivre (de survivre). On devine que si ses choix politiques influencent sa clinique, ils sont aussi grandement influencés pu son métier et par son savoir. En acceptant de se laisser surprendre par ses rencontres avec ses patients, mais également avec un texte théorique ou avec une oeuvre d’art, il érige les vagabondages en nécessité éthique. Les imprévus de la clinique et de la vie ne l’effrayent pas ; bien plus, ils constituent les fondements de sa pratique. Pour les affronter, il sait qu’il lui faut un savoir solide (les certitudes) mais non fermé, structurellement inachevé. Ils ne peuvent enrichir sa réflexion et sa pratique qu’à la condition de pas s’éclipser derrière le déjà vu ou le déjà su (et on en revient au vagabondage). Le livre d’Albert Le Dorze est l’itinéraire d’un honnête homme, médecin psychiatre, qui ne cède ni aux sirènes de la mode (qu’il s’agisse de celles de la prévention ou de la dépendance) ni à celles des idées préconçues (le chapitre consacré au Père Noël en est une amusante et pertinente illustration). En voulant que son itinéraire soit fait de vagabondages, le Docteur Le Dorze a composé son livre de textes écrits à différents moments et publiés ou présentés dans différents revues et lieux. Son ouvrage est d’ailleurs impossible à résumer, sa synthèse ne pouvant rendre compte de ses flâneries cliniques et théoriques dont déroulent ses certitudes qui, dans le même temps, les permettent. Il faut le lire ou le parcourir (les lecteurs ont aussi le droit ou le devoir de vagabonder), à sa façon, en commençant au hasard, par le chapitre que l’on imagine le plus attirant ou le plus intéressant. Et l’on se surprend alors à répondre à haute voix à une argumentation que l’on réprouve ou dont on admet la pertinence, c’est-à-dire à s’engager en opposant ou en conjoignant ses propres certitudes à celles de l’auteur. Albert Le Dorze a eu raison de nommer son livre « vagabondages psy… il importe d’avoir des certitudes ». Il a eu aussi raison de l’écrire afin de témoigner que sa pratique de médecin et d’enseignant s’arcqueboute sur son désir (qui musarde et vagabonde) et sur son engagement éthique, conséquence des certitudes qu’il s’est forgées au cours de ses vagabondages et dont il sait qu’elles ne sont pas tout à fait inébranlables.
A. HENRY
(Article extrait de Nervure, Journal de Psychiatrie, n°7 – Oct. 2006 : 2-3)