Dans la veine d’un historien comme Gérard Noiriel, et d’un sociologue comme Patrick Weil, l’auteur procède à une analyse des pratiques d’accueil des étrangers par l’administration française dans l’après guerre. C’est une véritable étude archéologique des pratiques administratives françaises, qui éclaire sous un jour inédit la « régulation » des flux migratoires, définie par des lois mais réinterprétées par l’administration. Quels sont donc les principes d’application qui ont régi le « choix » des étrangers ?
L’auteur à travers des entretiens avec d’anciens agents de préfecture et l’étude approfondie de dossiers individuels d’étrangers, révèle le pouvoir discrétionnaire d’une administration qui décidait ce qu’était et devait être la réalité de l’immigration. La logique qui présidait à des décisions quotidiennes était loin d’une pensée d’État mais plutôt le fruit d’une pensée de lieux communs. Ainsi se créaient des catégories dont celle des « assimilables » selon le profil du candidat et surtout selon sa nationalité. Ces catégories étaient choisies selon des logiques répondant à une perspective de respect de l’ordre, d’alimentation du marché de travail et d’accroissement de la population. Ces catégories ont bien sûr évolué, et par exemple la population portugaise pensée comme inassimilable est devenue la plus prisée quelques décennies plus tard devant les populations venant du continent africain. Alexis Spire décrit aussi tous les clivages séparant le statut temporaire du définitif (devenir Français), clivages déterminés par la nationalité et la profession du requérant. Dans tous les cas, il s’agit de défendre l’État et ses intérêts, mais avec au final, un régime « à la carte » qui ne dit pas son nom.
Ce qui a changé aujourd’hui c’est la politisation de l’immigration et l’évolution du droit. Les droits des résidents s’étaient améliorés (avec la possibilité d’obtenir la carte des dix ans) et les conditions d’intégration ont été favorisées. On assiste désormais à un durcissement des conditions d’accueil des étrangers et à une obligation d’intégration.
Ce livre très intéressant alimentera les arguments de l’existence d’un racisme administratif post-colonial. On regrettera seulement qu’il n’y ait que peu d’allusions du rôle des associations militantes, cela il est vrai serait le sujet d’un autre livre.
Claire MESTRE, in : L’autre. Cliniques, cultures et sociétés, 2007, vol. 8, n° 2 : 296