Alpha Amadou SY & Mamadou Abdoulaye N’DIAYE : « Les conquêtes de la citoyenneté. Essai politique sur l’Alternance du 19 mars 2000 »

Editions Sud Communication, Dakar, 2001.

Alpha Amadou SY et Mamadou Abdoulaye N’DIAYE sont professeurs de philosophie.

PRÉFACE

« La victoire du Sopi – « Changement » – cri de ralliement des « conjurés » de la démocratie et de la libération sociale, mise en évidence par un ordonnancement de luttes, de souffrance, de frustrations et de révoltes dés l’aube d’une indépendance octroyée, s’assimile, en dernière instance, au triomphe d’une révolution issue de la volonté populaire.

C’est dire que loin d’être prosaïquement le produit d’un mercantilisme électoral réducteur, confiné à la sanction populaire issue des urnes, le séisme du 19 mars 2000 englobe et dépasse – tant s’en faut ! – l’avènement d’une alternance à l’ordre du jour sur l’agenda politique sénégalais dés 1988.

Se sont agrégés, dans un maquillage dialectique les différentes forces sociales, les leviers de la révolution démocratique que l’on croyait en rade, et les tenants de l’héritage historique du nationalisme africain, ténors de la lutte – dévoyée – contre le colonialisme, le néocolonialisme, la bourgeoisie politico-bureaucratique et compradore.

Dans un contexte économique et politique marqué notamment par la désespérance et la désertion du rêve d’un grand soir évanescent, l’abdication d’une élite intellectualiste et politicienne frappée de plein fouet à la fois par la crise économique et celle incapacitante des valeurs progressistes et des idéologies révolutionnaires, le mouvement social sourdait dès l’avènement du régime U. P. S.-P. S (Union Progressiste Sénégalaise devenue Parti socialiste).

En témoignent les soubresauts politiques, les jacqueries paysannes, la révolte de mai 1968, les crises de l’Ecole et de l’Université etc. L’Ouverture démocratique, arrachée par les fractions de la couche supérieure de la petite bourgeoisie urbaine et périurbaine, n’a pas produit l’effet de containment escompté sur la majeure partie d’une classe politique arrivée à maturité sous la férule de celui qui désormais passera pour l’accoucheur de changement. C’est, en effet, en 1974, qu’un certain Maître Wade est entré en scène, impulsant un effet cathartique au mouvement de libération nationale. Avec l’introduction de nouvelles modalités, la médiation de la lutte pour l’indépendance, pour le progrès et la justice sociale, revêtira les habits du Sopi. Concept-slogan et porte-étendard des aspirations profondes de notre peuple à la dignité recouvrée, fédérant les stratégies de lutte politique clandestine et de l’expression citoyenne, le Sopi s’est joué des catégories doctrinales et des classifications que la réalité, rétive à la caporalisation, a reléguées au rang de joutes de salon et de rhétorique stérilisante. Ainsi, les idéologies de droite comme de gauche ont eu maille à partir avec les exigences d’une lutte rédemptrice, à l’assaut d’un système, qui, à force de lifting, a fini par craqueler de toutes parts.

La nouvelle étape, propice au jaillissement d’une conscience citoyenne subséquente au procès historique, infléchira le cours politique avec l’émergence de nouvelles formes de luttes politiques et sociales dont les échos, prolongés par les médias, retentiront jusqu’aux coins les plus reculés du pays.

Finis les monologues parallèles entre hiérarques confinés dans l’isolement urbain, mondain de l’establishment de la capitale.

Les populations, se réappropriant les débats, indiqueront la voie à suivre pour plus d’efficacité politique, hors des débats politiciens et nombrilistes. Les coalitions imposées par les citoyens-électeurs, désormais conscients de leur rôle et de leur force, viendront à bout d’un système gangrené par l’immobilisme, la gabegie et un fort sentiment d’impunité né du mépris.

Ou plutôt de la méprise, quant à la nature véritable de ce qui apparaissait comme une sorte d’enfermement fataliste prêté aux Sénégalais.

C’est ce processus de l’Apparent et du Réel qu’explore cet Essai politique sur l’Alternance, première œuvre (fort réussie !) de systématisation de la longue marche des Sénégalais et des Sénégalaises vers la citoyenneté reconquise plus d’un siècle après Ahmadou Bamba, Lat Dior DIOp et, plus proches de nous, Lamine Senghor, Aline Diatta Sitoye.

Les auteurs n’en sont pas à leur coup d’essai. Enseignant l’un à Saint-Louis (du Sénégal), l’autre à Dakar, leur production sur les expériences démocratiques en cours sur le continent fera date notamment avec l’ouvrage magistral Africanisme et théorie du projet social (Edition L’Harmattan).

Intellectuels organiques, dans le sens gramscien du concept, ils nous offrent, cerise sur le gâteau, cet essai qui prolonge aux pédagogie et esprit de suite, la réflexion engagée dans la première œuvre. Chronique d’une Alternance accouchée, cet ouvrage démasque et démaquille une réalité complexe et propose un regard filtrant sur ce que les auteurs qualifient eux-mêmes de révolution sociale (qui) ouvre enfin les horizons des possibles en autorisant le rêve, c’est-à-dire l’espérance.

Ce qui nous amène bien loin d’une alternance conçue comme une simple rotation. Les insurgés devront bien s’en rendre compte en approfondissant la réflexion et surtout, en prouvant le mouvement en marchant. »

Babacar TOURE – Journaliste, Président du Groupe Sud Communication

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