Approches culturelles en santé mentale.

Intervention du Docteur KRIKA, de l’Association MIGRATIONS SANTE.

Soirée débat du 22 octobre 1998. Espace Michelet – quartier du Noyer Renard à Athis-Mons.

INTRODUCTION :

Présentation de l’Association MIGRATIONS SANTE :

Migrations Santé est une association qui se propose de contribuer à la promotion de la santé des migrants et de leurs familles et à leur intégration. Ces domaines d’intervention sont l’information et la documentation, les actions de terrain, les études et les recherches, ainsi que la formation des professionnels de la santé et du social.

Les objectifs de Migrations Santé sont de réaliser des bilans réguliers, de mettre les migrants en situation de gérer leur santé, d’améliorer les relations des structures sanitaires et sociales avec les migrants, et de favoriser les conditions d’insertion sociale des migrants en France.

Les champs d’intervention des actions de terrain sont : les foyers pour travailleurs, les PMI, les prisons, les maisons de quartier, etc.

Les migrations vers la France au XXè siècle :

Les migrations existent depuis l’apparition de l’homme sur terre. La France a connu au XXè siècle plusieurs vagues d’immigration :

1920 : immigration massive

1931 : les étrangers sont 2,7 millions en France, soit 6,6 % de la population totale, années 1930 : ralentissement de l’immigration, à cause de la crise économique

1936 à 39 : arrivée de réfugiés espagnols

1946 : les étrangers représentent 5 % de la population globale de la France

1974 : arrêt officiel de l’immigration, suite au ralentissement économique

1975 : l’arrivée de nouveaux immigrants dans le boum d’après-guerre les a fait monter à 7,4 % de la population

Depuis cette date, l’immigration se fait essentiellement par le regroupement familial et se féminise. Si le nombre d’étrangers augmente, son pourcentage dans la population française reste stable.

Avant les années 1960-70, l’origine des étrangers était surtout européenne. A partir de cette date, outre les portugais, on voit arriver des populations d’Algérie, du Maroc, d’Asie du Sud-Est. En 1990, la moitié de l’immigration est d’origine européenne. Aujourd’hui, il y a une diversification des origines. L’Italie, le Maroc et l’Espagne représentent 18 % des étrangers de France.

APPROCHE DE LA SANTE DES MIGRANTS :

L’arrivée dans le pays d’accueil demande beaucoup d’efforts : l’apprentissage de la langue, de l’écrit, des lois en vigueur. Les conditions sociales dans lesquelles on vit favorisent ou non l’intégration dans le pays d’accueil. Il y a dix ans, la population migrante se soignait moins qu’aujourd’hui. Avec l’arrivée des femmes et la présence des enfants, la santé prend une autre place et devient une porte d’entrée vers l’insertion. En outre, par l’alphabétisation, les femmes prennent mieux en main l’éducation et la scolarité de leurs enfants.

Pour pouvoir soigner, il faut prendre en compte la personne dans sa globalité, soient les aspects physique, mental, culturel, et l’entourage social (critères de l’Organisation Mondiale de la Santé). L’approche culturelle en santé permet de décoder certains comportements. De la qualité des échanges dépendra la qualité des soins. Avec des professionnels formés à l’approche culturelle, le dialogue est facilité. On assiste à l’arrivée de la deuxième voire de la troisième génération de professionnels issus de l’immigration. Mais les diplômes des émigrants ne sont pas toujours reconnus en France comme celui destiné à l’éducation de jeunes enfants.

Quelques exemples illustrent cette nécessaire approche.

Autour de la naissance :

Certaines coutumes maghrébines veulent que l’on donne quelques gouttes d’eau sucrée aux nouveau-nés “ pour que l’enfant soit bon toute sa vie ” : avant d’en comprendre le sens, ce geste était mal perçu dans les services de maternité pour des problèmes de glycémie. Or ce geste a une fonction symbolique.

En France, la déclaration de grossesse se fait souvent dès la constatation de la grossesse et conditionne des prestations et des prises en charge. Mais dans certains pays, celle-ci ne se fait pas avant les 3 premiers mois d’aménorrhée pour éviter le mauvais œil. Et très souvent, les femmes étrangères arrivent à l’hôpital pour accoucher, sans avoir bénéficié du suivi de leur grossesse.

Pour l’état-civil français, un enfant doit être enregistré dans les trois jours suivant sa naissance. Or, en Inde, les familles attendent trois mois. Pour respecter la loi, les sages-femmes donnaient des prénoms aux enfants issus de ces familles, ce qui provoquait des insatisfactions.

De l’intégrité du corps :

Des coutumes comme les scarifications et les excisions font appel à d’autres critères que l’intégrité physique. L’excision touche à l’intimité, à des possibilités de mariabilité, de sociabilité, de faire de plus beaux enfants. Une femme qui n’a pas d’enfant n’a pas de statut social. Les femmes sont conscientes de ces usages et même si elles ne sont pas d’accord, elles ne peuvent pas toujours s’opposer à leur environnement social. Y a-t-il des degrés acceptables de mutilation ?

Santé mentale :

La maladie mentale, la folie ne sont pas considérés de la même façon dans les différents pays du monde. En outre pour un étranger, les difficultés d’adaptation au pays d’accueil se traduisent parfois par des problèmes psychologiques. Les traitements peuvent différer d’une culture à l’autre : il pourra être fait appel à des sorciers ou des marabouts pour désenvoûter ou désensorceler le patient. Ces guérisseurs sont en outre détenteurs de la cohésion sociale. Ils font référence à une culture et servent de sas dans le processus d’intégration à la culture d’accueil. Ils prennent en compte de multiples aspects de la personne, sa relation avec sa famille, son histoire…

Exemple :

Une femme algérienne a été présentée à Migrations Santé, car personne ne comprenait sa maladie. Par une procédure de regroupement familial, elle est arrivée en France à 54 ans, accompagnée de ses trois enfants. D’origine rurale, elle avait vécu pendant une dizaine d’années avec ses beaux-parents. Son mari, installé en France avait pris une deuxième femme. Elle a été accueillie avec sa famille dans une seule pièce. La salle de bain devait être partagée avec les clients du restaurant du dessous. Cette femme n’était pas folle, mais elle était complètement dépaysée, désespérée, ne sachant quoi faire. Son mal-être était lié à sa nouvelle situation.

Conflits culturels :

La loi française réprime les violences sur les enfants. Dans le cas des étrangers, les signalements d’enfants battus font que les parents démissionnent de leur rôle, car leurs références éducatives se trouvent en conflit avec la culture du pays d’accueil. Ils doivent aussi tenir compte de leur entourage, de l’honneur de la famille. Les enfants grandissent en France, et par contre se rapprochent des références du pays d’accueil : par exemple, les filles veulent mettre des mini-jupes, et c’est la confrontation.

Lors des vacances dans le pays d’origine, les familles de migrants ne sont pas toujours bien acceptés : ils sont en décalage avec ce pays qui continue d’évoluer sans eux et dont ils ont du mal à percevoir et à reconnaître les changements. Très souvent, la famille s’est cotisée pour le départ d’un des leurs, qui doit alors lui montrer la preuve de sa réussite.

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