Approches méthodologiques de la discrimination sur le marché du travail. Par Etienne Piguet.

Etude mandatée par FNRS -CFR, janvier 2001 [Forum suisse pour l’étude des migrations]

Résumé : les formes de discrimination dont une personne peut être victime sur le marché du travail en raison de son origine nationale ou ethnique sont multiples : discrimination à l’embauche, discrimination salariale, discrimination dans la promotion, discrimination dans le type de tâches, discrimination dans la valorisation du travail, dans l’accès à la formation continue, lors d’un licenciement, etc. Outre la dimension éthique liée à l’idéal libéral d’égalité des chances pour tous, de tels phénomènes comportent pour la société des risques évidents en termes de cohésion sociale et de marginalisation de certains groupes. Le présent article passe en revue les différentes approches méthodologiques possibles pour rendre compte du phénomène de discrimination sur le marché du travail avec un accent particulier sur la discrimination à l’embauche.

Recherche sur les discriminations sur le marché du travail.

Afin d’expliquer les difficultés d’un groupe de personnes à s’insérer sur le marché du travail, on peut distinguer deux hypothèses complémentaires :

1. L’hypothèse d’une dotation moyenne inférieure en termes de qualifications1.

2. L’hypothèse d’une discrimination à l’embauche sur le marché du travail2.

En Suisse, plusieurs études ont déjà corroboré la première hypothèse et montré que la qualification des étrangers domiciliés en Suisse était généralement inférieure à celle des Suisses et que cette différence avait eu tendance à s’accroître depuis les années cinquante. Ces chercheurs ont donc expliqué en partie les taux de chômage élevés des étrangers par leur faible niveau de formation3 (Blattner, Schwarz and Sheldon 1985, Schwarz 1988, Blattner and Theiss 1994, Straubhaar and Weber 1993, Flückiger 1995, Coulon 19994)5. Dans le même temps, on a pu relever que le niveau de qualification n’était probablement pas le seul facteur explicatif des différences observées, ce qui confirme la possibilité d’un effet complémentaire lié à la discrimination. Dans le cas des personnes non titulaires d’un permis d’établissement, il faut ajouter qu’à une éventuelle discrimination par les employeurs s’ajoute une discrimination légale puisque la loi accorde la priorité sur le marché du travail aux personnes établies (permis C) (Schwarz 1986).

Les discriminations sur le marché du travail.

L’étude des discriminations dont certains groupes sociaux peuvent être victimes sur le marché du travail est un sujet d’intérêt de longue date pour les sciences sociales. Outre la dimension éthique liée à l’idéal d' »égalité des chances », de tels phénomènes posent d’un point de vue sociologique, des risques évidents en termes de cohésion sociale et de constitution d’une « ethnic underclass »6 Pour les économistes, ils constituent une distorsion des mécanismes de marché et conduisent à une allocation inefficace des ressources productives (Becker 1957, Arrow 1972, Phelps 1972, Marshall 1974, Reich 1981).

Les formes de discrimination dont une personne peut être victime sur le marché du travail en raison de son appartenance à un groupe social, de son apparence physique, etc. sont multiples : discrimination à l’embauche, discrimination salariale, discrimination dans la promotion à des postes supérieurs, discrimination dans le type de tâches assignées, discrimination dans la valorisation du travail, dans l’accès à la formation continue, lors d’un licenciement, etc. L’embauche constituant le premier passage obligé de toute relation de travail, une discrimination à ce stade apparaît comme la plus grave en termes de conséquences ultérieures. Elle présente par ailleurs la particularité d’échapper parfois à la victime ellemême dans la mesure où les raisons d’un refus d’embauche sont rarement explicitées. Si elle existe, la discrimination à l’embauche présente par ailleurs le risque de constituer un cercle vicieux dont une communauté étrangère ne peut parvenir à s’extraire : dans les autres formes de discrimination on peut supposer que les stéréotypes puissent être réduits par la pratique quotidienne, ce qui n’est pas le cas si une personne n’a même pas accès à l’emploi.

Sur le plan empirique, quatre approches peuvent être distinguées pour mettre en évidence les discriminations à l’embauche : l’approche indirecte, l’approche directe au niveau des victimes, l’approche directe au niveau de l’opinion et l’approche des pratiques effectives.

L’approche indirecte.

Cette approche vise à tester simultanément les deux hypothèses présentées en introduction : l’effet du niveau de qualification et l’effet de discrimination. L’approche indirecte part de l’hypothèse que le degré de discrimination peut être mesuré par le résidu des différences (de taux d’occupation, de taux de chômage, etc.) entre deux groupes une fois prises en compte les caractéristiques individuelles, en particulier le niveau de qualification. Cette approche implique en général une analyse de régression multiple (le plus souvent une régression logistique). L’effet sur la probabilité de chômage d’une variable « nationalité » ou « appartenance ethnique » permet ainsi de mesurer la discrimination toutes choses égales par ailleurs. De telles approches ont par exemple récemment été utilisées en Australie (Miller and Neo 1997), en Angleterre (Thomas 1998), en France (Richard 1997), en Suède (Bevelander 1999) et aux Etats-Unis (Chiswick, Cohen and Zach 1997).

En Suisse, seule l’étude effectuée par le FSM sur l’activité économique des requérants d’asile et des réfugiés (Wimmer and Piguet 1998) a utilisé une telle méthode. Elle se focalisait cependant sur un échantillon de population bien spécifique et pour lequel d’autres facteurs explicatifs que la discrimination étaient postulés (restrictions administratives, contexte de migration, etc.).

Schwarz a analysé les effets de la priorité des résidants sur le marché du travail (Suisses et permis C) sur les taux de chômage et de départ des étrangers, mais il a été limité par les données disponibles pour contrôler les niveaux de qualification. Il a par contre été le pionnier des études visant à expliquer les différences salariales selon l’origine, en considérant la discrimination comme un facteur explicatif résiduel une fois prises en compte les autres variables explicatives (Schwarz 1986). Kugler a appliqué une même approche à la discrimination hommes/femmes (Kugler 1988). Ils ont été récemment suivis par des recherches plus complètes (Coulon 1998, Golder and Straubhaar 1999) qui confirment l’existence possible de disparités salariales attribuables à des phénomènes de discrimination. Une approche comparable a porté sur la comparaison des durées de chômage entre Suisses et étrangers (Vassiliev and Flückiger 1998). Dans ce cas, les résultats provisoires ne permettent cependant pas de mettre en évidence, de manière certaine, un effet résiduel qui puisse être attribué à des discriminations.

De manière générale, si elles présentent l’intérêt de proposer un modèle global des déterminants de l’emploi, du chômage ou du salaire, les approches indirectes restent insatisfaisantes pour rendre compte du phénomène de discrimination lui-même. Mesurée comme une différence résiduelle, l’ampleur de la discrimination devient en effet largement dépendante du nombre de variables explicatives prises en compte et de la qualité des données disponibles. Si seul le nombre d’années de formation est inclu, l’ampleur de la discrimination mesurée sera plus importante que si l’on parvient à intégrer les années d’expérience, les compétences linguistiques, etc. Si ces études donnent donc des indications précieuses sur l’éventualité de phénomènes discriminatoires, elles ne constituent pas à proprement parler des études de ces phénomènes.

L’approche directe au niveau des victimes.

Cette approche vise à estimer la proportion de personnes ayant effectivement subi des pratiques discriminatoires. Elle passe donc par des entretiens ou des questionnaires, auprès des victimes potentielles, basés sur le compte rendu subjectif de leurs expériences (exemple : « avez-vous été désavantagé(e) dans votre recherche d’emploi au cours de la dernière année en raison de votre origine ? »)7.

Dans le cas suisse, les études de victimisation prenant en compte la population étrangère se sont concentrées sur les actes criminels (Kuhn, Killias and Berry 1993). La discrimination sur le marché du travail n’est abordée que marginalement et, dans une optique qualitative, dans certaines recherches sur les discriminations au quotidien (Huggenberger and Thönnissen 1998). Dans le cadre de notre étude sur la création d’entreprise par les étrangers (Piguet 1999), nous avons cependant abordé cette thématique en proposant à 86 créateurs d’entreprise étrangers l’affirmation « trouver un emploi en Suisse est plus difficile pour moi que pour un Suisse, c’est pour cela que je préfère être à mon compte ». Un tiers des répondants s’est déclaré d’accord, ce qui représente un indice de discrimination sans en démontrer l’existence.

Cette approche présente cependant la faiblesse de se baser sur des réponses souvent largement déterminées par la manière subjective dont la victime a ressenti le phénomène de discrimination : dans certains cas, la discrimination sera passée inaperçue, dans d’autres, elle sera mise en avant alors que d’autres raisons expliquent le refus essuyé pour l’emploi recherché. Dans le cas où leurs résultats ont pu être confrontés à des approches plus objectives, les études de victimisation se sont en général révélées sous-estimer le phénomène de discrimination (Bovenkerk 1992).

L’approche directe au niveau de l’opinion publique ou des employeurs.

Cette approche vise à estimer la propension à la discrimination au sein de la population ou des employeurs potentiels. Elle utilise des entretiens ou des questionnaires auprès des chefs d’entreprises, des responsables des ressources humaines ou encore du grand public. (exemple : « pensez-vous que la priorité sur le marché du travail doit être donnée aux citoyens suisses ? »)8.

Dans le cas suisse, une telle question a été posée à un échantillon de citoyens suisses dans la recherche classique de Hoffmann-Nowotny en 1969 (Hoffmann-Nowotny 1973), reproduite vingt-cinq ans plus tard avec une problématique similaire (Bösch, Romano and Stolz 1997) (« Wenn in einem Betrieb Arbeitskräfte entlassen werden müssen, sollte man dann… a) die Ausländer zuerst entlassen b) die Schweizer zuerst entlassen c) die schlechteren Arbeiter ohne Rücksicht auf die Nationalität zuerst entlassen ? »). Les résultats pour 1969 (n = 466), sont de 32% pour licencier d’abord les étrangers et 68% pour licencier d’abord les moins bons travailleurs. Pour 1995 (n=466) la proportion est de 4% pour licencier d’abord les étrangers et 96% pour licencier d’abord les moins bons travailleurs. L’enquête périodique UNIVOX/Kultur a aussi intégré une question de ce type en 1994 et 1997 (« Wenn sich ein Schweizer oder eine Schweizerin und einE beruflich gleich gut qualifizierteR AusländerIn um die gleiche Stelle bewerben, dann sollte dem/der SchweizerIn der Vorzug gegeben werden ») la proportion de personne plutôt d’accord ou tout à fait d’accord a été de 41% en 1994 et 30% en 1997.

Dans le cadre de notre étude sur l’insertion des réfugiés sur le marché du travail, nous avons enfin effectué une série d’entretiens avec des chefs du personnel d’entreprises employant des requérants d’asile (Froidevaux 1997, Wimmer and Piguet 1998). Ces entretiens ont confirmé l’existence et l’influence des stéréotypes associés à différentes origines, tout en soulignant leur diversité selon les interlocuteurs (parfois positifs, parfois négatifs). Cette recherche n’a cependant pas directement comparé l’attitude vis-à-vis des nationaux et celle vis-à-vis des étrangers.

Le questionnaire Eurobaromètre sur le racisme et la xénophobie utilise les affirmations « When hiring personnel, employers should only take account of qualifications, regardless of the person’s race, religion or culture » et « Discrimination on the job market on ground of a person’s race, religion or culture should be outlawed » par rapport auxquelles un échantillon de 16’000 citoyens des différents pays de l’Union doit prendre position (1998).

De manière générale, l’approche directe, surtout de l’opinion publique dans son ensemble, présente la faiblesse de porter sur des opinions et des représentations dont on sait, déjà depuis l’étude sur la discrimination de La Piere en 1934, que le lien avec les comportements effectifs est parfois faible, voire inexistant (cf. Bovenkerk 1992). Une personne pourra afficher une attitude non discriminatoire tout en adoptant, consciemment ou inconsciemment une attitude discriminatoire face à un cas concret ou vice-versa. L’importante différence de résultats observée par exemple entre l’étude UNIVOX de 97 et l’étude de Bösch et al. de 1995 pour une question – formulée différemment, mais dont le sens est proche – illustre par ailleurs la sensibilité des répondants à la formulation de la question posée.

L’étude des pratiques effectives de discrimination. (« practice testing »)

Deux périodes peuvent être distinguées dans la recherche sur les pratiques effectives de discrimination sur le marché du travail : au cours d’une première période 1967-1991, on dénombre des études menées indépendamment dans différents pays avec des échantillons et des méthodologie variables. Dès 1992, suite à l’initiative du Bureau international du travail à Genève de coordonner les recherches, le degré de comparabilité s’accroît considérablement et une méthodologie éprouvée et réplicable se met en place.

La première utilisation du « practice testing » remonte à 1967 en Grande-Bretagne par le PEP (Political and Economic Planning, aujourd’hui Policy Studies Institute) : Trois enquêteurs, citoyens britanniques originaires respectivement de Hongrie, des Caraïbes et d’Angleterre, soumirent à des entreprises des demandes identiques pour des emplois, des logements et des assurances. La comparaison des résultats mit en évidence un niveau de discrimination très élevé à l’encontre de l’enquêteur noir des Caraïbes et plus faible à l’encontre de l’enquêteur hongrois (Daniel 1968). Cette recherche déboucha sur un débat national et sur l’extension de la protection contre la discrimination raciale. Elle fut suivie en 1974 par une étude plus approfondie basée sur un tirage aléatoire d’offres d’emploi et sur l’envoi de postulations écrites identiques (correspondance testing). Cette recherche mit en évidence des niveaux de discrimination plus élevés en raison de la couleur de peau qu’en raison de l’origine étrangère et vis-à-vis des hommes noirs que des femmes noires. Le niveau de discrimination se révéla inférieur dans les emplois qualifiés (Smith 1977). Plusieurs autres études ont suivi (cf. Bovenkerk 1992), dont une étude sur les jeunes noirs de Hubbock et Carter, pour le compte de la Commission for racial equality, qui soumit des doubles candidatures (un jeune noir et un jeune blanc) à 161 offres d’emploi et dénombra 50% de cas ou un rendez-vous était présenté au jeune blanc, mais pas au jeune noir, ainsi que 6% de cas inverses (Hubock and Carter 1980).

Des recherches comparables furent effectuées aux Pays-Bas entre 1977 et 1978 avec des taux de discrimination de 20% à l’encontre des personnes originaires du Surinam, mais aussi d’Espagne (Bovenkerk 1992). Un intéressant constat de cette recherche est l’effet de la conjoncture sur le degré de discrimination : plus la demande de travail est faible dans une région (et donc plus le choix des employeurs est large) plus le niveau de discrimination est élevé. Une autre recherche menée aux Pays-Bas en 1991 donna des résultats très différents pour le cas spécifique des personnes très qualifiées : dans le cas des ingénieurs d’origine turque vis-à-vis des Néerlandais de souche, aucune discrimination à l’embauche ne fut observée.

En France, une seule étude similaire fut menée sous le nom d’Etude comportementale réactionnelle in situ par l’envoi de 682 doubles postulations écrites comparant les Français de métropole et les Français originaires des Antilles. Dans 29% des cas, l’Antillais ne se vit pas proposer d’entretien contre 2% de cas pour le Métropolitain. Il n’existe aucune étude similaire sur le cas des jeunes Maghrébins (Bovenkerk 1979).

Au Canada, le Social Planning Council of Metropolitan Toronto effectua en 1984 une recherche comparant le succès des blancs et des noirs de 18-25 ans au niveau de qualification intermédiaire. Un traitement préférentiel des blancs fut mis en évidence dans près de 25% des cas. Lors d’une comparaison de quatre groupes effectuée par téléphone (telephone testing), les Indo-pakistanais se virent refuser un entretien dans 44% des cas, les personnes originaires des Caraïbes dans 36% des cas, les blancs nés hors du Canada dans 31% des cas, tandis que les Canadiens de souche ne se virent refuser un entretien que dans 13% des cas. Lors d’une réplication de l’étude en 1989, le degré de discrimination s’avéra par contre négligeable, mais sur la base d’un échantillon beaucoup plus réduit. Une hypothèse explicative de cette évolution tient à la reprise conjoncturelle et à la demande de travail plus forte en 1989. Les méthodologies utilisées n’étant pas unifiées, il a été difficile de tirer un bilan avant la mise en place des études comparatives systématiques du BIT (cf. infra.). Des résultats comparables ont été obtenus en Australie (Riach and Rich 1991, Riach and Rich 1992).

De manière indépendante de la tradition britannique, et sous le nom de « auditing », des recherches sur la discrimination effective furent menées aux Etats-Unis dès la fin des années soixante dans le domaine du logement. En 1978, une application au marché du travail fut effectuée pour tester les effets de l' »affirmative action » : les firmes soumises à l’obligation de privilégier les noirs se révélèrent effectivement plus favorables à ces derniers (Newman 1978). En 1990, Cross analysa 360 doubles entretiens d’embauche d’un candidat anglo-saxon et d’un candidat hispanique, à Chicago et San Diego, à des niveaux de qualification peu élevés. Le taux de discrimination se monta à 20% à l’encontre des hispaniques (Cross 1990). Comme le relève Bovenkerk, un intérêt de cette recherche est qu’elle a pu montrer que la discrimination se poursuit et tend à s’accroître au fur et à mesure des différentes étapes du recrutement (téléphone, puis entretien), alors que les recherches menées en particulier en Angleterre n’avaient pas poursuivi l’expérience jusqu’au stade de l’entretien. On peut en déduire que les recherches qui se contentent de postulations téléphoniques (telephone-testing) ou écrites (correspondance-testing) ne livrent qu’une mesure du degré minimal de discrimination existant et que le degré réel sur l’ensemble du processus, mesuré lors d’entretiens (audit-testing), risque d’être plus élevé (Bovenkerk 1992).

Au début des années 1990, le Bureau International du Travail lança le programme « Combatting discrimination against migrant workers and ethnic minorities in the world of work » (Zegers de Beijl 1990). Dans ce cadre, un effort important fut consacré à la vérification empirique des niveaux de discrimination. La publication en 1992 d’un « Manual for international comparative research on discrimination on the grounds of race and ethnic origin » (Bovenkerk 1992) permit l’uniformisation des méthodes et la mise sur pied de recherches comparables dans de nombreux pays.

Les pays originellement prévus pour effectuer des analyses étaient l’Australie, la Belgique, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède, la Suisse et les Etats-Unis. Au cours des dernières années, de telles analyses ont été effectivement réalisées pour la Belgique (Arrijn Iisa, Feld and Nayer 1999), le Canada (Raskin 1993), l’Allemagne (Goldberg, Mourinho and Kulke 1996), les Pays-Bas (Bovenkerk, Gras and Ramsoedh 1994), l’Espagne (Prada and et al. 1996) et les Etats-Unis (Bendick 1996). Une recherche similaire a par ailleurs été effectuée en 1996 au Danemark (cf. Wrench 1998). Ces études ont mis en évidence des niveaux de discrimination non-négligeables (30% de cas de discrimination manifeste environ) à l’encontre de différents groupes.

La comparaison des recherches menées dans le cadre de ce programme permet de faire le bilan des avantages et des inconvénients de la méthode du « practice testing ». En regard des autres méthodes évoquées ci-dessus, le « practice-testing » offre la quantification la plus rigoureuse de la discrimination effective dans la mesure où les autres paramètres pouvant affecter l’embauche sont maintenus constants. Elle constitue donc l’un des rares cas empiriques dans les sciences sociales où un phénomène peut être appréhendé « toutes choses égales par ailleurs ». Il faut par contre relever que l’approche se limite à une partie seulement du marché du travail : les emplois qui ne sont pas mis au concours, mais font l’objet d’un recrutement informel, échappent à l’analyse. La méthode ne permet par non plus de pondérer l’effet spécifique de la discrimination par rapport aux autres facteurs explicatifs de la position sur le marché du travail (en particulier la formation), les analyses de régression multiples, pour autant que des données satisfaisantes soient disponibles, sont plus adaptées à de tels objectifs. L’analyse des pratiques ne constitue pas non plus une approche permettant d’expliquer les phénomènes de discrimination dans le but d’une théorisation. Les motivations de la discrimination observée ne sont pas abordées. Sans entrer dans le détail, on peut noter qu’une discrimination peut provenir d’une attitude raciste ou xénophobe directement dirigée vers la personne appartenant à une catégorie (« categorical discrimination » cf. Banton 1983), de stéréotypes selon lesquels les personnes appartenant à un certain groupe ne posséderaient pas les qualités recherchées (« statistical discrimination » cf. Banton 1983), de contraintes extérieures fondées ou infondées (peur de déplaire aux clients ou de conflits au sein de l’entreprise) ou encore d’une stratégie rationnelle de minimisation des risques en refusant toute candidature n’étant pas issue de la population majoritaire (Berghe 1997). Les raisons profondes d’une attitude xénophobe ou raciste ne sont a fortiori pas non plus appréhendées (voir à ce sujet la synthèse de Wimmer 1997).

L’étude des pratiques effectives de discrimination en Suisse.

A ce jour, aucune étude des pratiques de discrimination à l’encontre des personnes d’origine étrangère sur le marché du travail n’a été effectuée en Suisse. A notre connaissance, il n’existe pas non plus d’étude utilisant la méthode du « practice testing » dans le domaine du logement ou des assurances.

Des chercheurs helvétiques ont par contre appliqué une méthode proche à l’étude des discriminations à l’encontre des malades du SIDA ou des personnes séropositives dans le cadre du PNR 26c, financé par le FNRS (Gros and De Puy 1993). Diverses demandes, émanant de personnes contaminées et non contaminées, ont été soumises pour des emplois, des rendez-vous de dentiste, des aides sociales, des places de crèche, des logements et des activités sportives. Dans le domaine de l’emploi, des curriculum fictifs ont été envoyés pour des postes de vendeuse, employée de bureau, réceptionniste, employé de banque, secrétaire et spécialiste en assurance. La proportion de préavis positifs a été de 25% pour les personnes séropostives contre 66% pour les personnes non infectées. Si le domaine de l’emploi est le seul ou une discrimination marquée a pu être établie, il convient cependant de noter que l’échantillon de cette étude était très faible (37 postulations dans chaque groupe) et que les offres d’emplois n’ont pas été adressées aux même employeurs (une seule offre par employeur) ce qui représente une différence importante par rapport à la méthodologie proposée par le BIT où chaque employeur reçoit deux offres identiques.

Conclusion.

Le tour d’horizon des différentes approches méthodologiques qui vient d’être effectué souligne l’importance d’une pluralité des recherches sur un thème aussi complexe que la discrimination. Une première étape nécessaire en Suisse semble être la mesure effective du degré de discrimination par la méthode du practice testing. C’est une telle démarche qui sera entreprise par le Forum suisse pour l’étude des migrations dans le cadre du PNR “Formation et emploi” du FNRS.

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Wimmer Andreas et Piguet Etienne. 1998. Asyl und Arbeit : eine Studie zur Erwerbsintegration von Asylsuchenden und Flüchtlingen in der Schweiz. Neuchâtel : Forum suisse pour l’étude des migrations. Rapport de recherche 9.

Wrench John. 1998. “Discrimination formelle et informelle sur le marché du travail européen” Hommes et Migrations, 1211 : pp. 100-111.

Zegers de Beijl Roger. 1990. Discrimination of migrant workers in western Europe. Geneva : International Labour Office. FSM SFM

NOTES :

1. La notion de qualification doit être comprise ici dans son sens le plus large d’employabilité ou d’adaptation à la demande, elle peut par exemple inclure la connaissance de codes et pratiques informelles qui régissent le marché du travail.

2. Une troisième hypothèse qui pourrait être évoquée est celle d’attitudes différentes vis-à-vis du travail (« ethos » du travail variable selon les origines nationales). Cette hypothèse qu’on pourrait qualifier de culturelle, voire culturaliste, trouve cependant peu d’écho dans la littérature. Elle est rejetée par une récente recherche empirique menée en Angleterre (Thomas 1998).

3. Outre le niveau de qualification absolu, la répartition selon les branches doit dans ce domaine être prise en compte : même qualifiés, en Suisse les travailleurs étrangers se sont trouvés sur-représentés dans des branches économiques en déclin et ont vu leur risque de chômage s’accroître.

4. De Coulon (1999, p. 171) mentionne comme facteurs explicatifs possibles les années de formation, la maîtrise de la langue, la connaissance des réseaux d’information et la nationalité.

5. Un approfondissement de cette première hypothèse ne serait cependant pas inutile : aucun test empirique systématique n’a été effectué jusqu’ici pour quantifier l’effet des niveaux de formation par rapport aux autres facteurs susceptibles d’influencer les possibilités d’emploi des étrangers. Outre les problèmes liés à la disponibilité et à la qualité des données nécessaires, il est probable qu’une telle analyse ne livrerait pas des résultats aussi novateurs que l’étude spécifique de la discrimination

6. Dans la lignée du travail classique de Myrdal (Myrdal 1944). Voir aussi (Jencks and Peterson 1991).

7. Une autre forme d’approche directe au niveau des victimes est constituée par les « observations participantes » classiques de J.-H. Griffin (« Black like me ») ou de Günther Walraff (« Ganz Unten »).

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