Aux sources des médecines chinoise : Une exposition à Paris.

Le quotidien du médecin MERCREDI 18 AVRIL 2001

ON pouvait se demander ce qui avait déterminé le choix de la médecine chinoise, ou plutôt des médecines chinoises, comme thème d’exposition au parc de la Villette, entre une exposition des gâteaux figuratifs d’Europe et une découverte des « réalités multiples » du Mali. C’est que les cultures « autres » et la façon dont elles sont reçues en Europe, et en particulier en France, constituent l’un des centres d’intérêt majeurs des responsables des expositions, explique Claude Archambault. De plus, depuis des années, la vague de médecines douces et de promotion du bien-être que répandent les médias les plus courants tendrait à faire de la médecine chinoise, parmi d’autres, une panacée face à une médecine occidentale, alors considérée comme dure et peu soucieuse de qualité de vie. Les organisateurs de l’exposition ont voulu, au-delà de ces images sommaires, revenir aux sources, pour mieux comprendre comment se sont constitués les « récits du corps » spécifiques de la médecine chinoise. Il ne s’agit ni d’offrir une solution technique aux maux occidentaux comme orientaux, ni de ranger la médecine chinoise au chapitre des sectes ou du charlatanisme. Il ne s’agit pas non plus de présenter un contenu scientifique, mais bien d’évoquer un fait culturel, soit l’évolution d’un système médical étroitement lié à une hisoire. Si étroitement lié d’ailleurs que le même système donnera en milieu chinois et en milieu occidental deux types de médecine différents.

Entre attachement romantique et rejet tout aussi intégriste, la médecine chinoise suscite volontiers en Occident des réactions qui ne rendent pas bien compte de la réalité de cette médecine. Claude Archambault, responsable du projet d’exposition sur « les médecines chinoises » qui s’ouvre ce mercredi 18 avril au parc de la Villette à Paris, a bien voulu le présenter au « Q u o t i d i e n » .

Claude Archambault en donne pour exemple la notion de « m é r i d i e n » largement populari-sée en Occident : le visiteur de l’exposition n’y trouvera pas une fois ce mot, choisi par les pre-miers Européens qui ont connu la médecine chinoise et qui ont ren-contré des difficultés pour parve-nir à qualifier les conduits par lesquels passe le Qi (énergie).

De nos jours, la pharmacopée, immense chapitre de la médecine chinoise trop souvent méconnue des Occidentaux, représente un bon exemple des difficultés de translation des savoirs de Chine en Occident. En effet, des milliers de plantes qui constituent la nomenclature chinoise, seule, quelques-unes parmi les plus courantes sont connues sous le nom occidental correspondant à la nomenclature OMS, ce qui restreint considéra-blement les possibilités de com-mercialisation des plantes chinoises en Europe. Si les Chinois s’occupent activement d’étudier leurs plantes médicinales selon les modalités scientifiques occi-dentales, il reste en effet un tra-vail colossal à effectuer avant que puissent être utilisés partout cer-tains produits, d’autant que leur action est parfois plus violente que ne le supposent beaucoup d’Occidentaux. Bien d’autres obstacles gênent encore cette diffusion des plantes médicinales chinoises vers l’Occident, sur laquelle la Chine font de bien des espoirs économiques. Ainsi l’extension des cultures intensives soulève-t-elle le pro-blème des résidus de pesticides, des métaux lourds ou des OGM : un « ménage législatif » s’impose dans ce domaine, la tolérance vis-à-vis de ces produits étant à l’heure actuelle beaucoup plus grande en Chine qu’en Occident. La Chine n’est pas indifférente non plus au sort des espèces pro-tégées. L’utilisation de la pharma-copée chinoise dépend aussi du statut des praticiens qui les prescrivent ; or si l’Allemagne, l’Angleterre ou la Suisse font preuve d’un grand libéralisme en la matière, la réglementation fran-çaise a du mal à trouver le juste équilibre entre contrôle du char-latanisme et responsabilité des individus, praticiens et patients. Les Chinois, pour leur part, lorsqu’ils se sont intéressés à la méde-cine allopathique, en ont très rapi-dement intégré les apports. Il est certain que la médecine occiden-tale prend dans la Chine d’aujourd’hui le pas sur la médecine traditionnelle chinoise : « Tout le monde est à l’aspirine », précise Claude Archambault. Mais il n’y a pas d’opposition entre les deux types de médecine : si les Occi-dentaux que nous sommes ont tendance à être « fromage ou des -s e r t » et à opter résolument pour une médecine au détriment d’une autre – allopathique contre com-plémentaires, ou inversement -, les Chinois, eux, associent volon-tiers les deux ; ils utilisent, par exemple, les traitements de médecine chinoise pour pallier les effets secondaires des chi-miothérapies anticancéreuses. Dans cette optique, il était logique que la médecine traditionnelle chinoise, loin de se dissoudre peu à peu dans une médecine popu-laire résiduelle, se transforme avec les technologies médicales : les Occidentaux sont nombreux à connaître l’électro-acupuncture, désormais largement répandue dans le monde entier. Mais ce n’est pas le seul exemple : en Chine, on renonce de plus en plus aux décoctions au goût infect à position géographique quelque traditionnelles chinoises pour des rai-sons peu hasardeuse, admise aujourd’hui sont tant économiques que politique aujourd’hui sans discussion, mais pas tiques, mais il lui importait tout sans conséquences pour l’apprécier d’autant de poser la Chine comme compréhension du système et de sa pratique une grande nation moderne et tique. d’amorcer le dialogue avec les De même, les anciens Chinois Occidentaux ; comme, par parlaient « des vapeurs » et non ailleurs, le problème des sources du Qi, terme adopté du temps de d’énergie se posait aussi en Chine de Mao : celui-ci voulait en effet ne, le mot « énergie » paraissait conserver les médecines tradi-particulièrement bien adapté. Les récits sur le corps, eux aussi, sont le reflet de la culture qui les produit. En Occident, raconte Claude Archambault, on invente le robinet mélangeur et on efface ce qui existait auparavant. En Chine, on accumule, on enrichit, on commente sa propre tradition. Les difficultés de Harvey pour introduire un concept nouveau, le bouleversement provoqué par le pasteurisme, les querelles perma-nentes entre écoles qui caractéri-sent le progrès à l’occidentale sont bien éloignés du type d’évolution à la chinoise, qui privilégie les changements d’éclairage. Ainsi la pensée taoïste et plus enco-re la pensée mandarinale sont -elles mises en sommeil au moment de l’unification de l’Empire, au profit de l’image d’un corps très hiérarchisé en conduits et organes. Mais quatre ou cinq siècles plus tard, les différents courants se rejoignent dans un même récit du corps.

Echanges entre cultures Les échanges entre cultures pro-fondément différentes et leurs conséquences sur les systèmes médicaux qui en dérivent sont donc au cœur du projet de la Vil-lette. L’intérêt des Occidentaux pour la médecine chinoise ne date pas d’hier et l’exposition rend hommage à ces Européens, et en particulier à ces mission-naires, qui ont fait un travail extraordinaire pour rapporter le savoir médical chinois dans leurs pays. Certes, si sinisés qu’ils aient pu être, ils devaient, pour transmettre, rejoindre une pensée, des critères occiden-taux, ce qui ne pouvait se faire qu’au prix de glissements, voire de déformations, inévitablement

De la pensée taoïste au médecin d’aujourd’hui

C’est sur la pensée taoïste des correspon-dances que s’ouvre la première salle. Cette pensée extrêmement holistique a laissé des traces jusque dans les cerveaux des citadins chi-nois les plus occidentalisés qui consacreront par exemple à la tradition de ne pas manger de bœuf s’ils sont enrhumés, un peu comme tant d’Occidentaux renoncent au chocolat s’ils ont « mal au f o i e ». Saisons, chiffres, animaux, organes, élé-ments s’organisent selon un récit, dont la logique, irréductible à la nôtre, apparaît tout à fait évidente aux Chinois. L’exposition passe rapidement sur les maladies, avec quelques reproductions de gravures, et s’attarde ensuite sur les thérapies : la démonologie qui a encore cours dans les campagnes et fait appel aux esprits ; les religions, avec l’influence du bouddhisme et celle de la figure embléma-tique d’un médecin du Ie r siècle déifié au XIIIe s i è c l e ; l’acupuncture, en particulier avec d’anciens mannequins de papier mâché ; la phar-macopée, très liée au taoïsme, avec une littéra-ture très abondante, ancienne et récente, chinoise et occidentale. On entre ensuite dans l’histoire illustrée du récit du corps selon les Chinois, corps climatique, corps malade, corps hiérarchisé, corps-paysage du taoïsme classique, corps médiqué par une association de traitements variés… Te m p s modernes et temps anciens voisinent encore dans les deux salles suivantes, l’une reconsti-tuant une pharmacie chinoise du XIXe siècle, l’autre donnant un échantillonnage des matières premières et de l’outillage utilisés par les phar-maciens chinois. Un petit film consacré à la phar-macie d’autrefois montre aussi des médecins consultant dans une pharmacie, comme employés du pharmacien, ce qui laisse planer quelque doute sur l’indépendance des premiers vis-à-vis du second. L’espace du médecin d’aujourd’hui, tel que le présente ensuite l’exposition, rend bien compte de la capacité des praticiens chinois à associer des éléments venus d’ici ou d’ailleurs, quand ils utilisent des mannequins mi-chinois, mi-occidentaux, ou qu’ils accordent au pouls un double intérêt, fidèles à la tradition autant qu’attentifs aux données occidentales. Deux films, l’un sur l’acupuncture et l’autre sur le diagnostic, complètent l’exposition, tandis que des ateliers s’ouvrent aux enfants et aux adultes : les premiers pourront s’initier au Qi Gong des animaux ou aux secrets des correspondances chinoises, les seconds pourront goûter les thés chinois à la manière dont les œnologues français goûtent le vin ou s’essayer à la pratique subtile de la calligraphie, art lié à la médecine chinoise, ingurgiter toutes les demi-heures, au profit de gélules à base d’extraits de plantes traditionnelles, plus adaptées au mode de vie urbain .

Modes d’appropriation C’est donc un peu à la manière chinoise que les responsables de l’exposition ont voulu aborder leur sujet, sans esprit polémique et en laissant à chacun accès libre à sa propre perception de la médecine chinoise : l’un en retiendra surtout le volet préventif, l’autre en restera à l’acupuncture, un troisième se convertira au Qi Cong. La question de l’efficacité n’est pas non plus posée en termes occidentaux. La question centrale reste donc celle du mode d’intégration, d’appropriation de cette médecine, qui peut être le nôtre : celui de l’homme de la rue dont la demande vis-à-vis de ces thérapeutiques ne saurait être balayée d’un revers de main comme simple manifestation d’obscurantisme, celui du praticien qui peut apprécier un aspect ou un autre de la médecine chinoise, celui des Etats, de la Communauté européenne, tout autant.

Dr Dominique BRILLAUD

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