Le discours n’est pas seulement un message destiné à être déchiffré ; c’est aussi un produit que nous livrons à l’appréciation des autres et dont la valeur se définira dans sa relation avec d’autres produits plus rares ou plus communs. L’effet du marché linguistique, qui se rappelle à la conscience dans la timidité ou dans le trac des prises de parole publiques, ne cesse pas de, s’exercer jusque dans les échanges les plus ordinaires de l’existence quotidienne : témoins les changements de langue que, dans les situations de bilinguisme, sans même y penser, les locuteurs opèrent en fonction des caractéristiques social de leur interlocuteur ; ou, plus simplement, les corrections que doivent faire subir à leur accent, dès qu’ils sont placés en situation officielle, ceux qui sont ou se sentent les plus éloignés de la langue légitime.
Instrument de communication, la langue est aussi signe extérieur de richesse et un instrument du pouvoir. Et la science sociale doit essayer de rendre raison de ce qui est bien, si l’on y songe, un fait de magie : on peut agir avec des mots, ordres ou mots d’ordre. La force qui agit à travers les mots est-elle dans les paroles ou dans les porte-parole ? On se trouve ainsi affronté à ce que les scolastiques appelaient le mystère du ministère, miracle de la transsubstantiation qui investit la parole du porte-parole d’une force qu’elle tient du groupe même sur lequel elle l’exerce.