Christine BELLAS-CABANE & Marie-Jo BOURDIN : « Un regard anthropologique sur l’excision et sa prévention »

La Revue du Soignant en Santé Publique, nov-déc. 2009 ; 34 : 21-25.

Christine BELLAS-CABANE est pédiatre, anthropologue, coordinatrice d’un programme international d’enseignement sur la santé de la mère et de l’enfant à Dakar, Sénégal.

Marie-Jo BOURDIN est attachée de Direction, responsable du Pôle Formation, assistante sociale au Centre F. Minkowska, Paris.

L’excision est une pratique rituelle qui consiste en l’ablation de toute ou d’une partie des organes génitaux externes de la femme. Elle est présente ans une trentaine de pays africains et perdure dans le cadre de l’immigration. Ce sujet doit être abordé avec la plus grande prudence car il s’agit d’un conflit de culture par excellence, d’une confrontation des représentations de l’intégrité corporelle, de la sexualité et du statut de la femme. Il cristallise beaucoup d’enjeux faisant ressurgir parfois le passé colonial. L’excision, sa prévention et la possibilité d’un recours à la chirurgie réparatrice sont à envisager dans une approche de santé publique.

Cent à cent-quarante millions de femmes dans le monde ont subi des mutilations sexuelles avec environ six millions de nouveaux cas par an (1). L’excision est pratiquée essentiellement dans les pays africains de la zone subsaharienne (une trentaine). Il existe par ailleurs des localisations extra-africaines en Asie (Indonésie, Malaisie), dans le Sud de la péninsule arabique, au Yémen du Sud, dans le sultanat d’Oman et également en Amérique latine, dans des tribus indiennes d’Amazonie péruvienne et vénézuélienne.
L’excision se retrouve en milieu animiste, chez les Chrétiens, les Juifs, les Falashas d’Éthiopie et chez les Coptes d’Égypte. En revanche, elle est inexistante dans les grands pays musulmans au Maghreb, en Iran, en Turquie et au Pakistan.
En France, ce sont essentiellement certaines ethnies de l’Afrique de l’Ouest venues principalement du Mali, de Mauritanie et du Sénégal qui la pratiquent.
Les premières traces d’excision ont été retrouvées sur des momies égyptiennes. De nombreux égyptologues s’accordent pour considérer l’Égypte pharaonique comme le berceau de la circoncision masculine et féminine.
L’excision a également été pratiquée en Europe à des fins médicales, notamment pour soigner les névroses hystériques.
Par ailleurs, ‘excision et l’infibulation sont des pratiques anté-islamiques auxquelles l’avènement de l’Islam n’a apporté aucune modification. Intégrant ces pratiques sans les prescrire ni les proscrire, la religion musulmane a été, dans certaines régions, un facteur de leur pérennisation. Actuellement, un débat oppose les imans : certains considèrent l’excision comme une pratique incontournable au prétexte qu’en réfrénant les désirs sexuels débordants des femmes, elle contribue à la paix sociale ; d’autres à l’inverse, la dénoncent au nom du respect de l’intégrité du corps recommandé par le Coran.

FONDEMENTS SOCIOCULTURELS DE L’EXCISION

En Afrique de l’Ouest, traditionnellement, l’excision comme la circoncision étaient un des éléments constitutifs des rites de passage qui avaient pour fonction de transformer l’enfant en adulte. Bien que sur le plan anatomique et fonctionnel les conséquences de l’excision soient beaucoup plus graves que celles de la circoncision, les deux pratiques étaient et sont toujours considérées sur le plan symbolique comme des pratiques en miroir.
Effectuées au moment de la puberté physiologique, elles marquaient la puberté sociale, assignant à chaque enfant sa place et son statut à l’intérieur du groupe familial et social. Outre l’ablation du clitoris et du prépuce, ces rites comportaient des éléments importants d’éducation et d’initiation.
Actuellement, l’excision est pratiquée très précocement, parfois dans les premiers jours de la vie. Bien que dépouillée de tout élément éducatif, la pratique est toujours considérée comme un déterminant identitaire majeur marquant, plus que la différenciation du sexe, celle du genre.
Dans certains milieux africains, seules les filles excisées sont considérées comme de véritables femmes. On attribue également à l’excision la vertu de rendre les filles chastes et fidèles, capables de surmonter leurs pulsions et les épreuves de la vie. Dans ce contexte, de nombreux parents, bien que redoutant les effets néfastes de l’excision, n’osent pas s’y opposer de crainte que leurs fillettes ne soient rejetées.
La religion musulmane est également évoquée pour justifier la pratique de l’excision alors qu’aucun texte dans le Coran n’y fait précisément mention. Dans d’autres traditions, notamment en Afrique de l’Est où l’infibulation est souvent la règle, la pratique est censée préserver la virginité des femmes, ce qui n’exclut pas la dimension de marqueur identitaire.

CONSÉQUENCES MÉDICALES DE L’EXCISION

Bien que largement pressenties dans les nombreux pays qui ont affiché une opposition ferme à la pratique de l’excision, les conséquences médicales et obstétricales ont longtemps été ignorées des professionnels de santé et n’ont fait l’objet que de peu d’enquêtes de santé publique. Dans les pays où cette pratique perdure, comme au Mali où 90 % des femmes sont encore excisées, les professionnels de santé ne la considèrent pas toujours comme une pratique à risque malgré l’information sur les conséquences médicales actuellement diffusées.
Il existe plusieurs formes d’excision qui ont fait l’objet de diverses classifications dont celle de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) :

- Type I : Résection du prépuce clitoridien.
- Type II : Excision complète avec ablation du clitoris, accompagnée de celle d’une partie ou de la totalité des petites lèvres ;
- Type III – Infibulation : Fermeture partielle de l’orifice vaginal après incision et ablation d’une quantité variable du tissu vulvaire, associée à une clitoridectomie partielle.

Cette classification repose sur une description strictement anatomique. Il est important de ne pas la comprendre comme un classement en fonction du degré de gravité comme cela a trop longtemps été le cas, où la forme I était considérée comme bénigne et la forme III gravissime.
Nul ne peut présager a priori les conséquences d’une excision, fut-elle considérée comme légère, car le pronostic fonctionnel, cicatriciel et évolutif est très difficile à établir.
Les conséquences médicales multiples et parfois très graves représentent, à juste titre, un des arguments phares de la dénonciation de la pratique. Cependant, il est important de ne pas les présenter comme inéluctables, car elles n’atteignent pas toutes les femmes excisées qu’il serait contre-productif de considérer a priori comme des femmes malades et handicapées.
Les conséquences de l’excision peuvent survenir immédiatement ou encore très longtemps après l’acte :
- Au moment de l’acte ou dans les heures qui suivent, une hémorragie, un choc et une blessure urétrale peuvent se produire.
- Au cours des dix premiers jours après l’excision, l’apparition d’une hémorragie ou d’une infection (due aussi bien au matériel utilisé qu’aux thérapeutiques traditionnelles : bouse de vache, herbes…) peut donner lieu à des infections pelviennes, au tétanos ou à des septicémies mortelles, ou encore à une rétention aiguë d’urine (soit réflexe, due aux douleurs mictionnelles, soit secondaire à un accolement cicatriciel des grandes lèvres qui obstrue l’orifice urinaire).
- Les conséquences à moyen terme (plus d’un mois) sont essentiellement liées à toutes les complications cicatricielles qui sont à l’origine de douleurs chroniques, de dyspareunies et de complications obstétricales. Une des formes extrêmes est l’atrésie vulvaire (rétrécissement de la vulve du à l’accolement cicatriciel qui réalise un aspect de vulve infibulée) entraînant le risque d’hématocolpos. Enfin se retrouvent des problèmes infectieux urinaires ou pelviens.
- Plusieurs années après l’excision, des pathologies gravissimes, liées le plus souvent aux conséquences cicatricielles (kystes dermoïdes, névrome du nerf pubien, douleurs chroniques, etc.) sont possibles.
- Les conséquences obstétricales sont toujours à redouter. Les plus fréquentes sont les déchirures périnéales et les hémorragies des tissus. La lenteur à l’expulsion de l’enfant peut également entraîner des souffrances importantes. Les fistules vésico-vaginales sont également présentes : les urines s’écoulent directement dans le vagin, ce qui rend les femmes totalement incontinentes et donne lieu à des infections à répétition. Ces fistules sont secondaires à l’anoxie tissulaire pelvienne qui survient au cours d’un accouchement trop long. La précocité des grossesses et les conditions précaires d’accouchement sont des facteurs prédisposant à leur apparition.
- Enfin, il est complexe d’établir le nombre réel de décès imputables à l’excision dans les sociétés où elle se pratique. Les décès dus aux hémorragies et aux infections dont le tétanos touchent essentiellement les jeunes enfants.

CONSÉQUENCES SEXUELLES DE L’EXCISION

Il est difficile, dans les pays où la pratique perdure, de parler des conséquences sexuelles de l’excision, le sujet restant souvent tabou. Les médecins confient que les femmes en parlent rarement. L’excision étant considérée comme une pratique normale, son impact sur la sexualité des femmes est très certainement sous-évalué.
À l’inverse, dans nos sociétés, cet impact est hypertrophié dans nos représentations où, trop souvent, toute femme excisée est considérée comme inexorablement frigide. Les témoignages de gynécologues sensibilisés à cette question ont pu établir effectivement qu’un certain pourcentage de femmes, bien qu’excisées, pouvaient avoir une vie sexuelle aussi satisfaisante que la moyenne, alors que d’autres souffrent de complications empêchant toute vie sexuelle. Entre les deux extrêmes existent tous les cas de figure.
Les conséquences sexuelles de l’excision sont surtout liées à la perte de mobilité du clitoris dont le moignon coupé s’accole à l’os pubien. Cet accolement cicatriciel n’est pas inéluctable mais peut survenir quel que soit le type d’excision, sans qu’on puisse le prédire.
Il existe également une forte composante psychologique dans l’émergence des problèmes sexuels des femmes excisées, comme si certaines ne s’autorisaient pas à éprouver du plaisir. Cet impact a été essentiellement apprécié dans nos sociétés où les femmes ne se sentant « pas normales » intériorisent le discours sur le lien entre l’excision et l’absence de plaisir et se déclarent frigides. Parfois, un simple entretien avec une psychologue et une sexologue suffit à leur rendre l’accès à une sexualité satisfaisante.
Pour d’autres, le souvenir extrêmement traumatique de l’excision est réactivé au moment des rapports sexuels, sans parler des femmes infibulées dont la vulve est rouverte au moment du mariage, et souvent recousue après les accouchements…

L’EXCISION ET LA LOI

Durant toute la période coloniale, bien que certains médecins les aient condamnées, la France n’a pas ébauché de politique répressive à l’égard de la pratique des mutilations génitales féminines. Les premières affaires seront jugées devant les tribunaux correctionnels pour homicide involontaire et coups et blessures à enfants de moins de quinze ans avec des peines allant de un à deux ans de prison avec sursis.
- En août 1983, un arrêt rendu par la Cour de Cassation (2) criminalise l’excision après qu’une Française, bretonne, a, dans un accès délirant, procédé à l’ablation du clitoris ainsi que d’une des petites lèvres de la vulve de sa propre fille. Cette jurisprudence s’est appliquée ensuite aux cas d’excision traditionnelle pratiquée sur les enfants de familles migrantes.
- En vingt ans, il s’est tenu environ quarante procès. Le plus célèbre a été celui d’Hawa Gréou, en 1999, où l’exciseuse a été condamnée à de la prison ferme.
Plusieurs pays européens se sont dotés d’une législation mais avec très peu de procès.
En Afrique, la loi coutumière a encore très souvent droit de cité, même dans les pays qui ont légiféré contre l’excision.

LA PRÉVENTION

Il est nécessaire, au-delà des campagnes de sensibilisation, de penser la prévention mais aussi la médiation culturelle. Tout professionnel de la santé a un devoir de vigilance et la prévention doit être au cœur de sa démarche.
Il faut oser parler de l’excision, l’aborder sans stigmatisation, sans se focaliser sur la culture mais en se centrant sur la personne et en évoquant les aspects médicaux (complications possibles…).
Il s’adit de créer un espace pour permettre aux femmes ou aux jeunes filles de parler de leur souffrance physique, que ce soit pendant les mictions, les règles, les rapports sexuels ou pour s’asseoir. Certaines se plaignent de difficultés à porter le pantalon (et l’on sait combien le port du jean est important chez les adolescentes), mais aussi de leur souffrance psychique car l’excision est aussi vécue par certaines comme un traumatisme.
Il est de savoir que celles qui ont été des victimes peuvent jouer un rôle pour protéger les plus jeunes (sœurs ou cousines).
Enfin, il ne faut pas négliger la place des responsables religieux qui peuvent, s’ils adhèrent à cet objectif de prévention, devenir de véritables médiateurs.
Certains films peuvent servir de supports pour aborder le sujet, par exemple, celui du réalisateur sénégalais Sembène Ousmane, Moolaade (3).

LA CHIRURGIE RÉPARATRICE

La réparation clitoridienne consiste en une ablation des tissus nécrosés, suivie d’une désinsertion ligamentaire qui permet de mettre au jour une petite partie du clitoris interne. Le résultat esthétique est variable. Sur le plan fonctionnel, de nombreuses femmes se déclarent satisfaites et affirment découvrir enfin le plaisir. Cependant cette « réparation » ne peut se résumer à un acte chirurgical.
Souvent les femmes attendent de l’intervention une réparation plus profonde, un véritable changement d’identité, un retour « à la normale », aux critères en vigueur dans notre société. C’est parfois l’aboutissement d’un long chemin qui leur permet de bien vivre ce changement. Pour d’autres, qui prennent parfois la décision de la réparation un peu vite, les suites peuvent être difficiles. Elles peuvent se trouver dans un grand désarroi après l’opération, n’assumant pas leur décision, vis-à-vis de leurs familles et de leurs valeurs culturelles.
Cette intervention est un véritable espoir pour les femmes présentant des complications médicales entraînant des douleurs et des problèmes sexuels. Il est néanmoins important qu’elle ne soit pas banalisée. Il est nécessaire d’accompagner les femmes dans leur décision, de les aider à mettre à jour leurs attentes. Il arrive que certaines femmes, après avoir fait ce travail, arrivent à résoudre leurs problèmes et renoncent à l’opération. D’autres vont jusqu’au bout car seule l’intervention leur permet de recouvrer le sentiment d’intégrité corporelle.
L’information sur la chirurgie réparatrice doit être réalisée avec une très grande prudence, surtout auprès des jeunes filles qui n’ont eu aucune expérience sexuelle.
Elle ne doit pas être présentée comme une solution miracle ou incontournable, mais comme une possibilité de résoudre certaines complications. Il faut réfléchir au vocabulaire employé en préférant, par exemple, le terme de « réparation périnéale » à celui de « réparation du clitoris ».

CONCLUSION

Le cas d’Aminata (voir ci-dessous) est exemplaire de la souffrance vécue par les femmes excisées : souffrance du traumatisme d’un acte maintenant déconnecté de tout signifiant culturel, sentiment de trahison devant une famille qui l’a conduite sous le couteau, au décours de vacances qu’elle avait sans doute espérées, souffrance physique dans sa chair de jeune fille, dans ses désirs de femme et enfin souffrance de ne pas se sentir « normale » dans une société où cette pratique n’existe pas. L’obligation implicite de la réparation pour devenir conforme à la normalité en vigueur dans notre société ajoute encore une souffrance à ce fardeau déjà très lourd.
Le rôle des soignants est capital pour dire sans prédire, prévenir sans juger, accompagner sans forcer et surtout écouter et témoigner.

[NOTES]

(1) Les mutilations sexuelles féminines : le point sur la situation en Afrique et en France. Enquête de l’Institut National d’Études Démographiques (INED), octobre 2007.

(2) L’arrêt de la Cour de Cassation du 20 août 1983 stipule que l’ablation du clitoris est une mutilation au sens de l’article 312 su Code Pénal (téléchargeable sur : www.legifrance.gouv.fr).

(3) Moolaade, de Sembène Ousmane (Sénégal-France/1h57), avec Fatoumata Coulibaly, Maïmouna Hélène Diarra. Prix « Un certain regard » au Festival de Cannes 2004. Disponible en DVD.

[RÉFÉRENCES]

BELLAS-CABANE C. La Coupure : L’excision ou les identités douloureuses. Paris : La Dispute ; 2008.

BOURDIN MJB. Face à l’excision : paroles de prévention et demande de réparation. L’Autre, cliniques, cultures et sociétés, 2009 ; 10(1) : 98-104.

BOURDIN MJB. L’excision : une coutume à l’épreuve de la loi. Paris : Éditions A3 ; 2005.

LEFEUVRE-DEOTTE M. L’excision en procès : un différent culturel ? Paris : L’Harmattan ; 1997.

PROLONGEAU H. Victoire sur l’excision : Pierre Foldès, le chirurgien qui redonne l’espoir aux femmes mutilées. Paris : Albin Michel ; 2006.


L’histoire d’Aminata ou l’ambivalence face à la chirurgie réparatrice

Aminata est une jeune Française adressée au Centre Françoise Minkowska pour ses grandes difficultés à parler de son excision subie à l’âge de onze ans et demi lors de son premier séjour au Sénégal, pays dont ses parents sont originaires.

N’ayant jamais osé évoquer son vécu de l’excision, elle choisit de commencer par parler de son histoire familiale, son enfance en France et son départ pour le Sénégal, pour aborder enfin la brutalité de son excision qu’elle raconte en détails.
Partager la violence de ce qu’elle a vécu au plus profond de sa chair, l’irreprésentable, jusque-là indicible, est pour elle très important.
D’elle-même, au fil des entretiens, elle parlera de son excision en termes de traumatisme et fera allusion à la réparation qui lui fait très peur. Pourtant elle ne peut avoir de rapports sexuels. Elle se croit infibulée alors qu’elle n’appartient pas à une ethnie où l’infibulation est pratiquée. D’une part, cela l’inquiète, et, d’autre part, elle se sent protégée des hommes !

Les professionnels du Centre Françoise Minkowska peuvent alors mesurer, par cette ambivalence, combien la décision d’une chirurgie est difficile à prendre.

Il lui faudra plus d’une année, au rythme de deux entretien par mois, pour qu’Aminata se décide à contacter un chirurgien et son équipe afin d’envisager une chirurgie réparatrice.

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