Clinique du suicide. Coordonné par Geneviève Morel. Erès, 2002

Dans l’ensemble de la littérature psychiatrique sur le suicide, nous avons le sentiment d’une production abondante mais rarement renouvelée. L’essentiel de cette production porte sur l’épidémiologie ou la vie institutionnelle.

Les témoignages et les études cliniques sont rares. Nos patients n’auraient-ils rien à dire à ce sujet ? C’est un fait que les patients banalisent leur geste et acceptent rarement d’y lire une volonté de mourir. D’abord parce que, comme la psychanalyse l’a montré dès le départ, le sujet ne croit pas à sa propre mort. Ensuite, parce que les sujets estiment s’être mépris dans leur action : « je voulais juste dormir, je voulais seulement m’échapper ». Mais aussi, parce que les sujets refusent très souvent de commenter l’acte et de faire l’effort d’y revenir pour mieux l’interpréter. Car ce que nous croisons le plus souvent avec le suicide, c’est le refus actif. « Si personne n’en sait rien, c’est qu’il procède du parti pris de ne rien savoir (1) » comme l’indique Lacan. C’est le mérite de la psychanalyse de, quand même, proposer la seule chose possible devant le suicide : laisser parler le sujet, l’inciter à la parole.

C’est ainsi que ce livre permet de préciser la nature spéciale de cet acte. Un acte qui ne dit rien en lui-même. Un acte difficile à interpréter car il est de sa nature de tourner le dos à la parole. Sachant cela, nous pouvons éviter certains biais dangereux dans la prise en charge du suicide. Le mutisme n’est pas un signe de sa mauvaise volonté. Le suicide est le contraire d’un appel à l’aide car il indique le retrait du sujet de la parole. Chacun des travaux de ce livre marque un effort soutenu pour tirer les conséquences des actes suicidaires. Il en résulte un savoir qui « nous enseigne sur les causes du suicide (contingence ou nécessité ?), sur la nature de son agent (objet ou sujet ?), sur les circonstances et le moment de sa décision (choix forcé ou liberté ?), sur la place du sujet dans (ou hors de) son acte (2) ». Ce livre parvient très bien à faire parler des sujets dont l’acte était pourtant muet. Car le suicide ne se laisse pas ranger dans des catégories générales. Il nécessite de fractionner les approches comme autant de voies d’abord autour de lui.

Ce livre contient ainsi cinq approches différentes adoptées par des cliniciens et des savants d’autres disciplines comme la littérature, l’anthropologie, la philosophie et la philologie : l’étude des images et des croyances, la question de la mélancolie, le problème de la prévention, la définition du suicide en tant qu’acte et l’évocation de certaines tragédies liées au suicide. Avec les apports précieux de Jacques Aubert, Slavoj Zizek, Jean Bollack, Renata Salecl et Alanka Zupancic, c’est un livre riche, surprenant et dont les propos sont variés. Il apporte un éclairage neuf sur le suicide. C’est une somme de travail qui ouvre très certainement de nouveaux questionnements dans ce domaine.

1) Lacan J., Télévision (1973), Autres écrits, Paris, Le Seuil, Le champ freudien, 2001, p. 542.

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