Clinique du suicide. Coordonné par Geneviève Morel. Erès, 2002

Le passage à l’acte suicidaire et sa dangerosité hantent le clinicien. Problème individuel, mais aussi phénomène sociologique à grande échelle, l’acte suicidaire ou la tentative de suicide font partie des soucis quotidiens les plus pressants pour le praticien. Clinique du suicide, ouvrage collectif coordonné par Geneviève Morel, présente la problématique suicidaire du point de vue de la psychanalyse, de la psychiatrie, de la littérature, de la philosophie, de l’anthropologie et de la perspective de la santé publique. Nous soulignerons, d’abord, la finesse clinique des auteurs qui mettent en relief, avec une grande simplicité, les points théoriques de la psychanalyse utiles à la saisie des raisons subjectives d’un tel acte. Ce qui permet, parfois, au thérapeute d’amener le patient à un changement crucial en lui laissant dire ce que l’acte avait, lui aussi, essayé de dire, mais d’une toute autre manière évidemment. Car, comme tout acte, l’acte suicidaire est considéré par Lacan comme une tentative de dire.

Conception de l’acte qui vient notamment de Freud et de sa conception de l’acte manqué et qui gagne à être commentée par différents philosophes (S. Zizek, A. Zupancic, R. Salecl). Le suicide en prison (F. Morel) ou Au retour de la guerre (R. Salecl) montrent cette dimension de l’acte nouée au dire, ainsi que L’étude de la tragédie grecque (J. Bollack). La tragédie, les classiques, enseignent, une fois de plus, de façon fulgurante, l’essaim dans lequel le sujet se constitue : trame de paroles et de significations qui, lorsqu’elles sont intolérables et que le refoulement ne peut agir, produit une sorte de court-circuit faisant jouer, d’une façon parfois très claire, la contradiction entre le désir du sujet et les contraintes de la cité. Un paradoxe intéressant est soulevé entre acte d’écriture et acte suicidaire (F. Kaltenbeck, G. Morel, J. Aubert). Autant l’écriture peut, chez certains écrivains, éloigner l’acte suicidaire, autant peut-elle, pour d’autres le préfigurer, voire le précipiter.

Une minutieuse étude est consacrée à ce lien ambigu à travers les œuvres de Primo Levi, Gérard de Nerval, Kleist, Stifter, Virginia Woolf. S’y articule un intéressant travail de la signature (E. Fleury), qui rappelle l’intérêt de l’aliéniste du XIXème siècle Brière de Boismont pour les relations entre le nom propre, la signature et l’acte. La tentative de suicide dans le contexte de la déception amoureuse est étudié par l’analyste argentine D. Rabinovich nous rappelant que, même s’il s’agit d’un appel dans un contexte névrotique, la tentative de suicide, réelle, doit être travaillée dans le transfert donnant, comme cet auteur le prouve, un résultat thérapeutique certain. D’autres cas cliniques mis en série concernent l’attraction mortelle par des images idéales qui « aspirent » vers la mort, ce qu’on trouve particulièrement dans la mélancolie et la schizophrénie, mais aussi comme un phénomène « normal » dans la société chinoise où la fréquence extrême du suicide, démontre le sinologue Léon Vandermeersch, s’explique par la croyance aux esprits dans des religions qui ne supposent nul « au-delà » et ignorent la transcendance occidentale de la mort.

Des récits de cure montrent la décision des cliniciens à arracher au réel de la tentative du suicide les coordonnées qui permettront la mise au travail des signifiants escamotés par l’acte suicidaire. L’importance de la période de réveil psychologique du suicidant est mise en valeur par G. Vaiva qui insiste, dans le mode d’organisation des soins du centre de crise qu’il dirige à Lille, sur ce point qui devrait être évident pour tous : il faut le temps de le dire.

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