Par ANDREA JÁNOSI
« Ses thèmes glorieux et la suprême beauté de sa pensée musicale le feront rester pour plus d’une centaine d’années l’un des chefs d’uvre de la créativité musicale. » (E. Markham Lee)
Composition d’une vie – Une vie de composition
« Il y a une musique dans le soupir du roseau Il y a une musique dans le jaillissement du ruisseau Il y a une musique dans toute chose, Si les hommes savaient entendre La terre n’est qu’un écho des sphères. » Lord Byron
Ludwig van Beethoven
« Je suis le Bacchus qui produit le vin glorieux pour l’humanité. Quiconque comprend réellement ma musique, il sera libéré de toutes les misères qui l’oppressent ».
Il est né à Bonn, en Allemagne, le 16 ou 17 décembre 1770. Des dizaines de milliers de personnes vinrent de toute l’Europe, à Vienne, où il vivait depuis 1792, pour les funérailles. Parmi les portes flambeau, il y avait Franz Schubert. Là, symboliquement, la torche de la tradition viennoise était passée 26 mars 1827.
La musique instrumentale allait être recréée par Beethoven, se donne ses formes propres, dont la sonate et la symphonie était les plus féconde. La symphonie et son orchestre consacraient à son avènement au rang d’art à part entière, qui ne dépendait plus désormais ni de l’Eglise ni du prince, mais d’un publique plus vaste de mélomanes. Compositions nouvelles et complexes, style homophonique sans ambiguïté, un dessus mélodique souligné en dessous par des accordes, le monde nouveau des instruments ainsi qu’une solide organisation, quelqu’un pour le diriger (Houdé ; Lubart & al.). Il est le premier à se dessiner une nouvelle fonction créatrice, celle de chef d’orchestre. Il allait découvrir de nouvelles possibilités et créer son propre univers orchestral et symphonique qui connut des triomphes spectaculaire et durables. Ce rôle de prophète et exemple d’une nouvelle communauté musicale européenne s’allie avec un caractère irascible mettent des amis à rude épreuve, faisant même des ennemis, et avec rien de plus ironique jamais compositeur n’était plus coupé de ses auditeurs. Il franchit les limites de la salle de concert, en écrivant sur des thèmes extérieurs au monde musical, instrumental « indépendant et libre » à la différence de la musique vocale « restreinte » (Tieck) du Moyen Âge et de la Renaissance. L’orchestre a les moyens de dépeindre et de narrer au-delà des mots et même des images visuelles. « La musique est à tout le monde », Kodaly. Un publique de plus en plus nombreux goûtait sa musique orchestrale – Fidelio – elle plaisait non seulement au « classes élevées et moyennes », mais « même aux classes inférieures ». Mais sa « symphonie chorale » était encore une fois le manifeste en faveur des pouvoirs nouveaux de la création musicale, on n’y connaît aucune uvre importante avant la sienne. (Boorstin)
Très tôt, Ludwig s’intéresse à la musique, et son père l’instruit jour et nuit, lorsqu’il rentre à la maison après les répétitions ou la taverne. Le don de l’enfant ne fait aucun doute. Lorsque ses premiers talents musicaux se manifestèrent, son père décida de l’exploiter et de créer un enfant prodige à la Mozart. C’est dans cet esprit que commençait son apprentissage de la musique. Son père, tentant de fouetter le génie en lui, le renfermait dans une chambre pendant des heures afin qu’il pratique le clavecin et le violon. (Lautrey ; Ochse) La première apparition publique de Ludwig se faisait lorsqu’il n’avait que six ans (son père disait qu’il n’en avait que quatre), mais il ne faisait pas grande impression. Toutefois, l’enfant ne répondait pas à cette cruauté en haïssant la musique. Il s’en servit plutôt comme planche de salut (Kris), déclenche et ne cesse pas d’entretenir son comportement envers la musique. (Amabile). Quoique ne possédant pas le talent miraculeux de Mozart, son professeur, l’organiste de la cour, C.G. Neefe, réalisa que Ludwig possédait un énorme talent. Mais il n’était pas du bois dont on fait des disciples (Guilford, Simonton, Mouchiroud ). Plus qu’un processus de sublimation, il devient rapidement improvisateur de talent et virtuose du piano n’ayant aucun égal en Europe. Il ne laisse aucune possibilité inexplorée : le Clavier bien tempéré de Bach, le métronome de Mälzel (Getz ; Koesler).
Il prend la forme symphonique classique de Haydn et Mozart, les plus grands de l’époque, et en a élargi les proportions, remplissant avec flexibilité adaptative et spontanée, ce grand espace avec plus de contrastes, de thèmes et d’une section de développement plus grande et plus dramatique. Il a donné du volume et du poids au dernier mouvement alors que les finales chez Haydn et Mozart avaient tendance à être légères. Chez Beethoven, la finale caractéristique est la contrepartie du poids et de l’intensité du premier mouvement, de sorte que la symphonie repose sur les deux piliers que sont les mouvements externes. Pour compenser, il a allégé le troisième mouvement en substituant l’agile scherzo au menuet traditionnel. (Lautrey) Il a composé la Septième de ses Neuf Symphonies dans l’exubérance de sa maturité créatrice. Wagner a identifié cette Symphonie avec la danse dans son expression la plus élevée comme la réalisation du corps dans une forme idéale. Personne ne savait mieux que lui que la danse avait ses origines dans le mouvement des sphères planétaires et que la mission de Beethoven était d’évaluer et recréer ces harmonies stellaires. Chacun de ses quatre mouvements (Poco Sostenuto Vivace ; Allegretto ; Presto, Presto Meno Assai ; Allegro con brio) déborde de l’ardeur, l’« insight » de son inspiration (Guilford, Mouchiroud). Cette symphonie a été jouée à Vienne en Décembre 1813, marquant ainsi un intervalle de cinq années « d’incubation » (Wertheimer ; Poincaré ; Wallace) entre la Sixième et la Septième. Résultat d’un long travail inconscient antérieur du « moi subliminal » pour ressembler les idées évaluées les plus fécondes (Poincaré), pour assimiler fond et forme, matière et esprit. Son art devint la façon de maîtriser le destin. La créativité inspire des nouvelles créations. La célèbre Isadora Duncan a dansé tout le premier mouvement de cette Symphonie (1908). Le Ballet Russe de Monte Carlo a aussi transcrit toute l’oeuvre en poésie de mouvements. Le problème de l’interprétation qui est, lui aussi, un problème de création puisqu’il s’agit, pour le résoudre, de juxtaposer harmonieusement une pensée originale (celle de l’interprète) à celle du créateur. Métamorphose de cette pensée qui devient matière.
L’énorme zone de liberté à l’intérieur de laquelle peut évoluer la traduction de la pensée musicale en musique « entendue » et qui permet à l’interprète de devenir, lui aussi, un créateur est d’une superficie étonnamment variable. L’auditeur serait donc submergé par un flot d’information qui dépasse ses facultés de perception immédiates, et à l’intérieur duquel sa propre imagination conserverait une large faculté d’interprétation. (Mouchaince) L’hypothèse du conditionnement permettrait d’expliquer pourquoi des individus appartenant une classe socioculturelle donnée n’apprécient qu’un ensemble limité de styles musicaux. Celle de l’excès d’information permettrait d’expliquer, à l’intérieur d’une même classe socioculturelle, les nombreuses différences d’appréciation entre les individus.
L’originalité est toujours le résultat de l’indépendance. Beethoven était le premier des grands musiciens à vivre une vie d’homme publique, concerts donnés à son bénéfice, vante de sa musique et publication de ses manuscrits (honoraires de la Philharmonic Symphony Society de Londres), à trancher à travers son art sur les grandes questions de son temps. L’épreuve sans précédent est sa Troisième Symphonie intitulé d’abord « Bonaparte », en l’honneur de Napoléon, puis profondément déçu de son couronnement d’empereur, nommée alors Eroica. Il fut un excellent compositeur parce que, même possédant un réel talent inné, il a dû aussi peiner pour réussir. C’est avec stupéfaction qu’il prit conscience qu’il perdait l’ouïe. Un compositeur sourd, c’était impossible, absurde et insupportable. Il a subi la pire épreuve qui puisse s’abattre sur un compositeur mais il fait preuve de sa propension, il a décidé de se battre et de continuer de composer ; sa musique s’en est trouvée plus élargie et plus profonde et cette motivation stable, jusqu’à la fin.(Jouvent ; Huteau) A mesure que le mal de Beethoven empirait, son talent s’épanouissait et sa création devenait de plus en plus belle. Autant il était à la recherche d’une âme sur, aucune ne survint. Il reste une lettre adressée à l’Immortelle Bien-Aimée, reliquat d’une autre passion exaltée et funeste. De plus, la fin de la lettre « à jamais à toi, à jamais à moi, à jamais à nous » n’est pas sans rappeler le final de certaines uvres musicales du Maître… et les trois parties de la lettre semblent trois mouvements différents d’une sonate ou d’une symphonie… Sa personnalité arrogante, ce trait nomothétique de cette caractéristique émotionnelle individuelle créatrice, refuse d’être « élève de Haydn », au contraire, il souligne « jamais rien appris » en lui dédiant ses premiers sonates. (Feist ; Jouvent ; Zenasni ). Le Testament d’Heiligenstadt fait épreuve de son introspection et de sa vérification autocritique qu’il veut mourir mais « Seul l’Art, et seulement l’Art me retient car il me semble impossible de quitter ce monde avant d’avoir produit tout ce que je sens devoir produire et c’est pourquoi j’épargne cette vie ruinée ». (Goor) Il termine avec des pleurs incohérents « O Providence – donnez-moi un jour de pure joie – la réverbération intérieure de la vraie joie m’est tellement inconnue – oh ! quand – oh ! quand ô Dieu – puis-je la ressentir encore une fois dans le temple de la nature et de l’humanité – jamais ? – oh ! ce serait trop difficile ».
C’est le paradoxe même de la vie de Beethoven qui surprenait tous ses contemporains et tous ceux qui le connaissaient : comment une vie aussi chaotique et tordue ait pu abrité un esprit aussi magnifique et complet ? La noblesse de son esprit éclatait même à travers tous ces désordres, tournait son isolation et son angoisse en moyen de renaissance, régression au service du moi. La joie, appuie d’une pensée fantaisiste qu’il croyait à jamais perdue pour lui (Bono). Cette uvre est la 9è symphonie, dont le dernier mouvement est un arrangement choral de poème de Schiller, « Hymne à la Joie ». L’art du musicien nous apparaît pour peu qu’il s’approche de la hauteur à laquelle parviennent les sommets comme le plus abstrait, le plus détaché de toutes contingences matérielles, le plus proche qui soit d’une pensée, création à l’état pur. L’art naît soit de l’infini pour tout, soit du néant pour rien. Le support (extra-musical) d’une musique donnée il emprunte à certains rites (messes, motets, ou autre cérémonial) donne à cette musique tout au plus une valeur de « circonstance » mais ne l’élève en rien au rang de manifestation du sentiment religieux. Au contraire, nous devrions reconnaître à la musique dépourvue de quelque prétexte que ce soit, celle dite « pure », est conçue indépendamment de toute référence littéraire -même si les textes invoqués pour de telles références se trouvent avoir une valeur philosophique ou pseudo spiritualiste-, une valeur « religieuse », en ce sens qu’elle est la manifestation d’une volonté de l’homme d’exprimer ce qu’il imagine, ou lui paraît être, supérieur à sa propre condition. C’est ainsi que les derniers quatuors de Beethoven sont plus riches en méditation que le Requiem de Gabriel Fauré. L’univers est un gigantesque dispensateur de signaux, mais c’est à l’être vivant et plus spécialement à l’homme qu’il appartient de les comprendre, c’est-à-dire de les percevoir en tant que messages ou, mieux encore, d’apprendre à les utiliser pour construire ses propres messages.Un art utile, « un art pour l’homme », conception dualiste, assimilation : romantisme et art pour l’art, corps et âme, du néo-classicisme, l’art pour le progrès, le beau est un épanouissement de l’infini dans l’homme. Ce faisant, on n’a fait qu’obéir une fois de plus à une intuition analogue à celle par laquelle on oppose la pensée à la matière, la pensée qui nous paraît plus élevée étant celle dont nous imaginons qu’elle est la plus éloignée de tout support matériel. « L’esprit de Beethoven est incarné dans la musique, celui qui a écouté la Cinquième Symphonie a entendu le coeur de Beethoven « (Sir Olivier Lodge).
Rien ne lui fut facile, pas même la composition. Le compositeur devait se morfondre pour placer chaque note dans ses esquisses. Les livres d’esquisses sont des documents étonnants : tout comme l’or est raffiné à partir d’un métal vulgaire, les idées de la rue deviennent des concepts révolutionnaires, l’incohérence est forgée en clarté et préméditation. Même les derniers manuscrits sont des marais de griffonnages, de taches et de révisions par-dessus révisions. Il trouva à l’intérieur de lui-même les ressources spirituelles et techniques, des habiletés musicales très profondes pour mener son travail encore plus loin. Il pouvait, à partir de chaque note, chaque phrase ou passage, nous amener vers la suivante et la suivante pour, ultimement, former un tout unifié, créer un petit monde où il fait bon vivre. Tout comme il allait au-delà de ses propres tragédies, sa musique semblait aussi aller au-delà de la musique. Une uvre qui a pu prendre plusieurs années à écrire semble prendre forme à mesure qu’elle se déroule, tout comme une improvisation. Cette habileté de façonner des formes musicales de grandes dimensions peut être considérée comme un don rare en ce monde. Dans son grand potentiel créative de cet art, il s’élèvera au-dessus des souffrances et il atteindra le triomphe et, finalement, la joie. (Lubart et al.) Avec cela, il se transforma en cette sorte de figure qui dominait l’imagination au 19è siècle. Le génie surhumain, la couronne de l’espèce, le héros révolutionnaire, le maître de son propre destin et transformateur du monde, telles sont les qualités qui font de Beethoven le héros artistique du siècle, le modèle pour Berlioz et Wagner, cette grande icône dans la mythologie du (pré)romantisme. (Jouvent)
« Le retour qu’il amorça vers la musique du verbe et son audacieux mariage des paroles et des instruments annonçaient de grandioses formes nouvelles, unissant la voix et l’orchestre pour créer des nations nouvelles. » Boorstin
La Septième Symphonie
Dans le Premier Mouvement des accords dominants et exaltants réitèrent ce chant triomphant en accompagnement au rythme enivrant du thème principal. Il transporte l’auditeur vers des grandes hauteurs et des profondeurs transcendant la petite et étroite de la sphère dans laquelle l’homme mortel vit dans une condition sans inspiration.
Dans le second Mouvement est introduite une note de solennité. On passe du LA Majeur ou La Mineur, car il est plus facile de capturer les retentissements de la musique céleste dans les Mineurs. Cette note grave et mystérieuse persiste à travers tout le mouvement. On l’a comparé à une procession à travers les catacombes.
Le troisième Mouvement amorce une note encore plus triomphante que celle entendue dans le premier. Des rythmes gais et saisissants sont introduits avec une réponse joyeuse des instruments à bois. Tout au long ce sont des arpèges dansants.
Le Final est colossal et magnifique. C’est comme si le ciel et la terre s’unissaient dans un choeur puissant de majesté et de force. C’est la voix de l’esprit qui proclame avec extase : » Je suis libre, je suis libre pour l’éternité, je suis libre « . C’est ce merveilleux esprit de liberté qui est décrit dans la glorieuse et inoubliable musique de la Septième Symphonie.
BIBLIOGRAPHIE
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