Courrier International, n° 814 : « Destins d’immigrés »

Numéro spécial – 14 juin 2006. 3 €

ÉDITORIAL : Ne fermons pas nos portes !

A la mi-mai, l’Assemblée nationale a donc voté en première lecture la loi sur l’immigration et l’intégration proposée par Nicolas Sarkozy. A l’avenir, le regroupement familial ne sera plus possible pour un étranger avant dix-huit mois (au lieu de douze actuellement). La régularisation des étrangers vivant depuis dix ans en France ne sera plus automatique. Tout étranger venant s’installer devra signer un « contrat d’accueil ». Enfin, mesure phare, une carte de séjour « gold » sera réservée aux immigrés « hautement qualifiés », les autres pouvant toujours attendre au guichet… Bref, la France se met au diapason des pays anglo-saxons. Mais, qu’elles le veuillent ou non, les nations riches vont continuer d’attirer les individus en mal de destin. Et l’élévation du niveau de vie dans les contrées déshéritées n’y pourra rien changer, nous explique The Wall Street Journal. Car il faut déjà avoir un certain bagage financier et quelques relations pour prendre la route. Ce qu’illustre parfaitement la nouvelle émigration chinoise, encouragée en sous-main par Pékin pour résorber ses excédents de main-d’œuvre… Pour prendre la mesure de ces défis, nous avons donc choisi de consacrer tout ce numéro aux migrants, à leurs histoires et à leurs déboires.
Mais revenons un instant à la France. Une partie de l’opinion craint manifestement de voir arriver un trop grand nombre d’immigrés. Or les chiffres réels sont modestes : l’INSEE estime le solde migratoire à 50 000 personnes par an ; et l’INED nous apprend que les entrées de clandestins ne dépassent pas les 15 000 par an. Or la croissance française, sans ces apports, serait peut-être nulle. Comme l’affirmait en son temps Alfred Sauvy, notre pays a besoin d’immigrés. Et pas seulement de doctorants ou d’informaticiens. D’autant que, depuis quelques années, de plus en plus de Français – de souche ou non – s’en vont, qui au Canada, qui en Amérique latine, qui dans le reste de l’Union européenne (ils seraient 200 000 à Londres). Bref, si nous fermons encore plus nos portes, nous aurons peut-être bientôt un solde migratoire négatif !

Philippe THUREAU-DANGIN

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