Savoirs et clinique, 2009 ; 2(11) : 44-51.
Daisuke FUKUDA est chargé de cours à l’Université d’Aoyama Gakuin (Tokyo), coordinateur de l’Atelier de Psychanalyse, Centre F. Minkowska, Paris.
L’être qu’est Roland Barthes ne peut être pensé hors des liens très étroits qui l’unissent à sa mère, Henriette. En éternel enfant, il a en effet vécu avec elle pendant plus de cinquante ans dans le même appartement sans jamais lui révéler son homosexualité. Elle ignorera, semble-t-il jusqu’à la fin de ses jours, la vie nocturne que mène son fils. Le fait que Barthes ne lui ait que très rarement présenté ses amis rend d’ailleurs la chose vraisemblable. Quoi qu’il en fût, on peut dire que Barthes a toujours très bien joué le jeu, en endossant de bonne grâce, devant sa mère, le rôle de l’enfant sage, conforme et sans excentricité.
Le titre de notre intervention – « L’enfant qui jouait le rôle de la mère de sa mère » – semble aller à l’encontre de ce que nous venons de dire et de tout ce que l’on peut imaginer au sujet de Roland Barthes. Or, nous le verrons, cet énoncé tire sa pertinence de son uvre même. L’enjeu ici sera donc de suivre le fil de la représentation de la position « maternelle » de Barthes, d’uvre en uvre, jusqu’à La chambre claire. Cette traversée nous permettra de mettre au jour le rôle central qu’elle joue dans son écriture ; lui qui tient à maintenir intact le rapport fait d’entente et d’harmonie qu’il entretient avec sa mère. Nous développerons cette problématique selon quatre moments :
l’étude de la constellation familiale de Barthes qui éclaire le symbolique dans lequel s’inscrivent l’enfant Barthes et sa mère Henriette ;
l’évocation d’un roman inédit et inchevé du jeune Barthes où s’exprime la division entre son désir incestueux et la situation familiale organisée autour de la figure maternelle ;
la référence aux premières uvres grâce à laquelle on repérera ce fantasme d’un Barthes critique qui détermine son rapport avec la faute de la mère ;
l’étude de la dernière partie de La chambre claire qui se clôt sur l’effondrement de ce fantasme et l’apparition du visage de l’Autre mère.