De Coulon N. La crise : stratégies d’intervention thérapeutique en psychiatrie. Paris Gaëtan Morin Europe -, 1999. 258 p.

L’ouvrage de Nicolas de Coulon : « La crise : stratégies d’intervention thérapeutique en psychiatrie » ne se limite pas – et de loin – à des recettes plus ou moins pratiques et standardisées concernant ce que l’auteur appelle l’intervention de crise. Le terme « crise recouvre plusieurs acceptions, la plus connue étant celle de « phase décisive d’une maladie » qui met en avant le facteur temporel alors que le sens « rupture d’équilibre » privilégie une vison physicochimique atemporelle. De Coulon dit préférer le terme crise à celui de « décompensation » plus en usage dans la psychiatrie française et il adopte définitions qui condensent les dimensions temporelle et systémique qu’il enrichit via une traduction du chinois ( !) d’une idée « d’opportunité de changement ». Le parti pris de l’intervention de crise est qu’elle s’initie à un moment de déséquilibre plus ou moins grave et inquiétant vécu par le futur patient et son entourage et qu’elle est un traitement intensif et relativement court dont le terme est prédéterminé.

L’auteur détaille très bien les différentes phases qui vont de la prise de contact à la terminaison. La prise de contact est envisagée de manière mobile par l’équipe soignante qui peut se rendre rapidement dans un cabinet de généraliste, au chevet d’un patient hospitalisé en milieu somatique par exemple pour les suites d’une tentative de suicide ou encore à l’hôpital psychiatrique pour une réorientation dans les cas où l’indication a été posée dans l’urgence et que la lourdeur du dispositif hospitalier doit être repensée. Le traitement est intensif, pour chaque prise en charge il comporte des rendez-vous quotidiens, il implique une équipe pluridisciplinaire qui organise son travail autour d’un responsable clinique. La psychiatre Saskia von Overbeck- Ottino auteur de la partie du livre consacrée à la migration et l’exil nous présente de manière très vivante les particularités de l’intervention de crise dans un cadre ethnopsychiatrique.

Sans se poser en donneur de leçons, de Coulon nous propose aussi une réflexion de fond sur la psychiatrie qui surpasse les ambitions du sujet de la crise. Il envisage en effet son modèle comme jalon d’une possibilité d’évolution de la psychiatrie dans son ensemble et ceci après les transformations de secteur qu’elle a intégrées dans les années 1960-1970 ! De Coulon comme beaucoup de psychiatres de sa génération a reçu sa formation dans une culture dont l’antipsychiatrie pure et dure avait montré les limites. Après cela, il était alors devenu prudent de penser que l’hôpital psychiatrique (HP) devait plutôt S’humaniser, se réformer que de tout bonnement disparaître. Il devait garder une place dans ce qui devenait un ensemble, les dispositifs de santé mentale, au sein duquel il perdrait son rôle central et où il ne serait plus la référence ultime à toute intervention psychiatrique. Il n’était alors plus question de fermer tous les HP et ou de les intégrer aux hôpitaux somatiques comme ïn avait pu l’espérer à partir d’un point de vue qui reposait en grande partie sur le déni de la maladie mentale et notamment de la psychose. Il fallait envisager le psychiatre et ses équipes dans un autre mode d’intervention et c’est ainsi que, comme le raconte très bien de Coulon, les unités de crises se sont constituées d’abord aux seuils géographiques des HP pour progressivement s’en éloigner par la suite. Le circuit HP-centres ambulatoires sectorisés s’est alors enrichi d’un détour par ses unités de crises.

L’intervention de crise, les centres de crise pourront-ils devenir centralisateurs comme l’ont été les HP ? La question reste ouverte et l’auteur n’hésite pas à nous exposer les limites de ce type d’approche notamment pour les psychoses. La crise est-elle une modalité de traitement réservée aux cas limites -, autant d’interrogations qu’il développe pour ouvrir un débat. Nicolas de Coulon fait de la transposition toujours problématique de la psychanalyse dans un cadre de soin un des points fort de son exposé.

Sa démonstration, il l’aborde en deux temps, d’abord dans une comparaison entre psychothérapies psychanalytiques brèves et intervention de crise puis en y ajoutant une discussion avec le modèle de la cure type. Beaucoup a été dit à ce propos etje crois que l’auteur a raison d’affirmer que du point de vue psychanalytique, l’intervention de crise est un prétraitement par rapport à la cure type où la finalité consiste à rechercher la vérité du sujet hors de toute urgence thérapeutique.

Pierre Fédida qui a écrit la préface du livre remarque que si la notion de crise n’a pas été retenue au nombre des concepts psychanalytiques, il n’en reste pas moins qu’en chaque formation psychique – symptôme, rêve, transfert – se joue un processus critique. Dans une dynamique d’urgence, nous devons nous demander quel est le meilleur traitement thérapeutique adéquat en fonction de la situation vécue sur le moment mais compte tenu de la nécessité d’intégrer l’expérience d’une crise dans un long terme et là seule la psychanalyse. lorsqu’elle est possible, peut y jouer un rôle. Une approche n’en excluant pas une autre. La psychothérapie brève serait en quelque sorte le compromis des compromis, ramasser l’événement actuel et tenter de l’intégrer au pas de charge dans la dimension diachronique. Pour de Coulon, l’intervention de crise au contraire préserverait tous les développements ultérieurs. On le pressent, le débat n’est pas clos !

Ce premier livre de Nicolas de Coulon propose une réflexion courageuse et novatrice. Il est habité par une rigueur de pensée, par un constant souci dialectique entre clinique et théorie qui en font un outil précieux sur des sujets qui n’ont souvent été abordés qu’en terme de querelles de chapelles.

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