Georges Lantéri-Laura ouvre ce numéro en brossant un tableau de l’histoire des idées depuis le début de la médecine mentale. Pour la période contemporaine, on peut souligner l’acuité de ses conclusions sur les mutations thérapeutiques et l’identification d’« épistémologies régionales ». Ainsi, la phénoménologie, la psychanalyse, la neuropsychologie (les fonctions cognitives,… ont chacune une prévalence possible dans telle ou telle pathologie. Toutefois « rien ne nous garantit qu’elles fassent réciproquement système qu’elles puissent se ranger sous une théorisation d’ensemble ».
De la sorte, Lantéri-Laura défend l’idée d’une autonomie de la psychiatrie clinique qui ne se trouve ainsi subordonnée à aucune autre discipline qu’elle-même. Dans l’article qui suit, Jean-Claude Maleval affirme que la classification actuellement dominante des troubles mentaux conduit la psychiatrie à une subordination. Le débat se prolonge avec Daniel WidIöcher qui traite de ce savoir anthropologique et de cette méthode thérapeutique que constitue la psychanalyse. Il indique la place respective des différentes thérapeutiques dans une relation dialectique entre l’état cérébral et l’état mental : médicaments modificateurs des organisations nerveuses et psychothérapies modificatrices des systèmes de pensée. Jean Ayme montre que toute institution, qu’elle soit hospitalière ou extra-hospitalière, est menacée d’une déviation bureaucratique si un dispositif critique et transformatif ne s’oppose pas à cette évolution. Cela lui permet de soutenir la présence de la psychothérapie institutionnelle comme un impératif. En étudiant de près la loi de 1990 vis-à-vis du consentement, Claire Gekière pointe la contradiction qui s’y joue. Cette loi vise la santé publique, donc le collectif ; elle emploie néanmoins la terminologie médecin-malade de type contractuel. Elle rabat ainsi au niveau individuel un phénomène à dimension collective.
Yves Buin envisage la politique en se posant douze questions. Il défend l’impérieuse nécessité d’un engagement, en rupture avec l’oubli dont la politique est l’objet. Pour lui, cette abdication du politique au profit d’un discours sur la modernité, d’une psychologisation des problèmes sociaux conduit à la résignation et à la soumission. Enfin, Guy Baillon retrace l’histoire du secteur depuis la Libération. Il décrit les avancées d’une psychiatrie ouverte sur la Cité, qui sait que la folie fait partie du fonctionnement psychique de tout homme et pointe l’absence de projets des aliénistes, du manque de ce qu’il qualifie de « lutteurs », dans la mesure où le projet désaliéniste porté par une psychiatrie dynamique depuis un demi-siècle exige une lutte continue. La générosité de Baillon lui fait conclure dans le sens d’un dépassement exigeant une mobilisation de la société.