« Partout la cohue la plus bigarrée ; quand une chose disparaît. une autre prend aussitôt sa place. » HEGEL
Tout semble avoir été dit, écrit et répété sur l’immigration.
L’abondance de celle littérature souligne l’importance d’une question complexe (]ont on petit regretter ou non ‘existence,mais que personne n’a jamais sérieusement mise en doute. Le nombre des écrits et la variété des conceptions dissimulent fréquemment l’accord des auteurs sur des points fondamentaux.
Au delà des querelles de mots (assimilation, intégration, insertion….) et des débats d’école (droite, gauche ) se developpe un terrain sur lequel se construisent les représentations. C’est cette infrastructure commune à la plupart des analyses qui offre un espace à la valse et au mouvement des concepts.
Ainsi, si le terme d’assimilation .a été pendant longtemps reendiqué par la gauche face à une droite qui voulait voir dans les différences le signe d’une hiérarchie génétique ou historique, il est aujourd’hui le terme clef de la droite a humaniste. De même le fameux « droit à la différence »porte drapeau depuis les années 1970 d’une alternative au nivellement et à l’assimilation, s’est Intégré au discours d’une extrême droite favorable à un compartimentage culturel ci social La [dupin & % àutcur% qui se penchent sur la question l’abordent sans réflexion épistémologique préalable sur l’origine et la genèse des concepts, sur les réalités qu’ils visent.
La représentation d’une réalité sociale n’est pas une donnée, un enregistrement, un simple reflet mais le produit de constructions nombreuses, qui contribuent à la fabrication de l’ordre social. Au delà des termes et des concepts, il est impératif de saisir la vision globale des minorités issues de l’immigration que véhicule chacun des participants au débat. Il est vain de remplacer un concept par un autre (assimilation par intégration, par exemple) si le nouveau est construit sur la base de l’ancien et entraîne aux mêmes erreurs.
Par dessus les mots d’ordre et les phrases choc, il faut relever les ruptures et les continuités dans la manière de poser la question. Au travers de ces débats et polémiques, c’est en effet la société française qui se découvre, se redécouvre et S’interroge sur son histoire et son avenir. L’interrogation sur le futur des minorités immigrées se confond avec la question de l’avenir de la société française. On ne peut impunément et durablement modifier la composition sociale d’une société par l’apport de main d’oeuvre issue de cultures différentes sans que cela ne modifie, à terme, les bases philosophiques, culturelles, idéologiques et politiques qui constituent une nation. C’est donc bien « l’identité française » et sa nécessaire redéfinition qui sont enjeu.
Pour aborder sereinement la question en dépassant les manipulations politiciennes des peurs et des mots, un détour par l’histoire est nécessaire. La France n’est pas pour la première fois confrontée à des mutations sociales impliquant des transformations juridiques et politiques. L’homogénéisation d’un pays marqué par de multiples cultures régionales lors de la Révolution et l’apparition d’un prolétariat issu du monde paysan au XIX, siècle, ont posé les mêmes problèmes et suscité les mêmes débats. Au terme d’un examen des mécanismes historiques d’assimilation qui ont permis l’intégration des régions et du prolétariat, nous pourrons aborder de manière critique l’étude des concepts.
I AU COEUR DE 1’HISTOIRE DE FRANCE
Comme nous tenterons de le démontrer plus loin (l), la France s’est unifiée non pas en une harmonie issue de complémentarités historiques, mais à la suite d’une politique de centralisation administrative et sous la pression de contraintes de guerre. La Révolution hérite d’une France en cours d’unification, certes, mais où les diversités régionales restent des réalité vivantes. La politique régionale est au coeur des luttes internes qui agitent les révolutionnaires ; d’un côté les partisans de l’assimilation des régions dans une culture française unique, de l’autre, les partisans d’une reconnaissance de la diversité culturelle.
a) Assimilation forcée des régions
La Révolution française inaugure une rupture entre le pays et le souverain. Les droits de la nation sont proclamés contre le pouvoir royal ; la nation est consacrée sujet de droit. La proclamation ne s’assortit pas immédiatement d’une visée centralisatrice. Au contraire, il semble bien que l’Assemblée ‘nationale ait conservé, jusqu’en 1793, le souci de préserver la diversité et la pluralité des réalités socioculturelles, malgré la nécessaire lutte contre les féodalités provinciales.
Si elle reprend le 15 janvier 1790 l’idée du département apparu dès 1773 dans les plans de réforme, l’Assemblée affirme dans le même temps que les conseils et directoires placés à la tête des départements seront élus localement et que les décrets et actes constitutionnels seront traduits dans les langues régionales. Le département, conçu initialement comme circonscription universelle et abstraite, en rupture avec une tradition qui n’offre aucune autre rationalité (lue celle de la coutume, est ainsi réformé pour tenir compte des réalités régionales. La Révolution s’engage donc dans une formule de décentralisation radicale de l’Etat, dans une tentative de conjuguer simultanément unité et diversité. La constitution de l’An I juillet 1793) est l’apogée de cette orientation. Elle ne sera jamais appliquée.
La volonté de décentralisation se heurte en effet très vite à des rapports de force : d’une part, les forces populaires concentrées essentiellement à Paris sur lesquelles s’appuient les Montagnards et, d’autre part, les bourgeoisies provinciales qui fournissent leurs bases aux Girondins. Les Girondins, paradoxalement, inaugurent la politique de centralisation totale, d’abord conjoncturelle, mais qui très vite se pérennisera et s’institutionnalisera ; la situation aux frontières, qui s’aggrave avec la mobilisation grandissante des monarchies face à la nouvelle République, accélère encore le mouvement.
Dès les décrets de frimaire (novembre 1793), une politique de centralisation totale se met en place qui se traduira par l’ajout de l’adjectif « nation française unique ». La révolution, qui cherchait jusqu’alors sa légitimation dans l’universalité de la raison, conjugue désormais ce discours avec les prémices d’un nationalisme. L’universalisme se transforme en messianisme humanitaire et la nation française se trouve investie de la mission d’émanciper le reste du monde. La colonisation trouvera là une de ses justifications. Désormais, unité et unicité sont confondues , la nation française unique est liée aux valeurs universelles. La diversité devient alors un obstacle non seulement à la formation de l’esprit national mais à la constitution même d’un Homme universel. L’affirmation de la liberté individuelle nécessite une limitation des libertés régionales et locales. L’individu écrase les entités collectives sociales et culturelles.
La primauté accordée à la nation ramène, peut être paradoxalement, à une notion proche du sujet abstrait de la monarchie, niant ainsi toutes les relations organiques (lotit la diversité est la caractéristique première. La nation ne reconnaît plus que des individus atomisés, rejetant toute forme de structuration collective dans un passé et une enfance désormais révolus. Le processus peut se mettre en place : exigence d’une unité administrative, imposition d’une seule langue, école jouant le rôle d’un moyen d’assimilation forcée, etc.
Des résultats d’un tel processus, nous n’en soulignerons qu’un, qui continue d’avoir des effets : « C’est en partie à la suite de l’écrasement des langues régionales qu’une fraction importante de la population scolaire est inhibée devant l’apprentissage d’une langue étrangère et devant une libre expression en français(2). » Partie d’une démarche libératrice à prétention universaliste, la Révolution française face, il faut le rappeler, à une conjoncture hostile, s’est progressivement transformé en un processus totalisant et totalitaire, semant les germes d’une destruction de la diversité régionale au profit d’une culture unique, d’une langue unique ; bref, promouvant une assimilation. La systématisation napoléonienne est la suite logique de ce que la Révolution avait déjà bien entamé.
b) Assimiler et moraliser le prolétariat
Au XIX siècle, la « nation française » se trouve brusquement confrontée à sa face rurale. Le développement de l’industrie est alimenté par la main d’oeuvre paysanne ; cette nouvelle population urbaine amène avec elle des systèmes de valeurs, des modes de vie et des comportements qui doivent s’adapter aux règles sociales en vigueur dans les villes. Un véritable processus d’assimilation se met cri place.
c) Un discours moralisateur et dépolitisant
A partir de 1930 1840, les tendances à la révolte de la nouvelle classe ouvrière provoquent le développement d’un ui se traduit sous forme de dispositifs nouveau discours q d’enseignement et de formation professionnelle. Après la Révolution de 1848, la « moralisation de la classe ouvrière » apparaît comme une urgence. Dépassant l’axe uniquement répressif, commence à se faire jour un véritable projet visant à faire partager les valeurs de la classe bourgeoise au pouvoir. La part prise par les mouvements ouvriers aux événements de 1849 1849 suscite les discours humanistes et philanthropiques ,qui s’épanouiront sous le Second Empire et surtout sous la IIIe République, après la Commune de Paris. Ce n’est donc qu’avec les risques de remise en cause de l’ordre que les préoccupations d’homogénéisation des valeurs entre les catégories sociales se développent réellement. On a tenté de conquérir par la force la paix sociale ; c’est par la conquête des esprits qu’on cherche désormais à l’obtenir.
L’objectif n’est pas de réfléchir sur les causes de la misère sociale qui pousse la classe ouvrière à la révolte, mais de trouver les moyens les plus efficaces et les plus rapides pour, d’une part, en faire disparaître les conséquences les plus criantes et, d’autre part, inculquer au prolétariat les valeurs fondamentales du système. Il s’agit à la fois d’affermir l’ordre social en encourageant la résignation et d’assurer l’ordre industriel en faisant accepter la nouvelle discipline de travail. Dépolitisation et technicisation seront les moyens de résoudre le problème dépolitisation par l’apparition d’un discours moralisateur sur la délinquance, la déliquescence de la famille, l’alcoolisme…, et technicisation par le développement de propositions privilégiant un domaine de vie sociale idéalisé : le logement, l’école… autant de rêves accessibles.
Les romans et descriptions de « l’immoralité ouvrière » font recette fréquentation des cabarets, absence de prévisions pour l’avenir, paresse provoquant l’absentéisme, vie au jour le jour, dépravation, concubinage, prostitution, enfants illégitimes ou abandonnés… sont les traits les plus réguliers du tableau. Le leitmotiv est simple : la naïveté paysanne mise face aux splendeurs de la ville s’abîme dans l’immoralité qui conduit à la destruction de la famille. Ainsi, « arrivée à ce degré, non seulement l’ivrognerie s’oppose à l’épargne, à la bonne éducation des enfants, au bonheur de la famille, mais encore, elle la plonge et la retient dans une profonde indigence ; elle rend l’ouvrier paresseux, joueur, querelleur, turbulent ; elle le dégrade, l’abrutit, délabre sa santé, abrège souvent sa vie, détruit les moeurs, trouble, scandalise la société et pousse au crime » (3). La lecture de la situation oriente les solutions. En effet, puisque la question posée est celle de la morale, la solution ne peut se trouver dans une augmentation des salaires ; plus d’argent donnerait des moyens à la dépravation.
La réduction du temps de travail n’est pas plus un remède ‘, elle offrirait un surcroît de temps à la débauche ‘ « On croit communément que de forts salaires sont une garantie de moralité ; cependant les ouvriers les mieux, rétribués ne sont pas les plus moraux… car plus les ouvriers gagnent, plus ils peuvent aisément satisfaire leurs goûts de débauche(4). » Comme le souligne B. Charlot, la moralisation des ouvriers est une mystification idéologique où les effets prennent la place des causes : « l’inconduite des ouvriers est une conséquence de leurs conditions de vie, dues elles mêmes aux salaires de famine que leur versent les patrons, mais l’idéologie bourgeoise inverse le processus et présente cette inconduite comme la cause de la pauvreté ouvrière. Dès lors, la solution de la question sociale est à chercher du côté de la moralisation, c’est à dire de l’éducation et de la philanthropie, et non du socialisme (5). » Ayant rejeté les causes socio économiques et politiques de la situation, la recherche des solutions s’oriente naturellement vers des solutions techniques permettant de réaliser la nécessaire moralisation de lit classe ouvrière. Nous nous arrêterons sur deux d’entre elles, tant sont grandes les ressemblances avec un certain discours sur « l’intégration des immigrés » : l’école et le logement.
d) L’ école et le logement ; les outils de l’assimilation
Moraliser le prolétariat c’est d’abord instruire ses enfants afin de les rendre conformes aux rythmes, disciplines et valeurs de l’entreprise ‘. « S’il était possible de condamner le peuple à une ignorance irrévocable, quelque injuste que fût une telle interdiction, on concevrait que les classes supérieures, dans 1’espoir d’assurer leur empire, essayassent (le lit prononcer et de la maintenir. Mais la providence n’a pas permis que cette injustice fût possible ; et elle a attaché à de tels dangers, que l’intérêt d’accord avec le devoir défend aux gouvernements de la commettre… L’ignorance rend le peuple turbulent et féroce, elle en fait un instrument à la disposition des factieux empressées à se servir de cet instrument terrible (6). » Le logement est l’autre remède aux maux du prolétariat : « Si nous pouvons offrir à ces mêmes hommes des habitations propres et riantes, si nous donnons à chacun un petit jardin où il trouvera une occupation agréable et utile, où dans l’attente de sa modeste récolte, il saura apprécier à sa juste valeur cet instinct de la propriété que la providence a mis en nous( 7). » La solution est dans l’amélioration de l’habitat qui attachera l’ouvrier à la propriété, l’obligera à l’épargne pour payer les mensualités, l’empêchera d’aller au cabaret et consolidera la cellule familiale.
Les initiatives patronales de construction de logements ouvriers se développent alors, complétées par la mise en place de clubs sportifs, de cours du soir, de caisses d’épargne, de magasins d’entreprises, etc. Partout, c’est une vaste entreprise de rééducation qui s’organise (houillères, patronat du textile dans le Nord, etc.). L »objectif permanent est d’assimiler la classe sociale récalcitrante : « A l’ouvrier laborieux qui, bornant ses désirs à une vie simple et fringale, règle sagement sa conduite, met son honneur et son plaisir à élever honnêtement sa famille et préfère les douceurs d’un humble foyer aux excitations de l’intempérance, à celui là suffit généralement le salaire ordinaire de la semaine, joint à ce que la femme et les enfants sortis du premier âge peuvent gagner de leur côté (8). »
L’homogénéité de la nation française n’est donc pas la donnée éternelle que beaucoup voudraient y voir aujourd’hui. Après la diversité des cultures régionales, il a fallu tenter d’intégrer un prolétariat d’origine rurale, dans un vaste processus paternaliste permettant d’occulter les causes socioéconomiques d’une situation de misère. Cette assimilation avait un impact idéologique primordial ; elle visait le passage d’un système de valeurs à un autre, d’une vision de la vie sociale à une autre. Le même discours assimilationniste se retrouve autour de l’immigration.
II LE DISCOURS ASSIMILATIONNISTE
L’immigration est un mouvement déterminé essentiellement par des l’acteurs économiques et politiques. Fn France. ce processus est une réalité séculaire liée à un passé colonial, à un présent néo colonial et plus profondément aux besoins du développement économique.
« Les besoins de l’appareil industriel français ont longtemps déterminé les flux migratoires. A partir de 1914, les rangs des armées aussi sont en partie comblés par les populations colonisées que ce soit pour défendre les territoires d’outre mer.. ou contre la barbarie nazie. Chacune de ces vagues de paysans colonisés en uniforme se transformera en un flux nouveau de migrants au sortir de la guerre.
Dans les pays d’origine, le mécanisme déclenchant apparaît Identique, aussi bien dans les domaines anciennement colonisés qu’en Europe du Sud. Partout, la disparition des structures agraires traditionnelles et la mine des agricultures vivrières provoquent une prolétarisation de la petite paysanne, faisant de celle ci une réserve de migrants potentiels.
Les besoins industriels de l’Europe se traduisaient en force de travail sans odeur et sans saveur ; ce sont des hommes réels qui sont venus et, avec eux, un capital culturel encore fortement imprégné de valeurs paysannes et communautaires. Une nouvelle fois, la France urbaine et industrielle se trouvait confrontée à la question paysanne. On voit réapparaître le thème assimilationniste… Au delà des différences conjoncturelles, le discours reste le même : a historique, irréaliste et statique. Il nie l’histoire même de la constitution de la société française au détriment de la richesse et de la diversité des cultures régionales. Il est irréaliste parce qu’il oublie l’univers mental, l’imaginaire, le capital culturel et social de chacune des composantes de la France et postule que tous les particularismes peuvent disparaître sans que les conditions socio économiques qui les isolent et les font perdurer aient été abolies. Il est enfin statique puisqu’il tic tient pas compte du dynamisme social et culturel des populations, dans le temps et dans l’espace et, ce faisant, prive la société française d’une richesse et d’une diversité nouvelles.
Le discours assimilationniste postule une répartition arbitraire et manichéeenne du corps social, il y a les bons, les assimilables et les mauvais. Par souci d’humanisme le trop critiquable rejet en bloc, on divise* Au fur et à mesure de l’évolution sociale, avec l’avancement des luttes, les contours des deux parties se modifient : Européen et nonEuropéen, bon et mauvais immigré, première et deuxième génération, « bourgeois » et délinquant et, plus récemment, femme maghrébine et homme maghrébin… Si le sort réservé aux uns est l’expulsion, celui offert aux autres est l’assimilation. Quel est le sens de ce cadeau ?
La notion d’assimilation est issue des sciences humaines et s’est développée en sociologie, en anthropologie et en psychosociologie. Comme beaucoup de concepts descriptifs, son transfert à la sphère politique colore le terme d’un rôle idéologique.
Assimilation appartient au groupe du mot similaire ; étymologiquement c’est le « fait de devenir semblable ». L’assimilation est donc le processus par lequel un ensemble d’individus, habituellement une minorité ou un groupe d’immigrants, se fond dans un nouveau cadre social et culturel. L’indice d’une bonne assimilation est la renonciation à la culture d’origine, la mise au pas de la personnalité et l’atomisation au sein de la société qui absorbe l’individu. C’est un processus d’ajustement total à la société d’accueil, impliquant une déculturation et une dépersonnalisation.
L’hypothèse sous jacente est la nécessaire disparition de tout rattachement à une communauté. Le seul fait qu’une communauté existe avec ses comportements propres et ses valeurs est un signe d’échec. L’assimilation se traduit donc également en un processus d’individualisation.
En France, la réussite est institutionnalisée par la sanction juridique de la naturalisation qui constitue la reconnaissance formelle de l’assimilation de l’étranger dans la communauté nationale et lui accorde les droits formels (le la citoyenneté française. L’assimilation suppose donc une obligation et se traduit par une allégeance à l’Etat : d’une individualité parlictilière liée à une communauté, on passe à un atome noyé dans la société, coiffé par l’Etat Nation et coupé de toute communauté.
L’assimilation est donc un ensemble de changements psycho sociologiques auxquels sont soumis les individus qui vivent dans une société appartenant à une autre aire culturelle. Elle suppose la modification, l’oblitération et le remplacement des habitudes et états d’esprit antérieurement acquis. Elle invite un groupe à se fondre dans un nouveau cadre, encore hostile à sa présence. Elle est impérative : il faut s’assimiler ou partir. Le caractère conflictuel qu’entraine la présence étrangère et l’obligation violente d’intégration rendent non seulement l’assimilation difficile mais, en fait, impossible. La communauté non seulement maintient ses liens mais les développe dans des dimensions nouvelles comportant, certes, des invariants mais également nombre de mutations. Chacune de ces évolutions est Interprétée comme le signe d’une intégration progressive et donne naissance à des pressions : il s’agit d’accélérer le processus d’adaptation. La mésinterprétation est typique. Ces mutations ne sont pas séparables du noyau dur des habitudes qui se maintiennent ; si elles marquent un écart d’avec la culture d’origine, elles ne signifient pas, pour autant, une adoption de la culture dominante. Elles reflètent simplement la vie et les évolutions des cultures issues de l’immigration et, avec elles, les modifications inévitables de l’identité française dont ces cultures sont partie prenante.
Le discours assimilationniste révèle l’ambiguïté d’attitudes basées sur un humanisme abstrait. Ce sont les milieux de gauche, à prétentions démocratiques, qui ont développé l’idéologie et les pratiques assimilationnistes. Face aux attitudes d’exclusions, l’humanisme réagit par un réflexe d’inclusion. Les thèses racistes mettent en évidence les différences pour nier toute possibilité de « vivre ensemble » ; les thèses humanistes les nient purement et simplement révélant ainsi la même intolérance face à la diversité, la même prégnance du modèle étatique porteur d’une culture unique, la même confusion entre unité et unicité. L’un veut supprimer la présence des populations d’origine étrangère, l’autre veut les réduire à tout prix à son image. L’immigration et les populations (lui en sont issues, jusqu’à présent considérées comme objet, jamais comme sujet, sont sans cesse ballottées entre les (feux thèses, confrontées au faux choix de la réaction raciste et de la réaction humaniste
Le modèle assimilationniste a connu son développement le plus poussé chez les théoriciens américains de l’anglo conformity. La disparition de toute discordance avec l’image dominante est ici le but avoué. L’autre n’a pas d’identité et de réalité collective qui lui soit propre. Il n’est qu’un individu qui, coupé de sa communauté originelle, ne peut se définir que comme ensemble d’insuffisances. Il convient donc de l’engager dans un processus d’uniformisation salvatrice. Au départ, on postule un choix inévitable entre assimilation et déviance. Le contrôle social a ensuite pour rôle de distribuer les punitions et les récompenses, les sanctions positives et négatives à ce choix. Il n’est pas étonnant que les mesures de police qui ont permis pendant longtemps de surveiller les « populations dangereuses », le prolétariat, se reportent progressivement vers les communautés immigrées. Au fur et à mesure que se développe le discours assimilationniste sur l’immigration, s’estompe le discours sur une classe ouvrière, supposée en voie de disparition, c’est à dire assimilée. L’opposition Français/étranger prend le pas sur le clivage « populations dangereuses »/reste de la nation.
Entre une identité française mythique, discursive et normative et l’identité réelle, quotidienne, se creuse un écart que le discours politique peut manipuler en jouant des peurs et des fantasmes. L’identité a historique invoquée par le discours assimilationniste n’a jamais existé. L’identité n’a de sens véritable qu’en ce qui concerne les individus. Elle qualifie l’individu comme sujet, face à l’entourage, à la culture, à l’histoire passée et présente, etc. Elle lui permet d’être acteur de son histoire, d’intégrer ou abandonner les données culturelles, sociales, politiques sans pour autant perdre le sentiment de soi, ou avoir l’impression de délaisser les valeurs fondamentales de son histoire. Articulant permanence et changement, sécurité et mutation, continuité et mouvement, l’identité donne à l’individu la capacité de s’orienter, d’interpréter le monde, d’agir et de réagir. L’assimilation ne permet pas à l’individu de préserver la continuité nécessaire à une identité assumée, ouvrant au statut de sujet, ni de créer une nouvelle identité propre, mais pousse à l’adoption d’une image non native et restrictive.
On ne peut parler que métaphoriquement d’ « identité de groupe », d’ « identité collective », capital commun de valeurs,de représentations, de visions du monde, de formes de raisonnements et de réactions constitué au fil de l’histoire par le « vivre ensemble ». La dimension du groupe conditionne l’importance de l’identification. Plus la communauté est restreinte, plus les situations vécues collectivement sont importantes, plus l’identification commune est grande. C’est dire que lorsque l’on parle de l’identité d’un pays, Il convient d’adopter une attitude de grande prudence. L’ « identité nationale », à moins d’être l’effet d’une standardisation totalitaire, se conjugue avec la multitude des catégories collectives d’appartenances (région, communauté, classe … ). Elle est façonnée par les tensions inhérentes à la constitution d’une population qui se donne progressivement un capital historique commun, sans pour autant nier forcément les diversités qui l’habitent. Or, la définition de l’ « identité nationale » est généralement celle des classes dominantes, qui déterminent norme et déviance.
L’assimilation est le processus social et culturel qui se propose de ramener dans cette norme les régions, les classes sociales, les communautés ; processus largement impossible parce que heurté en permanence aux appartenances qui forgent les identités individuelles et collectives. Un tel concept joue un rôle idéologique non négligeable ; s’il faut assimiler, c’est qu’il y a « un capital commun » à la majorité qu’il s’agit de défendre et illustrer. Le discours assimilationniste est donc un fruit des situations de dominations, un (les mécanismes de leur reproduction : « Le grand problème de la civilisation a été de maintenir un écart. Nous avons vu s’établir cet écart avec l’esclavage, puis avec le servage, ensuite par lit formation d’un prolétariat.
Mais, comme la lutte ouvrière tend dans une certaine mesure à égaliser le niveau, noire société a dû pâlir à la découverte de nouveaux écarts différentiels avec le colonialisme, avec les politiques dites impérialistes, c’est à dire chercher constamment au sein même de la société ou par l’assujettissement tics peuples conquis, à réaliser un écart entre groupe dominant et groupe dominé, mais cet écart est toujours provisoire… les écarts différentiels tendent donc à s’égaliser et chaque l’ois, il a fallu créer de nouveaux écarts différentiels »(9). L’idéologie assimilationniste vise à légitimer l’exclusion sous couvert d’inclusion et à renforcer la cohésion sociale sans cesse menacée par la présence de groupes dominés. C’est dire son importance en période de crise où la montée des inégalités s’accompagne d’un repli sur une identité mythique ouverte (assimilation) ou fermée (racisme et xénophobie).
Processus de légitimation des inégalités, J’assimilation vise en premier lieu la « normalité sociale », telle qu’elle émane d’une majorité qui continue à se considérer, malgré les disparités qui la déchirent, comme l’image à défendre. L’ambition d’une association comme France Plus illustre le mécanisme ; appelant à une assimilation sociale mais non culturelle, en mettant en avant la réussite de quelques individus, la vision des choses que propose l’association n’apporte rien de nouveau aux communautés issues de l’immigration et à leur lutte pour l’égalité. France Plus met simplement en évidence l’écart qui se creuse entre une minorité « bourgeoise » et une majorité exclue. Elle propose une stratégie d’élévation sociale ; jouant de la communauté comme d’un tremplin, la bourgeoisie négocie son accès aux échelons du pouvoir économique et politique. L’association est certes bien issue de l’immigration ; elle est même le reflet d’un enrichissement en son sein ; mais elle ne représente que la voix de l’idéologie assimilationniste intériorisée par les minorités immigrées qui y trouvent leur intérêt. Elle défend les Mohamed dont la situation permet d’espérer un jour la transformation en : Président Mohamed…
III L’INTÉGRATION ET SES DÉRIVES
Si, pendant longtemps, le concept d’assimilation a été quasiment le seul proposé dans les recherches sur l’intégralion, il a été mis de côté depuis une vingtaine d’années. Le discours politique l’abandonne progressivement au profit de celui d’intégration. Le changement de termes n’implique pas un changement de vue ; au contraire.
a) L’intégration
L’intégration est d’abord un phénomène physiologique. La définition du Larousse y voit « la coordination des activités de plusieurs organes en vue d’un fonctionnement harmonieux ». Le concept n’est pas définissable seul mais va de pair avec d’autres : l’adaptation, l’accommodation, etc. I :adaptation est l’ensemble des mécanismes par lesquels un individu se rend apte à appartenir à un groupe, et l’intégration ceux par lesquels le groupe admet un nouveau membre. Pour certains chercheurs, l’accommodation, puis l’adaptation constitueraient les deux premières étapes d’une intégration réussie. Si la première génération avait surtout à s’accommoder, les « beurs » en seraient à l’étape de l’adaptation, mettant à l’ordre du jour la question de l’intégration. Un individu ou un groupe adaptés ont suffisamment changé pour pouvoir être intégrés. La mesure des capacités acquises détermine l’accès aux droits.
Les concepts rapportés aux sciences de la nature y trouvent souvent une coloration idéologique. La sélection naturelle darwinienne offre un modèle intéressant au libéralisme. Les révolutionnaires de 1789 avaient déjà choisi pour base de légitimation de la déclaration des Droits de l’Homme l’idée de droits naturels… L’ordre social détermine la place de chacun grâce à une sélection qui permet à tous d’attendre la situation sociale correspondant à ses capacités. Une telle problématique a fait ses preuves : justification de l’enfermement des inadaptés, légitimation de la colonisation, citoyenneté capacitaire, exclusion des femmes, des immigrés, etc.
L’adaptation, l’acceptation (tu fonctionnement de la société, reste la condition de l’intégration. Pour être accepté, on demande au postulant de partager un certain nombre de valeurs, au nombre desquelles celles qui, jusqu’à présent, l’ex. Bref, l’intégration demande l’assimilation préalable ou, tout au moins, exige une homogénéisation des mentalités. Elle suppose une acculturation à la société française telle qu’elle est aujourd’hui. Elle reste unilatérale. En fait, l’intégration c’est pour les nationaux, l’acceptation (les traditions folkloriques (le l’étranger en échange de l’abandon par les immigrés de traits culturels, de visions du monde, de valeurs sociales et politiques fondamentales.
Comme le souligne Selim Abou : « On a pris l’habitude de décrire les rapports culturels des immigrés en terme de » traits » ou de » contenus » de cultures diffusées par les groupes d’origine étrangère dans la société ou dans certains secteurs de cette société : traditions culinaires ou vestimentaires, chansons et danses folkloriques, croyances et idées, etc. C’est là une première lecture des apports culturels, nécessaire mais insuffisante. Une deuxième lecture, plus profonde, est celle qui dépasse les contenus pour s’attacher aux formes. C’est alors au niveau des modèles de pensées et de sensibilités inventés par les enfants d’immigrés, dans l’effervescence du processus d’acculturation, qu’il convient de discerner les apports culturels. Les minorités immigrées créent, dans la société d’accueil, de nouveaux styles de vie citadine et rurale ; ils donnent naissance à de nouveaux styles relationnels, dans les domaines familial, social, économique et politique ; ils contribuent à diversifier les idées, à relativiser certaines valeurs et à en acclimater d’autres. C’est là un jeu de différenciations culturelles propres à transformer peu à peu la culture nationale ( … ) ; il ne peut se solder que par une de ces synthèses qui revivifient la culture nationale en lui insufflant une vitalité nouvelle(10). »
Ce n’est pas seulement l’acceptation des traits folkloriques par la société qui est en cours mais bien un processus plus profond qui en son sein modifie et invente mentalités, sensibilités, valeurs sociales et politiques. Cette mutation, déjà en route dans certains groupes, pourrait à terme se révéler dangereuse pour certaines valeurs de base du capitalisme l’individualisme, par exemple. L’intégration a pour objectif de limiter ces mutations, de s’en tenir au folklore afin de préserver le système de valeurs dominant et le fonctionnement économique et social qui en découle.
Les immigrés apparaissent comme un problème économique, social et politique. C’est donc à eux de se transformer pour pouvoir s’intégrer ; selon que l’on est de gauche ou (le droite, ou selon la conjoncture politique, on discutent de l’état d’avancée des transformations, mettant tantôt en évidence les traits d’assimilation, tantôt les différences. De même, on discutera de la rupture des générations, les jeunes « beurS » étant, suppose t on, fondamentalement différents de leurs parents, et beaucoup plus « intégrables ». Les plus généreux pourront même aller jusqu’à proposer des remèdes techniques pour faciliter l’intégration : sur le logement, l’école ou autres questions, discours partiel coupé des causes socio_économiques et politiques qui constituent l’armature de la question. C’est toujours l’immigration qui est un problème pour la société et jamais la société qui est un problème pour l’immigration ; c’est toujours l’immigration qu’il s’agit de transformer pour l’intégrer, jamais la question des changements sociaux qui est abordée.
L’arrière plan sous jacent est une problématique capacitaire les populations issues de l’immigration ont un retard sur la société française ; il faut les aider à le rattraper. Si leurs valeurs, leurs habitudes, leurs comportements sont en contradiction avec les besoins de la société « moderne », ou ne leur correspondent pas, ce sont eux qu’il faut transformer en toute unilatéralité et non cette société qui doit être questionnée. C’est sous une autre forme, la vieille « mission civilisatrice » de la France qui se manifeste, capable d’émanciper en les assimilant tantôt les peuples colonisés, tantôt des générations successives d’immigrés. Le débat actuel sur le droit de vote aux résidents étrangers est significatif. Nombreux sont en effet ceux qui préconisent une étape préalable où la mise en place de conseils consultatifs permettrait aux immigrés l’apprentissage de la démocratie.
Par ailleurs, l’idéologie intégrationniste présente la société française comme homogène et unie, en dehors de toutes divisions et conflits sociaux. C’est là une nouvelle fois absolutiser la nation et présenter l’immigré comme étant uniquement un non national. Ce faisant, oit nie les multiples catégories d’appartenance du résident étranger : résident, salarié, chef de famille, locataire_ L’abstraction volontaire permet de masquer le fait que l’immigration ne constitue qu’un révélateur (les problèmes que la société actuelle pose à la majorité des habitants de ce pays. La focalisation sur lit dimension culturelle, que l’on neutralise par un processus de folklorisation, permet d’éviter la question de la nécessité des transformations sociales que révèle l’immigration. L’intégration est une forme pudique et actualisée de l’assimilation.
b) « Le melting – Pot »
Dans tout dispositif idéologique de « normalisation » des Populations d’origine étrangère, assimilationniste ou intégrationniste, l’immigré est un marginal à insérer. Il est objet de réadaptation ou d’adaptation. Il n’est jamais défini tel qu’il est, mais tel qu’il est nécessaire qu’il soit, pour des raisons d’ordre socio politique. Au discours de l’exclusion succède un discours d’inclusion comme forme d’exclusion. d’inclusion apparente légitimant une exclusion réelle, Au mieux, l’intégration autorise la coexistence dans le folklore. Cette pression permanente, cette poussée vers la déculturation, la dépersonnalisation provoque en retour chez les cultures dominées des tentatives de restauration de valeurs, d’attitudes, de comportements originels. Face à une assimilation impossible, le refuge dans un univers fantasmatique à la recherche de points de repère archaïques et de valeurs caricaturales apparaît comme la solution qui permet de construire une nouvelle identité. A la demande permanente d’auto négation répond la survalorisation de la culture d’origine, le besoin de s’opposer pour se poser, de repousser pour pouvoir exister. L’impossible reconnaissance collective conduit au repli sur la tradition et sur les formes les plus visibles de la différence (intégrisme … ). l’explication de ces phénomènes réside dans l’existence d’une exclusion réelle, d’une infranchissable distance sociale et économique aux modèles que l’on demande aux populations d’origine étrangère d’adopter.
Refus de toute reconnaissance des identités collectives nouvelles et intégration impossible sont les deux mamelles auxquelles se nourrit le repli communautaire.
Le discours intégrationniste devient insuffisant face au nouveau besoin d’identification collective traduit par le repli communautaire ou la lutte pour une reconnaissance. Le modèle en perte de vitesse est progressivement remplacé par la référence au melting pot américain porté par SOS Racisme. Une nouvelle génération de slogans séduisants parce que prenant en compte le nouveau besoin de reconnaissance collective, exprime ce perfectionnement de l’idéologie intégrationniste
« Droit à la différence », « Vivons ensemble avec nos diffémnces », « Vivons ensemble avec nos ressemblances quelles que soient nos différences »… 12idéologie du melting pot revêt une double signification : d’une part elle reflète des transformations objectives de la société civile que l’on ne peut plus nier (jeunes Français revendiquant des cultures d’autres origines, apparition d’une éclectique culture zonarde) d’autre pari, elle signifie une nouvelle tentative de neutraliser et d’aseptiser le phénomène en cours au sein de la société civile. En effet, la mise en évidence de l’adoption par les jeunes « beurs » de valeurs propres à la société française (individualisme, competition sociale, etc.) permet de rendre plus acceptables les différences réduites au folklore. Il ne s’agit en fait que d’amputer une culture de pans entiers (rapport à l’autre, définition d’une communauté, vision du monde, etc.) et, ce faisant, de la faire disparaître. Le véritable débat posé par les mutations sociales est expulsé : le fondement de la communauté nationale n’est pas remis en question. L’immigration le met pourtant à nouveau en avant ; ce n’est pas un hasard :
La société française se trouve confrontée, sur son territoire même, à des hommes issus d’une culture qui au cours de son histoire s’est trouvée au contact de peuples divers et a développé un système (le valeurs dont au moins certaines entrent en contradiction avec la définition dominante de l’homme et de la société.
Cette confrontation se déroule dans un contexte de crise économique marquée, entre autres, par une remise en question des valeurs et une recherche d’identité.
La société française doit tenir compte d’une seconde génération née en France, capable (le porter un regard critique sur les relations inégales que la France entretient avec ses anciennes colonies.
Enfin, les populations issues de l’immigration, par la place qu’elles occupent, ne peuvent que soulever (les questions touchant d’autres catégories sociales, jouant le rôle d’un révélateur de dysfonctionnements.
Face à toutes ces questions, le « lien national » vient à se chercher dans l’identité culturelle. La culture prend une place primordiale et devient une valeur étalon. Elle détermine les ressemblances, déflnit les compatibilités et les différences acceptables, inoffensives. Ce repli sur la seule sphère culturelle est lié à la montée de l’individualisme, à l’abandon de toute ambition universaliste. Si le lien national n’est plus recherché dans les valeurs pertinentes pour tous les hommes, au delà de leur diversité, force est de le trouver dans la communauté ethnique et culturelle. Si le fondement de la communauté nationale n’est pas le partage d’un projet social, il ne peut que déboucher sur une autre recherche d’homogénéité.
Le melting pot met de côté la réalité des profonds clivages de la société américaine, la hiérarchisation des communautés qui fait des membres des minorités de couleur des citoyens de seconde zone. Uéchelle des couleurs se superpose à celle des richesses et des classes sociales. Le « droit à la différence » peut cacher le maintien des inégalités sociales. Le domaine dans lequel la société américaine s’est montrée le plus profondément pluraliste est également celui dans lequel elle s’est révélée le plus profondément anti démocratique.
La métaphore privilégiée du melting pot a fourni son titre à la fameuse émission télévisée Mosaïque : une personne ne se définit que par la culture de sa communauté d’origine, (lui peut se juxtaposer à d’autres cultures, mais jamais les rencontrer : « La mosaïque représente une multiplicité d’éléments imbriqués à une seule dimension, comme s’il s’agissait d’unités vivant dans des groupes distincts les uns aux côtés des autres dans la complémentarité. Cette image fait abstraction de deux dimensions, en premier lieu de celle que nous avons appelée « intérêts différenciés » et qui traverse les groupes ; par exemple, les oppositions complémentaires de classe sont traversées par celle des âges ou des générations… Les cultures ont une histoire, elles sont des équilibres instables, des structures et des représentations en train de se faire et de se défaire »(11).
En valorisant une image figée des différences et des cultures, en refusant aux immigrés et à leurs enfants d’autres catégories d’appartenance que celles de leur communauté, l’déologie du melting pot revêt la même dimension idéologique qu’assimilation ou intégration, elle permet d’éviter que les questions sociales soient posées. Ces discours ne font que renforcer les immigrés dans le rôle de figurants sociaux qui leur est Imparti.
c) Aseptisation d’une population : du méchant Arabe au gentil beur
Les mouvements associatifs issus de l’immigration ont été largement invités à participer au carnaval de l’intégration. Pour peu que les associations acceptent de jouer le jeu, on leur promettait reconnaissance locale et accès à la manne. Nombreuses sont celles qui ont commencé à revendiquer l’appellation de « beur », marquant symboliquement leur acceptation du nouveau discours. Le tenue « beur » est issu du verlan parisien, procédé consistant à parler à l’envers. Ainsi, le terme « arabe » devient, après une double inversion, « beur ».
Ce nouveau colifichet lexical serait resté, comme beaucoup d’autres, une simple manière de se dénommer soi même si, au lendemain de la.Marche de 1993, il n’avait été investi par les media et les hommes politiques, et transformé en concept ; d’un côté les Arabes, de l’autre les beurs ; la première et la deuxième génération, les parents et les enfants, les intégrables et les non intégrables.
La Marche de 1993, en propulsant sur le devant de la scène politique toute une génération issue (le Viiiiiiiirration qui se. réclamait du respect de la personne humaine et revendiquait l’égalité, rendait en effet caduc, sous le choc émotif et symbolique de sa sortie de l’ombre, le discours traditionnel sur l’immigration. Puisqu’elle questionnait la société française sur son identité, cette génération (levait de toute urgence être détachée de son origine arabe, et son apparition aseptisée. On passe brusquement du « méchant arabe » ou du « , pauvre étranger au « gentil beur ».
Beur et beurette n’étaient déjà plus des Arabes, les ressemblances avaient enfin pris le dessus sur les différences et l’on pouvait, par conséquent, les intégrer sans problème. Un discours humaniste et généreux se donnait libre cours, occultant de plus belle les problèmes concrets et réels que vit l’immigration, toutes générations confondues.
Dans une société de plus en plus cloisonnée, on avait désormais une immigration à plusieurs vitesses , chacune des catégories nouvelles se définirait, espérait on, en dehors des autres. Le discours et les pratiques d’exclusion pouvaient se pérenniser pour les uns dans le même temps qu’une volonté d’intégration s’affirmait pour les autres. On pouvait canaliser la révolte sans répondre aux questions.
L’histoire du mot beur ne constitue qu’une péripétie dans le processus visant à nier les revendications sociales.
Les expressions « Arabes de France », « Portugais de France », etc., dont se réclame une partie du mouvement associatif issu de l’immigration exprime mieux à notre sens l’ensemble des questions posées et en particulier le problème d’une véritable citoyenneté culturelle.
IV LA CITOYENNETÉ CULTURELLE
L’ensemble des démarches que nous avons décrites sont les fruits du conservatisme social. il s’agit, sans nuances, de demander aux immigrés d’accepter l’ensemble du fonctionnement actuel de la société. Le point aveugle commun à tous ces discours, oubli conscient ou non, est que l’exclusion et la marginalisation des communautés issues de l’immigration ne sont pas simplement dues à leur origine étrangère, mais également à la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent. Les riches, faut il le rappeler, n’ont pas recours à l’immigration. Parce que les parents n’étaient pas intégrés socialement, ils ont émigré et se sont retrouvés avec leurs enfants, tout aussi peu intégrés dans le pays d’accueil, socialement et, de surcroît, culturellement.
L’intégration par la clochardisation , l’exclusion et la marginalisation est malheureusement une réalité que les populations d’origine étrangère connaissent déjà, même si elles ne sont pas les plus touchées aujourd’hui (que la société française bien pensante s’interroge d’ abord sur la masse grandissante du quart monde avant de demander aux immigrés de l’accepter et l’intégrer).
Face aux fausses alternatives, il faut avancer une proposition radicale . : la citoyenneté comme participation à la transformation sociale, comme contribution à l’élaboration et à la construction d’une société où l’intégration ne sera pas synonyme d’auto mutilation et de reniement.
Cette alternative sociale ne concerne pas uniquement , bien entendu, les seules populations issues de l’immigration mais leur participation est populations issues de Fi e n’est pas suffisante. Elle exige des indispensable, même si elle n’est pas suffisante. Elle exige des bouleversements importants, culturels et sociaux, que nous devons définir ensemble. Des mutations sociales en découlent (12) ; nous n’aborderons ici que les mutations culturelles qui nous semblent inévitables.
La société française, avons nous dit, est confrontée à la question de son identité. La culture « ‘est pas une réalité statique, mais une construction synchronique qui s ‘élabore de manière permanente. Elle ne constitue pas un capital originel qu’il faudrait défendre mais au contraire, un flux de création nouvelles. il est vain de rechercher dans l’histoire l’âge d’or d’une culture à faire revivre, alors que le contexte, les raisons et les conditions qui ont présidé à son émergence ont changé. C’est plus dans le présent et dans nos aspirations pour l’avenir que doivent être trouvés les axes des identités que nous avons à construire ensemble.
Cela ne signifie pas que l’histoire n’a pas d’importance et qu’il faille en faire table rase. Ait contraire, la culture, vision (lit monde, système de valeurs et de mythes, grille d’interprétation des rapports de l’homme à lui même, à la communauté, à la société, traduite dans les pratiques et les attitudes quotidiennes, est un noyau, une matrice autour de laquelle se tissent les nouvelles dimensions et se construisent les nouvelles identités. A leur tour, ces nouvelles dimensions intègrent progressivement la matrice, et ainsi la transforment, l’actualisent, lui Permettent un développement qui reste fonction des besoins de la vie des communautés.
Pour toutes ces raisons, la condition de la construction et de la redéfinition des identités est la reconnaissance sur un pied dégalité des différentes cultures en présence. Une mutation est d’emblée nécessaire : la fin de l’ethnocentrisme culturel qui a tant marqué l’Occident et surtout l’histoire de la France.
Cette première rupture en entraîne une seconde avec l’histoire de la domination coloniale. Expansion économique, domination coloniale ou néo coloniale et ethnocentrisme culturel se sont servi les uns les autres de justification et de légitimation. Une identité française non oppressive est donc également liée à la redéfinition des rapports socio économiques de la France avec le reste du monde et en particulier, de manière urgente, à la décolonisation des DOM TOM.
Par ailleurs, nous l’avons montré dans la première partie de ce chapitre, la société française a hérité de la monarchie une conception de la nation totalisante et totalitaire. La nation est une série d’individus atomisés, sans structuration sociale ou culturelle. Face au souverain puis à l’Etat, il n’y aurait qu’une foule d’individus séparés les uns des autres, liés par la seule appartenance à la Nation. Cette vision globalisante et appauvrissante nie les réalités et tente d’oublier l’existence de classes ou de catégories sociales, la présence de communautés culturelles diverses. La rupture avec cette image de la Nation est la troisième mutation indispensable à la définition d’une nouvelle identité française.
Cette dernière transformation dessine le profil d’une France où l’identité ne soit pas une réalité culturelle homogène, mais le partage d’un projet collectif de société, ne renvoie plus à une acculturation nivelante, mais au partage d’un contrat social. Il peut se développer une pluralité culturelle, reflet de la richesse de la société, sans pour autant que soit niée 1’unilé de la nation.
Que l’on nous entende bien, il ne s’agit pas ici de réclamer un cloisonnement des cultures, comme ont pu le faire certains culturalistes. Il est évident, et c’est heureux, que les individus et les communautés agissent et réagissent les uns par rapport aux autres, s’empruntent et se transmettent savoir et habitudes, se modifient et se transforment par l’apport d’éléments extérieurs. Nous ne militons pas pour la préservation d’une prétendue culture originelle ; mais nous refusons que les échanges soient réduits à l’unilatéralité ou adoptent les formes du melting pot à la mode d’aujourd’hui. Nous refusons ces thèmes parce qu’ils se contentent de maquiller les modes d’action de la loi du plus fort.
La nouvelle citoyenneté exige donc des mutations culturelles profondes qui, à leur tour, ne sont possibles que si le lien national est recherché dans le partage d’un projet collectif de société et non dans une culture nationale présumée homogène et unique. Elle anticipe des mutations sociales inévitables.
Ce ne sont pas les populations immigrées qui peuvent définir seules l’alternative sociale nécessaire à une citoyenneté réelle. Elles peuvent y contribuer ; les modèles proposés par les cultures d’origine et les leçons tirées de l’expérience leur en donnent des éléments ; mais les rapports de forces nécessaires à l’alternative sont beaucoup plus larges et impliquent les autres catégories sociales.
C’est à la recherche d’un nouveau contrat social qu’il nous faut apporter nos efforts, à la définition d’une alternative collective sans laquelle nous ne pourrons pas sortir de la grave indifférence sociale dont se nourrit la société française.
NOTES
(1 ) Cf. Chapitre Réinventer la société
(2) Giordan Henri, in : revue Pour, no 86, novembre décembre 1982, p. 48.
(3) Villermé I. R., cité par Charlot bernard, in : Histoire de la formation des ouvriers, Ed. Minerve, 1986, p. 86
(4) Ibidem. p. 89.
(5) Charlot B., op cit., p. 89
(6) Guizot, in : Charlot B., op. cil., p. 92.
(7) Sinion Jules, L’ouvrière, Paris. 1961, p. 351 352.
(8) Le moniteur industriel du 13 10 1836, cité par Chariot B., op. cil..p.90
(9) LEVY trams, cité par Kaci Doukhan Padma, in : revue Pour, nO 86, op. cit., P. 73.
(10) Abou Selim, ini revue Pour, n’l 86, op. cit.. p. 60 61.
(11) Verbunt Cilles. in : revue Pour, nO 86, p. 67, op. cit.
(12) Cf. le chapitre Réinventer la société.