Entretien sur l’éthique.

La rééducation périnéale exige une connaissance approfondie de l’anatomie et de la physiologie vésico-sphinctérienne mais aussi, plus encore que pour d’autres rééducations, des qualités humaines de respect et d’écoute. La spécificité de cette spécialité met en relation entre le soignant et le soigné des phénomènes relevant peut-être autant de l’éthique que de la technique.

Au fil de notre expérience, de nos difficultés et aussi de nos joies professionnelles, nous avons amorcé des échanges et conversations sur les différentes questions éthique posées par l’exercice de notre profession. Plutôt que d’écrire un ouvrage didactique sur le sujet et ainsi prendre le risque d’ennuyer les lecteurs, nous avons préféré vous inviter à suivre ces entretiens. Un forum de discussion sur ces questions vous permettra de participer à ces échanges si vous le souhaitez.

Hélène COLANGELI HAGEGE ( HCH) organisera et dirigera cet ouvrage collectif. Chaque internaute pourra ainsi poser ses questions. HCH s’engage à répondre soit directement soit en confiant la réponse à une personne plus compétente. Hélène COLANGELI HAGEGE est kinésithérapeute exerçant en libéral. Elle s’est orientée franchement vers la rééducation périnéale qu’elle aborde en tentant de préserver les valeurs de la kinésithérapie, la technicité n’excluant pas l’écoute attentive dans la dimension d’aide personnalisée. Sa curiosité professionnelle des interconnexions psycho-somatiques l’invite à suivre un cursus universitaire sur l’Ethique appliquée à la santé et aux soins. Elle se propose donc d’être un référent sur ce sujet.

Max Claude CAPPELLETTI (MCC) est de 20 ans son aîné. Il exerce exclusivement en périnéologie depuis l’aube de cette rééducation.. Ses responsabilités dans un laboratoir d’urodynamique et rectomanomètrie ont aiguisé sa curiosité pour la chose bio-mécanique.

Familiarisé avec la mesure il tente d’enseigner le goût de la rigueur objective et de l’expérimentation à ses plus jeunes confrères. Mais on ne soigne pas une courbe, un électromyogramme ou un bilan. On soigne une personne. Par conséquent, l’interrelation humaine née de cet échange requiert une attention qui peut être définie comme étant éthique.

CHAPITRE I : GENERALITE SUR L’ETHIQUE

MC :

Il faut tenter de définir ce qu’on entend par éthique Je voudrais te demander si, comme l’affirme le philosophe Marcel CONCHE on peut dire « La morale porte sur les droits et les devoirs inconditionnels de l’être humain.

HCH :

Qu’est-ce que l’éthique ? Plutôt que de parler d’éthique, on peut parler de questionnement éthique. L’éthique se propose à nous sous la forme d’une interrogation, qu’est-ce que l’éthique ? Dans une situation pratique définie, comment agir de façon éthique ?

On ne sait pas toujours différencier les notions d’éthique, de déontologie, et de morale, mais on oppose fréquemment ces concepts. A l’aide de la citation que t m’as donnée comme point de départ j’aimerais essayer d’en proposer des définitions.

Dès que nous pensons nous construisons un jugement. La plupart des jugements que nous produisons sont descriptifs. Dans la vie courante nous cherchons à contrôler nos jugements descriptifs, nous les validons par un sens, par l’expérience. Tout savoir scientifique est composé de jugements descriptifs validés par des méthodes expérimentales, des recherches, des outils d’évaluation.

Lorsque nous pensons un jugement moral, il est à la fois descriptif : voler est mal, mais aussi prescriptif : il ne faut pas voler. Quand nous pensons un jugement moral soit nous nous prescrivons un comportement à nous-mêmes, soit nous le prescrivons aux autres. Deux questions se posent : comment valider ce jugement ? Quelle est la valeur prescriptive de ces jugements sur les comportements humains ?

Lorsque nous sommes dans notre pratique professionnelle, nous sommes souvent confrontés à des situations où nous ne savons pas avec certitude comment agir de la meilleure façon. La particularité de la conscience morale est de fonctionner de deux manières :

- Raisonnement sensible à des principes de départ. Nous obéissons à des principes généraux, des principes qui précèdent la décision. C’est le champ de la conscience où nous appliquons un principe, quelles que soient les conséquences. Exemple : pour prendre en charge un enfant en rééducation périnéale il faut toujours la présence d’un des deux parents. Autre exemple : nous sommes tenus au secret professionnel.

- Raisonnement sensible aux conséquences de nos actes. Nous rencontrons une situation où le principe général ne s’applique pas, où nous nous interrogeons sur ce que l’acte va produire. Au nom des conséquences, au nom du bien que l’on veut faire, on passe par dessus le principe général. C’est le champ de la conscience où on est sensible aux conséquences, le raisonnement au cas par cas. Exemple : élargissement du secret professionnel à l’équipe soignante dans l’intérêt du patient.

Dans toute l’histoire de la philosophie, les philosophies du bien et les morales du devoir seront constamment en opposition. Dans les philosophies du bien on choisit de faire le bien, le bien concret, d’augmenter le bien-être et de diminuer ce qui est négatif. Dans les morales du devoir on respecte des principes, indépendamment des conséquences, principes généraux, universels, dont la valeur est fondée sur le fait qu’ils sont universels. Nous verrons comment l’éthique participe des deux, comment l’éthique nous aide à arbitrer les différents principes et valeurs. Pour le philosophe cité dans ta question, la morale est du côté du respect des principes universels, principes inconditionnels qui sont au fondement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.

Les Droits de l’Homme, comme l’éthique, ont fondé leur système de valeurs sur le même principe, la dignité humaine. Il y a un intérêt pour l’éthique à s’adosser aux Droits de l’Homme qui ont valeur juridique et constitutionnelle. L’application stricte des règles morales n’est pourtant pas toujours juste : l’égalité n’est pas forcément équitable.

D’autre part dans notre vie professionnelle nous sommes souvent confrontés à des dilemmes moraux où deux principes moraux d’égale valeur peuvent s’affronter. Exemple : principe d’autonomie et principe de bienfaisance, face aux situations de refus de soins. C’est le questionnement éthique qui nous permettra alors d’arbitrer, d’agir dans le respect de la dignité humaine, ces valeurs universelles sont un recours, un outil pour penser des techniques, des comportements de soignant. Le champ du cas particulier, le souci d’ajuster nos pratiques soignantes, nos actes, au cas par cas, pour apporter le plus possible de bien-être et le moins possible d’inconvénients est bien évidemment au cœur de la réflexion éthique. Cependant, d’ajustement en ajustement, nous pouvons aboutir à l’idée que le moindre mal est un bien. Nous pouvons perdre de vue l’intérêt de certains individus au profit de certains autres, ce qui serait profondément injuste.

Prendre en compte la singularité de chacun, avec sa culture, son langage, son histoire personnelle et familiale est éthique : je dois la vérité au malade, mais dans ce cas particulier, comment trouver les ajustements nécessaires, adapter mes explications pour me faire comprendre, proposer des solutions proportionnées. L’éthique ne peut être rangée exclusivement dans cette capacité à trouver les ajustements nécessaires, ni être exclue du champ de la morale comme nous l’avons vu, elle est dans l’impossible synthèse plus que dans un prudent entre-deux. Qu’il s’agisse de choisir entre deux principes moraux, ou entre l’application du principe et de ses conséquences, être éthique c’est accepter et vivre ce conflit du bien à faire et du devoir à accomplir, c’est se poser la question en permanence, à chaque fois, en sachant qu’il n’y aura peut-être pas une seule réponse, en sachant qu’il ne saurait y avoir une réponse une fois pour toutes, c’est enfin accepter de pouvoir se tromper, apprendre aussi de nos erreurs.

La réflexion éthique peut nous aider à résoudre des dilemmes moraux qui se posent à nous dans l’exercice de notre profession : elle nous aide à comprendre les valeurs qui sont en jeu pour mieux arbitrer les priorités. Son objectif n’est pas de standardiser les comportements, mais de permettre à chaque praticien d’exercer pleinement ses responsabilités dans le respect de la personne soignée et dans le respect des valeurs du soin.

MCC :

Ta réponse éclaire un peu ma lanterne quant aux différences entre la morale et l’éthique. Si j’ai bien compris, on peut dire que la morale est attachée à des règles précises de diverses origines : morale religieuse, morale professionnelle tel que le code de la Sant Publique ou morale d’Etat appuyée sur un code civil. En revanche l’éthique ou les éthiques régissent notre propre attitude face à un problème et aux solutions que nous entendons lui apporter. L’attitude éthique n’adhère pas nécessairement à la morale et aux lois qui l’encadre. Eventuellement la morale évolue en fonction de la Société. Un tel qui était répréhensible à un moment donné ( on dit de lui qu’il est de moralité douteuse) peut, à un autre moment ou à un autre lieu être considéré comme innocent. Il n’en va pas de même pour ce qui concerne l’éthique. Les philosophes qu’ils soient anciens ou contemporains parlent d’une ou des éthiques traversant les siècles sans autre forme de procès.

L’objectif de l’éthique n’est pas de standardiser les comportements, dis-tu. Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation exposée ainsi. A mon avis, la standardisation de certains comportements doit permettre l’éclosion ou la facilitation du bain d’éthique qui nous fait défaut. Il faut que les pairs et les observateurs extérieur, puissent juger de la valeur éthique des professionnels. L’éthique, à mon sens, ne doit pas rester enfermée dans le couple Patient Thérapeute. Faute de quoi le thérapeute s’ investit d’un pouvoir exorbitant. Qu’en penses-tu ?

HCH :

Je n’ai sans doute pas été assez claire lors de ma réponse à ta première question pour te convaincre que l’on ne peut pas distinguer la morale et l’éthique schématiquement, ni les opposer. Pour simplifier on pourrait dire que la morale est éthique à 90%. Appliquée de manière trop rigide elle cesse d’être éthique et peut donc être critiquée.

En ce qui concerne no pratiques professionnelles, on peut penser que l’application de valeurs morales à l’exercice de notre profession a peu de chances de nous éloigner beaucoup de l’éthique. L’éthique est dans la façon d’appliquer, d’adapter des règles, des lois, sociales o morales, à chacune de situations singulières auxquelles nous sommes confrontés, dans le plus grand respect de la personne. Comme tu le soulignes, dans toutes les sociétés humaines les hommes se sont donné des règles, des lois, qui sont des conditions pour bien vivre ensemble : chaque état se dote d’un système juridique qui cherche à la fois à définir des conventions admises par tous, et à protéger les individus et la société. De même chaque profession se dote de codes de déontologie pour définir et encadrer l’exercice professionnel.

Comme pour les lois morales, qui peuvent être d’origine religieuse ou pas, les lois civiles sont éthiques lorsqu’elles cherchent à protéger la notion de dignité humaine, la justice, l’équité. Ces lois évoluent et sont le reflet des sociétés qui les produisent. Exemple : lois de bioéthique de 1994 Elles cherchent à définir l’attitude éthique vis à vis du corps humain et de ses éléments, et vis à vis des états limites de la personne humaine, préembryon ou personne en état végétatif chronique. Ces lois sont constamment remaniées et actuellement en discussion au parlement.

Les philosophes se sont intéressés depuis toujours à la morale, mais la morale n’est pas figée à travers le temps, elle évolue en fonction des sociétés : les concepts de personne et d’autonomie, sur lesquelles est fondé l’éthique soignante, n’existaient pas dans l’antiquité. Pour Socrate et Platon, les femmes et les enfants n’étaient pas des personnes et n’avaient pas droit de cité. La pratique de l’infanticide était très répandue, concernait les enfants mal formés , les deuxièmes filles. Les esclaves étaient vendus, achetés, comme une marchandise. L’esclavage était une menace qui pesait sur tous : au cours de leurs voyages, Sénèque et Platon ont été capturés et vendus, rachetés par leurs élèves : le statut des personnes était fluctuant. Le christianisme qui va introduire l’idée de personne, combattre l’esclavage, condamner l’infanticide. Augustin a développé cette notion de personne : être singulier, conscience, volonté, identité singulière, précieuse, incomparable, unique, chacune en elle-même est un absolu.

L’autonomie, valeur centrale de la relation de soins, apparaîtra plus tard, avec Rousseau pour l’autonomie politique, et Kant pour la théorie morale de l’autonomie. L’éthique est née d’une réaction à l’histoire contemporaine : la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 a été écrite en réaction aux atrocités de la seconde guerre mondiale, dans une tentative de protéger les sociétés, l’humanité toute entière : l’objectif pour René Cassin était de « protéger tout l’homme et de protéger les droits de tous les hommes ». Je comprends ton souci de standardisation d’une attitude éthique commune dans l’accueil de nos patients. Mais quelles valeurs morales seraient la norm ? L’autonomie ? Aux Etats-Unis la priorité donnée à l’autodétermination du patient aboutit à une dé-responsabilisation du soignant, devient un prétexte à une relation d’indifférence qui n’est pas morale. S’agit-il de standardiser une qualité, une efficience, une efficacité de prise en charge ? Certains éléments permettant d’esquisser une norme existent déjà, et ne sont peut-être pa assez précis, ou utilisés. Mais les personnes chargées de s’interroger sur les moyens d’obtenir une meilleure éthique de la part des professionnels du soin et des institutions ont davantage opté pour une plus grande responsabilité individuelle. Il semblerait qu’exécuter des ordres, appliquer des règles, pourrait autoriser le praticien à se distancier de la personne qu’il a en face de lui, la regarder comme un cas, une maladie. On a vu, à l’extrême, comment l’application de lois raciales légales a conduit à l’holocauste en fractionnant les responsabilités (cf. Hannah Arendt, « Les origines du totalitarisme »). Etre éthique pour un praticien, c’est assumer pleinement ses responsabilités, c’est choisir d’accorder un peu plus que le nécessaire, si la situation le justifie, c’est être capable de repérer ces situations qui réclament un peu plus, de tact, de temps, d’explications, de précautions.

Nous pourrons au cours de ces entretiens, aborder les différents aspects du questionnement éthique en périnéologie, et montrer ainsi son intérêt pratique.

CHAPITRE II : Ethique et pratique professionnelle

A) La prise en charge :

MCC : J’aimerai que l’on cerne au plus près ce que doit être l’éthique en kinésithérapie et singulièrement en kinésithérapie périnéo-sphinctèrienne. Il faut, à mon avis différentier la morale de l’éthique. La morale est universelle, elle ne peut se fonder ni sur la religion, ni sur la métaphysique. Par morale il faut entendre la théorie des obligations inconditionnelles de l’homme envers l’homme. On doit faire son devoir, un point c’est tout. Les parents ont le devoir de veiller sur les enfants, l’homme ne doit pas mutiler d’autres hommes, on se doit de respecter autrui etc.

Mais toute la vie ne se passe pas à accomplir nos devoirs. Il y a un reste fort important où la vie est ce que nous en faisons. En vue de quoi ? . Le bonheur, la gloire, la recherche de la vérité, pour l’artiste la créativité pour d’autres la gloire ou le pouvoir, autant de façons de donner un sens personnel à la vie ; autant d’éthiques.

Ethiques personnelles, éthiques raisonnables, éthiques professionnelles ou déontologiques. Mais alors qu les devoirs moraux sont inconditionnels les devoirs éthiques liés à la profession sont conditionnels. Pour échapper à ces devoirs éthiques professionnels le médecin, l’avocat ou le kinésithérapeute peut cesser d’être médecin, avocat ou kinésithérapeute. Pour échapper à l’obligation morale il faudrait cesser d’être homme (Marcel CONCHE).

Mais l’éthique est fondée sur le pluralisme, il existe en effet différents arts de vivre. La morale est la même pour tous en revanche le choix de l’éthique de vie nul ne peut, en droit, en décider pour un autre. La difficulté de notre posture professionnelle va résider dans ces contradictions :

1°) Obligation morale incontournable.

2°) respect de l’éthique personnelle du patient

3°) respect du code de déontologie issu de l’éthique professionnelle mais non choisi rappelons que le code de déontologie des kinésithérapeutes n’a pas d’existence officielle.

4°) Ajustement de notre propre éthique personnelle à celle des patients. Ma question sera donc à tiroir et je m’en excuse d’avance. Puis-je dire à la suite de S.KARTSZ dans « Penser l’éthique » que l’éthique est définie ‘’ comme caractérisant un ensemble de valeurs et de postures cïnsidérées comme positives »

Ces valeurs nommées attitude, responsabilité, identité professionnelles contribuent à la légitimation institutionnelle et à la reconnaissance sociale des interventions du kinésithérapeute dans le champ sanitaire et social. La question est en définitive : est-ce que notre conversation sur l’éthique aidera à donner une place sociale à notre profession à la mesure de notre utilité publique ?

Une autre question si tu le permets : Comment agir professionnellement sur une personne qui ne parvient pas à verbaliser un trouble supposé être à l’origine d’un symptôme ?

Autre question : Si comme cité plus haut ( S.KARTSZ ) l’éthique peut se penser comme un ensemble de valeurs et de postures considérées comme positives. Ne peut-on pas faire l’inventaire, sorte de vade mecum des postures positives qui pourraient être ( j ne dis pas imposées) recommandées à nos confrères. ? On dresserait si possible une série de recommandations éthiques sur l’hygiène, la conduite de l’anamnèse, les minimums requis d’actes de mesures etc ? Le patient ne doit pas être autonome ou en tout cas ne doit pas revendiquer une autonomie dans sa relation avec nous. S’il vient se confier à nous, c’est qu’il nous reconnaît un savoir qu’il ne possède pas. Ce qui ne nous confère pas une quelconque supériorité mais simplement, dans le domaine ou le patient est à la recherche d’un appui, nous pouvons le satisfaire ou essayer. Donc, la question de l’autonomie ne se pose pas en ces termes en ce qui concerne l’attitude éthique dans le prise en charge. On peut seulement souhaiter que la relation entre le patient et le thérapeute soit équilibrée. En revanche, nos soins et notre comportement aura pour but d’aider à l’autonomie du patient face aux problèmes pour lesquels il est venu nous voir.

Il me semble que le regard du thérapeute ne doit être ni paternaliste ni neutre pas plus que défensif. L’équilibre doit se faire autour de l’échange. L’un donnant à l’autre son savoir, afin de mériter la confiance dont l’autre fait preuve en venant le consulter. En ce sens le dialogue ne doit pas cesser. Selon moi le dialogue doit être le premier terme de notre éthique de soins en particulier dans la prise en charge. Dans la prise en charge, dans l’accueil et tout au long de notre action c’est le dialogue qui est le fil éthique.

C’est à partir de l’échange verbal que le thérapeute saura s’il est capable de débrouiller le problème du patient et si son éthique personnelle lui permet d’aller ou de ne pas aller dans les chemins parfois tortueux révélés lors du colloque singulier. Il doit veiller à ne pas accepter le soin s’il n’est pas formé ou pas compétent. Nous n’avons pas reçus de formation particulière en psychologie, sexologie, thérapie cognitivo-comportementale et chacun d’entre nous doit refuser d’engager un soin de cette nature s’il n’a pas reçu d’enseignement post-universitaire dans ces matières difficiles.

Le dialogue doit être conduit dans le respect de l’écoute attentive et de la guidance compréhensive en cas de difficultés de verbalisation. Il doit aider à la ‘’ révélation ‘’ du sentiment du patient par rapport à ce que nous pouvons faire pour lui. La confiance ne doit pas aller au-delà de notre compétence et nous devons le dire. Permettre et aider à formuler avec vous quels seront les objectifs à atteindre. Donner également un ordre de grandeur de temps qui serait nécessaire , selon vous, pour obtenir la plus grande partie de ce pourquoi on a pris en charge. La précision des réponses dépend en grande partie de votre aptitude à conduire le dialogue.

On peut considérer que le dialogue peut subir une certaine standardisation ou , si tu préfère, respecter une certaine direction. Le thérapeute peut organiser le dialogue de telle sorte que l’aiguillage se fasse au profit des éléments nécessaires à ses soins et de seulement ceux-là. Pour permettre le traitement de l’information issue du dialogue, le thérapeute doit en tenir un registre, une fiche, un dossier que l’on peut et doit systématiser à des fins immédiates bien sur mais aussi statistiques , épidémiologiques et de transmission aux tiers.

Cette conduite satisfait à la définition que nous donnions dans le préambule. « La morale concerne ce qui est inconditionnel, concerne le devoir de faire. On doit assistance à personne en danger, on doit subvenir aux besoins de nos enfants et de ceux des autres dans le besoin etc. L’éthique concerne ce qui est conditionné au comportement personnel, à la croyance métaphysique, au respect de l’autre et, dans notre cas, à notre but de soins dans des limites d’égalité entre les deux protagonistes ». Voilà ce que je pourrai dire sur l’éthique de la prise en charge dans sa partie verbale.

HCC :

Tes réflexions soulèvent de nombreuses questions. La toute première est celle de l’autonomie, que tu abordes en exposant ta conception du dialogue, sa construction dans la relation thérapeutique.

Je renvoie à la lecture de l’excellent Fondements philosophiques de l’éthique médicale, de Suzanne Rameix aux éditions ellipses, dans lequel j’ai largement puisé pour résumer tant bien que mal les notions philosophiques qui permettent d’éclairer la définition de l’autonomie en France et dans les pays anglo-saxons.

Je suis entièrement d’accord avec toi pour les restrictions que tu poses à l’autonomie du patient. Cette question est d’actualité : la loi du 4 mars 2002 concernant les droits du malade montre la mise en cause du modèle traditionne paternaliste de la médecine. Pourtant, il semblerait que les modèles anglo-saxon et américain ne soit pas applicables en France, et que se dessine une troisième voie, entre le paternalisme d’autrefois et l’autodétermination. La conception actuelle de l’autonomie dans la société française et sa législation fait référence à la tradition philosophique qui a façonné notre culture et notre conscience morale.

Nous avons vu qu’il existe deux positions morales fondamentales : une position qui raisonne à partir des conséquences de nos actes, dite téléologique (de télos, en grec, le but, la finalité), et une position dite déontologique (de déontos, ce qui doit être, par opposition à ontos, ce qui est) où on raisonne à partir d’un principe de départ, quelles qu’en soient les conséquences.

Le raisonnement téléologique se construit dans le but de la réalisation du bien, du bien concret : une action est bonne si elle produit du bien, du bien-être, si elle diminue le mal-être. On établit donc une évaluation, au cas par cas, du bien attendu, du mal évité, et on peut considérer le moindre mal comme un bien, au nom du principe de bienfaisance.

Les conceptions de type téléologique, les philosophies du bien (Aristote, utilitaristes, naturalistes) sont reliées à des hypothèses de type hétéronomiques (de hétéros, en grec, l’autre, l’étranger, et nomos, la loi). On suppose que les lois, les règles, nous viennent de quelque chose qui nous est extérieur. Exemple : la loi de bioéthique de 1994 sur la procréation médicalement assistée.

La législation devait préciser dans quels cas on pouvait proposer une procréation médicalement assistée : une femme veuve pouvait-elle être fécondée par le sperme congelé de son mari décédé ? Pouvait-on inséminer une femme ménopausée ou célibataire ou homosexuelle ? La législation s’est prononcée pour proposer la PMA à des couples, formés d’une femme et d’un homme, vivants, en âge de procréer, mariés ou attestant d’une vie commune depuis deux ans. Le modèle est pris dans la nature.

Le raisonnement est de type hétéronomique à partir de l’idée que la nature a des règles, qui sont bonnes, que la nature nous donne des indications sur ce que nous devons faire. A l’opposé, nous trouvons les morales du devoir, des principes inconditionnels, quelles qu’en soient les conséquences : ce sont les morales déontologiques. La valeur même des principes vient de ce qu’ils sont inconditionnels. C’est la construction dans notre mode de pensée d’un monde tel qu’il devrait être. Exemple : la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. C’est le rejet absolu d’un monde tel qu’il a existé, c’est une très vive critique adressée au politique, une réponse théorique forte face à l’apparition des camps de concentration et l’expérimentation médicale sur l’homme. L’affirmation des valeurs universelles fait référence à une tradition philosophique et politique, celle du siècle des lumières et particulièrement de Rousseau (concept de volonté générale, autonomie citoyenne).

Ces conceptions déontologiques sont reliées explicitement ou implicitement à une conception autonomique de l’homme (de autos, soi-même, et nomos, loi). On suppose que les hommes se donnent à eux-mêmes leurs règles. L’homme est conçu comme autonome, construisant lui-même les lois auxquelles il se plie. L’action morale consiste alors à faire son devoir, en fonction des principes inconditionnels posés par l’homme, dont la valeur repose sur leur rationalité et leur universalité. C’est Kant qui est allé le plus loin dans la construction d’un modèle moral autonomiste. Il est une référence constante de la réflexion éthique contemporaine : il définit l’humanité, la personne, comme une liberté qui s’appuie sur la raison, une liberté rationnelle, qui échappe au déterminisme du monde des choses en se donnant à soi-même sa propre loi, en se soumettant à cette loi, à ce devoir. Cette règle, ce devoir, l’homme le découvre en lui-même, il choisit librement de se soumettre à ce devoir. C’est une loi qui concilie liberté et devoir. Pour Kant avoir le sens du devoir équivaut à être libre, il n’existe pas de liberté sans devoir, sans obligation dictée par une conscience morale. Il définit un idéal, qui aura un rôle d’orientation dans notre conduite.

Pour schématiser, soit l’homme est conçu comme hétéronome, c’est-à-dire recevant d’un autre que de lui-même les règles de son action, de la Nature par exemple, dans un univers finalisé : cette nature est bonne. Soit l’homme est conçu comme autonome, construisant lui-même les lois auxquelles il se plie, dans un univers non finalisé. L’action morale consiste alors à faire son devoir, en fonction de principes inconditionnels posés par l’homme, dont la valeur vient de leur universalité et de leur rationalité.

Ces deux positions coexistent dans notre conscience morale, façonnée par notre culture elle-même imprégnée de cette double tradition philosophique. La conception de l’autonomie dans les philosophies britanniques et nord-américaines diffère de celle rencontrée en France : c’est une conception individualiste de la liberté comme indépendance négociée.

Pour J. S. Mill le droit n’a pas pour fonction de protéger l’individu contre lui-même. La conception du corps de la personne est une conception patrimoniale : le corps appartient à la personne, libre à lui d’en disposer comme il le souhaite. (Act d’Habeas Corpus en 1679). Dans la tradition philosophique britannique, la propriété du corps est considérée comme un droit fondamental (T. Hobbes, J. Locke, contemporains anglais de Rousseau). L’état n’est pas promoteur de valeurs. L’autonomie est comprise comme autodétermination. Ce sont ces notions qui ont inspiré le Rapport Belmont en 1978, le Patient Self Détermination Act en 1991 aux Etats-Unis.

La tradition politique et philosophique française a une double origine :

- Théorie politique : l’Etat français est issu du droit romain et de la laïcisation du catholicisme. Il est fondé sur l’idée d’un pouvoir politique centralisateur et protecteur.

- Théorie philosophique : la conception française de l’autonomie nous vient de Rousseau pour l’autonomie citoyenne sur le plan politique, et de Kant sur le pla moral.

Un être autonome ne peut vouloir rationnellement ce qui n’est pas universalisable : l’autonomie dans notre pays n’est pas l’autodétermination des préférences mais le choix de positions partageables.

En ce qui concerne la relation thérapeutique, respecter l’autonomie de son patient n’induit pas un rapport de symétrie : il ne s’agit pas d’un contrat entre deux personnes, puisque le malade, par sa vulnérabilité de malade, n’est pas à égalité avec le soignant, qui lui dispose du savoir qui lui est conféré. Il ne s’agit donc pas d’un traitement « à la carte » où le patient déciderait par avance de ses soins en fonction de ses préférences.

Cependant cette conception paternaliste et autoritaire (je sais ce qu’il vous faut, faites-moi confiance) n’est plus possible aujourd’hui et c’est tant mieux. L’équilibre est à trouver dans la relation thérapeutique, de double confiance, de double respect, qui est un préalable au consentement : dans cette relation thérapeutique positive, le consentement prend alors toute sa place et toute sa valeur.

Mais qu’est-ce qu’une relation thérapeutique positive ? Quels sont les moyens qui permettent l’instauration de ce respect réciproque ? A suivre.

Ouvrages consultés :

- Marcel Conche : Confession d’un philosophe. Albin Michel. Orientation philosophique. PUF.

- Jean Pierre Changeux : Fondements naturels de l’Ethique. Odile Jacob.

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