Epidémiologie, anthropologie et éducation pour la santé par C. F. Robert, S. Bouvier & A. Rougemont

Paru dans Forum mondial de la Santé Vol. 10 1989

Les auteurs font partie de l’Unité de Santé communautaire et de Médecine tropicale, Institut de Médecine sociale et préventive, Université de Genève, Hôpital cantonal, 1211 Genève 4 (Suisse), que dirige le Professeur André Rougemont. Le Dl Claude François Robert et Mme Sylvie Bouvier travaillent également pour Médecins sans Frontières Suisse, à Genève et à Lagdo (Cameroun).

L’épidémiologie ne donne qu’une image partielle des problèmes de santé. Faute d’une connaissance de la situation économique, sociale et culturelle, l’élaboration de messages incompréhensibles peut aboutir à de véritables absurdités.

En général, la place de la santé dans les projets de développement est difficile à préciser. Dans la plupart des cas, elle reste le parent pauvre de la « révolution des bulldozers » (1). Cela s’explique souvent par une méconnaissance de l’épidémiologie des affections dominantes ainsi que des structures socioculturelles qui, dans les populations concernées, régissent les attitudes face à la santé. Une démarche alliant les deux approches a donc été tentée dans le cadre d’un projet hydro électrique entrepris au Cameroun, en vue de fournir un cadre global à l’action de l’équipe de santé travaillant sur place.

En 1982, un grand barrage a été édifié sur la Bénoué, dans le nord du pays, en créant une retenue 2 d’une superficie totale de plus de 500 km . La mise en eau de ce lac artificiel a inévitablement bouleversé l’écosystème et provoqué une redistribution démographique. Aux déplacements des populations locales, engendrés par la montée des eaux, ont succédé des mouvements migratoires à partir de l’extrême nord camerounais, du Tchad et du Nigéria. Les migrants, attirés par les possibilités de pêche, se sont installés autour du lac dans une région jusque là peu peuplée. L’économie de la zone dépend aujourd’hui presque uniquement de la pêche.

Le système de santé ne permettait plus de répondre aux besoins courants et d’assurer la surveillance des grandes endémies. Face à cette situation, les responsables de la zone ont décidé de réévaluer l’ampleur des problèmes, notamment dans le cas de la schistosomiase dont une recrudescence est traditionnellement associée aux opérations d’aménagement hydraulique.

Les principes de la lutte contre la schistosomiase sont simples, puisqu’ils se fondent sur la connaissance déjà ancienne du cycle parasitaire, qu’il est théoriquement possible d’interrompre de différentes manières, notamment par traitement de masse et élimination de l’hôte intermédiaire ou par assainissement du milieu (2, 3). Dans la réalité, l’application de tels principes pose d’innombrables problèmes et rares sont les programmes de lutte contre la schistosomiase qui se sont montrés capables d’en réduire sérieusement la fréquence et la morbidité.

Une enquête épidémiologique a été menée en 1986. Elle a porté sur un échantillon d’un millier de personnes, choisies aléatoirement dans 15 villages. Les méthodes quantitatives de laboratoire préconisées par l’OMS ont été appliquées (filtration des urines et examen d’une préparation de selles selon Kato).

Parallèlement, une enquête socio anthropologique a été effectuée dans certains villages considérés comme représentatifs de la zone. Elle a consisté à recueillir, à l’occasion d’entretiens avec les villageois, des données générales sur les structures socio culturelles, sur l’idée que les gens se faisaient de la santé et de la maladie, ainsi que sur la compréhension de l’iconographie éducative utilisée.

L’enquête épidémiologique

Des excréteurs d’oeufs de schistosomes, responsables des formes urinaires et intestinales de la maladie, ont été dépistés dans tous les villages constituant l’échantillon. Les taux de prévalence globaux sont de 26% pour la schistosomiase urinaire et de 15% pour la schistosomiase intestinale à S. mansoni, avec des fourchettes de respectivement 7 à 35% et 7 à 29%.

On a constaté que 70% des excréteurs d’oeufs sont âgés de moins de 20 ans. Aucune corrélation n’a été observée entre l’infection et les signes cliniques d’ailleurs peu apparents. L’aménagement récent de la zone peut expliquer la pauvreté actuelle des manifestations cliniques qui pourrait néanmoins devenir beaucoup plus préoccupante à l’avenir.

Sites dangereux et groupes à risque

L’enquête fait apparaître les lieux de forte prévalence ainsi que les collectivités et groupes d’âge les plus sévèrement atteints. On s’est aperçu que les trois villages à forte prévalence (plus de 30% d’excréteurs d’oeufs de S. haematobium) étaient des collectivités de grande taille (comprenant plus de 200 personnes) et polyethniques où l’hygiène du milieu était élémentaire. Ces critères (grande taille, polyethnicité et insalubrité) peuvent donc permettre d’identifier rapidement les villages à risque où le dépistage devrait s’effectuer en priorité. De plus, c’est la population de moins de 20 ans, sans distinction de sexe, qui est le plus touchée et qui devrait pouvoir bénéficier d’un traitement spécifique.

Méthodes de dépistage rapide

La détection de la schistosomiase par des bandelettes réactives à la présence de traces de sang dans les urines, signe hautement évocateur de schistosomiase, a déjà été recommandée à de nombreuses reprises (4).

Une enquête anthropologique s’assignait comme but ultime d’élaborer des messages éducatifs pertinents et des instruments pédagogiques concrets.

L’enquête a permis de fixer les exigences liées à l’emploi de cette méthode simple et rapide compte tenu des caractéristiques de la zone. Sa sensibilité et sa spécificité varient en fonction de la prévalence et de l’intensité de l’infection. Au delà de 30% pour la schistosomiase urinaire, ce dépistage est adéquat et autorise un traitement sans examen parasitologique.

Après avoir repéré des villages à haut risque, le personnel de santé pourra effectuer des dépistages rapides en appliquant cette méthode, ce qui minimisera les difficultés de tous ordres liées à un examen parasitologique dans une zone où les déplacements sont difficiles et se font principalement en bateau.

Un traitement efficace et facile à appliquer

La présence de deux espèces de schistosomes dans un même environnement et, surtout, de proportions parfois élevées d’infections mixtes usqu’à 20%), incitent à traiter les malades au praziquantel, qui est efficace contre S. haematobium et S. mansoni. Son administration à dose unique, sans surveillance médicale particulière, facilite la tâche d’une équipe amenée à prospecter plusieurs villages en peu de temps. L’efficacité de ce médicament a été vérifiée à court terme dans l’un des villages étudiés. Pour l’instant, le seul facteur limitant son emploi reste son prix élevé.

La schistosomiase ne peut être dissociée des autres problèmes de santé d’une collectivité mais une approche orientée essentiellement vers cette affection parasitaire peut favoriser la mise en place de certaines activités d’utilité beaucoup plus générale. C’est ainsi qu’un bon assainissement et un système de surveillance épidémiologique présentent un intérêt pour toutes les activités de lutte contre les maladies transmissibles. De plus, le recueil systématique d’informations peut puissamment motiver les agents de soins de santé primaires car ces informations leur permettent de mesurer les progrès qu’ils réalisent.

L’approche anthropologique

Les données de l’enquête épidémiologique ne fournissent cependant qu’une représentation partielle du problème de la schistosomiase, car il est impossible d’élaborer une stratégie sanitaire dite participative sur la base de données extérieures à la réalité sociale, culturelle et économique. Certains comportements et certaines valeurs sont à prendre en considération afin de concilier les perceptions du groupe concerné et celles, en général épidémiologiques, des experts. Dans cette optique, l’étude du milieu humain permet d’établir le lien indispensable entre la communauté telle qu’elle est et l’image qu’en donne l’épidémiologie (5).

Il s’agissait d’étudier le savoir et les pratiques liés à la santé d’un groupe humain particulier et d’apprécier dans quelle mesure il serait possible d’asseoir un système participatif de surveillance et de prévention de la schistosorniase. Notre enquête s’est donc intéressée aux représentations et aux comportements de la communauté villageoise en matière de santé et de maladie. A cette fin, nous avons cherché à obtenir des renseignements sur le système symbolique de représentations et le système socio économique et culturel.

L’enquête anthropologique s’assignait comme but ultime d’élaborer des messages éducatifs pertinents et des instruments pédagogiques concrets. Elle a donc été complétée par l’analyse d’un modèle de message éducatif de type classique et d’une évaluation de son impact sur la compréhension des villageois.

Un peuplement récent

Les deux caractéristiques principales de la population sont sa polyethnicité, (les groupes ethniques les plus fortement représentés étant les Kotokos, les Moundangs, les Foulbés, les Toupouris et les Djoukouns) et le caractère provisoire de son installation autour du lac. On rencontre des villages composés de trois à sept groupes d’origine différente.

L’aspect transitoire de la situation se manifeste au niveau de l’espace habité : le village n’est pas construit selon un plan concentrique, les groupements familiaux ou lignagiers ne sont pas visiblement délimités. Les habitations sont faites de paille tressée, les maisons en torchis sont d’apparition récente dans les villages situés sur les lieux de passage et de commerce.

La condition de migrant occasionne toute une série de perturbations d’ordre psychologique, social et économique dont l’impact sur la santé peut être considérable. Par exemple, certains des habitants du lac sont dans l’illégalité, souvent pour n’avoir pas payé leurs impôts ou les différentes taxes relatives à la pêche en pirogue à moteur. Les infrastructures d’encadrement sont pratiquement inexistantes puisque les enfants ne sont même pas scolarisés. La pêche est l’unique facteur d’activité, mis à part quelques cultures vivrières. Les relations avec l’extérieur se limitent au strict minimum ; les acheteurs se rendent dans les villages pour chercher le poisson et le revendent sur le marché de gros.

Les représentations liées à la schistosorniase

Lorsqu’on les interroge sur la schistosomiase, les villageois imputent l’infection au fait de boire de l’eau du lac ou à un rapport sexuel. On émet parfois l’idée que, lorsqu’on urine dans le lac, le « microbe » remonte le long du filet d’urine jusque dans l’appareil génital. Les Kotokos associent la « maladie qui fait pisser rouge » à une forte exposition au soleil. Pour d’autres, le symptôme de la schistosomiase est une douleur au bas ventre, une miction douloureuse, très souvent une urine blanche (écoulement urétral) et, parfois, une urine rouge. La possibilité d’une transmission par un vecteur, a fortiori par un mollusque aquatique, n’a jamais été mentionnée. Au sujet d’autres affections, les gens parlent parfois de contagion due à la promiscuité. La macrohématurie n’est pas nécessairement associée à l’idée d’anomalie ; chez la femme, elle peut être imputée à la menstruation.

La schistosomiase n’est donc strictement

associée ni à l’eau, ni à la fonction urinaire. Dans Ia majorité des cas, la symptomatologie des infections urinaires (spécifiques ou non) et de la schistosomiase est désignée dans les mêmes termes. Quant à la schistosomiase intestinale, elle ne semble pas être perçue comme une entité distincte des autres maladies diarrhéiques. De toute évidence, on se trouve dans un système basé sur les signes et les symptômes et non sur une quelconque causalité. En effet, les affections en question provoquent toutes des symptômes génito urinaires.

La condition de migrant occasionne toute une série de perturbations d’ordre psychologique, social et économique dont l’impact sur la santé peut être considérable.

Une logique analogue peut s’appliquer à la prévention ; la seule modalité de transmission hydrique évoquée est la contamination par voie orale, c’est à dire en buvant l’eau du lac. Les habitants parlent souvent de bouillir l’eau, ou de la filtrer, mesures classiques préconisées pïur lutter contre tous les éléments de contamination fécale, concept « agglomérant » la prévention de toute une série d’affections dont la schistosomiase ne fait malheureusement pas partie. Dans ce cas particulier, un message éducatif pertinent devra donc insister en priorité sur la possibilité de contracter l’infection par simple contact avec l’eau des lacs.

Plus généralement, toute action de lutte contre la schistosomiase, pour être efficace aux yeux de la population, devrait comporter des mesures propres à susciter une amélioration dans tout l’éventail des maladies urogénitales et intestinales.

Fonctions naturelles et hygiène du milieu

Les excreta sont associés à l’idée de « saleté », de « puanteur » et de déchets. Il est communément admis qu’uriner ou déféquer près de l’espace réservé à l’alimentation constitue un véritable manquement aux règles de bienséance. Pour les Moundangs, il est également exclu de faire ses besoins dans le lac c’est un précepte ancestral car on boit de l’eau pour se donner des forces et, si elle est souillée par des déjections perçues comme quelque chose de « mauvais », elle ne remplira pas sa fonction bienfaisante. Quant aux Foulbés, ils estiment qu’ils seraient honteux d’être vus ainsi ; c’est pourquoi ils utilisent des latrines construites dans la concession. Loin de chez eux, ils font leurs besoins hors de la vue d’autrui.

Certains groupes adoptent une attitude de pudeur face aux fonctions naturelles. Les autres semblent plus sensibles à la notion d’espace domestique où ont lieu les activités d’alimentation et de préparation des repas. C’est pour une autre raison que, de la même manière, la miction et la défécation ont lieu en dehors des espaces cultivés et habités.

Là encore, le message éducatif gagnera probablement à faire état de telles nuances (endroit caché pour les uns, éloigné des habitations et des champs pour les autres…

Conscience morbide

Dans les conversations, la maladie est en général le plus souvent liée à la douleur. La gravité de la maladie est fonction de l’intensité de la douleur. Celle ci est toujours localisée dans une partie du corps que l’on peut désigner. Ces constatations entrent dans les conceptions de la médecine moderne ; elles sont de l’ordre des maux « physiques ». Il faut bien évidemment avoir à l’esprit la possibilité conjointe d’une conception différente de la maladie, celle ci étant liée à la vision du monde et aux traits culturels particuliers à chaque ethnie. Ainsi, du point de vue des normes de la médecine moderne, la schistosomiase n’apparaît pas comme un péril vital, d’autres maladies à symptômes plus flagrants la précédent donc par ordre d’importance. Celles ci devront donc être jugées plus prioritaires dans un programme de lutte intégré.

Traitement

Deux types de traitement sont possibles dans le cas de la schistosomiase. Le premier, ordinairement utilisé par les Kotokos, est la médecine traditionnelle. Le remède proposé est une macération dont les ingrédients sont connus de tous. Le second consiste à se rendre dans un centre de santé. Bien souvent les deux modalités sont utilisées simultanément, soit pour cumuler les chances de succès, soit pour que l’une et l’autre aient une utilité complémentaire, visant deux aspects du mal ressenti. La médecine traditionnelle et la médecine moderne ne sont pas perçues comme concurrentes.

Le message éducatif

Un message éducatif peut être transmis grâce à des mots, des images ou des démonstrations. On se concentrera ici sur l’analyse d’un seul support, la figure qui représente le cycle parasitaire de la schistosomiase (6). Elle est d’ailleurs caractéristique de beaucoup d’affiches à but éducatif Cette figure nécessite une interprétation à plusieurs niveaux : 1) de la schistosomiase en tant que problème mondial, 2) de l’importance du vecteur, et 3) des moyens d’interrompre le cycle. Cette première démarche est déjà, en elle même, passablement complexe.

Certains points sont de plus à relever du point de vue de l’intelligibilité d’un tel message dans le contexte qui nous occupe. En effet, il faut avoir vu une chose au moins une fois dans sa vie pour pouvoir éventuellement la reconnaître. Ainsi :

- en A, on estime généralement que l’individu est un agriculteur dans son champ tenant dans la main une houe ou un drapeau, étant donné que rares sont les habitants du lac qui ont déjà vu une rizière ;

- en B, l’épandage de molluscicides est quelque chose d’inconnu. Lorsqu’ils ont pu en donner une interprétation, les gens ont dit que les deux personnages étaient en train de puiser de l’eau ;

- en C, le théodolite est très souvent associé à un appareil photographique. Quelques personnes ayant travaillé à la construction d’une route l’ont pourtant reconnu ;

- en D, les latrines sont parfois considérées comme des maisons d’habitation. Mais, la plupart du temps, il n’a été donné aucune interprétation de ce dessin ;

- en F, cette image a très rarement fait l’objet d’une interprétation ;

- en G, les personnes qui ont reconnu le microscope étaient celles qui avaient fréquenté un centre de santé à l’occasion d’analyses.

La notion d’échelle procède d’un système de compréhension parfois difficile à saisir. Un personnage dessiné plus petit que dans la réalité est rapidement identifié par ceux qui ont déjà vu ce type de représentation. En revanche, le dessin du globe terrestre est véritablement incompréhensible. Certaines questions posées au sujet de la figure sont révélatrices d’une profonde mystification. Ainsi :

- en F, lorsqu’ils ont perçu quelque chose de cette image, les habitants ont parlé de boîtes ou encore de « remèdes pour les boeufs » ;

- en A, les cercaires sont associés à des lézards terrestres ou à des crapauds ou encore ne sont simplement pas désignés.

La perspective cavalière classique est un mode de représentation qui, de toute évidence, n’est pas compris de tous. La notion de plans successifs n’existe pas. Un personnage dessiné plus petit qu’un autre est compris comme étant un enfant plutôt qu’un sujet plus éloigné. Ainsi :

- en D, le personnage du premier plan regarde dans le seau qui se trouve à l’arrière plan.

La couleur n’est pas toujours un élément permettant une information supplémentaire. Ainsi :

- en A, B et E, le bleu du tableau original n’est pas lié à la perception de l’eau ;

- en E, il n’est jamais fait allusion à la cou leur rouge de l’urine.

Il apparaît donc difficile d’envisager un message éducatif sur la base de représentations de ce type lorsqu’on s’adresse à une population qui n’est pas habituée à la perception de l’image.

La difficulté de concevoir une séquence imagée tenant exactement compte de tous les risques possibles d’incompréhension signifie que les images doivent être complétées par d’autres moyens (gestes précisément identifiés, démonstrations, etc.). Le souci primordial devra être de véhiculer des messages simples, répondant à des préoccupations réelles. 11 n’est pas certain que la compréhension d’un processus complexe, tel qu’un cycle parasitaire, soit véritablement nécessaire. Il pourrait être plus judicieux d’insister sur les éléments spontanément perçus, ou non encore perçus, mais en rapport avec un problème évoqué. Ainsi, on pourrait expliquer que l’infection peut être contractée non seulement en buvant de l’eau du lac, mais aussi par simple contact avec celle ci. Là encore, on pourrait dire aux villageois que les symptômes urogénitaux qui les préoccupent sont le fait d’une multitude de maladies, et peuvent être contractés de diverses manières : mauvaise hygiène, rapports sexuels, et contact avec l’eau du lac.

Enfin, il faudra tenir le plus grand compte des possibilités concrètes qui s’offrent d’appliquer des préceptes corrects et bien intentionnés, mais souvent livresques : éviter tout contact avec l’eau du lac, alors que celui ci est la seule source d’eau accessible, serait ridicule et de nature à discréditer l’ensemble du message.

Le grand problème de l’éducation pour la santé est son caractère transculturel qui ressort tout particulièrement dans la situation décrite ici. L’élaboration d’un message est une opération qui nécessite non seulement de l’enthousiasme et la volonté de convaincre, mais aussi l’analyse systématique des facteurs épidémiologiques, sociaux et culturels indispensables à en garantir la pertinence.

Le contenu informatif du message sera fonction des connaissances et des compétences de la population. Le vocabulaire devra être celui qui est couramment utilisé par la population locale et le chercheur aura d’ailleurs constitué un lexique. S’il travaille avec un interprète, celui ci traduira phrase par phrase, en exprimant une idée par phrase, voire plusieurs phrases pour une idée mais non l’inverse.

A chaque séance d’éducation pour la santé, on tentera d’obtenir une rétro information aussi large que possible qui permettra de recadrer le message et d’augmenter les chances de participation de la collectivité.

On fera constamment référence au vécu en utilisant des images verbales et en échangeant des points de vue avec le public. De cette manière, le degré d’abstraction sera réduit à la plus simple expression et la compréhension s’en trouvera facilitée.

Mesures à prendre

La grande surface du lac, ses rives très découpées et la relative mobilité de la population n’autorisent pas une lutte antivectorielle par épandage de molluscicides. En outre, une telle entreprise devrait être précédée d’études malacologiques longues et onéreuses. Dans des conditions analogues, on a souvent pu observer une grande variation des taux d’infection d’un endroit à l’autre, situation probablement due à des comportements plus ou moins favorables à la transmission. Celle ci reste cependant inévitable étant donné que le lac est la seule source d’eau possible. Il semble donc raisonnable d’opter pour une approche qui vise à réduire la transmission et à prévenir les complications cliniques de la maladie lorsque celle ci se manifeste.

La population ne considère pas la schistosomiase comme une priorité sanitaire. En revanche, d’autres maladies dont la symptomatologie recouvre partiellement celle de la schistosomiase sont jugées importantes. Il va donc s’agir d’élaborer un message éducatif qui englobe un certain nombre de maladies urogénitales et diarrhéiques, y compris la schistosomiase, dans l’espoir d’atténuer tous les signes et symptômes qui suscitent l’inquiétude de la population. Ainsi, aurait-on plus de chances de voir les gens adhérer à son contenu.

Le message éducatif ferait partie d’une approche globale du problème qui comprendrait des activités sectorielles et intersectorielles telles que le creusement de latrines, l’assainissement des rives par la construction de débarcadères et l’installation d’un réseau d’adduction d’eau.

Une équipe de santé, même intégrée, et faisant appel à tous les éléments de la participation communautaire ne peut espérer avoir une incidence positive sur la santé si elle n’est pas appuyée par des réalisations visant à satisfaire ces besoins vitaux que sont la nourriture, le logement, l’hygiène et la maîtrise de l’eau.

Références

1 – Hunter, J. M. & Scott, D. Man made lakes and man made diseases. Social science and medicine, 16 : 1127 2245 (1982).

2 – Sleigh, A. C. & Mott, K. E. Schistosomiasis. Clinics in tropical medicine and communicable diseases, 1(3) : 643 670 (1986).

3 – Jordan, P. & Webbe, G. Schistosomiasis : epidemiology, treatment and controi. London, Heinemann, 1982.

4 – Robert, C. F., Bouvier, J. & Rougemont, A. Epidemiology of schistosomiasis in the riverine population of Lagdo Lake, Northern Cameroon : mixed infections and ethnic factors. Tropical medicine and parasitology, 40 (suppl.) : 153 158 (1989).

5 – Retel Laurentin, A. Une anthropologie médicale en France. Paris, Centre national de la Recherche scientifique, 1983.

6 – Schistosomiase : Nouveaux objectifs, Santé du Monde, décembre 1984.

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