Nous souhaitons ici démêler quelques uns des rapports pouvant exister entre un concept relevant du sociologique : l’ethnicité et la démarche de l’individu qui va s’y insérer en s’en réclamant. Comment se structure pour un Occitan, un Breton, un Martiniquais, un Noir des USA la dynamique qui préside au choix de l’ensemble des items qui vont constituer l’ethnicité ? Il sera donc nécessaire de cerner le concept d’ethnicité puis ensuite d’établir la relation d’entrée avec le sujet.
Nous définirons l’ethnicité comme un sentiment (vécu ou non) d’appartenance collective en relation avec un passé historique ou mythique et pouvant être projeté dans un devenir commun, possible ou utopique. Ce sentiment d’appartenance, en plus d’une approche diachronique faisant intervenir l’histoire nous a paru pouvoir s’exprimer, d’une façon synchronique à travers des canaux de participation qui peuvent être territoriaux, biogénétiques, linguistiques, économiques, religieux, culturels et politiques. Il nous a paru possible d’établir à l’écoute du discours de l’ethnicité vécue un véritable profil d’appartenance en fonction des indices que nous avons cités. Pour cela il est nécessaire de construire une matrice où Il est possible d’évaluer pour chaque facteur indiqué l’intensité de sa manifestation les deux pôles externes, positifs et négatifs, sont chacun doublement estimés : soit dans l’affirmation reconnue, soit dans la revendication extrême (qui sous entend conflit pour la reconnaissance) ; il en est de même pour la négation par le sujet ou le groupe de tel ou tel trait ou bien de la contestation par le milieu périphérique de traits proposés. L’absence correspond à la non mention pure et simple du trait. L’évaluation peut être faite soit à l’écoute du discours du sujet participant, soit par l’analyse d’écrit (manifeste, discours, etc) collectif du groupe réclamant de telle ou telle ethnicité. Un questionnaire est à l’étude. Il permettra une évaluation plus précise. Un point encore difficile à préciser sera la part objective et subjective de l’évaluation des facteurs : confrontation à la réalité, niais laquelle ?
Pour illustrer la construction de ce profil, choisissons quelques exemples parmi les ethnicités haitienne, martiniquaise, noire des USA, bretonne et israélienne.
Le territoire pour la Martinique sera l’ile, unité géographique idéale. Pour Haïti, il est moins affirmé car il y a déjà partage de l’insularité avec Saint Domingue. Les Bretons doivent avoir recours à une histoire contestée pour retrouver les limites qui ne sont pas franches aujourd’hui. Les Israéliens, pour leurs frontières. mènent des luttes que nous connaissons, chez eux par la vertu d’un passé non fixé, ils ont à convaincre de la réalité de leur ethnicité présente des voisin% sceptiques qui opposent leur propre histoire inscrite au sol. Les Noirs des US A n’ont pas de territoire propre si ce n’est le ghetto, inclus dans les villes blanches. de ce fait pour certaine fraction du pouvoir noir, une revendication existe visant à obtenir l’octroi d’États du Sud pour un regroupement territorial de la « nation noire américaine ».
L’élément biogériétique va par contre être déterminant pour ces derniers. Refusés à cause de leur couleur, ils vont en faire le fondement de leur regroupement : Black is Beautiful. Cette couleur, méprisée par d’autres, valorisée par eux, devient la voie royale de la communication à l’autre. En Haïti et en Martinique, cet élément phénotypique sera un lien puissant, un moyen de reconnaissance surtout lorsqu’il est confronté à d’autres couleurs (blanche ou jaune). Sinon, il se fragmente en une hiérarchie de nuances qui essaient de regrouper autour d’autres critères sociaux divers sujets ressortissant de la même teinte : les Noirs sont les plus pauvres, les plus clairs sont les plus aisés… Chez les Bretons, nous ne trouverons pas de recours à des traits physiques pour se définir en commun, mais plutôt pour se particulariser. Les Israéliens, dont l’endogamie renforce l’appartenance à un stock génétique commun (la reconnaissance de la qualité d’appartenance passe nécessairement par la reconnaissance de la qualité de la mère), rendent la notion plus ambiguë vue l’utilisation faite par le passé de caractères physiques par les persécuteurs pour définir les persécutés. Les caractères biomorphologiques ne sont pas revendiqués et l’expérience quotidienne de ce jeune État montre par l’apport de différentes vagues de migrants la fragilité de ces liens.
La participation aux autres par le canal d’une langue commune est affirmée par utilisation du créole en Haïti et en Martinique. La minorité noire des USA s’essaie à la création d’un slang spécifique, à parler colored ». Israël a fait d’une langue morte une langue vivante ce que les Bretons se forcent de recréer.
Ici, le statut officiel de la langue est à prendre en considération. Si le territoire, le biogénétique ont une existence quasi morphologique, évidente, les autres caractères de l’ethnicité n’ont d’autres statuts que ceux qu’ils peuvent conquérir. C’est ainsi que le créole est contesté en Martinique, le breton refusé en métropole.
Avec « l’économique » se pose le problème de l’ethnicité de classe car il existe aussi une ethnicité de la pauvreté et de l’abondance de l’exploité ou du possédant comme il existe une culture de la pauvreté… Dans le cas des Noirs américains, il y a souvent concordance de la stratification socio économique allant de pair avec celle de la couleur. L’Antillais peut à travers une condition économique post coloniale se définir en commun. L’Israélien et une société économiquement plurale verront cette variable s’atténuer. Le Breton, aura à forger une reconnaissance de 1 ‘économie du sous développement , retrouver un sort commun.
Le « culturel » dépendra des indices que nous extrairons de la « boîte noire des définitions de la culture : structure de parenté, mode d’élevage des enfants, d’échange de femmes, traits culinaires. etc. Le mode subjectif de relation mère sera commun aux Antillais. Il en sera de même d’habitudes, diététiques rituels de reconnaissance. etc. Cet indicateur nécessitera le plus de prudence c ; est certainement le plus impérialiste de tous. Il faut pouvoir trouver des items valables pour tous les exemples retenus et ne Pas valoriser à la demande tel ou tel trait culturel pour en faire le spécifique d’une ethnicité particulière. ce qui serait pure démarche tautologique.
Le « politique » sera l’expression du désir de reconnaissance sociale de L volonté d’appartenance commune, le moyen privilégié de combat. Il sera contesté ou absent, pour la Martinique ou la Bretagne refusé pour les Noirs des USA, atténué ou fragmenté pour les ethnicités reconnues et reconstituées comme Israël et Haïti.
Le religieux pourra à l’extrême être recréé comme l’ont fait le, musulmans noirs qui ont réinterprété l’Islarn pour en faire une religion d’expression de 1 différences. Israël trouve dans cet indice l’expression la plus efficace d permanence, Pour les Églises noires des USA, il existe une recherche (1 singularité, une interprétation atténuée d’un christianisme comme dans le catholicisme breton quis’est progressivement originalisé. Le religieux a souvent été utilisé comme moyen de maintenir « vivantes des collectivités. Haïti. Avec le Vaudou, a retrouver’ une religion singulière, mais nous constaterons là que le jeu des classes en a atténué la signification.
Cette rapide revue des possibilités d’édification de ces profils, d’ethnicité impose une première réflexion. Il semble possible d’établir un profil optimum tous les indicateurs sont reconnus et saturés mais d’autres profils sont possibles, plus chaotiques, où certains indices seront absents ou minimisés. L’ethnicité américaine, sans territoire ni langue, avec des essais. par le biais de la relation la création d’une expression commune par la recherche d’une action poli encore informelle, essaiera d’obtenir une reconnaissance de son existence.
L’indicateur biogénétique sera le seul à être saturé. La cause du rejet devient le moyen de la relation commune. Le profil en dents de scie qui résulte d’ évaluations différentes d’indices va traduire des frustrations d’expression nous serions tentés de mettre en relation avec l’agressivité de la recherche qui est absent ou retrouvé. Le symptôme violence apparait presque toujours ; ces cas. L’exemple irlandais ou palestinien illustre bien cette possibilité. 1 avant sa reconnaissance en 1949, avait aussi par certains de ses groupes extrémistes eu recours à ces actions terroristes.
Dans les recherches précédentes entreprises dans notre Centre. Comparant les collectivités antillaises et haitiennes en France, nous avions été frappés de l’absence d’une tonalité d’agressivité chez ces derniers autant vis à vis du milieu d’accueil que d’autres communautés alors que chez les guadeloupéens ,ou Martiniquais, l’interprétation dans le sens de la persécution est souvent règle qui donne lieu à des réactions d’opposition fréquentes. Dans toute première recherche sur les comportements des sujets d’Afrique noire parcours d’adaptation en France nous avions remarqué que le passage de l’état colonial à l’indépendance, c’est à dire à la reconnaissance d’une identité nationale, correspondant à la saturation des différents indices de l’ethnicité, que nous avons retenus plus haut se traduisait par une baisse des tensions intra et inter groupes et une évacuation de l’agressivité habituelle dans la Français.
C’est à cause de ces quelques indices que nous avons été tentés dans une perspective largement freudienne de faire rentrer la dynamique des choix d’ethnicité dans la notion de mécanisme de défense. Ce n’est que complément d’information et actualisation d’un ensemble de processus bien perçus par Anna Fri
Il va s’agir en somme, par la genèse de l’ethnicité, d’un ensemble d’opérations qui viseront à réduire toutes les modifications capables de mettre en l’intégrité d’un sujet. Le moi sera l’instance qui incarne cette constance. région de la personnalité qui veut être protégée de toute désorganisation pou par exemple résulter d’un affect déplaisant produit par des affrontement représentations contradictoires (déplaisir de la couleur différente comparée l’autre versus rassurance issue de la similitude).
Les mécanismes de défense vont oeuvrer dans ce sens protecteur et opérer de façon le plus souvent compulsive. Le choix des moyens va répondre besoins de cette stratégie dont une partie seulement sera consciente. Ce set reconnaissance de l’arsenal des traits culturels proposée par l’histoire du rnoment (pour une constitution de l’ethnicité synchronique). La partie consciente évidemment la recherche de satisfactions compulsives. Le terme de défense donc à comprendre d’abord dans un sens de prise de défense d’un objet 1 ensuite d’une défense de soi. Cette dualité existe entre « prendre la défense de « se défendre de… ». Elle sera encore plus précisément saisie si nous cernons mieux les catégories du champ clos de l’affrontement. L’enjeu sera le ‘ menacé, le stimulus sera la pulsion provenant de l’intériorisation de la menace déplaisir qui vient annoncer la frustration et déclencher le processus défensif dont l’agent qui est le support de l’action peut alors prendre les aspects de la conquête d’indicateurs de l’ethnicité. Cette dernière, une fois acquise, sera finalité puis liquidant les perturbations. Enfin, pour être complet, à ce tableau stratégique faut aussi rappeler que la relation complémentaire de la défense est l’interdit.
Ce qui nous renvoie à l’OEdipe, à la structure du désir et aux fantasmes plus fondamentaux engendrés par les conflits avec le coercitif collectif (oppression du milieu dominant, refus de l’expression du fantasme projet dans le rejet d des traits constituant la globalité ethnicite).
Résumons dans un schéma ce scénario simplifié qui permet d’articuler dynamique de mise en place des éléments d’homéostasie de défense du Moi, l’appel à l’ethnicité.
(1) Déplaisir (engendré par conflits avec milieu coercitif)
(2) Moi (menacé) (3) Processus défensif –
(4) support = ethnicité
(5) Liquiidation des perturbations
Ainsi, l’ethnicité devient, parmi d’autres, mécanisme de défense. Des histoires de cas de sujets appartenant à des minorités à la recherche d’une identité combat que ce soit parmi les Antillais ou les Noirs américains nous a permis de constater une espèce de hiérarchisation des processus de défense D’abord, le refoulement hors de la conscience de l’événement causai traumatique (conduites de discrimination variées provenant du Blanc ou du dominant) , aboutir à des minimisations des affects menaçants provenant de la société coercitive. Ensuite le recours à l’évaluation rétroactive, mécanisme banal par lequel le sujet s’efforce de faire en sorte que les paroles ou les actes pouvant avec un contexte ou une signification menaçante ne soient pas advenus. Pour ce faire. v aura création de comportements, qui, par exemple, auront une signification opposée (déférence accrue devant une agresion manifeste).
Nous retrouvons là une voie d’entrée dans les multiples éléments d’identification à l’agresseur. Ce comportement relèvera de l’anti ethnicité et pourra produire ce que Fanon a par dérision nommé le nègre-blanc. Ce sera lorsque ses modes de défense se révéleront inopérants – et le contexte spécial joue ici avec l’Histoire un rôle important – que le recours à il’etnicité défense deviendra nécessaire.
L’écart existant aujourd’hui dans la prise de conscience de la diffeérenceentre la jeune génération d’Antillais et la vieille illustre assez bien cet aspect (le,, -e mode de défense. Alors que les « vieux – pratiquent la compréhension et l’analyse qui minimise, en les rationalisant. les phénomènes de coercition sociale de la France, les jeunes – rejettent et remplacent,
Le passage délicat dans cette dynamique demeure néanmoins celui du fantasme à l’ethnicité et nous ne délimitons pas bien encore les frontières séparant le scénario imaginaire qu’est le fantasme. de l’ethnicité vécue participant à un choix de mode d’expression dans le milieu ambiant. Pour illustrer cet aspect, examinons la relation au passé qui est partie importante de la justification de l’ethnicité.
Il existe souvent un recours au héros civilisateur, à l’ancêtre partagé par les descendants, bref à l’Histoire justifiante. Cette filiation commune se retrouve aussi bien dans le concept de négritude qui unit les Antillais dans une origine commune que dans la postérité d’Abraham pour Israël qui trouve là un lien puissant à travers la diaspora. Cela peut être mis en parallèle avec le roman familial de Freud qui désigne ainsi des fantasmes par lequel un sujet modifie imaginairement ses liens avec ses parents afin d’en tirer des bénéfices qui l’aideront à résoudre la situation oedipienne.
Le caractère opératoire du fantasme sera le seul critère reconnu : l’histoire ainsi présentée par ceux qui la manipulent en fonction des besoins précis rejoint les mythes de l’origine collective.
Remarquons encore que les caractères de stabilité, d’efficacité. d’organisation poussée de la vie fantasmatique du sujet ont aussi induit Freud à supposer l’existence de fantasmes originaires qui auraient une fonction d’organisation de la vie fantasmatique, quelles que soient les expériences personnelles du sujet. Ce patrimoine, transmis philo-génétiquement. ne pourrait-il pas être. en langage plus contemporain, un programme génétique précoce de socialisation autorisant à puiser dans le pool des divers paramètres sociologiques offert, par le milieu ?
La permanence notée dans la recherche et les choix de canaux de participation que nous avons reconnue comme constituant la structure de l’ethnicité se trouveraient ainsi justifiés.