Ce numéro débute par le témoignage d’un psychologue (E. Cehic), auteur d’un programme de soutien aux réfugiés de Bosnie-Herzégovine. L’article rend compte de l’importance du travail de lien à organiser dans ces situations, en particulier avec les réfugiés. Les poèmes cités, écrits par des enfants suivis, témoignent de leur extraordinaire effort de mise- en- représentation. Les données d’une enquête rapportée par un groupe de chercheurs de l’université de Sarajevo (R. Dapic et al.) montrent des souffrances et les perturbations psychiques qu’ont connues les enfants. Cette recherche montre que ceux les plus atteints sont ceux qui ont eu peur de mourir de faim ou de froid et qui ont perdu des membres de leur famille.
Malgré le caractère particulièrement brutal des événements vécus et des souffrances liées aux mauvaises conditions de vie à Dobrinja, les enfants de cette ville sont apparus moins déprimés que ceux de Sarajevo pourtant moins exposés à des situations traumatiques. La raison en fut probablement qu’à Dobrinja les liens communautaires étaient forts. S’en sortir, malgré la déportation subie au moment de la petite enfance, est le sujet abordé par D. Cupa à travers le témoignage de Jean, recueilli au cours d’un entretien, pour une part, retranscrit. En référence aux travaux de Winnicott sur l’espace transitionnel, l’auteur montre l’importance des supports symboliques dont un enfant déporté a pu bénéficier grâce à l’envoi par son père de dessins lui permettant, par moments, de jouer et à la présentation chaque jour de la photographie du père par la mère.
Par contraste, Christine Anzieu-Premmereur relate la détresse d’enfants de New York dont les parents sont désorientés, incapables de parler des disparus et souvent dans le déni. Elle montre que la rencontre entre l’événement collectif et l’effondrement dans l’histoire personnelle est d’autant plus pathogène que l’immaturité de la psyché de l’enfant le rend plus vulnérable et que le traumatisme actuel réactive les faillites précoces de l’environnement qui prennent alors une valeur traumatique.
En historienne de la psychologie, Clara Lecadet montre, à partir de l’analyse des émissions radiophoniques assurées par Winnicott pendant la Seconde Guerre mondiale, comment il a pu participer au plan gouvernemental d’évacuation des enfants, tout en se souciant d’en limiter les répercussions psychiques sur eux-mêmes et leurs parents. Max Kohn nous livre des interprétations du vide de pensée autour de la bombe d’Hiroshima. Il décrit l’engourdissement psychique et la fermeture psychique des victimes leur interdisant toute élaboration symbolique. C’est qu’en effet, « l’idolâtrie de la technologie est à son comble à Hiroshima (…) une totale indifférence aux corps vivants et parlants ».
Michèle Bertrand propose une approche comparative des écrits de Janet, Freud et Ferenczi sur le traumatisme après agression. Son analyse suit trois axes classiques : l’aspect psychique du traumatisme, la conscience des éléments traumatiques, l’étiologie sexuelle ou non des névroses traumatiques.
La question du deuil des disparus fait l’objet de la contribution de Laurie Laufer. A partir de l’analyse de ce qui s’est passé après la Seconde Guerre mondiale (recherche frénétique des restes des disparus, érection de monuments aux morts…), elle révèle la valeur représentationnelle de l’acte de sépulture : inscription, mais aussi « désignation d’un lieu d’absence », il permet aux proches de pouvoir « fabriquer la chair du souvenir ». Les monuments portent les traces des représentations de la guerre et ils témoignent ainsi de l’évolution des mentalités. La lecture que propose Daniel Rabreau de l’Arc de triomphe de l’Etoile indique les évolutions des représentations de la guerre ; comment la vocation triomphale de l’arc de l’Etoile s’est transformée en autel sacrificiel où gît le soldat inconnu.
Ce volume se clôture par un article au titre provocateur : « Figures de guerre à l’école ». André Sirota propose une analyse des ressorts de la violence à l’école et rapporte une expérience d’accompagnement de groupes de parole impliquant des professeurs pour y faire face. L’assimilation à des combattants glorifiés peut conduire certains enfants a régler leurs différends sur un mode agressif et guerrier.