Hamida Namane : Essai de Psychologie Anthropologique Interculturelle. Psychogenèse des processus d’acculturations en situation d’immigration : préservations, synthèses et appropriations culturelles. Le cas des femmes originaires du Maghreb.

Thèse de Hamida Namane

Directeur de thèse : Mme Geneviève Vermès

Université Paris 8, novembre 2002

L’objet de cette recherche porte sur les processus d’acculturation qui touchent des femmes, d’origine maghrébine, résidant en France et suivant des cours de français dans un centre social. Ces femmes présentent comme particularité de manifester dans leur quotidien des actes naissants d’individualisation et d’autonomisation singulières qui ne sont pas sans effet sur le fonctionnement de la dynamique familiale. Elles font circuler des représentations, des valeurs et des pratiques de deux univers, souvent opposés dans le langage courant : la société d’origine dite traditionnelle et la société d’accueil dite moderne.

Le premier chapitre présente la méthodologie adoptée pour réaliser l’enquête de terrain, développée à partir de la spécificité du terrain, elle a tenu compte du particularisme de l’objet de recherche, celui de femmes analphabètes ne maîtrisant que peu la langue française et résidant dans une cité « ghetto » où le contrôle communautaire est une donnée omniprésente. La reconstitution de leurs vies quotidiennes a donc porté sur leurs façons de vivre et de penser à partir des récits de leurs parcours de vie, relevés d’une part par des observations de terrain sur la longue durée et d’autre par des entretiens de face à face. L’observation anthropologique, de ces femmes originaires de villes et villages Maghreb, a été donc simultanément directe par l’observation de leurs conduites et indirecte par la reconstitution de leur vécu familial.

Dans le deuxième chapitre, l’accent est mis l’analyse des contextes passés et présents, propres à la modernité coloniale et urbaine et à celle d’une intégration conjointe à leur installation en France. Ces acculturations successives et cumulatives déterminent en grande partie leurs positionnements actuels en tant que femmes, épouses et mères. Dans la plupart des cas, la mise en relation des valeurs modernistes au sens large du terme avec les valeurs traditionnelles patriarcales a généré des conduites d’identification à des valeurs occidentales et des conduites défensives centrées essentiellement sur des préservations considérées comme sžres qui ont un impact conséquent dans modes de vie. Ce cadre théorique s’est s’appuyé essentiellement sur des connaissances d’anthropologie historique et de sociologie compréhensive pour expliciter cette diversité de modes de vie.

Le troisième chapitre, objet central de notre recherche, décrit de manière anthropologique, l’adaptation des femmes dans leur quotidien en France. Bien établies dans le réseau communautaire migrant, dans des places d’épouse et de mère, ces femmes dégagent progressivement une individualité naissante générée simultanément à la référence active à leur culture d’origine et à celle de la société moderne. Leurs déplacements dans l’espace public, leurs assiduités aux cours d’alphabétisation, leurs activités professionnelles (quand elle ont cours) la structuration de réseaux féminins ethniques, les rapports qu’elles entretiennent avec leurs familles traduisent les multiples bricolages qu’elles élaborent pour se reconstruire un nouveau vécu personnel et familial. Ces reconstructions se font sur des nouveaux modes de socialisations dans un double mouvement d’autonomisation et d’ethnicisation, qui constitue, selon nous, un appel à la reconnaissance de soi en tant qu’individu par soi même et par les autres mais sans engager pour autant des ruptures avec leur famille ou la société d’origine. La femme, dans son unité, présente, dans cette recherche, une identité particulière, unique et irréductible aux autres dans ces processus d’acculturation dynamique où les procès d’interculturalité restent le fondement de toute formation interindividuelle.

Le quatrième chapitre analyse la dynamique relationnelle de ces femmes, dans leurs vies de couple et avec les membres de leurs familles. C’est au sein de la cellule familiale que s’élabore une nouvelle culture synthétisée à partir du potentiel culturel « ramené » de la société d’origine et celui qu’elles s’approprient dans la société d’accueil. Les femmes intègrent progressivement certaines valeurs de la société d’accueil sans pour cela dénier, souvent en leur redonnant du sens, les valeurs constitutives de leurs sociétés d’origine. Pour appréhender ce qu’elles produisent comme nouvelles ressources, nous avons effectué, une monographie de leurs modes de vie familiaux, de leurs pratiques culturelles en train de se faire qui circulent entre la culture de laquelle elles sont issues et celle qu’elles rencontrent en France par bribes par le biais de leurs enfants ou par les brefs contacts (ou ce qu’elles imaginent) avec la société française. Les projets relatifs au retour au pays d’origine, l’installation définitive en France, les pratiques matrimoniales, leur conception de l’honneur familial, constituent autant d’indicateurs pour apprécier les acculturations opérées.

Le cinquième chapitre donne à voir comment des objets culturels (coutumes, rites, traditions) propres aux cultures d’origine sont, éventuellement, réinterprétés dans la vie quotidienne en France. Ces processus donnent à voir la dynamique que les femmes et leurs familles entreprennent pour préserver, réinterpréter, s’approprier ou bricoler des valeurs, des modes de vie ou des pensées propres aux deux sociétés, celle d’origine et celle de la société d’installation. Les femmes se dessaisissent ainsi de certaines pratiques et valeurs, s’inventent de nouvelles pour que les liens avec leur passé ne soient pas interrompus et intègrent en les réinterprétant des pratiques propres à la société d’installation. La circulation de ces objets met en avant leurs agirs dans un quotidien qui fait référence à un Avant, un Maintenant et un Futur, fabriquant une culture qui n’est plus celle de Là-bas et qui n’est pas celle d’Ici. Ce chapitre revisite la sociabilité dans la vie privée et publique, au pays d’origine et en France, la vie culturelle (rites funéraires, pratique des soins traditionnels), les pratiques religieuses, en fait tout un quotidien élaboré à partir de significations puisées dans des univers culturellement différents et apparemment antinomiques (traditionnel et moderne).

Notre conclusion propose un essai de réflexion de psychologie anthropologique, sur la dialectique des liens existants entre les psychismes et les cultures et plus spécifiquement l’articulation entre individu famille et société. Notre approche s’inscrit dans une vision temporelle et spatiale, interdisciplinaire et systémique associant l’anthropologie culturelle, l’histoire de l’immigration, une sociologie compréhensive et une psychologie interculturelle. Une modélisation de l’acculturation comme processus dynamique est proposé avec une réflexion sur les notions de réinterprétation, de synthèse, d’identification, de contre identification, de préservation, de coupure, autant de mécanismes psychologiques qui sous tendent les changements de représentations, de valeurs et de conduites psychologiques.

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