Immigration, colonisation et racisme : pour une histoire liée. Par Claude Liauzu

Claude Liauzu, université Paris-VII Denis-Diderot

Si l’histoire de l’immigration en France, malgré des insuffisances, a globalement pris son envol, l’étude des migrations africaines et nord panafricaines en particulier est un domaine encore quasi en friche, longtemps, négligé de part et d’autre de la Méditerranée.

Cela est bien sûr une conséquence de la gestion coloniale française et de la vision racisante qui lui est liée : les rapports avec ceux qui furent des “colonisés”, particulièrement avec les musulmans, en ont été durablement marqués.

C’est aussi dû à des contentieux historiques mal gérés des deux côtés.

Enfin, l’image du“travailleur immigré postcolonial” n’a pas trouvé sa place au sein de la culture ouvrière, du fait de la crise économique des années soixante-dix.

Apparue tardivement – à partir des années 1980 – dans le concert des sciences sociales, l’histoire étudiant l’immigration y fait entendre une voix relativement faible. Ce sont surtout la démographie – de tradition -, la sociologie, depuis les années 1960, et plus récemment la science politique qui ont fourni, outre la majorité des spécialistes, les experts du pouvoir ou ceux des mouvements de solidarité avec les immigrés, ainsi que les figures de proue des combats d’idées. Signe de l’importance de ces problèmes, les “grands intellectuels”, ou ceux qui aspirent à se positionner ainsi, sont abondamment intervenus.

Pourtant, les recherches historiques ne sont pas négligeables. Les travaux universitaires s’accumulent, le XIXe siècle et la première moitié du XXe étant désormais bien connus, et les monographies régionales se multiplient, de même que les études des principales communautés. Ce sont des historiens qui ont été à l’origine d’un projet de musée malheureusement enfoui, ainsi que d’initiatives éducatives et d’expositions qui sont des réussites. Dans les collèges et les lycées, ils ont participé à des expériences pédagogiques novatrices. Il faut cependant reconnaître que jusqu’ici, l’enseignement est resté très en retrait. Les programmes scolaires et les concours de recrutement des professeurs d’histoire- géographie continuent à ignorer que la société française contemporaine est une société d’immigration, l’une des plus importantes du monde. Il faut aussi souligner certaines insuffisances des recherches historiques sur l’immigration, auxquelles il manque un pôle organisateur – une revue, un laboratoire du CNRS, ou un diplôme de 3ecycle. Les divers domaines dont elles relèvent sont séparés par les compartimentages institutionnels. Elles se sont d’abord inscrites dans l’histoire des relations internationales et, surtout, dans l’histoire sociale du travail et du mouvement ouvrier, ou ont emprunté leurs préoccupations – le racisme, l’opinion publique – aux autres sciences sociales(1). C’est en particulier grâce au Creuset français de Gérard Noiriel(2) que le nœud de la question, à savoir la nation, a été placé au centre d’une problématique spécifiquement historique dans les années quatre-vingt.

Mais jusqu’ici, ces études ont délaissé les dernières grandes immigrations nord-africaines et africaines. Il suffit de se reporter à la Bibliographie annuelle de l’histoire de France(3) ou aux sommaires des principales revues historiques pour le constater. Il y a plusieurs causes à cela. En raison de la conception classique du métier, qui demeure dominante dans nos universités, un sujet de thèse exige l’utilisation d’archives. Or, la législation rend quasi inaccessible la documentation postérieure à la Seconde Guerre mondiale. Il faut ajouter aussi que ni les histoires nationales du Maghreb et de l’Afrique, ni celle de la colonisation n’ont suscité une dynamique dans ce domaine.

LES RECHERCHES SUR L’IMMIGRATION S’AUTONOMISENT

Dans les années 1970-1980, les conditions n’étaient pas réunies pour lier ces éléments dispersés et ouvrir des pistes nouvelles. Par un souci bien compréhensible de rattraper le retard accumulé, l’histoire anticolonialiste s’est focalisée sur la découverte de nationalités longtemps “assoupies ou inaperçues”, pour reprendre les termes du spécialiste du monde islamique Jacques Berque, et, dans sa variante politique la plus engagée, sur les rapports entre communisme et nationalisme. Bref, là-bas comme ici, l’ombre portée de la nation a caché la réalité des migrations, qui n’ont pas eu de place cohérente dans les discours des nouveaux États. Ainsi, l’Algérie n’y a vu qu’un éloignement temporaire de la patrie, imposé par le colonialisme et ses séquelles, et la Charte d’Alger a promis en toutes lettres le retour à ses enfants dispersés. Dans cette logique, les premières études des colonisés en France ont été dues à l’intérêt que représentaient les mouvements nationalistes noirs, maghrébins et asiatiques, et la création de l’Étoile nord-africaine, ses relations avec le PC et les tensions entre messalistes et Front de libération nationale (FLN)(4). Ce n’est que progressivement et tout récemment qu’un processus d’autonomisation des recherches s’est esquissé, auquel participent activement de jeunes chercheurs issus de l’immigration(5). Mais ces éléments commencent seulement à être intégrés dans l’histoire de l’immigration vue du côté français(6), non sans souffrir de la tendance au morcellement des études par communautés.

Pourtant, tous les grands sujets de controverse récents – affaires répétitives des foulards, dont la première date d’octobre 1989, variations autour du code de la nationalité et du modèle républicain ou, au contraire, de la pluralité, discriminations, racisme à la française, sans-papiers, enracinement de l’islam, polémiques sur l’importance des origines ethniques – sont des problèmes éminemment historiques. On voudrait le montrer ici, en soulignant que les études comparées entre phases et types de migrations, ainsi que la prise en charge du passé colonial et de ses mémoires sont indispensables pour cerner ces réalités, trop souvent saisies dans l’immédiateté. Une telle démarche permet de dégager trois caractères spécifiques majeurs de l’immigration d’outre-mer, algérienne en particulier, qui rendent compte des difficultés actuelles de ce que l’on appelle “l’intégration”, et des tensions interethniques.

LE POIDS DE LA GESTION COLONIALE

Le premier de ces caractères, ce serait une lapalissade de le rappeler si la chose n’était par trop négligée, est dû à la colonisation, qui a posé la population dominée non seulement comme une nationalité différente, mais comme une race différente. Si la Constitution de 1946, reprise par celle de 1958, a éprouvé le besoin d’affirmer l’égalité de tous les citoyens quelle que soit leur race, c’est que l’évidence ne s’imposait pas. En effet, l’État de droit n’est pas un article d’exportation dans l’Empire. C’est un arbitraire colonial qui a présidé à la circulation des hommes. Celle-ci était soumise à la volonté de la seule métropole, et plus précisément de l’administration, car la réglementation était assurée par des arrêtés et des décrets, non par des textes de loi, ce qui court-circuitait le contrôle parlementaire. C’est le pouvoir colonial qui a imposé le recrutement de centaines de milliers d’hommes, travailleurs et soldats, entre 1914 et 1918, puis renvoyé manu militari ceux qui, après la victoire, étaient devenus indésirables. Il a puisé et refoulé les travailleurs en fonction de la conjoncture économique. La libre circulation entre l’Algérie et la France n’a été établie qu’en 1946, au moment où l’édifice craquait. C’est une gestion coloniale des hommes qui a transposé en France même les méthodes de l’administration indigène, avec la création d’organismes ad hoc depuis les années vingt. Encartée, fichée, surveillée par des services spécialisés, cette population est soumise à une surveillance étroite, beaucoup plus serrée et toute-puissante que celle des étrangers provenant d’Europe dans la même période.

Avec la transposition de la guerre d’Algérie sur le sol métropolitain, la communauté algérienne voit l’étau se resserrer encore. La préfecture de Police de Paris, qui a établi la liste de centaines de milliers d’immigrés pendant cette période, a pu arrêter et parquer une dizaine de milliers d’entre eux aux portes de la capitale, à Vincennes, pour briser la manifestation du 17 octobre 1961 ! Il n’y a aucun équivalent, dans notre histoire, de ce massacre de dizaines de manifestants désarmés au cœur de la Ville lumière, qui serait inconcevable, en effet, contre des Français ou des immigrés d’origine européenne (voir chronique Médias p. 125-133).

Tout aussi colonial est le parcage des “harkis”, longtemps après 1962, dans des camps éloignés des villes, et leur soumission à une autorité héritée des anciens rouages. Il en est résulté cette fabrication, sans précédent non plus, d’une sorte d’ethnie enfermée dans son origine et reproduite jusqu’à la troisième génération, voire, si l’on n’y met pas fin, à la quatrième ! C’est aussi une politique de ségrégation qui a inspiré la création de la Sonacotra – destinée à l’origine à loger les Algériens -, avec un encadrement souvent issu de sous- officiers d’outre-mer. De nature coloniale aussi est ce tabou pesant sur les “mariages mixtes”, que le Front national et Bruno Mégret cherchent à revivifier dans la douce France de l’an 2000. Leur discours, en cette matière comme en bien d’autres, apparaît comme un prolongement de celui que tenait l’administration française, dans les années 1914-1918, contre les unions entre “indigènes” (sic) et métropolitaines. Il ne s’agit certes pas d’assimiler Jules Ferry et Le Pen, mais de rappeler la réalité d’une composante raciale dans notre culture(7). Il est aussi nécessaire de prendre la mesure de ses effets, car elle déborde largement les cercles de l’extrême droite, ce qui explique la banalité du racisme ordinaire, révélé par l’importance des appels du “numéro vert” mis en place par le gouvernement pour lutter contre les discriminations. Ces effets n’ont pas épargné la recherche académique.

L’ISLAM COUPABLE DE RÉSISTANCE

Quand le docteur Gessain, futur directeur du musée de l’Homme, met en garde, dans son travail pour la fondation Carrel sous Vichy, contre certaines immigrations, il vise d’abord les juifs et les colonisés : “Qu’il y ait eu, dans la noblesse du Languedoc, un Sarrasin ou un juif, cela n’a pas d’importance… mais il n’est pas sans importance que, dans la France démographiquement anémiée du XXe siècle, plusieurs centaines de milliers d’immigrants racialement inassimilables, je veux dire, par exemple, d’éléments raciaux mongolisés ou négrétisés ou judaïsés, viennent modifier profondément le patrimoine héréditaire de la patrie.”(8) Quand, à la Libération, Alfred Sauvy et Robert Debré s’attachent à trouver des Français pour la France, la frontière des indésirables qu’ils tracent écarte les Levantins mâtinés d’Orient et, a fortiori, les musulmans du sud de la Méditerranée.

En 1947, Louis Chevalier, issu lui aussi de la Fondation Carrel, fournit pour l’Ined, à la demande de Sauvy, qui préface le volume, une argumentation scientifique serrée, la première de cette ampleur, sur La question démographique nord-africaine. Il y met en garde contre le risque d’une immigration massive, contre les difficultés de l’assimilation et les risques de tensions ethniques : “Au point de vue physique, il s’agit de savoir si cette immigration risque de bouleverser les composantes physiques constatées en France et exprimées par une certaine répartition de caractères aussi évidents que la stature, la pigmentation, l’indice céphalique. Au point de vue ethnique, il s’agit de savoir si l’ethnie nord-africaine affirmée par une certaine civilisation, c’est-à-dire une langue, des mœurs, une religion, un comportement général et jusqu’à une mentalité, oppose un refus absolu, un antagonisme total à ce que l’on peut considérer comme l’ethnie française… On risque de constituer en France, dans les années qui viennent, une minorité dangereuse et totalement inassimilable parce que volontairement inassimilée, et comparable en tous points aux minorités ethniques et raciales, celles-là, que l’on peut observer dans d’autres contrées du monde…”(9)

Bien sûr, on ne peut réduire tous les problèmes posés par l’immigration à un héritage colonial, mais cet héritage a une place importante dans les représentations négatives d’une religion qui est apparue comme une force de résistance à la conquête et à l’assimilation, la plus grande force sans doute, et comme un mythe mobilisateur utilisé par les nationalismes.

LE CONTENTIEUX IDENTITAIRE

Car la deuxième spécificité importante de l’immigration coloniale est la question nationale, le contentieux avec la France qui en est résulté. Si, pour une partie des Italiens, des républicains espagnols, des juifs exilés d’Allemagne ou d’Europe orientale, la République a pu apparaître comme une terre d’accueil, voire comme une nouvelle patrie, en raison de sa tradition universaliste, cela n’a pas joué de la même manière pour les colonisés. Pour comprendre pourquoi l’émigration a été longtemps perçue négativement dans la culture algérienne, comme le chemin du mal on ne peut ignorer qu’elle ne se fait pas vers une terre d’islam, vers le dar al islam où tout musulman est chez lui, mais vers le pays colonisateur. Certes, celui-ci a été assez libéral pour offrir plus de facilités aux nationalistes que le système colonial en Algérie, ce qui explique l’avance politique de l’émigration, mais il n’a attiré vers la citoyenneté française qu’une minorité très restreinte. Pour être plus précis, la religion musulmane, aussi bien du côté français que du côté algérien, a longtemps paru incompatible avec la citoyenneté. C’est l’argument qui a été avancé par les colonialistes pour refuser l’attribution de la nationalité française jusqu’en 1945, et imposer aux candidats de répudier expressément leur statut personnel lié à l’islam. C’est le même argument religieux qui a été opposé par les nationalistes à ceux qui étaient tentés par la naturalisation, présentée comme une apostasie.

La violence de la guerre a endurci ces oppositions. Pour les immigrés et leurs enfants, tuer le père – choisir de devenir français -, c’était mépriser le sacrifice et les souffrances des sept. ans de guerre, trahir donc.

Sans doute le mythe du retour est-il prégnant dans toutes les émigrations, mais il l’a été particulièrement pour l’émigration algérienne, au point d’obérer la prise de conscience du caractère définitif du départ et de la nécessité d’une intégration. Cette page n’est tournée que très lentement et dans le malaise, faute d’un travail de deuil des protagonistes des deux camps et de leurs héritiers.

DIFFICULTÉS DE MÉMOIRE

Les conflits de mémoire font que la guerre d’Algérie n’est pas encore achevée. Octobre 1961 en fournit un raccourci saisissant. Jusqu’au procès perdu par Maurice Papon contre Jean-Luc Einaudi en mars 1999, c’est le mensonge ou le silence qui ont dominé du côté de l’État. En reconnaissant la réalité d’un massacre, et en promettant l’ouverture des archives, le Premier ministre a mis fin à un déni de vérité et ouvert la possibilité d’une véritable recherche historique. Pourtant, Octobre 1961 n’est toujours pas entré dans le domaine d’une telle recherche, qui seule pourrait contribuer à un consensus, à une fin d guerre. En dépit, ou à cause de l’importance de l’enjeu, de fortes oppositions demeurent du côté de la préfecture de Police de Paris, qui, dépositaire de “ses” archives, prétend conserver un pouvoir discrétionnaire sur elles, et en réserve l’utilisation aux seuls historiens qui ont son agrément(11). Une initiative du gouvernement mettant fin à de telles pratiques est indispensable.

Cependant, aujourd’hui, c’est peut-être du côté algérien que les difficultés de mémoire demeurent les plus aiguës. Si le FLN, puis l’État algérien ont inclus de la “Révolution”, il n’ont pas levé pour autant quantité d’hypothèques pesant sur la conduite de la guerre dans l’immigration : la lutte impitoyable contre le Mouvement national algérien (MNA), les actions terroristes faisant problème sur les plans éthique et politique, l’utilisation des manifestants au service de la Realpolitik d’un appareil soucieux avant tout d’imposer son pouvoir, la suppression par Alger de la Fédération de France du FLN dès l’été 1962, en raison des aspirations démocratiques qu’elle portait, tout cela a créé des zones d’ombre.

On peut y voir certaines origines du mal de mémoire des immigrés et de leurs enfants. Cette mémoire, qui n’a trouvé sa place ni dans celle de l’État français, ni dans celle de l’État algérien, n’a guère élaboré jusqu’ici d’expression publique. Pour ce que l’on en sait, car il manque une enquête approfondie, la transmission des parents aux enfants a été peu et mal faite. Ce qui domine dans les générations postérieures à la guerre, c’est une situation d’amnésie, c’est l’image dévalorisée du père, chair à canon ou à usine. Le risque est que cette guerre inachevée se répète, à la manière d’une parodie dérisoire et négative, dans les affrontements entre policiers et “jeunes des banlieues”, dans ces émeutes urbaines qui constituent une originalité française à l’échelle européenne. L’espace de l’intégration – et des tensions à travers lesquelles elle se joue – n’est plus d’abord l’entreprise, comme hier, mais la ville et sa périphérie.

FAIBLE TRANSMISSION D’UNE CULTURE OUVRIÈRE

Troisième différence notable entre immigrés européens et immigrés d’origine coloniale, ces derniers ne sont pas parvenus à obtenir un véritable statut de travailleur dans l’opinion française. “Travail arabe” : les évaluations de la main-d’œuvre par le patronat et l’en-cadrement placent régulièrement au dernier rang les Algériens quant à la compétence, l’assiduité et la discipline(12). Dans Chère Algérie, titre qui joue sur les mots et sous-entend que le capitalisme français souhaitait se débarrasser du fardeau algérien qui entravait sa modernisation, Daniel Lefeuvre considère en particulier que l’im-migration a été facilitée après 1945 pour des raisons plus politiques qu’économiques. Il s’agissait moins de rechercher une main-d’œuvre peu appréciée par les entreprises que de pallier un chômage qui menaçait l’ordre public. Cette thèse prête à discussion, et des documents prouvant le besoin de puiser dans les réserves de force de travail au Maghreb, ainsi que l’importance de la demande des entreprises pourraient être opposés à Daniel Lefeuvre. Mais son argumentation prouve la prédominance de représentations négatives qu’on ne retrouve pas dans les autres immigrations(13). fierté que représentait le fait d’être devenu “un Renault”, un O.S de l’usine de Flins. Cette conquête s’est effectuée lentement. Les premiers signes en ont été analysés par Andrée Michel dans sa thèse pionnière, Les travailleurs algériens en France, en 1957(14). La thèse elle-même, par son existence, exprime ce changement. Les “Nord- Africains” deviennent objet de sociologie et non plus seulement de thèses de médecine pour leurs “tares”, ou de psychologie pour leurs “problèmes d’adaptation”, comme cela avait été le cas jusque-là. Ils sont étudiés par des universitaires et non plus seulement par des praticiens, des travailleurs sociaux ou des experts. Bien sûr, cette constatation n’est en rien une adhésion à la cuistrerie académique et à sa hiérarchie des valeurs.

Tardive, cette conquête a également été fragile : le contentieux entre nationalisme colonial et syndicalisme français, qu’on ne peut que signaler ici, a joué aussi. On n’a guère d’équivalent, dans l’immigration algérienne, de la culture qui s’est formée dans les métiers du fer, chez les mineurs de charbon et dans le Sud- Est de la France, ou de cette réappropriation du folklore régional par les Polonais du Nord – d’une “invention de la tradition”, pour citer l’historien Eric J. Hobsbawm – que de nombreuses recherches ont analysées.

Enfin et surtout, il n’y a pas eu transmission de génération en génération des éléments de cette culture ouvrière. La brutalité de la crise de la société industrielle dans les années soixante-dix a multiplié les déserts économiques et supprimé les secteurs qui accueillaient en masse O.S et manœuvres. Quant à l’intégration par l’école, si elle n’est pas niable, elle n’a pas eu la même portée que chez les enfants d’Italiens ou d’Espagnols.

Dans une France de l’an 2000 où la reprise et la “nouvelle économie” semblent contribuer de manière limitée à la réduction de la fracture sociale, on conçoit que l’opinion soit tentée de traiter tous les problèmes en termes ethniques, de les imputer à une population particulière. Il n’est pas difficile non plus de comprendre que la ségrégation et la stigmatisation suscitent des conduites d’exclusion et de révolte de la part de ceux qui en sont victimes. Les solutions passent par une prise de conscience, par une éducation de la société française. C’est dire à quel point le passé colonial, qui a tant de mal à passer, doit enfin être assumé par cette société et par ses diverses composantes. Les historiens ont leur mot à dire pour finir la guerre d’Algérie.

Notes :

1)- Marie-Claude Blanc-Chaléard, dans l’éditorial du Mouvement social, juillet-septembre 1999, présente un tableau précis de la recherche historique.

2)- Gérard Noiriel, Le creuset français : histoire de l’immigration, XIXe-XXe siècle, Seuil, 1988 (rééd. 1992).

3)- Éditions du CNRS. Illustration signée Chagny, imprimerie agricole et commerciale, Alger, non datée. © Achac.

4)- Philippe Dewitte sur Les mouvements nègres en France, L’Harmattan, 1985. Benjamin Stora, entre autres : Messali Hadj, Le Sycomore, 1982, Ils venaient d’Algérie, Fayard, 1990.

5)- Il faut citer, entre autres, les initiatives de l’association Génériques (voir la chronique “Livres”, p. 155-157).

6)- Cf. les études de Nicolas Bancel et Pascal Blanchard. Ce numéro de H&M témoigne des renouvellements en cours.

7)- Cf. Pierre-André Taguieff, “Universalisme et racisme évolutionniste : le dilemme républicain”, in H&M, dossier “Imaginaire colonial, figures de l’immigré” n° 1207, mai-juin 1997, et la réponse de Claude Liauzu, “À propos de dilemme républicain”, dans la même revue, n° 1218, mars-avril 1999.

8)- Sur ce courant xénophobe de la recherche, cf. Claude Liauzu, “L’obsession des origines : démographie et histoire des migrations” in Mots, septembre 1999.

9)- Louis Chevalier, “Le problème démographique nord-africain”, Cahiers de l’Ined, 1947, p. 184 et 213.

10)- Abdelmalek Sayad

11)- Cf. la contribution du séminaire “Racisme antiracisme” de l’université de Paris-VII dans le n° 1219 (mai-juin 1999) de H&M. Signalons que le musée de la préfecture de Police, qui contient une galerie des portraits des préfets successifs, n’a pas modifié sa présentation depuis la condamnation de Maurice Papon pour complicité de crimes contre l’humanité.

12)- Patrick Weil, La France et ses étrangers, Calmann-Lévy, 1991 ; voir aussi Claude Liauzu, Aux origines des tiersmondismes. Colonisés et anticolonialistes en France entre les deux guerres, L’Harmattan, Paris, 1982.

13)- Daniel Lefeuvre, Chère Algérie, Société française d’histoire d’outre-mer, Paris, 1996.

14)- Thèse publiée en 1957 dans la collection “Travaux du Centre d’études sociologiques” du CNRS.

Bibliographie

Claude Liauzu, “Voyage à travers la mémoire et l’amnésie : le 17 octobre 1961”

Camille Marchaut, “Cela me fait mal au cœur qu’on oublie ça”

Catherine Benayoun, “Photopsie d’un massacre” Hors-dossier, n° 1219, mai-juin 1999

Claude Liauzu, “À propos de dilemme républicain” Point de vue, n° 218, mars-avril 1999

Françoise Lorcerie, “La catégorisation sociale de l’immigration est-elle coloniale ?” Dossier Imaginaire colonial, figures de l’immigré, n° 1207, mai-juin 1997

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