Impact de la violence sur la santé mentale des femmes latino-américaines à Montréal, 1997-1998. (Rapport de synthèse). Par : Célia ROJAS-VIGER, Gilles BIBEAU et Duncan PEDERSEN

Par : Célia ROJAS-VIGER, Département d’anthropologie, Université de Montréal Gilles BIBEAU, Département d’anthropologie, Université de Montréal et Duncan PEDERSEN, Hôpital Douglas

Projet financé par le Centre d’excellence pour la santé des femmes – Consortium Université de Montréal (CESAF), 1999.

La mission du Centre d’excellence pour la santé des femmes – Consortium Université de Montréal (CESAF) est de contribuer à l’amélioration de la santé des femmes immigrantes, des femmes autochtones, et des femmes aidantes. Le CESAF relève les principaux problèmes qui nécessitent des recherches et interventions, en réalisant des études innovatrices auprès ce des trois populations-cibles et en fournissant analyses, conseils et information aux gouvernements, aux organismes de la santé et au grand public. Le CESAF facilite également les échanges et la collaboration entre différents partenaires provenant du milieu de la recherche, du réseau de la santé et des services sociaux, et des groupes de femmes.

Les travaux du CESAF visent les objectifs suivants : l’étude des déterminants psychologiques, sociaux, culturels et environnementaux liés à la santé des femmes immigrantes et autochtones, de même que des femmes reconnues comme aidantes naturelles ; la description et l’exploration des multiples facettes des expériences de santé de ces femmes ; l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation d’interventions, dans une perspective d’empowerment ; l’influence auprès des décideurs, dispensateurs de services et chercheurs dans le domaine de la santé des femmes, relativement aux connaissances issues des recherches et activités du Centre.

SOMMAIRE :

La violence est toujours présente dans le monde contemporain en dépit de la raison moderne qui devait l’annihiler. Elle guette les sociétés soit à travers les injustices provoquées par le libéralisme économique qui accentue l’écart entre les riches et les pauvres, soit à travers la primauté de certaines valeurs culturelles liées à la productivité, à la compétition et à l’excellence. Elle favorise l’ethnocentrisme sur les droits des groupes. Cette violence planétaire, dont le mécanisme de reproduction est mal connu, a un impact sur la vie de tous les jours, avec des manifestations spécifiques selon les sociétés. Elle s’infiltre, en effet, dans la sphère publique (dictature, conflits armés) comme dans la sphère privée (violence familiale, violence conjugale). Cette violence structurelle a des conséquences sur la vie et la santé des femmes qui sont soumises à la torture, au viol, à des grossesses non-désirées, à la violence conjugale, à l’abandon par le partenaire, à la monoparentalité ou encore à la discrimination systématique à tous les niveaux du social. En tant que facteurs fragilisants, de telles situations agissent quotidiennement sur la structure psychique de l’individu, sur la confiance dans la communication inter-personnelle, sur la vie et la santé des personnes et sur la dynamique familiale et communautaire comme sur la stabilité démocratique de la société elle-même. Pour la femme qui est soumise à la violence conjugale, les conséquences peuvent être graves : psychiques (anxiété, dépression, dsyfonctionnement sexuel) et physiques (maladies transmises sexuellement, grossesses non désirées, avortement) ; ou même fatales (homicides, suicide).

À son tour, ce contexte socio-culturel complexe a favorisé l’augmentation de la migration interne et externe dans l’espoir de retrouver un environnement de paix en vue d’améliorer leurs propres conditions de vie, celles de leurs enfants et de leur famille. Il n’existe que très peu d’études systématiques sur la violence pré-migratoire et son impact sur la période post-migratoire chez les femmes latino-américaines habitant à Montréal, et sur la prévalence des comportements violents envers ces femmes dans la sphère du privé. Compte tenu des nouveaux environnements socio-culturels dans les pays d’accueil, on aurait pu s’attendre à ce que les comportements violents s’estompent. Paradoxalement, plusieurs femmes continuent à endurer la violence pré-migratoire dans l’ambiance privée, tandis que pour certaines femmes, c’est dans la terre d’accueil que la violence apparaît. Enfin, d’autres réussissent à se sortir de ces relations et à prendre en charge leur propre destin. L’étude que l’équipe de chercheur(e)s a entreprise s’impose donc pour mieux comprendre cette problématique complexe.

L’équipe a cherché, en premier lieu, à saisir le concept de violence et à l’opérationaliser, en créant des instruments de mesure susceptibles de les aider à reconnaître son impact au niveau de la santé de la personne, de la communauté et de la société. La conceptualisation de la violence et l’étude de son impact ont servi à l’adaptation et à la production d’instruments culturellement appropriés capables de rendre compte d’une partie d’un phénomène aussi complexe.

BUT :

développer de l’information, des connaissances et des explications à propos de l’impact de la violence pré-migratoire et des événements fragilisants de la période post-migratoire sur la santé mentale des femmes latino-américaines qui habitent à Montréal.

OBJECTIFS SECONDAIRES :

Adapter et / ou développer, tester et valider trois types d’instruments :

1. Des instruments clinico-épidémiologiques permettant de mesurer les niveaux de bien-être psychologique, mental et social des femmes en situation de post-migration en prenant en considération l’impact différentiel du trauma pré-migratoire ;

2. Des instruments ethnographiques permettant de décrire et d’expliquer l’organisation de la structure de la famille latino-américaine, en rapport avec la structure socio-culturelle des pays d’origine et l’impact de la migration ;

3. Des instruments sociographiques permettant d’appréhender les différentes composantes du concept d’environnement socio-culturel qui pourrait être repris dans l’élaboration d’un Programme de promotion de la santé pour faciliter le processus d’adaptation culturelle dans la société d’accueil des femmes latino-américaines à Montréal.

MÉTHODOLOGIE :

La recherche a utilisé une approche ethnographique et clinico-épidémiologique. La procédure méthodologique s’est réalisée en deux grands moments. Premièrement, un travail de terrain de sept semaines a été fait pour reconnaître le contexte pré-migratoire des personnes provenant de deux pays, le Pérou et le Chili. L’équipe de recherche a eu recours à la méthode d’observation participative, de conversations informelles et d’entrevues semi-dirigées. Cela a permis de décrire les contextes socio-économiques et politico-culturels de ces pays et de prendre le poul de la perception des personnes relativement aux événements reliés à la dictature, à la guerre interne, aux problèmes de la pauvreté et à la migration interne et internationale. Le deuxième moment a été réalisé à Montréal. Sa finalité était double :

a) adapter et reproduire des instruments de mesure capables de répondre à l’objectif de la recherche ;

b) pré-tester ces documents auprès des femmes immigrantes latino-américaines habitant à Montréal.

La réalisation de l’adaptation et de la production de ces instruments a impliqué un travail de revue de la littérature, de consultation auprès des responsables des organismes communautaires, de traduction et retraduction, à la suite de quoi ils ont été pré-testés.

Le pré-test des instruments produits a signifié la validation du questionnaire et des trois instruments de mesure à partir des données recueillies par entrevues face à face auprès des quatre femmes latino-américaines qui répondaient aux critères suivants : être une femme ; être âgée de 18 ans ou plus ; avoir migré avec des enfants ; venir d’un pays de l’Amérique latine hispanophone ; être arrivée au Canada-Québec après 1980 et habiter à Montréal. Ces femmes provenaient de pays différents : Pérou, Colombie, Nicaragua et Mexique.

Le questionnaire contient soixante-huit (68) questions, ouvertes et fermées, et est accompagné de trois échelles : l’une pour mesurer les relations à l’intérieur de la famille, une autre qui révise l’impact d’un événement traumatique et enfin une troisième correspondant à l’échelle de Hopkins qui mesure l’impact du trauma sur la santé.

RÉSULTATS :

Les résultats obtenus dans le travail ethnographique, au Pérou, au Chili et à Montréal, indiquent que la violence sociétale est présente et qu’elle agit directement et indirectement sur les personnes. Paradoxalement, certaines femmes réussissent à échapper aux contextes de violence, alors que pour d’autres, la situation se perpétue. La production d’instruments pour connaître les facteurs fragilisants ou les facteurs protecteurs est donc importante.

RÉSULTATS ATTENDUS :

– Obtenir des données sur la violence politique post-dictature et conflits armés (Chili, Pérou) et sa répercussion sur la santé mentale ;

- Identifier les méthodes de recherche et les modes d’intervention que les différent(e)s professionnel(le)s ont choisis pour les résoudre.

- Connaître l’impact de la violence sur la vie quotidienne des citoyen(ne)s, sur leur santé et sur leur décision de migrer.

RÉSULTATS OBTENUS :

L’équipe de recherche a fait un travail ethnographique au Pérou et au Chili. Les chercheur(e)s ont constaté l’existence d’un lourd fardeau économico-politique et socio-culturel laissé par les dictatures militaires et les conflits armés dans ces pays, et qui perdure encore dans la transition démocratique. Penser qu’il existe une équation simple entre pays en conflit et production de trauma chez l’individu est erroné puisqu’il existe des facteurs protecteurs qui peuvent permettre le renforcement psychique de l’être.

Adapter et / ou développer, tester et valider trois types d’instruments :

• clinico-épidémiologique pour mesurer les niveaux du bien-être ;

• ethnographique pour décrire et expliquer l’organisation de la structure de la famille latino-américaine ;

• sociographique pour appréhender les différents concepts de l’environnement socio-culturel.

L’équipe de recherche a produit, pré-testé et validé un questionnaire et trois échelles pour mesurer l’impact du trauma prémigratoire et / ou postmigratoire. Ces instruments sont prêts à être appliqués sur un échantillon plus large de femmes latino-américaines. L’équipe a développé des guides pour l’élaboration d’instruments destinés à un public multiculturel et qui pourraient être utlisés dans des études semblables.

CONCLUSION :

La migration provoquée par des contextes de violence, comme des conflits armés, peut soumettre les personnes dans le pays d’accueil soit à un climat de paix, soit à la perpétuation d’actes de violence sociétale (discrimination, racisme), soit à diverses formes de violence familiale et conjugale. Cela confirme l’intérêt de l’étude pour continuer à chercher des facteurs de protection et de fragilisation.

Sur le plan méthodologique, la démarche des chercheur(e)s montre que l’adaptation des instruments originaux de mesure psychosociale, tenant compte du contexte culturel de la population-cible, est un long processus qui se déroule selon des étapes précises et qui va au-delà de la simple traduction linguistique d’un instrument existant puisque celui-ci ne répond pas nécessairement à la culture et aux besoins de la population-cible. De fait, les mots et les expressions peuvent facilement avoir un sens différent dans une autre culture, et même les images peuvent prêter à équivoque. En conséquence, les personnes venues d’ailleurs ne comprennent pas toujours le sens des questions demandées et peuvent en faire une mauvaise interprétation.

Concrètement, l’adaptation des instruments de mesure doit compter avec la participation directe des personnes concernées par la population, surtout si elles appartiennent à une autre culture (au sens large, c’est à dire classe sociale, groupe sous-culturel, groupe immigrant). De plus, si les résultats obtenus par ces instruments sont satisfaisants, le développement d’un Programme de promotion de la santé pour créer des mesures préventives pourrait être envisagé, comme l’a mentionné une des femmes ayant participé au pré-test :  » Si j’avais eu l’information de comment le fait d’émigrer fragilise la personne, et où aller pour demander de l’aide beaucoup des problèmes que j’ai connus et la souffrance que je vis encore m’auraient été épargnés « .

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