Impact des différences culturelles sur l’organisation et le management par Franck Gauthey et Indréi Ratiu

La mondialisation des échanges économiques est désormais une réalité quotidienne. Comme le rappelle l’économiste Lionel Stoléru : « Aujourd’hui, l’international commande et le national suit (1) ». Les entreprises sont confrontées dans leur propre territoire à une concurrence très vive. Il s’agit de s’adapter à des marchés mondiaux, parfois globaux, parfois spécifiques, qui changent parfois très rapidement. Toutes les entreprises nationales ne bénéficient pas des mêmes contraintes, ni des mêmes performances : pourtant les enjeux en termes d’influence relative, de création de richesses et d’emplois sont présents. L’ère coloniale terminée, les périodes glorieuses de forte croissance économique révolues, la concurrence des nouvelles puissances économiques ont peu à peu remis en question la position dominante de nombreuses multinationales. Dans le même temps la confrontation aux modèles japonais, allemand, montrait que, contrairement aux croyances des années soixante, il n’existe pas de principes universels en matière d’organisation des entreprises. Le management américain, pourtant si prestigieux dans les « business schools » américaines, ne produisait qu’aberrations ailleurs, et ne parvenait pas à enrayer cette économie japonaise de plus en plus omniprésente.

C’est dans ce contexte que, peu à peu, théoriciens et praticiens ont réalisé que les malentendus culturels nationaux coûtent à l’entreprise. Récemment les contribuables français ont payé, en 1987, 700 millions de francs pour un contrat mal traduit entre une filiale des PTT et son homologue du Koweit. La puissante multinationale américaine Général Motors n’a pu diffuser son nouveau modèle « NOVA » en Amérique latine malgré une importante campagne publicitaire. Les responsables marketing avaient oublié qu’en espagnol « no va » signifie « qui ne marche pas » : alors pourquoi acheter un tel engin ?

A l’intérieur de l’entreprise, les différences culturelles se sont avérées être des enjeux en termes de cohésion interne. Le haut responsable d’une multinationale française a raconté son embarras lorsqu’un brillant collègue singapourien a démissionné parce qu’on lui avait sèchement répondu « non » à un télex pour une action dans laquelle il s’était profondément impliqué personnellement. Sans doute, l’interlocuteur au siège français n’avait tout simplement pas, conscience de l’agression qu’il commettait envers son collègue étranger. Ce Singapourien n’était il pas employé dans une entreprise française ? Ce dernier incident soulève la question de la transcendance de la culture de l’entreprise sur la culture nationale. Un thème qui soulève de nos jours des débats importants entre les chercheurs en organisation, les directions générales, les ethnologues. Sans vouloir prétendre répondre à cette question, cet article permettra d’appréhender la portée du problème.

Dans le cadre de notre projet « Leaders sans frontières » (2), réalisé avec l’ESSEC et un cabinet de conseils en management, nous avons conduit une étude qualitative auprès de directions générales d’une cinquantaine d’entreprises multinationales européennes sur le thème des différences culturelles nationales. Les quatre citations qui vont suivre révèlent le partage des opinions quant à l’importance relative donnée aux différences nationales dans les entreprises en 1986 :

« Nous souhaitons incorporer et intégrer une plus grande diversité de styles de management et d’organisation sans perdre complètement l’identité internationale du groupe et ses valeurs. » Pat Rawlins, Commercial Union Assurances

« Rien ne peut se comparer d’un pays à l’autre. » Robert Leroy, Groupe Maison Familiale

« On peut considérer le « HP way » comme une culture d’entreprise qui se substitue à toutes les autres dans la société. » Gilles Bastien, Hewlet Packard, France

« Pour survivre en milieu international, il faut créer une culture d’entreprise. Les mêmes principes de base, les mêmes méthodes de travail, les mêmes objectifs. Tout ceci crée un terrain d’entente qui rassemble, qui fédère. Une de nos règles de réunion chez 1BM, par exemple, était de ne parler que travail. » I Jacques Maisonrouge, ancien président IBM Europe

L’embarras des dirigeants devant les différences culturelles nationales apparaît clairement, tout autant que l’absence de consensus quant aux solutions à appliquer.

Les chercheurs en organisation se sont naturellement intéressés à cette question. André Laurent, professeur à INSEAD, a démontré que les différences de valeurs liées aux cultures nationales sont plus marquées chez les employés d’une entreprise multinationale que chez les employés d’une même entreprise nationale (3). La thèse explicatrice avancée par Laurent est que la pression pour créer une culture d’entreprise transcendante peut provoquer chez de nombreux individus plus de reconnaissance de sa spécificité culturelle. Résumant cette problématique, le chercheur britannique John Child a conclu que, s’il y a actuellement convergence dans nos entreprises multinationales en termes de structure, technologie, les divergences en termes de valeurs et de comportements des employés de ces mêmes entreprises se maintiennent (4).

« Les Américains sont très ouverts en affaires, ils ont une approche directe, ils vous appellent par votre prénom… cela ne veut pas dire qu’ils vont signer » : le directeur général de cette société exportatrice de matériel ferroviaire tire ainsi la leçon de sa longue pratique des États Unis (5). Les Anglo Saxons font la différence entre la relation et le « job ». Il est rare, dans les affaires, qu’ils acceptent d’ignorer cette frontière, beaucoup moins nette en pays latins. Ce qui relève du job n’implique pas de sentiments particuliers :

« Si les Américains nous semblent hyper efficaces, poursuit ce directeur général, c’est qu’ils ne font pas, comme nous, intervenir le passionnel. »

Autre comportement à décoder : un sens très différent de la hiérarchie et des convenances.

« En France, nous dit le Pi)G d’une entreprise fabricant du matériel médical, selon que vous êtes reçu par le président ou par un collaborateur, l’attitude des interlocuteurs sera très différente. Pas outre Atlantique. Pour les Américains, le pouvoir n’est pas une raison de se distancer de l’homme ordinaire et le statut d’un cadre supérieur ne l’empêche pas de traiter d’égal à égal avec un subordonné. Ni de porter lui même sa valise à l’hôtel, parfois à la grande honte de son hôte latin (6). »

L’origine sociale compte peu lorsqu’il s’agit de choisir un collaborateur au pays des « self made men » : un Américain préfère être jugé d’après le poids de son carnet de rendez vous que de celui de son carnet d’adresses ! Dans une société latine, statut, pouvoir, (ce que l’on est, d’où l’on vient … ) ont tendance à avoir la même importance que les réalisations concrètes.

Ces exemples de différences, constatées chez les dirigeants d’entreprises, interrogent sur les symboles, les comportements qui marquent le statut et le pouvoir à travers les cultures. C’est ainsi que des malentendus peuvent naitre. Un cadre américain et français qui se rencontrent pour la première fois n’y échapperont pas.

« Bonjour Monsieur Smith, vous… » et « Hello, Henri, tu… » : deux formules d’introduction qui révèlent les fréquents contrastes entre Anglo Saxons et Latins au niveau de la communication. Les deux différents niveaux de formalisme ont matière à frustrer le Français par cet excès de familiarité de l’Américain : « Il ne me respecte pas, il manque de sérieux », ou de l’induire en erreur : « Il est vraiment sympathique. » L’Américain sera lui même frustré de par la distance que prend son homologue, frustré aussi par la déconsidération qui lui sera portée s’il n’affiche pas un même statut. Ainsi les Français apparaîtront « froids et prétentieux » aux yeux de l’Américain. Ces malentendus liés aux différences entre conditionnements culturels peuvent influencer ou renforcer les stéréotypes, ou des perceptions mutuelles négatives : à savoir la vision « d’arrogance » qui est généralement attribuée aux Français par les Américains, et réciproquement la perception de « superficiel » (7) attribuée aux Américains. « Les Allemands sont travailleurs et disciplinés » : ces images véhiculées de l’Allemand vu par les Français ont inéluctablement une influence sur le cours des négociations franco allemandes. Ainsi le label « produit français » en Allemagne engendre une certaine méfiance au niveau de sa qualité et fiabilité de la part des consommateurs allemands, s’il s’agit de biens manufacturés. Le directeur d’un organisme de formation expliquait la difficulté qu’il avait pour ne pas penser à de vieilles réactions issues de la dernière guerre lorsqu’il rencontrait des problèmes avec ses interlocuteurs allemands.

Différences de conditionnements culturels, conflits de valeurs, influence des stéréotypes : les sources de malentendus liés aux cultures nationales sont considérables dans les situations du commerce et du management.

Les définitions concernant le management sont nombreuses. Le mot « management » est un terme anglo saxon doté d’une racine latine dont le sens original est littéralement « se débrouiller avec les mains ». L’essence même de ce concept provient de l’approche empirique anglo saxonne. La définition actuelle donnée par le Larousse est : « La science de la technique de direction et de gestion des entreprises ». Cette étiquette scientifique du management a longtemps amené à penser que les méthodes étaient universelles, car reposant sur des principes scientifiques. Au delà de ces définitions, les fonctions du management au sein d’une organisation recouvrent la communication (interne et externe), la formulation de stratégie, planification, direction, formation, création, production, prise de décision, organisation, évaluation. Toutes ces variables qui composent ainsi le management sont affectées par les présupposés liés au conditionnement des cultures nationales. Dans les exemples précédents nous avons relevé les problématiques en ce qui concerne la communication. Dans les pays où le fatalisme est fortement ancré, la planification s’avère difficile à élaborer, comme l’illustre le proverbe saoudien : « Celui qui essaye de prévoir le futur est fou ou irréligieux ».

Ce que nous proposons dans cet article, c’est de cerner des outils comparatifs qui permettent d’évaluer ces différences en insistant sur le cadre professionnel. Nous nous proposons de relater ici les travaux de nombreux chercheurs internationaux, et dans un premier temps celui du chercheur hollandais Geert Hofstede (8). Cette étude psychosociologique, fruit d’un’ projet de recherche de douze ans, a été effectuée à partir de 116 000 questionnaires comportant 150 questions portant sur les valeurs. Ceux ci furent remplis par des ressortissants d’une cinquantaine de nationalités employés dans la même célèbre multinationale américaine, caractérisée par une forte culture d’entreprise qui peut parfois biaiser les résultats.

INDIVIDUALISME, COLLECTIVISME : DEUX NOTIONS DE LA PERSONNE

L’individualisme est une tendance des membres de certaines cultures à se définir en tant qu’individu, « moi », plutôt que par rapport au groupe, à la famille, (« nous ») dans les cultures communautaires. Dans la plupart des sociétés occidentales, comme le note Margalit Cohen Emerique (9), « et en particulier dans les classes bourgeoises, l’image de l’adulte s’accompagne toujours des normes valorisantes d’autonomie de a personne, en termes de connaissances, de valeurs, de comportements et d’attitudes. » Ainsi, il s’agit de vivre indépendant de ses parents, le plus souvent de quitter le foyer familial avant même le mariage. Par opposition, dans les sociétés traditionnelles (orientales, africaines), « il n’y a jamais de coupure véritable de la famille, c’est l’intégralité familiale, la cohésion du groupe qui priment sur les besoins de l’individu : la notion de personne, d’individu n’a plus le même sens ».

La notion de personne ne peut donc se différencier de la notion de famille, de clan : « En fait. c’est l’appartenance à des interrelations familiales et sociales qui définit l’individu » (9). Pour Roger Bastide, « ce qui est important dans toutes les sociétés traditionnelles, c’est l’existence de ce que nous appellerons les deux antiprincipes d’individuation : la pluralité des éléments constitutifs de la personnalité ; la fusion de l’individu dans son environnement ou son passé, bref dans son altérité ». L’historien Fernand Braudel fait état, dans les « sociétés archaïques méditerranéennes », de l’absence de personnalités individuelles entières qui soient les synthèses d’histoires singulières, c’est à dire de biographies (10). C’est pourquoi « il n’existe ni décisions, ni choix de conditions personnelles de l’existence. Les hommes ont devant eux des fonctions sociales préconstituées auxquelles ils devront s’adapter au fur et à mesure que la vie les portera à assumer les responsabilités que leur assignent les relations de famille. »

Dans ce modèle où la priorité morale est à la sujétion familiale et sociale, le besoin de réalisation personnelle que McClelland appelle le need for achievement est forcément beaucoup moins élevé que dans les cultures individualistes occidentales (l 1). C’est à la famille, au clan, de satisfaire les besoins de l’individu, et réciproquement. Les économistes ont montré une relation, quoique parfois contestée, entre la croissance économique et la valeur relative du besoin d’accomplissement de soi.

Dans le cadre de l’entreprise de type occidental, l’individualisme implique autonomie, séparation nette entre le professionnel et le personnel, concurrence entre individus pour la progression de carrière. Une orientation communautaire implique la loyauté à la famille, au clan et, par extension, à l’entreprise, à son équipe de travail, ainsi que la recherche d’harmonie entre les personnes, une prise de décision plutôt consultative.

Ceci peut paraître dans le contexte de l’entreprise, pour Geert Hofstede :

« Les relations entre les employeurs et les employés vont se faire sur une base morale dans les cultures communautaires, alors qu’elles se nouent sur la base d’un calcul personnel dans les cultures individualistes (12). »

Ces deux dimensions entraînent des formes d’organisation et de communication très différentes dans le cadre du travail. La même problématique entre dépendance et autonomie se reformule dans les liens du travail. Dans les entreprises à orientation communautaire, les ouvriers sont dépendants de leurs supérieurs et attendent d’eux une prise en charge émotionnelle complète. Le supérieur doit savoir encourager, réprimander, il peut connaître toutes les affaires familiales de ses subordonnés : le supérieur est celui qui sait tout. A des niveaux hiérarchiques intermédiaires, entre pairs, les gens aiment à discuter ensemble du travail à faire et de la répartition des tâches eux mêmes : c’est seulement en cas d’incident que le supérieur intervient.

Cette forme d’organisation sociale est a priori assez peu compatible avec les formes tayloriennes classiques du travail. Les relations affectives prennent une place très importante. Michel Mathieu note, dans son étude sur les relations au travail en Inde, la présence de cadres dont le temps de loisir était dévoré par les relations avec les ouvriers : « je ne peux pas refuser à l’un ce que je donne à l’autre », et trouvaient cela parfaitement normal (13).

Un cadre expatrié suisse percevra ses collègues indonésiens comme insuffisamment organisés, peu autonomes, passant trop de temps au bavardage, à l’affectif, voire parfois pourra leur attribuer des comportements qualifiés d’infantiles. Par contre les Indonésiens reprocheront cette excessive froideur, manque de prise en compte affective, ce manque d’égards pour le groupe des perceptions de comportements qui viennent renforcer les images néocoloniales.

La franchise, la clarté, l’affirmation de soi, la compétition, le conflit ouvert, sont toutes des valeurs positives dans les cultures individualistes. Ces mêmes valeurs sont perçues négativement dans les cultures communautaires, qui favorisent la politesse, l’attention à sauver la face, l’harmonie, la coopération dans l’équipe.

Ces deux dimensions induisent des conflits de valeurs importants à partir d’une primauté individu groupe inversée. A partir de ces différences, le travail se construit, dans une organisation, selon un mode de communication interpersonnel différent. Dans la méthodologie de résolution des problèmes, la hiérarchie entre le « qui » et le « quoi » peut être inversée au profit du « qui » dans les cultures communautaires. C’est à dire qu’il sera nécessaire en priorité de savoir qui travaille, qui dirige, avant de déterminer les objectifs d’un travail.

POUVOIR ET CULTURE

Le pouvoir se définit dans le Larousse comme « la faculté de faire ». Pour Henri Mintzberg,

« le pouvoir est tout simplement la capacité à produire et à modifier les résultats ou affects organisationnels (14). »

Cette notion est évidemment capitale dans le fonctionnement de toute organisation, Etat, multinationale, famille.

La culture influe sur différents niveaux du pouvoir : d’une part, les symboles, les marques qui représentent le pouvoir dans une société, et d’autre part la distribution des flux de pouvoir au sein du groupe.

La problématique de la distribution de pouvoir au sein d’une société apparaît dans les travaux de Hofste de sous la notion de distance hiérarchique (15). Cette dimension reflète le problème de l’inégalité humaine et de la manière dont les sociétés traitent ces différences. Les inégalités de différentes sortes, physiques, intellectuelles entre autres, peuvent se traduire ultérieurement en inégalités de pouvoir, de richesses, qui peuvent, elles, se transmettre à travers les générations. Certaines sociétés tentent de réduire tant bien que mal ces inégalités, d’autres les acceptent. Les degrés d’inégalité, leurs formes d’expression, varient donc selon les cultures.

Dans une société à forte distance hiérarchique le degré de centralisation et d’autocratie tend à être élevé. C’est plus souvent le cas, semble t il, des pays orientaux, latins, sud américains, africains. Les classes ou autres unités sociales sont alors plus rigides, la mobilité plus faible, l’autocratie favorisée par rapport à la démocratie. Les syndicats, qui constituent une réaction à ce système rigide, sont, dans la mesure où ils sont permis, plutôt extrémistes et imbibés d’idéologie de lutte des classes.

Dans les pays à faible distance hiérarchique les classes sociales ont tendance à être perçues par les individus comme moins marquées, la mobilité sociale est plus importante, les syndicats sont intégrés au système économique. Une étude effectuée en 1970, par H.C. de Bettignies et P. Lee Evans, sur la comparaison entre les origines sociales du patronat américain et celles de nombreux pays européens, a révélé des différences considérables (l 6). Le patronat américain tire ses origines sociales pour les deux tiers des classes moyennes, pour un quart des classes populaires et seulement pour dix pour cent des classes supérieures. En France, le patronat provient pour plus de 82 % des classes sociales supéi ieures, En Europe, c’est au Royaume Uni, au Danemark (48 %) et en Suède qu’apparaît un patronat provenant pour moins de 70 % des classes sociales supérieures.

Selon les travaux de Hofstede, une distance hiérarchique faible caractérise les pays dEurope du Nord, Israël, et plus généralement tous les pays anglo saxons, Australie, Nouvelle Zélande, Amérique du Nord, ainsi que quelques îles des Caraïbes.

Donnons un exemple : Un cadre américain demande à son subordonné grec combien de temps lui serait nécessaire pour rédiger un rapport. Le subordonné grec est surpris par cette ques tion puisque cet Américain est le patron, c’est à lui de savoir la durée dont il a besoin. Le cadre américain est surpris par les hésitations et par le manque d’initiative de cet employé. Embarrassé, le Grec donne un délai très court, 15jours, ceci pour faire plaisir à son patron. Au bout de quinze jours, le cadre américain vient réclamer le rapport. Il constate avec surprise que le travail n’est pas terminé aux délais pourtant précisés. Le subordonné grec perd la face devant ses collègues et son supérieur : il démissionnera quelques jours plus tard (17).

Cet incident reflète deux conceptions différentes de la distance hiérarchique.Le cadre américain délègue à son subordonné la responsabilité de fixer un délai, mais une fois celui ci fixé, il attend qu’il soit tenu. Le subordonné grec, lui, attend un ordre précis sur la nature du travail, sur sa durée, de la part de son patron. Ces deux conceptions différentes génèrent des malentendus l’Américain perçoit le Grec comme peu affirmé, manquant d’initiatives ; le Grec perçoit le patron comme flou, peu crédible, car il ne connaît pas lui même le travail de ses subordonnés.

Les deux citations suivantes sont extraites d’une étude effectuée par un cabinet de conseil sur les perceptions mutuelles des négociateurs français et britanniques et de leurs conséquences sur la négociation (18).

Le négociateur britannique s’exprime sur ses collègues français :

« Leur lien étroit avec un centre décisionnaire élevé représente aussi un inconvénient. Mandatés avec des marges de manoeuvre relativement rigides, les Français ne sont pas prêts à des compromis … je soupçonne qu’ils n’ont tout simplement pas la latitude nécessaire… Certains lient ceci au fait que les négociateurs français sont pris dans des systèmes hiérarchiques très stricts. Pour d’autres, cette attitude serait plutôt liée à la formation intellectuelle, des Français… Cette intransigeance des Français est l’une des choses qui déplait le plus aux Britanniques… »

Ainsi s’exprime ce négociateur professionnel britannique à propos de ses homologues français. Il s’agit ici largement de stéréotypes, c’est à dire d’images véhiculées subjectives mais contenant une part de vérité. Nous pourrions émettre l’hypothèse que ces images de « rigidité » et de « flou » viennent en fait de différents modèles de distance hiérarchique. Les études de Hofstede et de Laurent ont en effet montré une distance hiérarchique nettement plus élevée chez les Français que chez les Britanniques. Par contre, sur ce même thème, les négociateurs français perçoivent ainsi leurs homologues britanniques :

« Leurs conclusions sont parfois imprévisibles. Motivés par un sens pragmatique, ils ont l’attitude « essayons et on verra »… Ils manquent de tranchant dans leurs conclusions… Cela me fait penser qu’ils manquent de franchise… Ils sont plus détendus et décontractés que nous… Ils savent mettre les gens à l’aise… La confrontation entre leur ténacité et notre logique provoque un stress qui fait qu’ils capitulent sur le coup et puis ils regrettent… »

Ces différents extraits d’interviews recueillies au cours de cette étude montrent d’une part les différences en matière de formalisme : les pays à fortes distances hiérarchiques valorisent des protocoles formels comme symboles représentant le pouvoir. Mais surtout ce qui gêne les Français, c’est l’absence de logique ordonnée, c’est à dire de présentation hiérarchisée des arguments, l’absence de décisions nettes. Ceci ne manque pas d’alimenter les perceptions de « flou » ou de « perfidité » qu’ont les Français des Britanniques. Dans cet entretien recueilli auprès d’un négociateur professionel français, les mots synonymes de « faux jeton » ou « perfide » ont été cités plus de cinq fois.

Ces malentendus légendaires entre Britanniques et Français proviennent pour une large part de différences profondes dans les notions de hiérarchie et de contexte de la communication. Le cartésianisme implique une logique de pensée méthodique et rationnelle, où tout argument est classé selon une direction et une hiérarchie définies. Le propre de ce raisonnement déductif cartésien est de considérer que les idées ne viennent pas de l’expérience mais de la raison elle même. Cette logique de pensée s’oppose fondamentalement aux approches dites empiriques fondées précisément sur l’expérience et l’observation : « essayons et on verra », mais pas sur la théorie. Dans les doctrines pragmatiques seule la valeur pratique compte, est vrai ce qui réussit et il n’y a pas de vérité absolue. Nous pourrions émettre l’hypothèse qu’il existe une corrélation entre des raisonnements déductifs tels que ceux issus du cartésianisme et une distance hiérarchique élevée : ce qui se traduit par des règles et des lois explicites, une organisation pyramidale et rigide. D’autre part les raisonnements pragmatiques semblent également corrélés avec une distance hiérarchique plus faible, caractérisée par l’absence de règles explicites, de pouvoir centralisé, mais par la présence d’un système reposant sur des séries de négociations continues.

Ce que nous venons d’illustrer explique les frictions entre pays à forte et faible distance hiérarchique, mais par extension cela montre toute la difficulté du changement social, de la délégation des pouvoirs chez les premiers. Ainsi, nous pouvons nous interroger sur les phénomènes de mode actuels en matière de management en France, pays à forte distance hiérarchique, sur la délégation et le management participatif et leur succès à long terme. Le pouvoir se matérialise sous différents aspects à travers les cultures. Le statut, les voitures de fonction, le mobilier, la présence d’ascenseurs privés, l’épaisseur et la couleur de la moquette, le prestige du titre, la secrétaire particulière, le formalisme, le bulletin de paie sont autant de symboles qui représentent le statut à travers le monde. Pourtant, il semble que le bulletin de paye soit un critère plus important aux USA, pays à faible distance hiérarchique, que dans ceux à forte distance hiérarchique, où tous les symboles qui marquent le prestige de la fonction et de la personne seront favorisés.

RELATION DES GROUPES CULTURELS FACE À L’ INCERTITUDE

Comment chaque société gère l’incertitude ? Qu’il s’agisse des incertitudes de la société face à la nature et la destinée, des incertitudes à l’intérieur de la société liées à l’imprévisibilité du comportement humain. Cette dimension s’apparente à la relation soumission/domination de la société vis à vis de l’environnement, mise en évidence par Kluckhohn et Strodtbeck (19). Les anthropologues tels Pelto (20) distinguent les sociétés ouvertes où les normes sont exprimées avec de nombreuses alternatives possibles, les comportements des déviants sont acceptés ; où, dans les organisations, les valeurs favorisent peu la permanence, la durée, la solidarité. Dans les sociétés fermées, par opposition, les normes sont strictes, les comportements marginaux peu acceptés, les valeurs prêchent la permanence, la durée, la solidarité dans les organisations.

A partir de son étude « Hermès », Geert Hofstede met en évidence la dimension qu’il appelle le contrôle de l’incertitude (21). Cette dimension se définit comme le problème de la vie et de la mort associé au temps qui coule, les inéluctables difficultés du futur et la manière dont les sociétés pallient ces effets pour permettre à leurs membres de dormir en paix. Selon Hofstede, certaines sociétés conditionnent leurs membres à l’acceptation de cette incertitude et à n’en être pas obsédé, à accepter ainsi chaque jour comme il vient. Dans d’autres sociétés, les individus sont élevés dans l’idée de chercher à vaincre un avenir pourtant fondamentalement imprévisible. Ces groupes culturels présentent un plus haut degré d’anxiété, qui se manifeste par des phénomènes de stress, d’agressivité, d’émotivité plus grands. La sécurité peut se créer de trois manières : par la technologie, la loi, la religion. La technologie, protège contre les dangers de la nature ou des guerres. Les lois, les institutions et toutes les normes formelles permettent la protection contre l’imprévisibilité des comportements humains. Les religions aident à accepter les incertitudes, à les interpréter dans une dimension qui transcende la réalité personnelle.

Au niveau de l’entreprise, cette notion de contrôle de l’incertitude se traduit par le besoin de règles formelles pour assurer le fonctionnement de l’organisation. L’organisation de type bureaucratique est liée à des valeurs de fort contrôle de l’incertitude. Comme le note Hofstede :

« Les théories qui admettent comme postulat de départ un comportement rationnel ont tendance à être normatives : elles décrivent comment l’entreprise doit traiter l’incertitude. »

C’est précisément une organisation rationnelle où les événements se déroulent en fonction de formules prédéterminées. La notion de méthode permet de passer de la définition du problème à l’identification du mécanisme approprié de résolution. Le fonctionnement de ce type d’organisation repose sur la possibilité de rendre l’incertain prévisible. Ce type d’organisation est appelé par Charles Handy « cu * Iture de rôle », ou « culture de fonction » (22), montrant la prédominance de la rationalité, de la logique, des règles sur les individus.

Un contrôle de l’incertitude élevé peut se traduire de différentes manières.

En France celui ci est sans doute l’une des causes du rôle prédominant de l’Etat dans la vie économique, qui gère, subventionne, conseille bon nombre parmi les plus grandes entreprises. Dans l’entreprise cela se traduit par une bureaucratisation, des tâches formellement définies et contrôlées par une cascade de niveaux hiérarchiques. En Allemagne, l’incertitude élevée joue sans doute un rôle dans le faible niveau de l’endettement des entreprises, les forts investissements financiers en recherche technologique et de production. Dans certaines cultures, la qualité des produits, la discipline des hommes sont d’autres moyens pour résoudre la problématique de l’incertitude posée aux sociétés. Hofstede a montré des corrélations entre, d’une part, un fort contrôle de l’incertitude, d’autre part un degré d’anxiété et de stress élevés dans les organisations, une extériorisation plus importante de l’émotivité et des conflits, un niveau d’ethnocentrisme important.

En combinant les différentes dimensions mises en évidence, quatre modèles principaux de l’entreprise se distinguent à travers le monde, selon les travaux respectifs de Stevens (23), Laurent (24), Hofstede (25), à INSEAn en France et l’IRic aux Pays Bas : le management, l’organisation, la direction et la famille.

Au cours de cet article, nous avons montré combien le terme management provient de la culture anglo saxonne. Ce concept contient des présupposés empiriques que l’on retrouve dans toute la philosophie de la manière de diriger et de gérer l’organisation. Le proverbe Do whatever you want, as long as Ù works, « Faites ce que vous voulez, à condition que cela réussisse » illustrent bon nombre de ces principes. Le corollaire de ces pratiques, ce sont des objectifs fixés à court terme, une liberté et une confiance plus grande données aux hommes pour les réaliser. Le faible contrôle d’incertitude et la faible distance hiérarchique apparaissent nettement. En cas d’échec le responsable tentera sa chance dans une autre entreprise, ce qui suppose une tendance à la prise de ris ie plus importante de la part des entreprises, une moTilité et une flexibilité accrues de la part des hommes. Par conséquent les lois sociales apportent beaucoup moins de protection que dans les autres modèles. Les rapports hiérarchiques sont plus flexibles, c’est la réussite de la tâche, Vachievement traduit par « accomplissement » qui compte, plutôt que le statut. Cette orientation à la tâche et le rapport moins rigide avec la hiérarchie expliquent une structure en « rateau » au lieu d’une structure pyramidale. Une culture d’entreprise généralement forte permet le développement d’un langage commun et donc une synchronisation entre ses différentes parties.

Le mot « organisation » et ses nuances vient de l’Allemagne. Pour Max Webber, l’entreprise est une « bureaucratie bien huilée », c’est à dire une « machine » où chacun dans sa fonction apporte sa contribution. Les fonctions, les tâches, les rapports sont soigneusement étudiés, définis pour chaque poste. Ce mode d’organisation est le résultat d’une culture individualiste, d’une faible distance hiérarchique et d’un fort contrôle de l’incertitude.

Le modèle « direction » rappelle de plus ou moins loin le système féodal. Ce type d’organisation repose sur les relations politiques dans l’entreprise, des rapports de pouvoir entre les différents corporatismes. La structure est pyramidale, les niveaux hiérarchiques sont nombreux, les relations fortement basées sur l’autorité de la personne. Le style de management est directif, le statut du chef s’affiche de manière distincte, les corporatismes, féodalités sont nombreux : syndicats, sociétés secrètes ou mystiques, pouvoir politique, grandes écoles, armée. L’intervention ou le rôle de l’Etat est considérable : il est souvent le fondateur ou le principal actionnaire de l’organisation. Par rapport aux dimensions mises en évidence par Hofstede, le modèle « direction » cumule une forte distance hiérarchique avec un fort contrôle de l’incertitude et un individualisme plutôt élevé. L’efficacité économique, la motivation sont relativement plus faibles comparativement aux autres modèles, la résistance au changement est élevée.

Le modèle d’entreprise basé sur la famille résulte des systèmes sociaux patriarcaux. Il combine une orientation communautaire avec une forte distance hiérarchique et un faible contrôle d’incertitude. Ce modèle « familial » est particulièrement présent dans les pays du MoyenOrient, Afrique, Asie, et plus généralement les pays où la famille et la religion ont tendance à primer sur la production économique. Le chef de famille est le personnage central de l’organisation, la structure est pyramidale, les membres de la famille ou du clan contrôlent les positions clef de l’entreprise. Les relations sont paternalistes, les rapports sont hiérarchisés, mais le chef est aussi un protecteur, un « mentor » envers son subordonné. Les valeurs traditionnelles prônent le travail, la loyauté envers l’employeur, la famille, la tradition.

Ces quatre modèles montrent l’absence d’universalité en matière de management. Ainsi des conflits apparaissent fréquemment : un manager saoudien formé aux ÉtatsUnis aux méthodes « modernes » de management doit faire face au stress quotidien quand un membre de sa famille surgit dans son bureau sans prévenir. Il doit offrir temps et hospitalité quelle que soit sa charge de travail. « je ne suis pas prêt à abandonner nos valeurs traditionnelles de courtoisie et d’hospitalité. Pourtant, c’est souvent à un tel abandon des valeurs que me poussent les techniques modernes du management. »

MONOCHRONIE ET POLYCHRONIE

Les attitudes par rapport au temps ont été citées par de nombreux anthropologues comme une source majeure de diversité à travers les cultures. Le rapport au temps peut s’illustrer à travers le langage par les différences entre les notions de présent, futur, voire l’absence de futur dans certaines sociétés traditionnelles. La complexité du temps comme phénomène culturel déna sse largement le cadre de cet article. Il nous paraît utife néanmoins de rappeler les deux conceptions fondamentales : temps cyclique, temps linéaire.

Dans de nombreuses cultures orientales, africaines, océaniennes, la vision traditionnelle du temps est cyclique. Si « maintenant » est perdu, il ne se pose pas de problèmes, car demain l’instant se reproduira à nouveau. La vie est perçue comme une trajectoire construite à partir de répétitions sans fin. La vision prédominante du temps dans les sociétés modernes est une droite linéaire, orientée du présent vers le futur. « Hier » est perdu à tout jamais, ce qui compte c’est de pouvoir réduire les incertitudes d’un avenir vu comme « meilleur ». Le temps se dissocie des cycles naturels et, désormais, comme l’écrivait Benjamin Franklin, « le temps, c’est de l’argent . C’est sur cette notion de temps qu’ont été construites les nouvelles formes d’organisation du travail au temps de l’ère industrielle. Même si le taylorisme s’estompe, le temps dans l’entreprise reste un paramètre vital dans toutes les fonctions de l’entreprise.

La gestion du temps dans les entreprises est aujourd’hui un problème d’importance. La compétition internationale se traduit à travers des indicateurs tels que la productivité, les ratios financiers, où le temps est une variable. Les systèmes de messageries permettent d’augmenter la vélocité de l’information. Il s’agit d’augmenter le travail en qualité et en quantité par unité de temps, tout en diminuant les coûts unitaires. C’est pourquoi le monde industriel considère le temps comme une ressource à gérer.

Dans de nombreuses entreprises occidentales, l’emploi du temps du cadre, ses tâches à réaliser pourront être confiées à un ordinateur qui permettra une gestion plus optimale. Par contraste certains responsables malaisiens, ou saoudiens, auront comme emploi du temps non pas un planning, mais une liste de gens à rencontrer ou à contacter. Le plus souvent l’oral prédomine, il n’est pas évident qu’un agenda écrit soit tenu, comme pour leurs collègues occidentaux.

La notion de temps est capitale dans la conception occidentale du management. « Gérer, c’est prévoir ! » (26) est l’une des formules populaires des manuels de gestion pour définir la fonction de gérer. Cette formule montre l’importance de l’appréhension du futur, intrinsèque au processus de gestion chez les Occidentaux. Prévoir veut dire planifier, concevoir des stratégies à court et moyen terme, le plus fréquemment sur cinq ans, mais parfois au japon sur 50 ans. La gestion devient alors la capacité de conceptualiser le futur, puis de la matérialiser. C’est montrer combien ce concept est lié à la vision linéaire du temps propre aux sociétés modernes. Comme le montre Guy Desaunay, de nombreuses difficultés de gestion en Afrique viennent de la difficulté de maîtriser cette orientation vers le futur (27), comme le montrent de nombreuses réflexions d’expatriés occidentaux : « Ils voient au jour le jour, ils travaillent au jour lejour. »

L’anthropologue américain Edward Hall (28) identifie deux approches pour traiter le temps en tant que ressource :

Dans l’approche monochronique, les tâches à accomplir sont décomposées en sous tâches qui sont traitées séquentiellement selon un agenda pré établi. Cette approche ne peut se réaliser correctement que si le mode de pensée culturel favorise un esprit séquentiel, une priorité à la tâche. Elle limite l’imprévu, l’incertitude, à travers une formalisation et une organisation maximales. L’incident, l’imprévu, induisent une rupture dans le plan d’organisation. Cette organisation permet un rythme de travail plus lent, le niveau de stress est plus faible, les « coups de bourre » sont dans la mesure du possible évités.

0 Par opposition, l’approche polychronique consiste dans la gestion simultanée de diverses obligations dans un cadre de temps donné. Les interruptions, les imprévus sont fréquents, les tâches, les priorités sont traitées simultanément, le niveau de stress est élevé. Le relationnel, les amis, la famille, les clients sont prioritaires par rapport aux tâches. Le manager polychronique est facilement interrompu, rarement à l’heure, traite les problèmes de manière globale plutôt que séquentielle.

L’approche monochronique est dominante dans les pays fortement industrialisés et en particulier en Allemagne, en Europe du Nord, dans les pays anglo saxons. Les approches polychroniques se rencontrent plutôt dans les pays en voie d’industrialisation, mais aussi selon Hall chez les Latins et de nombreux Orientaux. Il importe de reconnaître l’origine artisanale, traditionnelle, familiale du manager polychronique. Sans doute la rencontre d’un polychronique et d’un monochronique doit se faire dans un espace hybride qui permet de respecter les approches de chacun, en sachant développer un climat amical tout en conservant une certaine organisation.

CONTEXTE « RICHE » ET « PAUVRE » EN COMMUNICATION

La notion de contexte « riche » et « pauvre » en communication a également été développée par l’anthropologue américain Edward Hall (29). Cette dimension mesure l’importance relative du non dit dans la communication. On peut traiter une information directement à travers le message explicite ou indirectement à travers le non dit, par référence au contexte, en particulier à l’univers des représentations collectives. « Oui » est un message d’acquiescement à une déclaration pour les Occidentaux. Dans un contexte similaire « oui », chez de nombreux Orientaux, est plutôt un « accusé de récep tion » : c’est à dire que le message a été compris mais qu’il ne suscite pas nécessairement l’adhésion. La réponse ne se lit pas nécessairement dans le mot mais à travers les gestes, les expressions, les silences. Il y a difficulté à lire le non dit pour ceux qui privilégient le verbe. Remarquons que toutes les négociations commerciales nécessitent le développement d’un langage commun pour échanger de l’information, des concepts, des intentions. Les systèmes de communication moderne, téléphone, télex, télémessageries sont le propre d’une culture qui favorise le verbe.

Un collaborateur provenant d’une culture à contexte riche favorise le relationnel, un style de communication plutôt flou, ambivalent : les phrases peuvent être coupées de longues périodes de silence, le style intellectuel privilégie plutôt l’intuitif. Par contre un collaborateur de culture à contexte « pauvre » recherche une présentation logique, un langage clair, concis, précis, univoque. Il recherche une transparence des relations, privilégie une démarche technique.

D’après les classifications établies par Hall, nous pourrions illustrer la notion de contexte par le tableau suivant :

LES DIFFÉRENCES DE CONTEXTES DE COMMUNICATION

Des pays insulaires, les pays orientaux et latins sont caractérisés par un contexte riche en communication ; par contre les Anglo Saxons, à l’exception des Britanniques, possèdent un contexte « Pauvre ». Terre de migration, différentes cultures se sont mêlées aux USA. Il s’est développé un système de communication explicite ou de contexte pauvre qui privilégie le verbe. Une différence dans le contexte de communication peut apparaître entre les villes et les campagnes. Les habitants de petites communautés et dont les activités sont répétitives n’ont pas nécessairement besoin de parler pour communiquer. Le contexte riche en communication peut être induit par les valeurs de conformisme, d’harmonie dans le groupe, d’expression indirecte des conflits. Les cultures à orientation communautaire ont le plus souvent un mode de communication implicite. Par contre les cultures à orientation individualiste sont généralement caractérisées par un contexte en communication intermédiaire ou pauvre. Les malentendus entre cultures de contexte riche et pauvre font souvent apparaître rudes et arrogants les émetteurs de la culture de contexte pauvre pour un récepteur de contexte riche. Par opposition, un ressortissant de contexte pauvre percevra ses homologues comme polis mais inscrutables, perfides, flous.

Cette notion du contexte de la communication est un outil de régulation dans l’intégration des hommes de cultures différentes au sein d’une même équipe de travail. Les incidents que nous venons de citer engendrent de la frustration pour chacun. Développer de l’empathie ou l’intérêt vis à vis de l’autre culture peut réduire ces zones de frictions.

Nous avons présenté au long de cet article une série de modèles qui permettent de présenter certaines différences culturelles dans l’entreprise. Ces grilles ont leur domaine d’utilisation et leurs limites. Il s’agit d’outils descriptifs plutôt que prédicteurs, pour clarifier et réguler des situations entre agents de différentes nationalités. Le monde des affaires et du management est baigné dans des situations interculturelles, bien que la prise de conscience des praticiens soit très lente. Il s’agira à l’avenir de développer des parcours multiculturels qui ouvriront les hommes à de nouveaux modes de penser, à une relativisation de leurs valeurs et de l’empathie pour d’autres cultures.

NOTES ET BIBLIOGRAPHIE

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(28) HALL E. (1984), La danse de la vie, Seuil, Paris, 56 72.

(29) HALL E. (1984), La danse de la vie, Seuil, Paris, 73 95.

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