Amina Ayouch-Boda, psychologue, chargée de cours à Paris X Nanterre,
Attachée à la consultation maghrébine, Centre F. Minkowska, Paris.
La prise en compte du « culturel » chez un patient étranger est maintenant chose courante ; le « transculturel », l’« endoculturel », la « biculture » et autres notions ont progressivement gagné tous les lieux de soins, la pychopathologie leur réserve de plus en plus un chapitre à part.
Ce souci correspond à l’idée répandue qu’il est difficile d’entendre un patient inscrit dans une culture étrangère, que l’on risque de ne pas saisir certaines dimensions, d’appliquer des schémas occidentaux qui ne lui conviennent pas, de prendre pour une idée délirante une croyance culturelle, etc…
Aussi, à côté de tentatives de plus en plus larges de connaître la culture du patient, on se sensibilise à des approches telles que l’ethnopsychiatrie, mais on a aussi recours à des thérapeutes de la même culture que le patient, que ce patient parle la langue du pays d’accueil ou pas.
Toutes ces solutions peuvent en effet améliorer sa prise en charge si toutefois on en accepte les nuances et les limites.
Le« culturel » a pris une ampleur telle qu’il vient parfois comme réponse unique, simple, noyant la singularité du sujet sous des considérations généralisantes vouées à justifier et à situer son comportement ou son discours.
Si au départ, l’intention est justement de « respecter la différence », et ne pas plaquer des modèles, on finit par tomber dans cela même que l’on cherchait à éviter, à savoir une attitude normative (« il se comporte ainsi parce que c’est comme ça chez lui » ou « ce comportement a tel sens dans sa culture… »). En cédant à la tentation de s’appuyer sur la culture pour comprendre, sans situer celle-ci à la place certes importante mais très particulière et relativement repérable qui lui revient, on a vite fait de glisser à son issu vers une attitude consistant à faire disparaître le patient derrière l’écran culturel.
C’est pourquoi, s’il est important d’avoir un « savoir » sur la culture de l’autre, il est plus important encore d’analyser la place et le fonctionnement du « culturel » chez le sujet. Et cela ne nécessite pas forcément la création d’une nouvelle topique (un « lieu ») dans l’appareil psychique de l’étranger : s’il vient d’« ailleurs » il ne peut pas confondre espace géographique et son espace psychique. Si les cultures sont différentes ou apparaissent différentes, par contre leur « fonction » est partout la même chez le sujet. En quelque sorte, tout n’est pas étranger chez un étranger, l’essentiel est même ce qu’il y a de plus familier. Et c’est peut-être cela qui pose problème : on se retrouve en quelque sorte devant l’étranger à soi, l’étranger de soi, en soi, et on peut être surpris par le familier dans l’étranger, les manifestations du familier chez l’autre sont différentes. Il s’agit d’accepter que le familier et l’étranger, comme toujours, se combinent, mais là de manière différente.
Le culturel peut servir d’écran et le risque alors est de ne pas entendre l’utilisation, toujours singulière, que fait tel patient d’un élément culturel ; cet écran peut éblouir, inhiber l’approche qu’on peut faire de la subjectivité du patient, et nourrir les rationalisations de part et d’autre.
Mais il peut être quelquefois difficile aussi d’avoir un patient de la même culture dans un pays étranger car ici l’idée sous entendue est que le thérapeute est … familier.
On considère toujours le fait d’adresser un patient étranger à un thérapeute de la même culture que lui comme une facilitation pour la prise en charge. Or cela n’est pas certain car ici ce qui gêne est justement cette idée du « même », et elle est d’autant plus gênante que quelquefois on l’a suggéré au patient que l’on adresse.
Cette « mêmeté » du culturel (si elle est possible ?) est rapidement généralisée par certains patients à toute la personnalité, à la pensée, aux affects, elle soutient une impression d’empathie, de communion dans laquelle on peut se passer de mots, « on s’entend », on « voit » ce que l’autre veut dire, et lui sait ce qu’on veut dire. Un patient qui voulait installer cette situation relationnelle m’a dit tout simplement : « tu n’es pas quelqu’un d’autre, je peux te dire, tu comprends… »Une atmosphère de secret, d’intimité cherche à s’installer, le thérapeute est mis à la place d’un même, les Mots ne sont pas adressés à « quelqu’un d’autre », ils circulent dans un espace spéculaire.
Or, la différence permet à la singularité du patient de mieux se détacher, et la distinction est de l’ordre du symbolique, la « mêmeté » étant de l’imaginaire.
Un thérapeute francais -puisque nous sommes en France- entendant parler un patient maghrébin de Jnoun*, lui demanderait ce que c’est. Le patient parlerait alors de ses inoun à lui, de sa manière de les voir qui certes est en rapport avec sa culture, mais un rapport qui lui est propre. Le risque, pour un thérapeute de la même culture, est de ne pas poser cette question, car il sait ce que sont les jnoun. Le « savoir » sur la culture de l’autre, ou l’expérience de la même culture, n’est pas forcément quelque chose qui facilite la prise en charge ; il y a des avantages peut-être, mais aussi des inconvénients si, avec ce type de patients, on ne repère pas cette attitude transférentielle parfois difficile à reconnaître.
Dire qu’il est préférable d’être de la même culture pour comprendre rejoint d’une certaine manière les propos de certains patients, prétendant qu’« il faut avoir connu ça – la dépression, la drogue, etc… – pour comprendre ». Cela est sous-tendu par une difficulté de dire, on considère alors que seule l’expérience suffit, en imaginant que c’est un peu la « même » expérience. Là encore, c’est une tentative pour se passer de mots.
Le but de cet article étant de relativiser, il ne s’agit pas non plus de nier l’importance du culturel, mais de mettre l’accent sur certaines situations où il peut soit servir d’écran, soit, au contraire, être l’agent d , une difficulté de distanciation.
* Jnoun : les esprits dans les croyances au Maghreb.