Intérêts cliniques et épidémiologiques des scarifications thérapeutiques traditionnelles chez l’épileptique au Togo.

E. K. Grunitzky, A. A. K. Balogou & C. K. Dodzro. Service de neurologie, CHU Campus, B.P. 30284,Lomé, Togo. E- mail : abalogou@syfed.tg.refer.org

20 octobre 1999. Communication présentée au 3ème congrès de neurologie tropicale, 30 novembre-2 décembre 1998 à Fort-de-France, Martinique.

Summary : Clinical and epidemiological aspects of traditional therapeutic scarifications of epileptics in Togo.

One of the major problems of epilepsy in Africa are its social implications. Prejudice against the disease is common and epileptics are marginalised. Epilepsy is concealed from all non-family members. The very pronunciation of the word « falling disease » (as epilepsy is called) is taboo, the disease being regarded as supernatural. This unfavourable context introduces considerable bias in hospital and population-based studies. Traditional doctors are consulted by patients especially when they have such a  » supernatural  » disease. Traditional scarifications are used for the treatment of epileptics in Togo. We examined the skin of 36000 patients in the neurological department of Lomé’s tea -ching hospital between 1985 and 1995 and conducted a similar, population-based study on about 20000 inhabitants in the Kloto district of south-western Togo and on 10000 inhabitants in the Tone district of northern Togo. Interviews with 40000 traditional doctors revealed that forehead scarifications are characteristic of epilepsy treatment. More than 80% of epileptics have forehead scarifications. When the seizures are rare, scarifications are slim, short (1-3 mm), near the roots of hair on the forehead and concealed ; but when they are frequent, known by many people, scarifications are large, long, visible on forehead, the patient showing the sign of his social sentence.. On the skin of epileptics in Togo, is written the diagnosis of his affection. It only needs to look at it.

Résumé : En Afrique, l’épilepsie tire encore sa gravité des implications sociales qu’elle engendre. Les préjugés sociaux qui l’entourent renforcent l’ostracisme dont l’épileptique est victime et font de lui un être marginalisé. La maladie est cachée à toute personne en dehors du cercle familial et clanique. La prononciation du mot épilepsie “maladie qui fait tomber” est tabou. Ce fait constitue un des biais le plus fréquent dans le dépistage de l’épileptique au cours des enquêtes épidémiologiques et des consultations hospitalières. Les scarifications cutanées, du fait de leur petite taille, de leur finesse, de leur localisation à la racine des cheveux dans la région frontale, illustrent la volonté de la collectivité de dissimuler ou éloigner tout soupçon de la maladie mais, lorsque les crises sont fréquentes, ont lieu sur la place publique et sont connues de l’entourage, ces scarifications deviennent larges, visibles à distance, le malade portant les signes de sa condamnation sociale. Sur la peau de l’épileptique, dans plus de 80 % des cas au Togo, est gravé le diagnostic de sa maladie. Il suffit de savoir regarder et décoder ces inscriptions.

Introduction

En Afrique, l’épilepsie tire encore sa gravité des implications sociales qu’elle engendre. Les préjugés sociaux qui l’entourent renforcent l’ostracisme dont l’épileptique est victime et font de lui un être marginalisé. La maladie est cachée à toute personne en dehors du cercle familial et clanique. L’épilepsie, maladie séculaire, est connue dans tous les g roupes ethniques du Togo : gbitagba ou gbigba ou ubatin ou tîkpîcibalug dans l’aire Moba-Gourma, à l’extrême nord ; koudonkoutolou ou kazaladedi dans l’aire Kabyè-Tem au nord et au centre du pays ; adigbo dans l’aire Adja-Ewe au die qui fait tomber”. La prononciation de ces noms est un tabou, car elle attirerait la colère des esprits. Ce fait constitue un des biais le plus fréquent dans le dépistage de l’épileptique au cours des enquêtes épidémiologiques et des consultations hospitalières, car le malade et sa famille ont peur de prononcer ce mot. Le but de ce travail est de montrer que les scarifications thérapeutiques traditionnelles, encore largement utilisées de nos jours (4), permettent, par leur connaissance, de réduire ces biais et peut même orienter sur la nature des crises et leur fréquence.

E.K.Grunitzky, A.A.K.Balogou & C.K.Dodzro

Méthodologie

Le service de neurologie de Lomé a servi de cadre pour la première partie de cette recherche. Il est fréquenté chaque année par environ 3 600 nouveaux consultants et 600 malades y sont hospitalisés. Ce travail repose sur un examen minutieux et complet des téguments de 30 000 patients reçus en consultation externe et de 6000 malades hospitalisés entre 1 9 8 5 e t 1995. Parmi eux, 75 % portent des scarifications traditionnelles. Un entretien en tête-à-tête a été organisé avec tout porteur de ces marques qui répond à une interview directe sous la forme d’un questionnaire individuel préétabli permettant de connaître le motif, le siège, l’âge, l’évolution de la scarification à travers le temps. D’autre part, les résultats des examens cliniques et paracliniques ont été consignés. L’ image des scarifications les plus caractéristiques est photographiée avec le consentement du malade. La deuxième partie de la recherche s’est déroulée dans les différentes aires culturelles du Togo et auprès de tradipraticiens, auteurs de ces pratiques : elle nous permet de comparer certains aspects des observations hospitalières à la connaissance populaire. Des personnes ressources, des tradipraticiens ont été soumis à un entretien afin de recueillir des informations sur les connaissances de ces derniers concernant l’origine et la signification des scarifications. Quarante mille sujets ont répondu à nos questions. La troisième partie a concerné le diagnostic de l’épilepsie au cours de deux enquêtes neuroépidémiologiques. La première enquête a été réalisée sur environ 20000 habitants dans la région de Kloto au sud-ouest du Togo en 1985 (2). La deuxième sur 1 0000 habitants dans la région de Tone au nord du Togo (1).

Résultats

Représentation de la maladie et causalité du mal : La représentation culturelle de l’épilepsie est différente en fonction de l’aire culturelle. Ainsi, chez les Moba-Gourma, seul le sujet ayant fait au moins trois crises est considéré comme épileptique et soumis à un traitement traditionnel. Chez l’en-fant, la notion d’épilepsie n’intervient que quand il commence à marcher et à parler, soit approximativement vers l’âge de trois ans. Avant cet âge, les crises ne sont pas considérées comme d’origine épileptique. Elles portent alors le nom de l’oiseau qui le transmet : polupoya ou nwäg ce qui signifie “quelque chose d’en haut” ou “oiseau comparable à la cigogne”. Les crises sont attribuée chez les enfants aux déjec-tions émises par cet oiseau mystérieux et mythique lors de son passage. Chez l’adulte, bien que la maladie soit considé-rée, au sein des familles où elle sévit, comme honteuse en public, l’épileptique est parfois entouré de respect. Ceci pro-vient d’une des causes de cette maladie. En effet, elle peut être due à la possession d’un sujet par l’esprit d’un épileptique décédé. Cet esprit est respecté lorsqu’il s’agit de celui d’un grand-parent valeureux ayant réalisé plusieurs exploits au cours de sa vie ; par contre, cet esprit peut inspirer la crainte lorsqu’il s’agit de celui de quelqu’un dont la vie n’a amené que des souffrances et la honte à sa famille. Parfois la maladie est due à l’inhalation des gaz abdominaux émis par l’épileptique lors d’une crise. C’est pour cela que les gens fuient quand un épileptique tombe et fait sa crise. Certains arbres sont reconnus être à l’origine de l’épilepsie. Ils contiennent une sève (assimilée à la bave émise par l’épileptique). Lorsque cette sève tombe sur un individu et que celui-ci ne se fait pas vite traiter, il devient épileptique ; ces arbres sont : gabog ( faux ébène), saäg (karité), duug (néré) et gben (kapokier). Par ailleurs, il existe des animaux qui peuvent transmettre la mala-die aux chasseurs qui les tuent. Ce sont : sebig (antilope che-val), komog (gazelle), monaab (bœuf de brousse = buffle ) , modwol ( porc de brousse = p h a c o c h è re). La vente de la poule noire kobon est interdite au marché de Dapaong, chef-lieu de la région, en raison de son pouvoir de transmission de l’épilepsie. En dehors de la forme spectaculaire (crise généralisée, grand mal) bien connue du grand public, les Moba Gourma décrivent d’autres formes : notamment une au cours de laquelle le sujet sentant venir le mal cherche un bon endroit, s’allonge et fait sa crise. Cette forme partielle, secondairement généralisée, est liée au cycle lunaire et, par conséquent, aux menstruations chez les femmes. Une autre forme appelée umognub ounubwoug (il est possédé par les esprits ou les esprits le suivent) est comparable à l’état d’un charlatan qui entre en transe mais, contrairement au charlatan, l’épileptique ne prophétise pas et ne se rappelle pas son état de transe. Cette forme correspond à l’absence. Les interdits sont essentiellement d’ordre alimentaire, sexuel et social chez l’épileptique dans l’aire Moba-Gourma. Les aliments spécifiquement interdits sont la chèvre, la poule, le poisson, les aliments utilisés lors des cérémonies, les aliments et l’eau ayant séjourné plus d’une journée dans la concession. Sur le plan sexuel, l’épileptique ne doit avoir aucun rapport sexuel pendant toute la durée du traitement, qui peut varier de plusieurs mois à plusieurs années ; la contagion est possible lorsqu’une crise survient pendant les rapports sexuels. Le mariage n’est pas interdit, mais on s’aperçoit qu’il est plus facile pour une femme épileptique que pour un homme atteint de cette affection. Le mariage étant conditionné par la dot, les parents de la fille épileptique donnent volontiers leur enfant sans dot. Par contre, il est plus difficile qu’une famille accepte un gendre épileptique. Dans l’aire Kabyè-Tem, chez les Kabyè, la consommation d’un fruit non mûr qui est tombé d’un arbre, l’ingestion d’une eau dans laquelle est tombé un margouillat, l’envoûtement, sont les principales causes de l’épilepsie. Le plus souvent, la cause est inconnue. Les formes cliniques ne sont pas très connues.

Cependant, chez le nourrisson, il existe une forme appelée tsantsan ou crises convulsives fébriles, différente de l’épilepsie grand mal par le fait qu’elle ne s’accompagne ni de morsure de langue ni de miction involontaire. Les interdits alimentaire s sont l’alcool, la poule, la chèvre, le porc, l’huile de palme, les aliments provenant de récoltes récentes. S’il n’existe pas d’interdit sexuel chez les Kabyè, l’affection, considérée comme honteuse, fait fuir le partenaire. Sur le plan social, il est interdit à un sujet de mettre son pied dans la bave de l’épileptique ou de la toucher, car elle est contaminante. Les cérémonies coutumières d’initiation ne sont pas interdites aux épileptiques. Au décès d’un épileptique, pour éviter que son esprit ne vienne habiter un autre membre de la famille, le tradipraticien répand dans la maison des herbes douées d’un certain pouvoir. La dépouille mortelle n’est pas sortie par la porte, mais à travers un trou réalisé dans le mur. L’épileptique n’est pas enterré dans le cimetière commun, mais isolément. Dans cette même aire ethnique, mais chez les Tem, plusieurs causes de l’épilepsie sont reconnues : la transmission par les parents, la coïncidence entre le passage d’une fée la nuit et le moment où le couple a des rapports sexuels (l’enfant né de cette union devient épileptique), le sort jeté par un sorcier à une personne très intelligente ou désobéissante, la réincarnation, le passage d’un serpent invisible et non perceptible par un non initié appelé koumene qui produit une lueur et une chaleur (si un individu passe dans la même zone alors qu’elle n’est pas encore ref roidie, il devient épileptique).

Cette cause est la plus redoutable et la plus difficile à traiter. Les Tem distinguent certaines formes qui n’ont pas de nom particulier mais qui sont différenciées par leur manifestation : la forme spectaculaire, la perte des urines accompagnée de secousses musculaires, la morsure de la langue avec secousses et les secousses hémi-corporelles qui évoluent vers la paralysie lorsque le sujet n’est pas traité de façon énergique. Les interdits alimentaires sont le rat arboricole, la chèvre, la poule, le poisson frais, le gombo ou toute autre sauce gluante, l’huile rouge. Les rapports sexuels sont interdits par peur de la contamination. Au décès de l’épileptique, des paroles rituelles sont prononcées par les initiés afin de conjurer le mauvais sort et pour que la maladie ne revienne plus dans la famille. Dans l’aire Adja -Ewe, les causes sont : la circulaire du cordon , une présentation par le siège ago, la possession par un v a u d o u (fétiche), l’envoûtement, les convulsions fébriles devido non traitées chez le nourrisson. Une autre cause peu connue est adee (liquide gluant vivant) qui est dans l’organisme de cert a i n s sujets. Il entraîne des pertes de connaissance et des crises convulsives.

Adee a tendance à ne sortir que très peu sous forme de bave, tant qu’il n’est pas anéanti. Le grand mal est reconnu sous le nom de dossessin (la maladie forte), l’absence sous le nom de eyibo (il est parti loin) et les convulsions fébriles sont appelées devido (la maladie des enfants). Tous les aliments à base de tubercules, de manioc sont interdits ablo, fufu, akume, agbelima . Le manioc, aliment de base, est considéré comme toxique chez l’épileptique. Le gombo fetri et toutes les autre s sauces gluantes sont interdits, de même que l’huile de palme, l’alcool. Le mariage d’un épileptique n’est pas toléré, mais cependant accepté si le partenaire est consentant : ceci s’observe chez les épileptiques qui ont des crises rares. Il est interdit de piétiner l’endroit où l’épileptique est tombé, surtout si la chute est récente. C’est pour cela que ce lieu, considéré comme souillé, est brûlé, la terre remuée et jetée ailleurs. Lorsque l’épileptique meurt lors d’une crise, il est enterré la nuit même de son décès et des sacrifices sont adressés au vaudou . Le traitement de l’épileptique, quelle que soit l’aire culturelle , comporte, en dehors des interdits, selon le cas, l’utilisation de plantes, le désenvoûtement, la conjuration du mauvais esprit, des sacrifices d’animaux et de volailles. La scarification avec addition de calcinat végétal, animal ou minéral s’applique, quelle que soit la cause de la maladie. L’extraction du sang n’est pas utilisée dans l’épilepsie.

Les scarifications

Environ 80 % des épileptiques reçus en consultation dans le service de neurologie de Lomé et 95 % des épileptiques diagnostiqués au cours des enquêtes neuroépidémiologiques portent des scarifications traditionnelles en rapport avec l’épilepsie. Les scarifications du front, à la racine des cheveux, parfois au milieu ou à la moitié supérieure du front, très fines et court e s (1 à 3 mm), sont caractéristiques de l’épilepsie au Togo.

Première observation

L’enfant Ed… K., de sexe masculin, d’ethnie ewé, quatrième d’une fratrie de six membres, est reçu en consultation le 12 décembre 1994 accompagné de ses parents. Cette consultation est exigée par son maître d’école pour une perte de connaissance survenue en pleine classe, il y a trois jours. L’interrogatoire ne retrouve aucune notion d’hospitalisation antérieure, de pathologie périnatale ou de maladie grave. L’examen neurologique est strictement normal. L’examen des téguments révèle au front, à la racine des cheveux, trois incisions verticales fines et courtes (2 à 3mm de longueur), pratiquées depuis dix jours (donc récentes), noyées dans un groupe de scarifications de même genre hyperpigmentées, réalisées depuis plus de cinq ans (donc anciennes). Le médecin évoque devant ces scarifications la survenue de crises épileptiques. Les parents reconnaissent alors que l’enfant présentait des crises convulsives avec perte de connaissance survenant souvent dans un contexte hyperpyrétique ou le matin au réveil. L’EEG montre un tracé de base bien structuré avec survenues de paroxysmes bilatéraux et synchrones. Le reste des examens (hémogramme, examen du LCR, FO, TDM du crâne) est normal. La clinique et l’EEG sont évocateurs d’une épilepsie idiopathique bénigne de l’enfant. Il s’agit de crises récurrentes, nécessitant donc un traitement.

Deuxième observation

Elle concerne Monsieur M. Ket…, d’ethnie mina, docker depuis trois mois, reçu en consultation le 12 octobre 1995 pour découverte de traces de sang sur son oreiller et son drap. L’examen neurologique est normal. L’examen des téguments montre de très fines incisions (une dizaine) de 1 à 1,5mm de long, pigmentées, localisées au front, à la racine des cheveux. Ces incisions auraient été pratiquées dans l’enfance après une hospitalisation pour méningite. La topographie des incisions fait suggérer la possibilité de crises épileptiques. Le malade reconnaît avoir présenté six mois après sa méningite des crises convulsives fréquentes avec chute et perte de connaissance, traitées traditionnel-lement par des scarifications. Il déclare présenter régulièrement, le matin, depuis sa nouvelle affectation, des courbatures, des myalgies et des morsures de la langue. L’EEG montre des pointes, pointes-ondes focalisées fronto-temporales droites. La TDM cérébrale, la sérologie de la toxoplasmose et de la cysticercoce, le FO, l’hémogramme sont normaux. Il s’agit probablement d’une épilepsie séquellaire d’une affection ancienne. Chez ce patient, on trouve par ailleurs des scarifications interorbitaires et temporales de même type, témoin de son passé céphalalgique.

Troisième observation

Elle concerne une femme de 35 ans, dépistée au cours d’une enquête neuroépidémiologique, dans le nord du Togo, du fait de la présence de scarifications hétérogènes caractéristiques de l’épilepsie à la racine des cheveux. Elle n’avait répondu à aucun item classique de dépistage et n’avait pas déclaré de crises convulsives. Un enregistrement EEG montrait un tracé d’hyperexcitabilité corticale. Elle reconnaît alors avoir eu plusieurs crises épileptiques. Elle avait été mariée et répudiée à deux reprises, à cause de ses crises. Les scarifications sont cachées à la racine des cheveux ou fines au front, au début des crises et lorsqu’elles sont rares (figure 1 a , 1b) ; elles sont au contraire pratiquées plus larges, sur le front , les tempes et mêmes sur les joues, lorsque les crises sont fréquentes et connues de l’entourage.

Commentaires

La traduction littérale du mot épilepsie dans les différentes aires culturelles au Togo, en dehors de quelques formes cliniques, est “la maladie qui fait tomber”. Cette appellation se retrouve également dans d’autres pays d’Afrique et ailleurs. Au Moyen-Âge, la même idée prévalait en Europe (5). Dans pratiquement toutes les aires culturelles du Togo, il existe une différence entre les crises épileptiques de l’adulte et les convul-sions fébriles de l’enfant qui portent un autre nom. Dans toutes les communautés, le constat de l’épilepsie suffit pour modifier le jeu relationnel du groupe et marginaliser l’individu. C’est la raison pour laquelle la maladie est cachée non seule-ment par l’épileptique, mais également par la famille. De nombreuses maladies sont traitées par des scarifications avec addition de calcinat ou de poudre qui sont censés conte-nir le pouvoir curatif, de prévention et de protection magique. L’instrument de la scarification provient du règne animal (os, arête), du règne végétal (épines, éclat de roseau ou de bambou), du règne “minéral” (éclat de verre, lame de rasoir ou d’un couteau fabriqué par le forgeron). Le choix de l’instrument dépend de la nature de la maladie et de la plante dont est issue la poudre médicinale. Une incompatibilité entre instrument et plante médicinale inactiverait la poudre. L’épilepsie est la seule affection de notre répertoire où le siège des scarifica-tions ne semble pas correspondre aux manifestations cliniques de la maladie. La quasi totalité des tradipraticiens situe l’origine de cette affection dans la tête qui représente l’“antenne” du corps. Ces considérations justifient la localisation frontale des scarifications dans l’épilepsie qui est identique dans les trois aires culturelles au Togo. Ces scarifications sont pratiquées dès l’apparition des premières crises et permettent de situer le début de celles-ci. Leur petite taille et leur finesse les différencient des scarifications à connotation sociale (grande taille, large, profonde, épaisse) Ce même caractère illustre la volonté des collectivités de dissimuler ou éloigner tout soupçon de la maladie. En effet, les représentations imaginaires et symboliques de l’épilepsie

Dans le système de pensée traditionnelle en Afrique orientent le récit des crises et les attitudes de l’entourage. La simple évocation de l’épilepsie sous-tend une telle charge négative et anxieuse que le malade et ses proches n’osent même pas la nommer. Ainsi l’épileptique qui vient en consultation parle rarement de crises épileptiques mais souvent de malaises, de syncopes et de pertes de connaissance. Le médecin, comme le tradipraticien, se doit de deviner le véritable motif de consultation par la connaissance de la marque épileptique (scarifications frontales), prononcer le mot tabou et permettre à la famille d’en parler. Le médecin assiste rarement à la crise, il s’appuie sur l’interrogatoire pour poser le diagnostic. Or, à travers ces trois observations, à aucun moment, ni le malade ni ses proches n’ont fait allusion aux crises épileptiques. Il a fallu, grâce à la découverte des scarifications frontales, que le médecin évoque l’épilepsie pour qu’ils en reconnaissent l’existence. Les scarifications frontales constituent à cet effet un élément diagnostique fondamental dans le dépistage et la prise en charge des malades épileptiques. Dans la première et la dernière observation, les scarifications sont hétérogènes. Ce caractère peut être l’œuvre du même tradipraticien ou de plusieurs autres par lesquels le malade a dû transiter. Il exprime la répétition des crises et donc des incisions. Ces scarifications, par leur hétérogénéité, permettent de séparer les crises récurrentes (qu’il faut traiter) des crises isolées, d’où leur intérêt thérapeutique. Les scarifications sont plutôt homogènes dans la deuxième observation, mais datent de l’enfance et succèdent à un syndrome infectieux (méningite). Le changement récent des conditions de vie (docker travaillant la nuit depuis trois mois) peut être considéré comme le facteur déclenchant des crises actuelles. Cette homogénéité a permis de rattacher l’épilepsie à une affection ancienne, d’où l’intérêt étiologique. La découverte des scarifications frontales, dans la troisième observation, a permis d’éviter la dissimulation des crises épileptiques. Cette observation montre l’intérêt de la connaissance de ces scarifications pour éviter certains biais dans les enquêtes épidémiologiques.

Conclusion

En dépit des multiples facteurs naturels ou surnaturels qui sont tenus pour responsables de l’épilepsie, de toute la charge négative qui l’accompagne et qui l’occulte, la quasi totalité des tradipraticiens situe l’origine des perturbations dans la tête qui représenterait l’“antenne” du corps. Ces considérations justifient la localisation frontale des scarifications. Au Togo, plus de 80 % des épileptiques portent sur leur front le diagnostic de cette affection. La reconnaissance de ces types de scarifications chez un sujet qui consulte pour des malaises ou des syncopes ou des pertes de connaissance doit amener le médecin à poser sans ambiguïté des questions allant dans le sens du diagnostic d’une épilepsie et à orienter les examens complémentaires vers celle-ci.

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