* Docteur Jacques A. ARPIN, médecin psychiatre et anthropologue, département de psychiatrie, Faculté de médecine de ]’Université de Genève.
Paru dans « L’Évolution Psychiatrique, 54, 4, 1989, p. 751 à 770. »
RESUME
« Sinistroses »… névrose post traumatique, névrose des assurances, hystérie de conversion, variations sur les hypocondries. A partir d’un signal, par exemple une somatisation, patients et médecins s’engagent dans un engrenage de chronicité. Mais ils ne sont pas seuls : les professions de droit, économie, commerce et politique sont également impliquées.
Réanimer le rêve interrompu chez ces patients, souvent des immigrés, demande une approche large, basée sur la connaissance des systèmes de santé et sur les représentations culturelles masquées par les somatisations. Pour une recherche et des propositions thérapeutiques pertinentes, il est indispensable d’organiser une méthodologie comparative aux niveaux professionnel, social et culturel.
SUMMARY
Invalidity, Medicine and Culture (A Cross Cultural Approach to the Understanding of the Phenomenon of Sinistrosis). « Sinistrosis »… post traumatic stress disorder, « insurance neurosis », conversion hysteria, variations on the saine theme of hypochondrias. After attention has been called to, for example, somatization, patients and physicians become embroiled with a chronic condition. But they are not alone : the legal profession, as well as the economic, commercial, and political sectors are equally implicated.
To revive the illusion and broken dreams of patients, often immigrants, calls for a wide approach based on a knowledge of health care systems and cultural factors that are masked by somatizations. In order to plan relevant research and therapy, it is necessary to devise a comparative methodology at professional, social, and cultural levels.
« Vous n’êtes pas malade, M. Gonzales.
Mais j’ai mal, docteur.
Bon, écoutez M. Gonzales : on a tout investigué, fait des tests ; on n’a rien trouvé. Il n’y a rien. Vous êtes en bonne santé.
Oui, mais moi je ne vais pas bien. Je dors mal. Je ne peux pas travailler. Je ne peux plus.
M. Gonzales, la médecine, la science médicale ont fait tout ce qui est en leur pouvoir. Voyez vous, le corps humain, c’est comme une voiture, et nous, médecins, nous sommes des mécaniciens spécialisés. Donc je peux vous rassurer et vous dire que, chez vous, la mécanique est en ordre.
(Soupir). Bon, niais alors docteur, qu’est ce que je fais moi ?
Eh bien, on continue le traitement. Je vais renouveler votre ordonnance, voyons… anti dépresseur.,., un petit sédatif pour la journée et… un tranquillisant pour la nuit. Voilà M. Gonzales, et si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à prendre rendez vous ».
Ceci n’est pas une caricature. Ce n’est pas non plus une généralisation. Dans cette relation autrefois justifiée par la maladie, une maladie cliniquement objectivable, on ne parle plus que de technique, et dans ce dialogue de sourds il n’y a plus de place pour la santé. Chacun suit son idée, à chacun sa pensée opératoire. Dans cette relation qui a bien trop duré, il n’y a pas d’échange, il n’y a que de rares items de communication, visites, médicaments, articulés par les contradictions et doubles messages. Chacun des protagonistes est un alibi pour l’autre.
Ce dialogue est un extrait, un petit extrait d’une longue action dramatique. La vie de M. Gonzales est l’histoire d’un rêve, autrefois nourri par des ambitions, aujourd’hui absent. Dans ce périple, le personnage principal est la victime d’un événement souvent banal, un accident, une maladie et, dès lors, il se regarde dans des miroirs brisés. Dans le dialogue ci dessus, il rencontre la santé et l’un de ses artisans. C’est un petit extrait, car il y a encore bien d’autres personae dramalis, rouages d’une machine infernale dans laquelle s’engrènent les Gonzales.
Les scenario se ressemblent. Dans nos régions, les mises en scène se ressemblent également. Directives, elles sont réglées par le code de « l’intégration » sociale. L’action et ses protagonistes passent d’un système d’étiquettes à l’autre, classés, fichés dans un entrelacs de malentendus. Bien loin de la véritable histoire de M. Gonzales, l’action devient la proie des professions d’influences : la médecine par exemple, tiraillée entre statut et fonction, entre la vocation de guérisseuse et l’exercice du contrôle social (49) (23). Le médecin de M. Gonzales vit à une autre époque, celle de la médecine souveraine, celle de la relation à deux. Il ignore que d’autres parties interfèrent dans cette relation : économie, droit, politique, dans le contexte de l’évolution sociale des professions (45). A eux deux, M. Gonzales et son médecin ne pourraient pas faire fonctionner cet engrenage de la surconsommation, alimenter cette incapacité au cours des années, l’ornant même d’une addiction iatrogénique aux drogues psychotropes.
L’auteur se propose d’aller au delà de la simple dénonciation, pour rencontrer les autres personae drainatis et chercher à briser la répétitivité des scenarii de la sinistrose.
1. Les sinistroses
Sinistroses…. névrose post traumatique, névrose des assurances, hystérie de conversion. Dénominations, variations sur les hypocondries. Syndrome à part entière ou facettes d’un phénomène plus général (1). Chacun son tour, chirurgien, interniste, psychiatre, avocat, expert d’assurances y voit un aspect du phénomène et le généralise en un tout. L’un reçoit une somatisation, l’autre une demande de réparation, ce qui introduit à chaque fois un nouveau terme dans le vocabulaire de l’inconfort (6).
Ces simplifications et ce manque de curiosité à l’égard de la somatisa tion et de la nature du traumatisme provoquent l’enflure des investiga tions et des techniques de réparation inutiles, parce qu’on se débarrasse d’un effet de surface en laissant le mal dans le fond. Les sinistroses ne sont pas qu’une affaire d’immigration. Plus subtilement, ces somatisa tions, porte parole d’un besoin de réparation, apparaissent plus largement dans des populations qui ne sont pas nécessairement étrangères au système de santé qui les évaluent. De la campagne à la ville, d’une région catholique à une région protestante (3), ce sont des variations d’applications sociales de principes culturels qui créent l’anxiété à chaque fois que le sujet manque de congénères pour lui dire que ce qu’il fait est juste. Sans cette reconnaissance d’autrui, l’anxiété croît comme de la mauvaise herbe ; le sujet sent glisser son identité culturelle. On consultera Nathan et son récit de l’histoire de Mahmoud H. (37), de Barros Ferreira et l’histoire de Maria (5), exemples d’« hystérie de l’immigration » concer nant des personnes du bassin méditerranéen, pour trouver, au delà du ou des symptôme(s), l’existence des mythes. Ceux ci, dans le processus de migration, ne coexistent pas toujours avec les interprétations du pays d’élection (4).
Devereux (12), à propos des changements de milieux culturels, évoque le mécanisme des défenses culturelles qui permettent à l’individu de faire face à des stimulations parfois stressantes, afin que celles ci ne se transforment pas en traumatismes. Exposé à de nouvelles stimulations ou transplanté hors des régions où ses défenses culturelles ont un sens, l’individu ainsi déprivé présente un risque accru de déboussolement. Cela vient bouleverser son rêve. Parti souvent d’une terre ingrate vers une terre promise, l’immigrant est brutalement réveillé par l’accident, la maladie qui le laisse dans un état d’hébétude. Son rêve encrassé est alors interrompu. L’invalidité, une impuissance sexuelle et cette absence de rêve caractérisent une crise d’identité (37) apparemment incompréhensi ble aux yeux d’une médecine occidentale qui aime s’en tenir aux faits, n’étant pas éduquée, pas préparée pour attaquer les sinistroses par le fond. Les immigrants, ce ne sont pas seulement les autres chez nous, mais bien aussi les Occidentaux ailleurs, par exemple suisses, responsables de succursales bancaires en Amérique du Sud, ingénieurs de terrain en Afrique et, rappelons le, les migrants ruraux/urbains. Enfin, puisque les conceptions de la santé varient entre régions culturelles, mentionnons encore les diversités existant au sein des équipes de soins qui perçoivent au cours de voyages sans déplacement les manifestations pathologiques des Suisses chez eux (29).
Avant d’illustrer ce travail par des situations cliniques, faisons une halte sur les chiffres. Pour un complément épidémiologique à cet article, je suis allé consulter les offices fédéraux et cantonaux de la statistique en Suisse, ainsi que les organismes de l’hygiène publique et les associations professionnelles de la santé. L’intention était de trouver de quoi faire un dépistage des sinistroses dans ses rapports avec la prévoyance sociale et la santé publique.
Statistiques et déceptions
« Sur 20 000 demandes de mises à l’assurance invalidité, seulement 617 sont des histoires de sinistroses, alors, docteur, n’êtes vous pas en train de vous intéresser à une tempête dans un verre d’eau ? ». Pour rédiger son article, ce journaliste (7), ayant fait son enquête, se trouvait donc bien compréhensiblement étonné. Ma propre enquête fut intéressante mais décevante. Je suis allé à l’Office fédéral de la statistique (39), au Service cantonal de la statistique de Genève (44), à la Fédération des médecins suisses (8), à l’Institut d’Hygiène et à l’Association des médecins de Genève. Aidé par un personnel également aimable et disponible, je me suis d’abord penché sur la question des coûts. On constate, sans surprise, qu’entre 1960 et 1985 les dépenses ont augmenté en Suisse aux trois niveaux de sources : confédération, cantons et communes. La répartition entre prévoyance sociale et santé publique est difficile à évaluer, car chaque canton a son particularisme : prévoyance et santé sont parfois séparées, parfois fusionnées. De même que pour les coûts généraux, la densité des médecins et des lits d’hôpitaux a augmenté : en 1960, il y avait 9,1 praticiens pour 10 000 habitants, soit 1 médecin pour 1 110 habitants ; en 1986, il y en a 14,7 pour 10 000 habitants, soit 1 médecin pour 666 habitants. L’examen de chaque spécialité n’est vraiment pertinent que pour les généralistes qui ont passé de 4,2 pour 10 000 habitants en 1960 à 5,5 en 1986. Pour les spécialités, il faut tenir compte des modes (sur spécialités, puis retour à la pratique générale) et des demandes en relation avec l’actualité (psychiatres ; spécialités développées autour de l’épidémie de SIDA). Jusque là, ces chiffres ne permettent pas de rapprochement logique avec les sinistroses, mais ils permettent de poser une question : considérant ces augmentations de médecins et de moyens, peut on agir plus tôt ?
Une prévention primaire des sinistroses ne peut se faire qu’avec une connaissance clinique de ce que l’on veut éviter et une intuition qui permette de détecter certains signes avant qu’ils ne deviennent des symptômes, idéalement. Les somaticiens sont donc aux premières loges, les généralistes surtout. Un tel sondage est plus difficile en milieu hospitalier (79,1 médecins pour 10 000 personnes en 1960 et 217,7 en 1986). Les assistants (internes) et chefs de clinique changent souvent de services et ne peuvent donc pas produire soit des cohortes, soit un suivi thérapeutique sur plus d’une année. Cela nous amène à examiner la continuité entre les secteurs public et privé, un phénomène qui, d’emblée, pose de grands problèmes méthodologiques :
La continuité n’est pas une réalité. Tel médecin, chef d’unité ou autre responsable qui quitte les milieux hospitaliers universitaires en septembre pour s’installer, perd sa crédibilité, au moins aux yeux de l’entreprise. Le patient que ce médecin voit en septembre subira une série de tests. S’il le voit en octobre, son patient subira une première série d’investigations dans le privé et, en cas d’hospitalisation, une seconde série en secteur public (on « vérifie » toujours !).
Quelle catégorie de morbidité choisir ? Prenons, et cela en tenant compte de la fréquence des affections lombo sciatalgiques, J’appareil locomoteur. En 1986, en Suisse, 7,2 % de ces malades ont été soignés en intra hospitalier, 11, 1 % en ambulatoire et 12,2 % en cabinet. Continuité pour de mêmes patients, différents patients, les rapports ne le disent pas.
D’une part, on est confronté à la dynamique de J’entreprise de la santé (14) (19), dont les impératifs brouillent les pistes d’une recherche s’appuyant sur la continuité des soins. D’autre part, il est malaisé de choisir une catégorie nosologique. Le cas de l’appareil locomoteur ne donne pas d’information sur les sinistroses, celles ci figurant dans les dossiers plutôt comme appréciation que comme diagnostic. Enfin, si l’on examine la question des rhumatismes (41), comment différencier les états rhumatismaux avec et sans composante associée avec une sinistrose ?
Il me restait une corde à mon arc, celle des droits de pratique. En effet, le droit de pratique équivaut au droit de prescrire. Et dans la relation de M. Gonzales et de ses semblables avec leurs médecins traitants, la prescription est presque une constante. Elle fait partie du scénario répétitif. Elle est cet apport iatrogène à la maladie. Elle est aussi ce lien entre la médecine guérisseuse et l’industrie médicale. En 1987, 1 576 droits de pratiques ont été délivrés en Suisse (Bulletin des médecins suisses, Fédération des médecins suisses). De ces 1 576 droits de pratique, 1 470 ont été accordés à des médecins suisses et 106 à des médecins étrangers. Mais il ne s’agit que de médecins installés ou praticiens du secteur privé. Les médecins travaillant en hôpitaux ne sont pas comptés, de même que ceux qui travaillent en recherche, en entreprises, comme conseillers, etc. Quant aux médecins étradans des permanences (système de cliniques privées engageant du personnel étranger, en attente de légalisation sur le territoire, i. e. de l’obtention d’un diplôme suisse de médecine, d’un permis de travail). Enquêter dans ces permanences est délicat, comme on le comprendra.
Cette exploration, si elle est instructive, est aussi décevante. Les sources sont imprécises et rien ne permet de corriger, pour ce qui est des sinistroses, le très important facteur de subjectivité. Dès le moment où un patient dérange par la répétition de ses manifestations et par la démonstration d’une certaine impuissance médicale, l’objectivité de l’évaluation d’un tel patient est à mettre en question. Revenons donc à la clinique et vers d’autres rencontres avec des protagonistes de l’action dramatique.
Cas n’ 1 : La morte vivante et ses familles
« Travaillant alors en psychiatrie de liaison à l’hôpital universitaire de Genève, je fus appelé en consultation dans un service de médecine interne pour une patiente qui allait rentrer chez elle le jour même. Arrivé dans sa chambre, je vis tout d’abord un essaim d’infirmières affairées autour d’un lit palissadé de bonbonnes d’oxygène. Dans un coin de la chambre, un groupe de personnes du service bavardaient. La patiente était assise sur son lit, raide, maigre et hagarde, le teint cireux. Elle me fit penser à un vampire, dressé dans son cercueil. Un coiffeur de l’hôpital S’activait à lui retoucher sa permanente et la complimentait.
Cette femme de cinquante cinq ans, suissesse, mariée à un compatriote, était d’origine campagnarde. Elle avait quitté son Valais natal alors qu’elle était jeune fille, avait rencontré son mari, commerçant, à Genève. Le couple a eu deux enfants, une fille, mariée, et un fils. Elle souffrait depuis deux ans d’une insuffisance respiratoire sur tabagisme, et était confinée à ses bonbonnes d’oxygène et à un champ d’action très restreint. Avant que son emphysème ne soit invalidant, elle avait consulté toute une collection de médecins qui la faisaient hospitaliser en cas d’urgence (2 fois) ou, sur demande de la famille, au moment des fêtes ou vacances (4 fois). La liste de médicaments psychotropes qu’elle avait déjà expérimentés ressemblait à un catalogue pharmaceutique. Elle allait donc quitter l’hôpital pour rejoindre son foyer qu’elle habitait avec so mari ‘ sa mère, sa fille et son gendre ; seul, le fils vivait indépendamment. Comme la consultation etait top tardive et que je n’aurais pas eu le temps pour m’entretenir avec elle, je proposai à la patiente de passer la voir chez elle. Elle ne réagit pas, son regard fixe me traversa comme si j’étais immatériel.
Ce fut sa mère qui m’ouvrit la porte. Je la suivis le long d’un corridor qui débouchait sur une grande chambre, au fond de laquelle un second couloir menait aux autres pièces. Au milieu de cette chambre, probablement prévue pour être une salle de séjour, le lit était installé, le vampire, dans la même position inquiétante, ne vivait que par sa respiration laborieuse. Arrangées autour du lit, les bonbonnes d’oxygène faisaient penser à de gros cierges autour d’un catafalque. La famille, le mari, la fille, la mère et une aide de ménage s’affairaient, qui tapotant un oreiller, qui préparant la table. Sur cette table, les couverts étaient mis d’un côté ; la moitié de la surface était occupée par les boîtes et flacons de médicaments. »
« High technology comes inio play again ai the end of life, where heroic technologies are often applied to delay death for a short time » [« La haute technologie entre à nouveau en scène vers la fin de la vie quand ces technologies héroïques sont appliquées pour retarder la mort, un court instant »], (35). Il faut plus qu’un patient et un médecin pour en arriver là. Situation de fin de vie, sans doute, pour laquelle un traitement de la maladie somatique est indiscutablement pertinent. Mais il y a tout le reste : cette panoplie de médicaments psychotropes et cette inval bien au delà de l’insuffisance respiratoire. La maladie, dans sa forme clinique, est devenue une articulation sociale. La patiente est devenue une sorte de reine des abeilles autour de laquelle s’activent tantôt sa famille proprement dite, tantôt sa famille hospitalière. Ces entourages, dans leur maniérisme, ont reçu comme par contagion ce comportement associé à la pensée opératoire. De cette malade figée et mutique, je ne devais rien pouvoir tirer. Il me restait à lire ce « monologue » infraverbal, à tenter de communiquer avec une morte vivante qui semblait maintenue par quelque prodige scientifique dans un sas entre vie et mort, comme le Valdémar d’Edgar Allan Poe.
Neuf années se sont écoulées entre la première consultation figurant au dossier médical de cette patiente et celle rapportée ci dessus. La maladie a neuf ans de vie, dont deux de survie. Les autres acteurs du drame se profilent. La patiente, ses médecins et maintenant sa famille et celle des professions de la santé. De plus, comme le rappelle Mechanic (citation ci dessus), il y a les technologies et leur prix, le bien fondé de la survie et ce que ces technologies cachent. Dans l’exercice de la médecine occidentale, professionnelle, la relation médecin malade tend à exclure les autres systèmes de santé. Kleinman (24) replace cette médecine dans sa complémentarité avec les systèmes de santé populaire et folklorique, dans lesquelles ces technologies ne sont pas représentées. Cette patiente et son entourage ont accepté le mécanisme diagnostic traitement et les conséquences de l’engrenage, sans autre réflexion. Ce que Kleinman décrit, c’est la réalité de systèmes complémentaires. La médecine populaire est celle que l’on pratique chez soi, les concepts de santé et de maladie au sein de la famille. La médecine folklorique (de « folk lore », le savoir du peuple, du vieux germanique) est celle qui, par l’intermédiaire de guérisseurs culturellement compatibles aux patients, permet de comprendre la représentation. Dans ce système, le patient et son entourage peuvent placer santé et maladies dans leur contexte culturel. Cette séquence de consultation (15) vise à rendre efficace la complémentarité des systèmes de santé. Dans ce cas ci, que représente la respiration pour cette patiente et les siens ? Que représentent les conduits, les voies respiratoires ? Ces personnes ont elles des croyances vivaces ou dominantes à propos de la possession ? Les conduits sont ils des voies d’entrée pour les esprits ? Comment exclure ces clés d’interprétation, si on ne pose pas les questions ? (36). Puis dans le contexte de la médecine professionnelle, et plus précisément dans l’activité de la psychiatrie de liaison, on doit faire le pont entre l’observation médicale et la signification des choses observées. Hegeman (21) en fait la démonstration en se penchant sur la représentation culturelle des fluides et organes du corps. Ce travail s’inscrit bien dans la lignée des propositions de Fabrega (16) concernant le développement d’une ethnomédecine.
La médecine, profession d’influence dans le processus des sinistroses, peut parfois céder le premier rôle à d’autres métiers et n’intervenir que comme rôle secondaire, néanmoins facilitateur, voire catalyseur, comme en témoigne l’histoire suivante.
Cas n’ 2 : Mary, Jane et les réparateurs
« A quarante ans, Mary, américaine établie en Suisse, était à un tournant de sa carrière. Analyste politique, femme d’affaires, elle venait d’ouvrir une agence. Souffrant depuis longtemps de migraines sans qu’on ait jamais pu en déterminer la cause, elle présenta subitement des troubles de la vision. Une tumeur bénigne, néanmoins mécaniquement offensive, comprimait son chiasma optique. Opérée, elle récupéra, puis fit une rechute. Après une deuxième intervention, elle fit une hémorragie cérébrale en salle de réveil et fut opérée à nouveau. Cet épisode la laissa lobotomisée, sans mémoire, sans initiative. Complètement dépendante, elle est retournée aux Etats Unis vivre chez ses parents octogénaires dont elle est le seul enfant.
Jane, cinquante ans, américaine, était une amie de Mary. Au cours d’une soirée organisée par celle ci, Jane fit une chute. Se plaignant de douleur au niveau du coccyx, elle fut soignée. Mais ce ne fut qu’après que Mary soit rentrée aux Etats Unis que Jane intenta un procès, exigeant près d’un million de francs suisses en réparation des dommages douleurs et incapacité consécutifs à cette chute. De nombreux certificats médicaux figuraient au dossier de Jane, défendue par des avocats suisses. Elle toucha moins que ce qu’elle avait exigé, mais suffisamment pour laisser les parents de Mary en grandes difficultés financières.
Jane vit de ses procès. Celui ci n’était pas son premier ni son dernier. Incidemment, sa soeur, avocate aux Etats Unis, s’est fait une spécialité de ce genre d’action. »
Sa tumeur n’a pas donné à Mary le temps ni la possibilité de s’engrener dans un processus sinistrosique. Mais à partir de sa pathologie, Jane a bâti la sienne, argumentant son action judiciaire sur le fait qu’invalidée, Mary allait toucher de fortes primes d’assurances. La manie procédurière n’est pas le monopole des Etats Unis. Toutefois, le système social américain peut laisser les « malpractice suits » franchir le seuil de la réparation pure.
Dans cette variation de la sinistrose, la surconsommation médicale a été transposée au niveau juridique, en fait, simple changement de cadre institutionnel au sein d’une même société. On peut aussi comparer les partenaires juridiques à la « médecine » folklorique, puisque l’action des avocats suisses s’harmonise avec les méthodes d’un autre pays, d’une autre société. Jane est américaine et son langage de la réparation langage américain a été compris par ses défenseurs suisses. Les certificats médicaux ont servi de support à la mise en oeuvre de la réparation auprès de la cour, comme ç’eut été le cas auprès d’une assurance.
A partir d’une chute banale au cours d’une soirée peut être par ailleurs trop arrosée, les partenaires institutionnels ont amplifié les conséquences dans une idéologie réparatrice et afin d’obtenir un gain. L’histoire ci dessous illustre, à la façon d’un conte, cette multiplication des actions professionnelles. En voici un résumé :
« The Biggest Pumkin Ever (La plus grosse courge jamais vue) » (27), raconte l’histoire d’une courge el de deux rats. Clayton, rat des champs, vivant le jour, décide de se présenter le jour avant la Toussaint au concours de la plus belle courge. Il en avise une dans son jardin et entreprend de la faire croître. Desmond, rat des villes, vivant la nuit, rêve de faire le plus gros Jack’O Lantern de Halloween la nuit qui précède la Toussaint. Repérant la même courge, il décide de s’en occuper. Clayton le jour, Desmond la nuit, conseillés par leur famille respective nourrissent la courge qui devient énorme. A J’approche de novembre lors d’une très fraîche soirée, Clayton et Desmond, également préoccupés, vont dans le jardin les bras chargés de couvertures. En chantonnant, chacun couvre son côté de courge. Chacun entendant l’autre chantonner s’arrête, fait le tour de la courge et les deux rats tombent museau à museau. Ils rient bien fort du quiproquo et décident de s’associer. Le jour avant la Toussaint, Clayion gagne le prix de la plus belle courge et la nuit qui suivit on admira le plus gros Jack’O Lantern, celui de Desmond ».
Cas n* 3 . L’homme implosé
« Après avoir été opéré avec succès d’une tumeur testiculaire, José Carlos a présenté des douleurs lombaires qui peu à peu sont devenues son seul discours, et cela plus particulièrement lors des questions touchant à son avenir. José Carlos récite : « … La douleur commence ici, va là et là et… je n’arrive plus à rien faire, plus à travailler… » Portugais, arrivé en Suisse avec sa femme dix ans auparavant, José Carlos ne parle pas du tout le français. Son épouse, elle, le maîtrise très bien et fait donc l’interprète pour lui. Ils ont trois petits enfants qui sont au Portugal, à la garde de leur grand mère maternelle. Au moment de la consultation, José Carlos ne travaille plus depuis deux ans. C’est sa femme qui assume toutes les responsabilités, y compris de pourvoir à l’entretien et à l’éducation de leurs enfants.
Dix ans après l’opération du testicule, José Carlos et ses douleurs lombaires ont été reçus à un rythme de trois visites par an, en rhumatologie où j’ai été appelé en consultation. Le dossier épais ne fournit aucune information sur la personne de José Carlos. Tous les rapports sont descriptifs et ne concernent rien d’autre qu’un médaillon de quelques centimètres carrés contenant le testicule opéré et l’origine de la racine lombaire concernée. »
Pourtant, l’honneur blessé de cet homme diminué par la perte d’un testicule, infériorisé économiquement et linguistiquement par rapport à sa femme, écarté de ses enfants, de son rôle de père, tous ces éléments « hors médaillon » auraient pu provoquer quelque curiosité au cours de ces trois visites annuelles. D’autre part, un Portugais n’est pas si exotique en Suisse latine, d’autant plus que cette immigration méditerranéenne suit celle des Italiens et des Espagnols. Enfin, la blessure narcissique et le processus de sinistrose sont aussi fréquemment observés chez les autochtones venant des régions rurales, montagnardes. Eux aussi ont un rêve. Ces récits de sinistrose semblent maudits par un scénariste qui aime la répétition. Que ce soit un processus linéaire comme dans le cas de José Carlos ou cyclique comme celui que décrit Barros Ferreira (5), il y a toujours un moment où les rapports médicaux trahissent l’enlisement, les roues tournant à vide, la lassitude et l’impatience qui connotent ces situations d’hostilité. En effet, juste avant de baisser les bras, on lâche une goutte de venin plus émotionnel que scientifique : « simulateur », « malade imaginaire ». Le processus de la sinistrose est comme un cauchemar récurrent, qui se fige toujours au même moment à l’engrenage dans la chronicité. On ne reconnaît pas la face épidémiologique de la maladie au sens « disease », mais on continue d’en traiter la face clinique (« illness ») (15). Monsieur Gonzales est déclaré « en bonne santé » par son médecin qui ne lui fait pas moins une prescription médicamenteuse. Très souvent, dans ces histoires de sinistrose l’absence d’anamnèse socioculturelle et l’incompréhension des racines culturelles de la santé et de la maladie s’accompagnent d’un geste magique dans lequel l’objet rituel est la chimiothérapie (40). On peut résumer l’impression laissée par cette réponse anxieuse de la médecine professionnelle, par ce titre d’un travail de Wildavsky : « Doing better andfeeling ivorse (48).
La chronicité introduit de nouvelles personae dramatis. Les visites et entretiens des soins en secteurs médico sociaux public et privé, les demandes de réparation aux assurances font apparaître les protagonistes économiques et politiques de l’action dramatique. A l’alibi santé s’ajoute l’alibi politique de la santé.
II Il faut être au moins deux pour s’attaquer aux sinistroses (puisqu’il faut être au moins deux pour créer une invalidité)
On peut donc constater à ce point, que, dans les cas de sinistrose tels qu’ils sont entrepris dans notre modèle occidental et dans des systèmes de soins nantis, domine une volonté de traiter la maladie au niveau du symptôme sans vraiment l’aborder au niveau phénoménologique. Ces situations cliniques, telles que celles qui sont rapportées plus haut, ont en commun :
– la répétitivité des scenario, tant au niveau des soignés qu’à celui des soignants
– la mauvaise qualité des anamnèses qui, par leur côté strictement descriptif et fondamentaliste, dénote le retrait de la fonction holistique du guérisseur derrière sa fonction industrielle (les deux fonctions ne sont pas exclusives) ;
– et, par conséquent, les attitudes de centrisme, professionnel (pan scientifisme), social (réduction du phénomène par classification de revenus économiques comme influence sur l’incidence des sinistroses) et culturel (pan occidentalisme) ;
– l’ignorance de la sociologie de la médecine pour ce qui est des nuances entre les visages de la maladie (« disease, illness & sickness ») ainsi que les notions de légitimité et d’acceptation sociale des maladies (17).
Cet ensemble de faits constitue une barrière à la prévention primaire, puisque le recul nécessaire à la vision d’ensemble est régulièrement saboté par la fuite en avant du train diagnostic traitement comme défense contre l’impuissance professionnelle.
Nous ne sommes pas en mesure de faire des miracles, même si nous en avons parfois la prétention. La sagesse nous conseille alors de fabriquer des outils. Du point de vue théorique, la littérature est décevante. Il s’agit presque toujours d’énoncés d’histoires cliniques, selon le schéma des présentations de médecine dont l’issue est frustrante de par ses défenses techniques, une forme de déni qui se traduit par la constitution d’un obstacle hostile à toute approche créative. En revanche, la littérature, vue de manière panoramique, devient intéressante quand on cherche à rassembler des courants qui ne sont pas forcément mis ensemble. Dans ce travail, par exemple, une des intentions est de rapprocher la médecine en tant que métier de guérisseur, de ses contextes social et culturel, de la sociologie, de l’ethnologie de la médecine, études corollaires de celles portant sur la sociologie et l’ethnologie de la santé et de la maladie, au sens large. A cette diversité de conceptions professionnelles peut s’ajouter, pour un formidable effet de profondeur, la variable des systèmes de considération de la santé (« Health care systems : popular medicine, folk medicine, and professional niedicine ») (24), une brèche méthodologique dans le pan occidentalisme appliqué à l’enseignement, aux soins et à la recherche. Devereux en avait donné l’exemple par sa psychothérapie d’un Indien des plaines (9) et son étude complémentariste de la psychopathologie des Mohave (10). Puis, tout au long de sa fructueuse réflexion étayée d’une pratique très diversifiée, Devereux (l 1) (l 2) a engagé l’étude transculturelle sur un chemin plein d’outils de travail : défenses culturelles, leviers ou clés d’interprétation transculturelle, etc. Dans son sillage, enfin, Tobie Nathan (37) a développé ces outils, afin de pouvoir formuler des propositions thérapeutiques. Cette pratique et ses limites seront présentées ultérieurement (comme propositions méthodologiques). Il faut tout d’abord parler d’un premier écueil, celui de l’information et de la sensibilisation. Se faire le rassembleur des professions impliquées dans un même engrenage était un pas nécessaire, ne serait ce que pour mieux diriger un effort essentiellement motivé par l’hypothèse la plus solide à long terme : compte tenu de notre expérience clinique des phénomènes associés à la sinistrose sous ses diverses formes, peut on mettre en marche un travail interventionniste en prévention primaire ?
La spirale
Parmi les tristes points communs de l’abord des sinistroses, il y a ce cloisonnement professionnel qui ne fait qu’amplifier les séparations sociales et culturelles déjà difficilement évitables. Chacun a son vocabulaire, son jargon, ce qui veut dire que, dans chaque profession, on a sa vision du phénomène et ses mots pour le dire. Entre la naissance du rêve du « candidat à la sinistrose », l’arrivée dans le pays dit d’adoption, le travail sur le chantier, l’accident, la médecine d’urgence puis de maintien, aux divers niveaux des professions réparatrices, il y a tous les couloirs et escaliers de la Tour de Babel. Il nous a donc paru indispensable de procéder à une sorte de brocante des termes appliqués à ces stades du processus de la sinistrose. Avec la complicité d’un département de psychiatrie déjà rôdé en psychiatrie sociale et ouvert à la méthodologie transculturelle (18), nous avons commencé par un rassemblement des milieux professionnels concernés, les personae dramatis : employés de l’immigration, travailleurs sociaux chargés des requérants d’asile et réfugiés, agents de bureaux de placements et réseaux de travail, maîtres d’apprentissage, chefs de chantiers et syndicalistes, médecins et autres professionnels de la santé, avocats et juges, économistes et administrateurs. A la façon du théâtre de rue et des happenings entre compagnie et public (eg. Living Theatre), nous avons engagé l’action à partir du phénomène de répétition des scenarii et de celui du rêve récurrent qui s’arrête toujours au même moment.
Une présentation médicale mettait d’emblée en scène le thème de la surconsommation des moyens de réparation. Un dossier, très épais, emprunté à un service de médecine de la ville (policlinique de médecine attachée à l’hôpital cantonal universitaire de Genève) résumait par sa trame tout ce malaise de l’impuissance médicale : moments d’urgence, phases de chronicité, hauts et bas dans la nouvelle dépendance au système de la santé, ping pong entre les services médicaux, dévaloir sur l’assistance publique et, issue quasi fatale de cette pantomime, la demande de mise à l’assurance invalidité. Le présentateur (Dr. Pierre F. Unger, médecin responsable du centre médico chirurgical des entrées de l’hôpital susnommé) proposa un modèle d’illustration de cet engrenage, modèle en forme de spirale descendante. Tout d’abord, il y a une victime (un patient) et son bourreau (son accident, associé au chantier, à l’employeur, au pays de cet employeur) et un sauveur (un médecin, une équipe de soins). En poursuivant, c’est le médecin qui devient la victime de son patient bourreau, le médecin se tourne alors vers l’assurance salvatrice. Celle ci, persécutée par le médecin demande alors un juge, etc. Cette représentation met en évidence le jeu de rôles entre les institutions d’une même société et ce phénomène de symptôme, ricochant d’une tête à l’autre, que l’on décrit en thérapie familiale. Le modèle montre également la dynamique du trio lésion réparation frustration. A chacun son tour, les protagonistes expérimentent ces trois états, comme dans le jeu des chaises musicales. Cette mise en scène là est luxueuse. Il y a abondance de rôles socio professionnels, il y a abondance de moyens, soins, assurances, procès. Alors, ce modèle est il applicable à l’intérieur des seuls systèmes de santé nantis, ou bien y a t il des caractéristiques « universelles » que l’on puisse retrouver ailleurs ? Nos sinistroses occidentales sont elles typiques de nos systèmes, ou bien ne sont elles qu’une expression d’un phénomène plus profond et qui, dans d’autres régions culturelles, trouvent d’autres expressions, d’autres formes ?
Le miroir déformant
L’étude comparative des systèmes de santé nécessite donc des outils de travail qui soient utilisables dans des cultures distinctes. La comparaison des locaux institutionnels, de la disposition e ‘ t de la dynamique des participants, des modes de communication, de l’appréciation de la santé et de la critique des soins, modèle qu’expose Kleinman (24, p. 207 208), constitue un outil pratique. Il permet de mener une observation sur les conceptions des systèmes de soins, dans une perspective d’échange entre, par exemple, médecin et malade, « élargis » à leurs dimensions sociales et culturelles. Il arrive souvent que des services chargés de l’immigration demandent des conférences sur une ethnie donnée : « Venez nous parler des Turcs, car nous avons des problèmes avec cette ethnie… ». S’il est malaisé de parler santé dans des milieux qui ne sont pas définis par cela, il est par contre plus facile d’engager des réflexes de prévention primaire par le biais de ces outils de travail transculturels. D’autre part, l’application de travaux sur l’immigration turque (20) (46), faits par exemple en Allemagne Fédérale, ne demandera qu’un ajustement des termes sociaux entre les systèmes allemand et suisse, ainsi qu’une comparaison des politiques de la santé et de la migration pendant la période intéressant les générations observées. Dans cet esprit de confrontation des conceptions de santé entre cultures distinctes, nous avons provoqué une discussion qui permet de contraster des valeurs fondamentales des systèmes socio culturels en Suisse.
Afin de traiter de la réparation, nous avons convié trois représentants de professions différentes et qui sciit également experts auprès d’assurances. Il y avait donc un économiste, expert auprès de la Fédération genevoise des Caisses maladies (F.G.C.M.), un médecin (chirurgien), expert auprès de la Caisse nationale d’assurances, la C.N.A. (qui s’occupe essentiellement des accidents et sponsorise un institut de rééducation réadaptation, situé à Bellikon, en Suisse alémanique) et un juge à la Cour de justice, expert auprès de l’assurance invalidité (A.I.). Pour l’effet« miroir », nous avons convié leurs homologues professionnels, un économiste, un médecin et un juriste, originaires de Haïti, une nation dont la situation socio économique contraste de manière caricaturale avec celle de la Suisse.
Les hypochondries, l’événement déclenchant, le sentiment d’injustice et le droit à la réparation ont donc été confrontés. Il est apparu que, d’abord au niveau économique, l’accès à une médecine de type occidental ne concerne qu’une infime minorité nantie. Cependant, la médecine occidentale, comme idéologie, a fait son chemin en Haïti, au point que certains médecins formés à l’étranger en arrivent à renier la part très importante de la médecine populaire et des rites et pratiques folkloriques, imposant à leurs patients une interaction malade/guérisseur devenue incompréhensible parce que modelée sur un système d’économie de la santé incompatible avec les moyens locaux. Cet état de fait est donc une première barrière à un type de réparation, tel qu’on l’entend dans nos régions. La discussion entre les juristes a d’emblée amené la question du droit à la réparation, dans un contexte appelé par le participant haïtien de « drôle de droit dans un état de non droit ». Pendant la période duvaliériste, les pratiques religieuses ont été manipulées à des fins politiques, ce qui a eu une influence sur l’efficacité et la crédibilité des guérisseurs folkloriques (13) (22).
Enfin, pour ce qui est de la discussion médicale, cette confrontation amène tout le substrat nécessaire à la prévention primaire. Entre la Suisse et Haïti, c’est en effet le contraste entre la consommation et la « vocation thérapeutique », face à la sanitation et au dépistage. L’art de choisir les priorités en fonction des réalités de terrain et des réalités cliniques n’est plus une image de miroir ou alors de miroir déformant, car la médecine occidentale surspécialisée ne se reflète pas dans la démarche d’une médecine communautaire.
Bien des pays socio économiquement défavorisés sont, par endroits, des cimetières de locaux superbement équipés mais inutilisés parce qu’inutilisables, étalage de techniques sans consensus entre différents systèmes de santé. A défaut de transplanter nos équipements dans les pays des autres nous faisons venir ces autres dans nos équipements, et l’abord de phénomènes liés à la sinistrose sont comme dans les cas cliniques rapportés plus haut une exacerbation technologique d’extraits d’histoires de patients, hélas rarement une vue d’ensemble dans laquelle l’identité socio culturelle du patient et du médecin peuvent respirer. Loin d’une attaque naïve contre le progrès technique, notre propos est plutôt une mise en garde à l’intention des apprentis sorciers. La sinistrose, sous ses formes diverses, est un engrenage. En multipliant des démarches que l’on intitule thérapeutiques, on ne fait que mettre un masque sur un masque, une couche de peinture sur d’autres couches parfois déjà séchées, parfois encore fraîches. C’est donc un travail de restaurateur de tableaux qu’il va falloir entreprendre pour, en remontant l’histoire, couche après couche, retrouver le dessin original et les méthodes des artistes de l’époque. En d’autres termes, il faut retrouver le visage du narcissisme d’avant l’accident/la maladie, pour pouvoir relancer le fantasme, réanimer le rêve.
En pratique (propositions méthodologiques)
Notre insistance sur la fabrication d’outils de travail, de perfectionnement de ces outils, à l’instar des compagnonnages de métiers, doit aussi constituer un garde fou. L’hypothèse de l’instrumentation reste raisonnable, et le talent de chacun, aidé de ces outils, produira soit des prodiges soit des horreurs. Mais ainsi on se garde du piège principal du pan occidentalisme : le prêche. A quoi bon avoir des ambitions de méthodologie transculturelle alors qu’on a besoin de la béquille d’une école, d’une tendance occidentale dominante, sorte de missionnarisme scientifique ? Parmi les chercheurs et cliniciens en sciences transculturelles, il faut noter que certains ont « leur » terrain, leur spécialité, et on peut alors les nommer « africanistes », « américanistes », etc. Après, ou entre, les périodes de terrain, il y a la pratique. Celle ci se fait dans un pays caractérisé par son ethnohistoire et par ses migrations. L’actualité donne alors une « spécialité » de par l’exposition à certaines populations données. On parlera alors d’une compétence concernant les Turcs en Allemagne Fédérale, les Nord Africains en France, les Kurdes et Zaïrois en Suisse, etc. On ne peut donc pas généraliser les expériences rapportées, puisqu’elles sont ainsi spécialisées. On peut, en revanche, s’en inspirer comme d’un perfectionnement de l’outil thérapeutique. Par exemple, les expériences rapportées par Rack (42) se sont faites sur un terrain alliant des populations anglaise et pakistanaise. Les cas cliniques de Nathan (37) mettent en scène Français et Nord Africains. On ne peut se prétendre culturellement neutre. Il faut se le rappeler en présence de patients avec qui nous ne partageons pas forcément les mêmes réalités cliniques (25) (2).
Si l’on souhaite éviter le réductionnisme d’école, le colonialisme diagnostique (« Ici, on ne pleurniche pas pour rien ; ces Italiens sont des hystériques ! »), il est nécessaire, pour une meilleure construction méthodologique, de tracer les origines de la communication avant de passer à quelque interprétation que ce soit. La représentation transculturelle des éléments du corps, fluides et organes (21), des émotions (28) et la critique du réductionnisme occidental quant à ces représentations (47), constituent une littérature d’autant plus inspirante qu’elle stimule un bon sens souvent anesthésié par les défenses technologiques face à l’autre humain. A partir de ces éléments de base, on peut examiner les métaphores corporelles, associées aux somatisations amenées en consultation Nathan (38) travaille avec des opérateurs thérapeutiques, qui, au del. de la « théorie », permettent de comparer des systèmes de croyance ave, des éléments de sens qu’il appelle des inducteurs culturels. Ces éléments sont des interprétants culturels de signaux, tels que les symptômes
L’auteur expose (37) son utilisation des inverseurs (« Les thérapies traditionnelles font tout particulièrement appel, tant dans les inducteurs culturels qu’elles mobilisent que dans les techniques auxquelles elles recourent, à des mécanismes d’inversion qui ont pour but de déclenche un processus déterminé à l’insu tant du thérapeute que du patient », (37 p. 13). Dans les représentations culturelles le corps est un vecteur orienté il peut donc être inversé dans l’espace, et cette inversion peut à son toui créer une anxiété dont la nature échappera tout d’abord au clinicien. l’ y a ainsi des notions de rythme (dont l’inversion est le tremblement comme dans la fièvre et la transe), de sensations de poids (le corps vivant est lourd ; la sensation de légèreté peut être une inversion, associée à la possession par un esprit qui a mangé l’intérieur du patient). Nathan rappelle enfin la question du dedans et du dehors, un élément crucial de l’examen médical et dont la complexité ne permet pas un développement au sein du présent propos. Toutefois, et pour compléter cet exposé sur les éléments de base, il sera bon de ne pas dissocier l’Occident de la possession. Il n’y a pas que des dieux et des démons qui puissent habiter l’espace intérieur d’un sujet (36), mais aussi des esprits et des abstractions telles que la jalousie, l’honneur, la passion, etc. Les somatisations sont des manifestations de possession dont il faut trouver les significations profondes, même si cette démarche doit horrifier le scientifique occidental. On ne peut plus se permettre d’ignorer les quatre cinquièmes du monde non occidental.
Légitimités et préjugés
Il faut aussi dissocier le bon sens ou sens commun de la notion de naïveté, voire d’ignorance. Le bon sens correspond à la « popular medicine » examinée par Kleinman (24) dans son étude comparative entre la Nouvelle Angleterre et la Chine et Taiwan. Ainsi les croyances assimilées au cours des générations peuvent elles engendrer « The coinmon sense representation of illness danger » (30), constituant enfin une échelle des légitimités de la santé et des maladies au sein d’une population donnée. C’est l’étude de Freidson (17) qui a investigué l’acceptation sociale des maladies, au sens social du terme. Il s’agit, dans un certain raisonnement populaire, de donner des degrés de légitimité aux maladies et à leurs manifestations. Ainsi, on peut déterminer ce qui, pour cette population, constitue un droit aux soins, voire un droit à la santé, qui en use et qui en abuse (32). Ces critères sociaux vont à leur tour modifier la formulation des plaintes somatiques (33) (34). Voici un exemple raccourci d’un raisonnement sociologique sur les légitimités :
« X, arrêté à un feu rouge, est heurté par Y, qui est ivre. Inconscient, X est amené à l’hôpital. Son état est considéré inconditionnellement légitime et sérieux. Ce n’est qu’une commotion. Il est toujours légitime, mais son cas est banal. Il sort de l’hôpital avec une prescription pour dix séances de physiothérapie (kinésithérapie) pour douleurs cervicales. Un an plus tard, il a consulté une kyrielle de médecins et de physio (kinési )thérapeu tes. Il n’est plus que conditionnellement légitime. Désoeuvré et sans travail, il s’alcoolise et provoque un accident : il devient alors illégitime. »
L’acceptation sociale est conditionnée par les personae dramatis ou ,institutions qui composent cette société et qui ont décidé d’une politique de soins à plusieurs têtes (santé, droit, économie, etc.). Sur la scène publique, le monde politique, par le biais de ses campagnes, a plein pouvoir et toute disponibilité pour opérer la transformation des légitimités en préjugés. Ainsi, l’acceptation sociale modifiera t elle ses critères en faisant intervenir d’autres variables, par exemple, culturelles, confessionnelles, etc. On entendra alors parler de « l’hystérie du travailleur portugais », de « la paranoïa du juif », de « la névrose obsessionnelle du suisse allemand », etc., la liste est longue et sujette aux modes. Devereux (12) a décrit des troubles de nature ethnique (amok, windigo, berserk, etc.) que l’on retrouve systématiquement dans tout effort ethnopsychiatrique (31).
Certes, ces affections dites culturelles sont elles favorisées dans leurs manifestations par une condition de reconnaissance. Il est délicat de chercher à élargir ce concept, car, comme toute classification, la démarche risque de s’abîmer dans le réductionnisme. Rack (43), dans un exposé méthodologique sur migration et santé mentale, passe en revue trois hypothèses d’épidémiologistes.
La première « (self selection hypothesis ») suppose une vulnérabilité particulière aux troubles mentaux chez certaines populations migrantes ; selon la deuxième (« stress hypothesis »), c’est le processus même de la migration qui induit ces troubles mentaux ; enfin (« differential base rate hypothesis »), y auraitil des seuils de résistance/de vulnérabilité différents, entre populations immigrante et locale ? Puis Rack expose sa réflexion sur des types de migrants (il ne s’agit pas de classes mais de variables outils de travail), à savoir les travailleurs saisonniers, les (colons ) immigrants et les exilés. Ces approches sont d’autant plus intéressantes qu’elles peuvent être adaptées aux méthodes de recherches d’autres professions. On remplace « santé mentale » par « idéal professionnel » ou « observance religieuse », et ainsi, par ces éclairages divers, le tableau prend de la profondeur. Cela permet aussi d’investiguer des concepts tels’ que les« Culture bound syndromes » (31). Le pouvoir de décision, en matière de santé, n’est pas le monopole des professions de la santé, surtout dans des situations qui, comme les sinistroses, sont des fresques dramatiques chargées d’histoire, de symboles, de personnages. Pour les mettre en valeur, une mise en scène sobre et rigoureuse s’impose.
Conclusion
Au lieu de considérer les sinistroses comme une damnation et une provocation à la science médicale, il sera plus profitable de relever un défi passionnant et enrichissant. Le phénomène de la sinistrose est un révélateur. A partir d’un simple cliché, on reconstruit toute une fresque dont le désordre n’exclut pas la cohérence. En constatant les lacunes de la littérature médicale à ce sujet et la qualité souvent très insuffisante des anamnèses, on se sent tenté d’ouvrir quelques baies sur les sujets de recherche en professions de la santé, au delà de ces thèses faites sur dossiers, si loin de l’interaction. Qu’il s’agisse de médecine générale, de psychiatrie sociale et de liaison comme d’anthropologie médicale et de psychiatrie transculturelle (25), les sujets sont légion. Et ils ne se limitent pas aux professions de la santé, puisque le processus de la sinistrose, on l’a vu, nécessite bien plus qu’un ou même deux partenaires.
D’autre part, la recherche et l’intervention en prévention primaire ne sont certainement pas le monopole de la santé. Pourquoi, en effet, attendre la manifestation des troubles au sens clinique pour intervenir ? Ce que M. Gonzales ressentait il y a peut être vingt ans, on peut le détecter chez tel jeune Kurde de vingt cinq ans, fraîchement arrivé en terre d’élection. C’est donc bien d’une prévention primaire interventionniste qu’il s’agit. A partir du moment où l’on sait ce que l’on cherche (signaux d’alarme dans la communication entre des cultures distinctes ou, plus simplement, mise en présence pour analyse comparative des items culturels amenés par les protagonistes de l’interaction), il faut le trouver, parce que l’expérience clinique démontre que sans ce dépistage on a vite affaire à un système socio pathologique inéluctable. Une attitude de méthodologie transculturelle doit entendre ce cri : « On m’a cassé mon rêve ».
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