Isabelle Pignolet de Fresnes : l’Anorexie sexuelle féminine

Il arrive fréquemment que les femmes soient amenées dans leur vie de couple à faire face à une absence temporaire ou permanente du désir sexuel. Du déni à une véritable prise en charge du problème, le chemin est parfois long et douloureux. Souvent, elles restent seules et en souffrance face à cette difficulté en ayant, de surcroît, une lecture et une interprétation de la situation relativement erronées. Cette lecture les fige dans une impasse et dans leur culpabilité. Ne pouvant se dire, s’assumer et faire sens, le problème se déplace alors sur tous les autres aspects de la vie conjugale ou familiale en rigidifiant les conflits et les hostilités. Ce désir qui se fait « là mal » peut aussi venir s’abriter dans diverses somatisations. Les affections gynécologiques et les M.S.T. sont un excellent refuge pour les libidos inhibées. La sexualité étant souvent un bon baromètre du fonctionnement du couple, il est nécessaire, pour traiter les difficultés rencontrées, d’observer et d’analyser les modes relationnels et la place que chacun occupe dans cette relation. Quand la problématique émane de la façon dont la sexualité a été structurée à la base, il n’est pas aisé de la résoudre et un « voyage » dans l’enfance avec un thérapeute ou un analyste va parfois s’avérer indispensable. En accompagnant des femmes dans cette problématique, j’ai observé que certaines caractéristiques de leur histoire étaient identiques pour beaucoup d’entre elles. En reprenant ces divers aspects, j’ai imaginé, afin d’illustrer mes propos, une histoire dans laquelle quelques-unes pourront peut-être se retrouver. Quand vous avez rencontré votre compagnon, vous étiez amoureuse et vous vous êtes dit que c’était votre prince charmant. Enfin, vous aviez rencontré « l’homme de votre vie » ! Durant les premiers temps de cette idylle, vous avez ressenti le désir de faire l’amour avec lui et vous avez aimé ces temps de grâce. Vous avez eu la sensation que « lui » allait enfin vous comprendre, qu’il allait vous deviner, vous écouter, combler vos manques et soigner vos blessures. Très vite, vous vous êtes engagée avec cet homme et avez décidé de vivre sous le même « Toi »… Le temps passe et votre prince charmant se transforme petit à petit en crapaud. Vous l’apercevez dans sa réalité et la scène conjugale devient un magnifique lieu de projections de vos blessures mutuelles. Vous commencez à vous sentir fatiguée ou migraineuse quand il vous sollicite pour une étreinte sexuelle. La culpabilité montrant le bout de son nez, vous refusez d’admettre que votre désir s’estompe et vous traversez une période durant laquelle vous méconnaissez vos réticences. Vous repoussez quelques avances de votre conjoint mais, néanmoins, vous acceptez souvent de faire l’amour sans en éprouver le désir. Vous faites alors en sorte d’écourter les rapports en vous appliquant à provoquer son orgasme. Il se plaint de la fréquence insatisfaisante de ces moments d’intimité et votre culpabilité s’accentue. Vous continuez donc à vous « offrir » et à ne pas vous respecter. De ce fait, lui non plus ne vous respecte pas et ne se soucie pas véritablement de savoir si vous le désirez (et parfois même, habité par l’angoisse d’être « englouti », il est salutaire pour lui que vous ne le désiriez pas trop !). Il a juste besoin d’entendre que « c’était bien » et que vous avez éprouvé du plaisir. Sous cette pression que vous ressentez, il vous arrive de lui mentir ou de faire semblant, ou même de vous imposer une « obligation de résultats ». L’hostilité naissante vis à vis de ce crapaud déguisé en prince charmant s’attise et vous êtes prise d’une irrésistible envie de « castrer » cet homme qui profite et abuse de cette « petite fille » qui ne peut pas dire non. Vous lui reprochez donc de ne penser qu’à « ça », de ne pas savoir s’y prendre, de ne pas être assez tendre, de s’endormir trop vite ou de ne pas suffisamment vous parler. Face à ces invectives, il « tombe des nues » et si vous avez un peu de chance, il fait des efforts et tente de savoir comment il doit procéder pour vous satisfaire. Si vous vous connaissez bien sexuellement (la plupart des femmes vivent les orgasmes les plus divins avec elles-mêmes), vous lui expliquez ce dont vous avez besoin pour atteindre ce plaisir tant convoité. En revanche, si l’hostilité à son encontre est massive, vous ne lui expliquez rien du tout. Vous lui faites comprendre qu’il est censé « savoir » et qu’il doit se débrouiller tout seul. De plus, durant l’acte, vous vous gardez bien d’émettre le moindre son ou de manifester la moindre expression pouvant lui donner quelque indication ! En effet, il n’est pas question pour vous de lui donner le privilège de vous faire « prendre votre pied » ! Dans le cas où il obtient quelques indices de la recette de votre plaisir, votre compagnon va peut-être s’y essayer en guettant attentivement les premiers signes de sa venue. Devant tous les efforts que vous lui reconnaissez, vous vous sentez alors contrainte d’atteindre l’orgasme et vous vous concentrez très fort pour atteindre cet objectif. Cette pression que vous vous mettez est parfois si forte qu’elle bloque le processus et vous empêche de parvenir à vos fins. Vous vous énervez alors contre le moindre changement de rythme ou la moindre inadéquation dans ses gestes. Il s’arrête et tout est à refaire ! Ou encore, dans le meilleur des cas, vous atteignez ce plaisir et vous parvenez ensemble à avoir une sexualité « physiquement » satisfaisante. Pourtant, le désir n’est toujours pas au rendez-vous et vous prenez l’habitude d’avoir des relations sexuelles malgré son absence. A la longue, la fréquence de vos rapports s’estompe et ceux-ci sont moins sollicités par votre partenaire pour qui cela devient un vrai « parcours du combattant ». Parfois, il ira voir « ailleurs », là où il sentira moins d’exigences ou, alors, il se contentera de sa personne avec l’étayage de quelques « projections » érotiques ou pornographiques. Quant à vous, peut-être allez-vous renoncer à votre sexualité en parvenant à vous convaincre que ce n’est pas votre « tasse de thé ». Ou allez-vous vous contenter d’être « mère » en ayant des enfants avec lesquels vous allez enfin vivre (ponctuellement) cette fusion satisfaisante qui vous fait tant défaut. Si l’on procède à un petit retour en arrière, sur les lieux de votre « tendre » enfance, peut-être allons-nous constater que c’est votre mère qui a, principalement, été « chargée » de votre éducation, cette femme face à laquelle vous ne vous êtes pas sentie réellement satisfaisante puisque vous étiez du même sexe qu’elle. Le regard désirant, ébloui et dans lequel vous auriez pu acquérir la sensation d’être satisfaisante telle que vous êtes, c’est celui de votre père. Mais, malheureusement, il était absent ou trop occupé par son travail quand ce n’était pas votre mère qui lui barrait la route. C’est cette absence de regard qui va provoquer ce besoin incessant d’entendre de la bouche de votre compagnon que vous êtes belle, désirable et aimable. Lui ne comprend d’ailleurs pas cette quête interminable puisqu’il a bénéficié du regard permanent du sexe opposé (sa mère) durant toute son enfance. Ce n’est pas par hasard si les femmes sont un peu plus handicapées que les hommes en matière d’estime de soi. Et de cette mère à laquelle vous êtes restée « accrochée » (puisque votre père n’était pas suffisamment présent), vous ne vous en êtes même pas sentie l’égale puisque vous ne bénéficiiez pas de ses atouts de femme. Sur votre corps de petite fille, vous n’avez pas aperçu de seins et vous avez constaté que vous n’aviez pas de poils pubiens. Cela vous a laissé à penser que vous n’étiez pas comme « il faut » pour attirer le regard masculin et on s’est bien gardé de vous dire le contraire en vous enseignant que « plus tard », vous « aurez » tout cela. Par ailleurs, en dehors de ses atouts physiques, vous n’avez pas rencontré la femme en votre mère, qui ne l’avait sûrement pas rencontrée elle-même… Elle n’a surtout pas évoqué avec vïus tout ce qui touchait à la sexualité, au désir et au plaisir. Alors, vous avez développé un comportement consistant à « faire » et à « avoir » toujours plus, afin de conserver l’amour et le seul regard véritablement connu de vous : celui de votre mère ; il était insuffisant mais indispensable à votre survie. Vous avez donc décidé d’apprendre à être ce que l’on attendait de vous par crainte d’être abandonnée. Aujourd’hui, l’importance que vous accordez à votre apparence et l’attitude obsessionnelle que vous avez vis-à-vis de votre poids montrent à quel point vous ne pouvez vous satisfaire de qui vous êtes. Vous recherchez le regard des hommes en vous parant de divers attributs ou, au contraire, vous faites tout pour qu’il ne se pose jamais sur vous, comme dans le cas de l’anorexie. Vous avez la sensation qu’il vous manque toujours quelque chose pour pouvoir être aimée. Vous persévérez et vous vous mettez en quête d’un partenaire avec lequel vous allez retrouver cette relation symbiotique que vous avez connue avec votre mère et à laquelle vous n’avez pas renoncé puisque vous n’aviez rien à mettre à la place. Vous attendez de lui qu’il prenne soin de vous et qu’il vous devine comme si vous étiez toute petite. Et puis, vous espérez qu’il vous dise enfin tout ce que vous n’avez pas entendu de la bouche de votre père ! Vous avez du mal à accoucher de la femme qui est en vous parce que personne ne vous a montré qu’elle existait. La sexualité n’est pas votre principal souci car votre besoin d’amour est immense. Le désir a du mal à voir le jour car il nécessite que vous laissiez une place au manque et que vous ayez une distance relationnelle suffisante avec votre partenaire, ce qui n’est pas possible car trop grandes sont vos angoisses d’abandon (ainsi que les siennes probablement). Si votre conjoint sait se montrer de temps en temps « bon parent » dans la vie quotidienne, la petite fille en vous se sentira peut-être suffisamment sécurisée pour accepter de laisser un peu de place à la femme afin qu’elle puisse, petit à petit, s’épanouir dans sa sexualité (et ailleurs). Mais cela n’est pas aisé car votre partenaire peut avoir très peur de ne pas être à la hauteur face à ce gouffre que représentent vos attentes qui lui rappellent celles de sa propre mère. Lorsque la petite fille en vous se manifestera, il se montrera alors, soit « mauvaise mère » (il ne prendra pas au sérieux vos besoins et se fera le miroir de l’image dévalorisante que vous avez de vous-même), soit dans la fuite (il aura beaucoup de travail !). Par la suite, même s’il se montre bienveillant lors de vos ébats sexuels, vous aurez du mal à croire que ses attentions sont gratuites et vous lui refuserez l’opportunité de vous donner du plaisir. Vous ferez de « l’anorexie sexuelle » afin d’éjecter de vous cette « mauvaise mère ». Votre vie sexuelle ressemblera ainsi à celle que je décris plus haut. Sachez mesdames que le premier pas vers la résolution de ce type de problème, c’est de l’identifier mais, souvent, la culpabilité vous en empêche et vous installe dans le déni. En effet, vous n’êtes pas responsable de la façon dont votre sexualité a été structurée, ou même, vous n’êtes pas censées maîtriser tous les agissements influencés par votre inconscient concernant le choix de vos partenaires. Vous êtes juste responsables de ce que vous allez faire de cela, c’est-à-dire de ce que vous allez faire des systèmes de défense édifiés dès votre plus jeune âge. Ils ne sont peut-être plus adéquats ou se font destructeurs dans votre vie d’adulte. Dans un couple, vous êtes deux et même si vous avez élaboré ensemble un contrat en toute conscience, vos inconscients n’ont pas eu besoin de votre accord pour en passer d’autres moins glorieux. Vous êtes donc deux à trouver un bénéfice secondaire dans cette problématique. D’ailleurs, il ne serait pas surprenant que vous découvriez que vos partenaires ont déjà rencontré le même type de difficultés avec leurs précédentes compagnes. Certains hommes ne peuvent pas faire l’amour lorsqu’ils se sentent trop désirés car cela les renvoie aux sollicitations dévorantes de leur mère auxquelles ils ont de la difficulté à se soustraire. Vous devez donc apprendre à dire « non » et à vous respecter car c’est la première étape pour être respectée. L’itinéraire du véritable désir passe d’abord par le respect. Il s’agit de votre corps, vous devez en prendre soin car c’est ce que vous avez de plus précieux. Vous pourrez ensuite vous autoriser à prendre le temps d’explorer et de donner du sens à vos inhibitions en vous faisant aider si nécessaire. Et si une angoisse d’abandon surgit à l’idée de dire « non », alors ce sera aussi l’occasion de l’investiguer car elle est probablement à l’origine de tous vos déboires ! Un travail analytique peut vous permettre, grâce au transfert, de re-traverser et de dépasser ces étapes « inachevées » de l’enfance car il est possible de devenir sujet de sa sexualité mais cela nécessite de créer une réelle intimité avec soi-même afin d’apprivoiser le manque, seul espace d’éclosion du désir.

Aller au contenu principal