Jean-Louis BRENOT, Gilbert DIEBOLD : Traumatisme, stress et transformations

Psychiatrie Française Vol. XXX, N° : Sp, Novembre 99 pages 160-108

Il nous a semblé utile de déplacer le débat centré autour de traumatismes et sociétés dans deux directions, celle du stress et celle des transformations possibles.

Notons tout d’abord l’envahissement du vocabulaire quotidien par le terme de stress. Il y a une sorte de consensus (autre vocable à la mode) où certains croient comprendre ce qui est « stressant », mais est-ce si simple ?

Les études médicales nous avaient familiarisés avec la réaction de stress de Hans Selye. Il s’agissait alors de la réaction de l’organisme à des facteurs d’agression. On sait qu’il n’en va plus de même aujourd’hui puisque le stress qualifie ce qui vient nous agresser du dehors, la réaction de l’organisme devenant seconde voire oubliée. Complétons notre information avec Alain Rey et son dictionnaire historique de la langue française. Ceux qui sont agacés par l’envahissement de la langue anglaise ne seront pas déçus. En effet, stress vient du vieux français « destrece » ou « estrece » (qui donnera étroitesse). Le français ayant envahi la langue anglaise au XIIIe siècle, stress dérive alors de distress par aphérèse.

Notre proposition de réflexion a été la suivante : stress est venu progressivement se substituer à deux notions de la psychiatrie classique : le traumatisme et l’angoisse. L’individu se voit donc attaqué, malmené, persécuté par quelque chose qui vient du dehors. Il y a dans ce mouvement un essai de phénoménologisation, d’objectivation de ce qui agresse, ce qui permet « d’innocenter » celui qui reçoit et d’éliminer toute idée d’angoisse et de conflit psychique. Le dehors devient démoniaque, il suffira donc d’organiser le social, ce qui nous vient du monde, pour nous « déstresser ». Il sommeille en chacun de nous un vœu d’organiser un environnement « soft », « cool » pour parler comme nos adolescents, afin que la vie se déroule comme un long fleuve tranquille.

Quelle erreur ! et c’est pour cela que nous avons voulu parler de transformation consécutive au traumatisme. La seule perspective des effets négatifs du traumatisme permet, dans une dynamique projective, d’éviter tout regard sur la complexité du travail psychique avec des effets tant bénéfiques que maléfiques.

Claude Nachin fera remarquer utilement qu’il y a une différence entre traumatisme et trauma tel que le pensait Freud. A relire celui-ci, on voit comment sa compréhension oscillera entre deux pôles extrêmes : tout d’abord celui du traumatisme de la séduction et celui du traumatisme du fantasme, sans que jamais il ne tranche radicalement quant à la prévalence de l’un sur l’autre.

La notion de stress a pour vertu d’éliminer toute perspective de travail dans la temporalité, quoi qu’il en soit des options de Freud, le traumatisme psychique se fait toujours en deux temps, par exemple la menace de castration et la vue de la différence anatomique des sexes. L’événement ne devient traumatique que dans un effet d’après-coup.

Sam Tyano a pu montrer la compréhension des effets des événements traumatiques telle qu’elle a évolué en Israël. D’un traitement pensé dans l’immédiateté ­parler de ce qui s’est passé pour évacuer les effets du traumatisme­, on s’est aperçu que les réactions aux traumatismes étaient éminemment variables d’un individu à l’autre, que pour certains il était préférable de ne rien faire, les laissant à leur propre recherche d’équilibre. Une place donnée au temps réapparaissait donc comme nécessaire.

La tentation de découvrir l’instant traumatique pour le prévenir est constant. Rappelons nous la pensée d’Otto Rank qui, dans le but d’abréger les cures psychanalytiques, pensait qu’il suffisait de retrouver le traumatisme de la naissance ­traumatisme prototypique de tous ceux qui surviendraient par la suite­ pour terminer le travail psychanalytique. Il repérait dans la fin de la cure, dans le mouvement de séparation d’avec le psychanalyste, un fantasme qu’il assimile à la naissance, à la réalité douloureuse de la naissance. Chacun revit le traumatisme de la naissance comme nostalgie du paradis intra-utérin et comme passage et séparation d’avec le corps maternel. Toute angoisse reproduit l’angoisse de la naissance. La mort, pour Otto Rank, symbolise le retour au sein maternel et la séparation.

Mais nous voudrions insister sur un aspect de la théorisation de Rank, sa théorisation de la mémoire. Pour lui, tous les phénomènes hypermnésiques sont des souvenirs-écrans de la scène traumatique originaire.

Dans cette perspective, on pourrait penser que la répétition hallucinatoire du trauma, comme on le voit dans la névrose traumatique, est un phénomène écran qui est là pour ne point évoquer le traumatisme de la naissance. La compréhension actuelle des effets du stress peut être comprise en analogie avec la simplification d’Otto Rank et sous-tendue par un fantasme d’auto-engendrement.

On élargira le débat quant à la prévalence du traumatisme externe ou interne en se référant à la pensée de Jean Laplanche. Sa théorisation de la séduction qui exacerbe la pensée du premier Freud permet de comprendre différemment l’articulation du traumatisme et de l’appareil psychique et d’envisager la potentialité de transformation induite par le traumatisme.

En effet, Laplanche propose un réel tiers entre le dedans et le dehors (entre l’appareil psychique et l’environnement) qui est celui du message énigmatique. Dans un bain de soins à visée autoconservatrice, le message transmis par l’adulte à l’enfant (il ne faut pas limiter les messages à la seule dimension langagière), est subverti à l’insu de l’adulte par ce qui provient de son propre inconscient. Des fragments du message, du fait de leur intraductibilité, vont être constitutifs du refoulement et tout d’abord du refoulement originaire. Le message énigmatique est à la fois traumatique et organisateur. Cette perspective dualiste du traumatisme rejoint en fin de compte celle qu’exprimera Freud à la fin de sa vie dans le Moïse.

« Les effets du traumatisme sont de deux sortes, positifs et négatifs. Les premiers sont des effets pour remettre en œuvre le traumatisme donc, pour remémorer l’expérience oubliée ou mieux encore, pour la rendre réelle pour en vivre à nouveau une répétition, même si ce ne fut qu’une relation affective antérieure, pour la faire revivre dans une relation analogue à une autre personne. Les réactions négatives tendent au but opposé à ce qu’aucun élément des traumatismes oubliés ne puisse être remémoré ni répété. Nous pouvons les réunir sous le nom de réactions de défense ».

La question qui sera finalement posée est celle de la place du traumatisme. S’agit-il d’une catégorie d’expériences ou bien d’un simple concept qui serait opératoire dans certains champs de la connaissance ?

La grande difficulté du travail du psychiatre qui veut parler de la souffrance psychique relève de la propension à trouver des causes explicatives, voire des preuves les plus immédiates possibles. Il faut rester dans notre champ de connaissances et utiliser le traumatisme comme concept. Les phénomènes, les traumatismes que l’on repère sont là ; certes, ils peuvent nous permettre un travail analogique pour comprendre ce qui se passe entre un dedans et un dehors, mais ils ne peuvent être explicatifs.

Le risque d’utiliser un causalisme linéaire et simplifié est l’écueil qui doit sans cesse être déjoué.

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