Jean-Paul SARTRE : « L’Existentialisme est un humanisme »

Gallimard, coll. Folio, 1996.

Le club « Maintenant » à été créé à la Libération. Il est animé par Jacques Calmy et Marc Beigbeder qui organisent à la Salle des Centraux, à Paris, le 29 octobre 1945 à 20 heures 30, une conférence dont Jean-Paul SARTRE est l’orateur. Thème choisi, avec le conférencier : « l’Existentialisme est un humanisme ».
La manifestation est annoncée, à grands frais, dans les principaux quotidiens et les organisateurs ont quelques inquiétudes quant à son succès. Mais cette soirée dépassera toutes les espérances. Boris Vian en a fait un compte rendu dans L’Écume des jours : bousculades, chaises cassées, dames en pâmoison, Sartre obligé de jouer des coudes pour se frayer un chemin jusqu’à l’estrade.
L’existentialisme était né. SARTRE et Simone de Beauvoir allaient devenir la coqueluche de toute une génération.
Toutefois, il n’était pas prévu d’en faire une publication. Celle-ci fut entreprise par l’éditeur Nagel, en 1946, sans l’accord de Sartre. Le texte aujourd’hui publié est édité quasiment à l’état brut avec une présentation ainsi que de nombreuses notes explicatives permettant de guider le lecteur. Ces notes furent rédigée par Arlette Elkaïm-Sartre.

« S’il est impossible de trouver en chaque homme une essence universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité humaine de condition. Ce n’est pas par hasard que les penseurs d’aujourd’hui parlent plus volontires de la condition de l’homme que de sa nature. Par condition ils entendent avec plus ou moins de clarté l’ensemble des limites a priori quie squissent sa situation fondamentale dans l’univers. Les situations historiques varient : l’homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire. Ce qui ne varie pas, c’est la nécessité pour lui d’être dans le monde, d’y être au travail, d’y être au milieu des autres et d’y être mortel… Et bien que les projets puissent être divers, au moins aucun ne me reste-t-il tout à fait étranger parce qu’ils se présentent tous comme un essai pour franchir ces limites ou pour les reculer ou pour les nier ou pour s’en accomoder. »

Jean-Paul SARTRE, ‘Existentialisme est un humanisme, pp. 67-69 – Nagel.

Titre d’une conférence prononcée par Sartre au club Maintenant, le 29 octobre 1945, L’existentialisme est un humanisme est une réponse donnée par le philosophe aux chrétiens et marxistes de son temps qui reprochaient à sa philosophie d’être un anti-humanisme, soit parce qu’elle abolissait la morale (chrétiens), soit parce qu’elle était censée être petit-bourgeois et subjectiviste (marxistes). On peut aussi voir ce petit texte comme une vulgarisation de L’être et le néant (1943).

Essence et existence

Contre les visions déterministes des chrétiens (par Dieu) et des marxistes (par l’économique), Sartre vient rénover la vision de l’homme en soulignant son caractère radicalement autre vis-à-vis de celui d’un objet. Pour cela, Sartre utilise le paradigme du coupe-papier. Celui qui fabrique le coupe-papier en pense d’abord le concept pour ensuite le réaliser. Le coupe-papier a donc une nature qui est de couper du papier et a un créateur, l’artisan. Or ce paradigme est également utilisé par les chrétiens et même par une grande partie de la philosophie (selon Heidegger) qui voient l’homme comme une créature. C’est ce qu’il appelle une vision technicienne du monde.
C’est là que Sartre dit stop. Pour lui, et comme il est athée, pas de Dieu qui tienne, donc pas de création non plus. L’homme est seul, délaissé dit-il, sans valeurs, sans nature. Avant d’avoir une essence, nous existons. Cet axiome formulé célèbrement par Sartre (l’existence précède l’essence) est basé en grande partie sur le cogito de Descartes qui est l’évidence première, la saisie de soi par soi la plus élémentaire.

Choix, engagement, responsabilité, liberté

Mais alors, si nous existons avant d’avoir une essence, sur quoi se baser pour agir ? C’est là que Sartre contredit ses ennemis en montrant que l’homme dans sa philosophie est libre d’agir, et c’est par le choix que l’homme se définit. Il prend pour cela l’exemple d’un de ses élèves qui vient le voir pendant l’occupation et lui fait part de son cas de conscience : il est partagé entre la volonté de venger un de ses proches (tué par les nazis) en s’engageant en Angleterre et la volonté de rester s’occuper de sa mère. Pour Sartre, le choix qu’il devra faire n’est pas écrit par avance, et c’est pourquoi il ne lui donne pas de réponse : c’est son choix une fois effectué qui est le bon, et aucun autre. Ainsi le choix est un engagement et nous mène sur la voie de la responsabilité, car nous prenons nos choix en toute liberté certes, mais nous sommes face aux autres hommes quand nous les faisons. En fait, pour Sartre, si le jeune est venu le voir, il savait à quoi s’attendre comme réponse. Si il était venu voir un prêtre, il savait aussi. En fait, en choisissant de lui demander conseil à lui plutôt qu’à un prêtre, il montre qu’il a déjà choisi entre les deux branches de l’alternative de son dilemme.
Encore un mot sur la responsabilité : quand Sartre dit que nous sommes reponsables de l’humanité entière quand nous faisons un choix, je crois y voir ce que Kant appelle l’universalisation de nos maximes d’action, c’est-à-dire que chaque action engage toute l’humanité car en me choisissant comme homme gentil (par exemple), je choisis un modèle d’humanité qui sera vu par tous (puisque nous faisons des choix face aux autres et parfois en fonction d’eux tout en étant libres). Même si l’homme est subjectif, il universalise ses maximes d’action en se demandant non pas ce qu’il doit faire en tant qu’individu (autrement la réponse serait donnée) mais ce qu’il doit faire en tant qu’individu universel (d’où le besoin d’une morale). Et c’est parce que chaque choix engage toute l’humanité que l’angoisse assaille régulièrement chacun dans l’action.

To conclude

Pour finir, Sartre propose de remplacer la notion de nature par celle de condition (comme dans le roman de Malraux), c’est-à-dire comme une structure vide de contenu pré-défini, puisque ce contenu est constitué par les choix de chacun. L’essence ne se révèlera qu’à la mort, puisque que tant que la vie va, les choix se font, et un choix fait hier peut être autre le lendemain.


« Les uns qui se cacheront, par l’esprit de sérieux ou par des excuses déterministes, leur liberté totale, je les appellerai lâches ; les autres qui essaieront de montrer que leur existence était nécessaire, alors qu’elle est la contingence même de l’apparition de l’homme sur la terre, je les appellerai des salauds. »

Synthèse extraite du site philautarchie.net

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