Jean-Paul SARTRE : « L’Orphée noire », Préface à la « Nouvelle poésie nègre et malgache » de Léopold Sédar Senghor

PUF, Quadrige, Paris, Mars 2005, 7ème édition, 272 p. 12 €

L’écrivain, poète et homme politique sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001) s’est positionné sur la question de la négritude à la suite d’Aimé Césaire : « La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture » (Liberté 1, Négritude et humanisme, p.9).

SARTRE (1905-1980) a fondé l’existentialisme, inspiré par la phénoménologie. Selon l’existentialisme, le sujet est ce qu’il se fait, ainsi, « l’existence précède l’essence » (cf. L’existentialisme est un humanisme).

Le recueil de la Nouvelle poésie nègre et malgache revendique la culture noire. Sartre, dans sa préface, s’interroge sur cette revendication face au colonisateur. Cette interrogation est éthico-anthropologique. Qui est l’homme noir ? Il est d’abord celui qui a souffert et en lui s’est gravé toute cette souffrance. Comment se construire alors dans une appartenance à un groupe quand cette appartenance signifie la souffrance ? La négritude est interrogée dans son homogénéité : elle est d’abord la culture d’Afrique, mais l’Afrique est vaste et diverse en cultures. Quelle est cette identité qui homogénéise les cultures les plus diverses ?
Dans Parcours de la reconnaissance [7], Paul Ricœur montre comment la Reconnaissance est la voie éthique. Elle implique cependant la détermination, elle-même toujours liée à l’inéthicité lorsqu’elle se fait ségrégation, discrimination, oppression. La détermination d’une identité la fige. L’enjeu de la Négritude se montre alors : il s’agit finalement de se situer « soi-même comme un autre », entre savoir qui l’on est sans pour autant s’éloigner de l’autre.

Par le positionnement existentialiste de Sartre, la Négritude semble trouver dans cette préface une identité culturelle mouvante, créative et vivante. Sartre la fait d’abord apparaître aux yeux du monde blanc, en montrant le caractère révolutionnaire de « la poésie noire de langue française » [8] qui a su utiliser la langue de l’oppresseur pour mieux s’en libérer. Nous remarquons au fur et à mesure du texte, et avec lui, que plus nous nous rapprochons de la négritude, plus elle semble disparaître. Dès lors qu’Orphée a trouvé son Eurydice, il ne peut la regarder sans qu’elle disparaisse. La Négritude est bien cette Orphée noir, qui tient son Euridyce sans pouvoir la saisir.
Au début du texte, Sartre semble lui-même tomber dans la détermination prétendument objective de certaines caractéristiques de la négritude mais en faisant apparaître l’Orphée noir, il a su faire de la Négritude une culture toujours vivante, évolutive et créative. Si elle était saisissable, elle se perdrait, comme Eurydice. Avec l’existentialisme sartrien, nous pouvons dire que la négritude sera ce qu’elle se fait, entre conscience et perte de soi.

Notes :

1. Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Folio Essai, 2004.

2. p. XII.

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