Joël PLANTET : « Marie-Jo Bourdin, la passion de l’autre »

In : Le Lien social, n° 820 : « Les CMP surchargés » – 7 décembre 2006 : 23 (Portrait)

Au centre médico-psycho-social Minkowska – qui s’adresse aux migrants et réfugiés – une assistante sociale s’est intéressée à la question de l’excision. Le cadre méthodologique du CMP où elle travaille maintenant depuis deux décennies lui a permis de confronter sa pratique aux différentes populations concernées.

Au tout début de sa carrière, elle officiait comme jeune assistante sociale au Service social d’aide aux émigrants (SSAÉ, aujourd’hui fondu dans l’Anaem, l’agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations) : c’est alors que Marie-Jo Bourdin a rencontré pour la première fois la question de l’excision. En France, cette pratique a juridiquement été rendue criminelle en 1983, après deux affaires retentissantes dont le décès d’une petite fille malienne de trois mois. Et depuis les premières affaires jugées dans les années 80, l’AS a assisté à peu près à tous les procès pour excision en cour d’assises. Les condamnations, constate-telle, y ont été majoritairement prononcées souvent assorties d’un sursis. Mais elle estime que la seule criminalisation jamais ne suffira, si l’implicite culturel non partagé n’est pas davantage… explicité. Que la loi existe, certes, mais que chaque condamnation soit accompagnée d’un travail d’accompagnement à visée pédagogique ! Elle donne un exemple douloureux : même si la communauté soninké de Paris n’ignore plus aujourd’hui l’interdiction formelle de cette coutume, l’assistante sociale n’est pas certaine que celle-ci ait vraiment intégré le pourquoi de l’interdiction. Elle se souvient ainsi d’une femme qui, après trois journées entières de procès, disait ne pas avoir vraiment compris où elle avait fauté aux yeux de la loi. Plus encore, elle craint, avec d’autres observateurs, que cette pratique, loin d’avoir définitivement disparu, soit en recrudescence dans certains départements (elle cite les Yvelines) ou quartiers de Paris. Il y a deux ans, la sortie du beau film africain Moolaadé (de Sembène Ousmane) l’avait rassurée, par l’approche fine développée sur la question par un vieil Africain. Un homme. En mai de l’année dernière, elle-même publiait un ouvrage sur le sujet (1).
Dix ans après son diplôme d’État – obtenu à Montrouge en 1979 -, la professionnelle passe une maîtrise en sciences sociales appliquées au travail social, puis un diplôme supérieur de travail social (DSTS). Elle exerce depuis plus de vingt ans à Minkowska, CMP parisien atypique et, d’une certaine manière, emblématique : l’endroit se réclame d’un cadre méthodologique rigoureux, l’anthropologie médicale clinique et prend en compte les aspects linguistiques et les représentations culturelles de la maladie mentale dans un lieu où se marient le social et le thérapeutique (2). Autre particularité : ici, on parle une bonne vingtaine de langues, du wolof au soninké en passant par le kabyle ou le toucouleur. Établissement de soins participant au service public hospitalier (PSPH) et financé par la DASS de Paris, le centre est un lieu de médiation transculturelle. « Recevoir, intégrer, transmettre » : ainsi s’intitule le rapport d’activité 2005. Mais la tendance est lourde : « Nous sommes de plus en plus confrontés à l’extrême précarité dans laquelle vivent certains de nos patients (qu’ils soient migrants, réfugiés politiques, statutaires ou solliciteurs d’asile) », observe Marie-Jo Bourdin.
De fait, celle-ci multiplie les expériences nourrissant sa pratique : ayant fait partie du jury du 30è festival international Vidéo Psy de Lorquin, elle se souvient y avoir décerné le Prix Minkowska au réalisateur Jean-Claude Hellequin pour son film Paroles de psy, magie de guérisseur en pays vaudou. Avec aujourd’hui sous sa houlette la coordination du pôle formation du CMP, elle est fort active : le 4 octobre, elle organisait une conférence débat sur l’accès aux soins en santé mentale pour les migrants et les réfugiés ; en novembre, elle participe au deuxième colloque belgo-sénégalais en santé mentale à Dakar, sur les intervenants face aux nouveaux contextes. Elle fait d’ailleurs de réguliers allers et retours sur le continent africain : voyage d’études au Sénégal dans le cadre d’un échange de travailleurs sociaux francosénégalais (1992), rencontre à Abidjan avec le syndicat national des assistants sociaux de Côte d’Ivoire (Synasci) en 1999… Elle intervenait aux journées de formation en santé mentale à Abomey (Bénin) en 2004 ; la même année, elle rencontrait la représentante à Dakar du Forum for African women educationalist (FAWE), organisation non gouvernementale innovante en matière de prévention. Elle intervient également dans plusieurs colloques européens sur les femmes voilées en Europe, sur les femmes turques, sur les familles polygames… Depuis un an, elle anime un groupe de parole de six femmes originaires de République démocratique du Congo (RDC) ayant subi des sévices sexuels (le plus souvent des viols) en contexte de guerre.

Joël PLANTET

(1) L’excision, une coutume à l’épreuve de la loi, Marie-Jo Bourdin, éditions A3, Paris, 2005.
(2) Centre Françoise Minkowska – 12, rue Jacquemont 75017 Paris. Tél. 01 53 06 84 84. www.minkowska.com

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