Karine TUIL : « Douce France »

Grasset, 2007. 177 p.

C’est pour se consacrer à l’écriture que Karine TUIL abandonne sa thèse de droit, portant sur la réglementation des campagnes électorales dans les médias. Suite à un premier roman remarqué sorti en 2000, Pour le pire ou la cruelle déconfiture d’un mariage, c’est avec le succès de son deuxième ouvrage, en 2001, qu’elle se décide enfin à vivre de sa plume. Interdit sélectionné pour le Goncourt, chacune de ses oeuvres est dès lors suivie avec intérêt. Ironie, tragi-comédie et burlesque de sa plume se retrouvent d’abord dans Du sexe féminin en 2002 puis en 2003 dans Tout sur mon frère qui explore les effets pervers de l’autofiction. Confirmation encore du talent atypique de Karine en 2005, avec Quand j’étais drôle et l’histoire de cet humoriste victime de francophobie au pays du hamburger. Pourtant, en 2007, elle quitte le burlesque pour la gravité en signant un livre coup de poing les centres de rétention administrative pour immigrés sans papiers. Alternant avec toujours autant de talent entre sujet lourd de sens et cynisme joyeux, Karine Tuil se bâtit un parcours remarquable et remarqué.

Karine Tuil signe un livre atypique qui renoue avec la tradition naturaliste des romans de Zola. Douce France peint l’accablement des immigrés clandestins du centre de rétention administrative de l’aéroport de Roissy.
Mi-roman, mi-fiction, Karine Tuil dénonce le traitement de l’immigration un peu à la manière de Beigbeder dans 99F. Rien de neuf ni d’original donc pour quiconque lit régulièrement la presse et s’intéresse au monde extérieur. Et pour tous les autres une œuvre de vulgarisation fort bien menée où Karine Tuil ne se dissimule guère derrière sa narratrice, juive se faisant passer pour une roumaine lors d’un contrôle d’identité. Tout au long du livre, c’est un parallèle permanent entre le désir d’intégration forcenée de ses parents, eux-mêmes immigrés d’afrique du nord, son judaisme qui la fait se sentir étrangère en France, et ces immigrés clandestins d’une autre génération, qui tout comme ses parents aspirent à une vie meilleure. Parmi ceux-ci Yuri, dont elle s’entiche. Yuri tour à tour Biélorusse, moldave, roumain… mentir pour survivre, rester le plus longtemps possible en France. Le centre de rétention décrit dans le livre est doux, doux comme la France : l’un des plus modernes, selon l’aveu-même des autorités qui ont autorisé Karine Tuil à le visiter. D’où cette impression de mensonge, de frustration encore accentuée par ces quelques lignes à la fin du livre où sont suggérées d’autres conditions de « rétention » autrement atroces.
C’est un roman passionnant, joliment écrit avec une sensibilité et une honnêteté qui honore son auteur, il a le mérite d’exister parmi ces centaines d’œuvres écrites au sujet de bourgois par des bourgeois pour d’autres bourgeois, mais une œuvre encore bien trop légère en regard d’une insoutenable réalité : on en veut pour preuve le nombre de pages, moins de deux cents, écrites en gros caractères… Il y avait pourtant beaucoup à dire sur un tel sujet.

Aller au contenu principal