Melville Herskovits est le fondateur de l’américanisme noir. Il est le premier anthropologue américain a avoir compris que les Amériques noires constituaient un ensemble anthropologique propre ayant au départ une même situation : le système de plantation colonial qui a été ensuite construit un ensemble particulier.
Aucun anthropologue n’avait jusque là étudié les Noirs américains pour eux-mêmes : la question noire était considérée comme une question sociologique. Les sociologue pensaient que les Noirs ne pouvaient pas intéresser l’anthropologie parce qu’ils n’avaient pas de structure propre. L’uvre d’Herskovits est de déconstruire cette approche d’une vision exclusivement sociologique. Il s’oppose à Robert Park (école de Chicago) qui avait écrit une histoire des Noirs américains (1909) dans laquelle il indiquait : « Mon sentiment est que le bagage des traditions africaines est très léger.[…] Il est difficile de trouver chez les Noirs quoi que ce soit qui se rattache directement à l’Afrique ». Cette idée est même reprise, bie que nuancée en 1939, par l’anthropologue noir américain Frazier qui écrit : Jamais dans l’histoire, un peuple n’a été dépossédé de son héritage social comme les Noirs américains. Rien ne reste des coutumes et des usages, des espoirs etd es craintes qui caractérisent la vie de leurs ancêtre en Afrique ». C’est sur ce constant d’abandon qu’Herskovits a construit so uvre.
Repères biographiques de la vie de Melville Jean Herskovits.
1895 : naissance à Bellefontaine dans l’Ohio. Il fait ses études à l’université de Colombia où il est l’élève de Franz Boas. Il s’oriente vers les études africanistes et étudie les aires culturelles en Afrique orientale.
1926 : parution de la civilisation pastorale de l’Afrique orientale.
1927 : mise en place du premier programme de recherche d’étude africaniste par les Etats-Unis. Or, l’Afrique ne constitue pas un centre d’intérêt pour l’anthropologie américaine. L’intelligentsia américaine refoule inconsciemment ( ?) toute question relative à l’Afrique. Peut-être pour avoir à prendre en considération la question noire autrement que d’un point de vue sociologique.
1928 : Herskovits se tourne vers les études afro-américanistes (l’étude de l’Afrique dans le contexte américain). Il publie le Noir américain, étude d’un croisement racial. La thèse qu’il défend est que les Noirs américains ne constituent pas un groupe racial car ils sont trop métissés. La définition du Noir constitue donc un classement social. Début des enquêtes de terrain en Guyane hollandaise (Surinam actuel) où il s’intéresse aux Bush Nnegroes et aux créoles citadins de la capitale (Paramaribo). Cette étude fait l’objet de deux livres.
1934 : il va faire son terrain en Haïti qui est sous contrôle américain. Il mène son enquête sur les sociétés rurales et publie Life in a Haïtian valley (1937)
1936 : il signe le manifeste sur l’acculturation. Il est le fondateur de l’anthropologie culturelle nord américaine.
1938 :Il est au Dahomey, sur la côte des esclaves, donc de la principale région d’où provenaient les esclaves noirs américains. Il publie Dahomey, an ancient west african kingdom.
1939 : il poursuit ses recherches à Trinidad (Trinidad et Tobago)
1941 : séjour au Brésil où il participe à une recherche collective sur les Noirs du Brésil avec l’anthropologue suédois Mirdal. Il publie les fruits de ses recherches The myth of the negro past (1941) qui sera traduit en français sous le titre : L’héritage du Noir, mythe et réalité (Présence africaine 1945). Ce livre constitue l’acte de naissance de l’afro-américaine.
1945-1962 : nombreux séjours en Afrique afin de comprendre les phénomènes de contac entre les cultures et les processus d’acculturation.
1961 : création de la première chaire universitaire d’Etudes africanistes. Elle est tenue par Melville Herskovits.
1969 : mort d’Herskovits dans l’Illinois.
Les apports d’Herskovits à l’anthropologie des Amériques noires. Ces apports sont de trois ordres.
• Il met en évidence l’importance des études afro-américainstes pour comprendre l’Afrique. La culture des Noirs des Amériques éclaire certains aspects de la culture africaine. Certains aspects culturels ayant disparu en Afrique en raison de la colonisation sont toujours présents dans les sociétés de Noirs américains ; il es ainsi des questions religieuses. En effet, de nombreux esclaves ont été des dignitaires religieux qui ont pu être écarté par ce moyen ; ils constituaient u contre pouvoir au pouvoir politique. Leur esclavage résulte d’un conflit de pouvoir. Mais en contrepartie, ils ont maintenu une certaine survivance des coutumes et la religion a permis la formation d’un agrégat identitaire.
• Il fait passer les études afro-américaines de la recherche localisée à une recherche systématisée et comparatiste. Il a établi un programme de recherches sur les études afro-américaines à partir duquel il fait prendre conscience de l’existence d’une unité culturelle. Il recherche aussi les survivances invisibles (sensibilité, mentalité, esprit, etc.). Pour mener à bien cette uvre, il s’efforce de construire une méthodologie afro-américaine. IL souhaite un comparatisme prudent entre l’Afrique et les Amériques noires. Et précise que l’on ne peut comparer l’Afrique d’aujourd’hui avec l’Amérique noire actuelle parce que l’histoire a évolué de manière différente dans les deux cas. D’autre part, des éléments culturels peuvent avoir changé de fonction entre les deux zones. L’étude de ces différences revêt d’ailleurs une importance capitale car c’est elle qui montre les changements, donc les évolutions.
• Enfin, il refuse de se laisser enfermer dans une méthodologie et une discipline unique. Il estime nécessaire de s’intéresser à l’histoire, à la psychologie, à l’économie, à toutes les disciplines des sciences sociales.
Le mythe du passé noir.
Ce livre constitue l’aboutissement d’une réflexion sur l’Afrique et les Amériques noires. Ce livre est publié en 1941, mais comme la question noire n’intéresse pas le public, il faut attendre 1958 pour qu’il commence à faire l’objet d’une étude réflexive. Le livre est réédité en 1958 et devient la « bible » des mouvements noirs américains. Cet ouvrage devien alors un best seller.
Or ce livre ne constitue qu’une partie des recherches entreprises par l’équipe de Mirdal au Brésil. La totalité du programme a été publié en 1944 sous le titre du Dilemme américain. La thèse développée est que le Noir américain constitue un groupe ethnique propr possédant une culture propre. Cette théorie constitue une véritable révolution car pendant les années 30/40, les Noirs sont perçus comme un groupe racial dépourvu de tout passé propre.
Les grands thèmes développés par ceux qui dénient toute culture aux Afro-américains sont
• les Noirs sont d’un naturel puéril et s’adaptent à toutes les situations.
• Seuls les plus médiocres ont été réduits en esclavage
• les Noirs ont été importés de toute l’Afrique ; il y a donc une grande diversité de Noirs, ce qui a pour conséquence qu’il ne peut y avoir de dénominateur commun entre eux.
• les Noirs provenant d’une ethnique donnée auraient pu vivre ensemble ; or en observant les cultures de leurs maîtres, ils ont modifié leurs comportements.
• les Noirs sont dépourvus de passé.
Herskovits démontre que ces cinq points sont erronés. Or les Noirs ont intériorisé cette appréhension de leur situation par les Blancs. Ils savent d’autre part que les civilisations africaines ont été riches et complexe et que de grands empires ont été réalisés.
Les étudier dans le strict contexte des Etats-Unis, sans perdre en compte l’appartenance africaine aboutit donc à un contre sens. Il montre que le Blanc a aussi reçu du Noir, car ces derniers ont un passé, une culture.
Pour cela, il s’appuie sur les travaux des africanistes européens. Son livre déplace donc la question noue du terrain social au terrain cultuel ; il permet aux Noirs de s’affirme comme afro-américains, ce qui en définitive leur permet d’être reconnu comme des Américains à part entière : ce sont des immigrants venus d’ailleurs
Organisation sommaire du livre
Chapitre 1 : les différents mythes concernant les Noirs américains sont examinés
Chap. 2 : étude des origines ethniques. Les Noirs sont originaires du Golfe de Guinée région comprise entre le Sénégal et l’Angola.
Chap. 3 : Cette Afrique de l’Ouest présente une aire culturelle uniforme : similitud d’organisations sociales, polygamie, économie de marché, rôle des femmes, souvent commerçantes (Mama Benz). Il y a bien une convergence culturelle et institutionnelle.
Chap. 4 : il répond à l’affirmation du Noir docile qui se soumet à l’esclavage. Il montre le nombreuses révoltes, le marronage et explique l’absence de révolte parfais en raison du système répressif.
Chap. 5 : démonstration du processus d’acculturation Blanc/Noir et Noir/Indien Acculturation aussi avec son nouveau milieu naturel.
Chap. 6 : étude des cultures afro-américaines actuelles dans les Amériques noires : gestio du corps, questions de politesse, système de parenté, place de la femme, éducation des enfants, etc.
Chap. 7 : l’afro-américanisme dans la vie religieuse.
Chap. 8 : Arts, folklore, musique..
Conclusion :
Le Noir des Amériques dispose d’un héritage très riche, une mémoire collective vivante avec des liens très forts à la fois avec l’Amérique et l’Afrique.
Bilan critique de l’uvre d’Herskovits. .
Certaines théories soutenues par Herskovits sont remises en question. Problème de fond.
Herskovits a créé une anthropologie centrée sur l’origine culturelle et historique des peuples. On y perçoit l’influence de Franz Boas. Pour Boas, la culture est patrimoine. IL faut se rappeler que Boas est Allemand et que pour les Allemands ce qui est constitutif ce n’est pas le sol mais la culture. On est Allemand par sa culture et la nation allemande existe partout où vivent des Allemands. Herskovits a transposé cette théorie à l’anthropologie culturelle e dans cette discipline, les recherche sont orientées vers les origines culturelles. La culture est un héritage qui se transmet de génération en génération. Herskovits ne peut concevoir une culture qu’avec une profondeur historique, ayant ses origines dans un passé lointain d’où le titre de son livre le mythe du passé noir.
L’anthropologie culturelle est donc tournées vers le passé ; elle a pour but de fair le lien entre le présente et le passé lointain. A travers cette vision, il veut montrer qu’il n’y a pas de rupture culturelle entre les Amériques noires et l’Afrique. Les études afro-américanistes constituent donc un volet des études africanistes ; elles font partie intégrante du domaine de Africanistes.
Cette vision ne correspond plus à la réalité du présent : dans un premier temps l’anthropologie ne se tourne plus vers le passé, mais vers le présent. D’autre part, les études sur les afro-américains constituent en champ propre des études américanistes, sans renier la part africaine.
Mythe des origines. .
Ce mythe est important car il permet la recherche d’une certaine authenticité. Il pose la question du métissage, mais le danger réside dans le fait qu’il se prête à des manipulations idéologiques (cf. Antilles et l’ambiguïté des références aux origines l’appropriation de la culture : Bernabé, Chamoisau et Confiant : l’éloge de la créolité). Une culture ne se définit pas uniquement par le passé. L’objectif d’Herskovits a été de légitimer la culture noire-américaine. Il a donc fallu en premier lieu faire prendre en compte le fait des Noirs Américains comme un groupe culturel spécifique. Mais la démarche entreprise aboutit actuellement à des impasses car elle et trop statique parce qu’exclusivement tournée vers le passé.
Herskovits s’intéresse aux contacts culturels plus qu’aux dynamiques internes des cultures. Or la culture n’est pas uniquement héritage ; elle est aussi quelque chose qui s fabrique à travers le temps, qui évolue en permanence. L’individu travaille son héritage en fonction des enjeux auxquels il est soumis, en fonction de interactions avec les autres groupes.
Herskovits cherche à échapper au naturalisme de la race, mais il tombe dans celui d’une culture conçue comme une seconde nature, comme un héritage auquel on ne peut échapper. La culture est toujours soumise à interprétation. La question est de savoir et de comprendre pourquoi telle reinterprétation plutôt que telle autre. Mais la notion de reinterprétation renvoie à deux concepts :
• processus par lequel d’anciennes significations sont attribuées à des éléments nouveaux
• processus par lequel de nouvelles valeurs changent la signification culturelle de valeurs anciennes.
Les Amériques noires empruntent des éléments aux cultures européennes et indiennes ; elles les travaillent avec leurs valeurs africaines. Mais ils conservent aussi de pratiques anciennes en leur donnant de nouvelles valeurs. Il y a là aussi une révolution culturelle.
Or dans le cas de Amériques noires, Herskovits n’a vu que le premier processus. La mentalité africaine demeure toujours présente car il croit à la permanence des mentalités, ce qui est, de nos jours, contesté. Il faut percevoir la culture comme un processus dialectique elle existe pour des individus qui reinterprètent des modèles en fonction de la situation dans laquelle ils vivent, ou ont vécu. La culture ne peut être comprise que reliée dans un système d’interaction, ce qui montre à l’évidence l’importance des relations culturelles interethniques.
Le défaut de l’anthropologie culturelle est de ne pas étudier la clture comme un système. Les survivances sont étudiées pour elles-mêmes sans être reliés à un système culturel complet. Si l’on se place dans cette nouvelle approche, les africanismes prennent alors un autre sens : ils ne constituent plus des survivances, mais des créations culturelles. Il y a une réactio des modèles africains. Les liens entre l’Afrique et les Amériques noires sont très complexes.
Critique d’Herskovits par Roger Bastide.
Bastide a noté que le lien entre la psychologie et le culturel est particulièrement important car on a à faire à des individus qui se rencontrent. IL faut en effet, à partir de ce moment, tenir compte de la psychologie des individus. Les faits sont donc essentiellement mentaux et non matériels. Or selon Boas, les interprétations sont liées à des modèle culturels.
Herskovits pense que c’est l’intériorisation de la culture (la mentalité) qui est primordiale. Il ne voit pas que cette psychologie dépend des cadres sociaux qui possèdent des caractéristiques propres. Herskovits s’appuie pour sa démonstration sur le Candomblé brésilien. il montre que les transes mystiques ne sont pas des phénomènes pathologiques. La transe est un phénomène culturel car elle obéit à des schémas appris et codifiés. Il y a mise en scène de la transe mystique. Ces transes obéissent à une fonction : permettre un exutoire de tensions sociales que vivent les Noirs, qu’ils soient Brésiliens, Haïtiens ou Cubains. La transe devient une catharsis qui renforce la solidarité du groupe. Le fonctionnalisme reste psychologique ; il lui manque un volet sociologique. Ces cultes possèdent une fonctio politique : elles constituent un lieu de réunion sociale, où peut se développer une certain économie. Bastide met l’accent sur la situation globale : il critique que la communauté soi prise comme un ensemble clos (monographie) sans tenir compte de l’environnement. Pour Bastide, on ne peut comprendre de communautés et les choix qu’elles opèrent que si on les relie au cadre régional, national, dans lequel se trouvent ces communautés.
Bibliographie complémentaire
Bernabé, Chamoiseau, Confiant : L’éloge de la créolité – 1989 – Gallimard. (A lire avec un esprit très critique). Herskovits Les Noirs du Nouveau monde, sujet de recherche africaniste in Journal des Africaniste 1938