La diversité culturelle : mythe, fantasme ou réalité ?

Nourredine Boubaker. Regard sur la diversité culturelle, entre mémoire refoulée et avenir en partage.

Ce sous-titre un peu provocateur mérite une première explication. Notre propos ne consistera pas à nier l’évidence de la diversité culturelle, mais plutôt à attirer l’attention. En effet, l’argument de la différence culturelle est très (trop) couramment invoqué pour expliquer, voire justifier les difficultés d’intégration rencontrées par certaines personnes d’origine étrangère. Il s’agit d’interroger cette consensuelle opinion et de se demander s’il ne conviendrait pas de revoir nos habitudes et nos catégories de pensée. Ne consistent – elles pas trop souvent, à attribuer au seul public censé être en défaut d’intégration, la responsabilité même des difficultés qu’il rencontre. Autrement dit, dans quelle mesure la société dite d’accueil, et avec elle les différentes institutions, ne seraient – elles pas, elles aussi en difficulté et bien peu armées lorsqu’elles sont confrontées à un public diversifié ?

Nous tenterons de faire part des réflexions que nous conduisons au sein de la direction emploi – formation du FAS. Cette contribution au débat se situe clairement dans une optique opérationnelle. Une des pistes que nous explorons consiste, par la formation, à modifier l’approche des différents acteurs pour qu’en retour, ils ajustent leurs attitudes et pratiques professionnelles. L’élévation du niveau de compétences est, pour nous, une nécessité afin de changer le regard communément porté sur un public affublé de connotations exotiques ou fantasmées. Nous pensons que le rôle que jouent ou pourraient jouer les institutions est déterminant et qu’à ce titre, la prise en compte de cette problématique dans les formations initiale et continue des agents, hiérarchie comprise, revêt aujourd’hui un caractère d’urgence. L’émergence récente de la question des discriminations qui met , on ne peut plus nettement à jour, la responsabilité de la société d’accueil dans le « prétendu déficit d’intégration » des personnes immigrées nous conforte dans cette voie. Pour les différents acteurs, mais à coup sûr, pour les professionnels et les institutions, comprendre, gérer la diversité culturelle, c’est -à – dire en réalité, un public hétérogène, ( différent de soi ), doit devenir une compétence à acquérir. Celle – ci résulte bien plus d’un apprentissage et d’une construction intellectuelle que, comme on le croit trop souvent, de la générosité ou d’une quelconque proximité d’origine ou de lieu d’habitation.

Comment dépasser l’obstacle que représente la rencontre avec l’autre, dès qu’il est perçu comme « différent » ? Comment éviter les malentendus, les incompréhensions, les tentations parfois de rejet suscités par la confrontation avec des personnes porteuses d’autres codes culturels ? Comment gérer aussi la part d’inconnu et d’inattendu inérentes à ces rencontres, mettre à distance ses propres représentations et limiter la part de l’affect ? Comment infléchir cette propension à généraliser ? Nous essaierons de réfléchir à des réponses possibles en resituant ces multiples questionnements dans une approche globale de l’immigration, de ces incidences sur la société française. Nous puiserons souvent à la source du regretté Abdelmalek Sayad, dont les travaux proposent des clefs pertinentes de compréhension des processus complexes à l’œuvre.

Mais de quoi, de qui parlons-nous en vérité ?

Il convient tout d’abord de cerner la question et de tenter de s’accorder. De quoi, de qui parle-t-on ? La diversité est constitutive de tous les rapports sociaux. Si l’être humain existe socialement, il le doit assurément à sa diversité et à sa capacité d’adaptation. Aucun être n’est identique à l’autre. Parce que tous les hommes sont divers, la diversité culturelle, c’est d’abord la diversité humaine. Il y a de l’altérité chaque fois qu’il y a échange entre personnes. Cela est vrai, qu’il s’agisse de relations entre hommes et femmes, parents et enfants, citadins et ruraux ou encore entre personnes de classes sociales, régions, cultures ou religions différentes… Toutefois, lorsque cette problématique est invoquée pour tenter de décrire, par exemple, certains des problèmes rencontrés dans les quartiers dits difficiles, c’est l’immigré ou celui qui est perçu comme tel qui est désigné. La référence à cet implicite est très partagée, c’est fréquemment même, la partie de la population immigrée la plus précarisée qui est visée. C’est très logiquement dans ce contexte là que s’expriment et se donnent à voir, le plus librement, les représentations stéréotypées, véhiculées sur l’autre racialisé. Cette vision de la diversité culturelle est alors fortement ethnicisée, le facteur ethnique éclipse les autres, mais se trouve aggravé par le cumul du lieu d’habitation et de l’origine sociale.

On a toujours du mal en France à composer avec la diversité culturelle et le traitement de la différence. Les institutions n’échappent guère à ce constat. Le principe républicain et sa louable présomption d’un égal traitement pour tous expliquent en partie la difficulté. Peut – être est-il utile de rappeler que la République s’est constituée en se protégeant des différences ? Il s’agissait à l’école, par exemple, de mettre les élèves à l’abri des influences de toutes sortes, étrangères mais pas seulement, des différentes langues régionales, du pâtois, des églises, des ouvriers, des patrons, de la famille même,…

Bref, il s’agissait de protéger les enfants et d’en faire des citoyens de la République. On peut comprendre un tel souci lorsqu’on se réfère au contexte historique et politique de l’époque. Mais, la situation n’est plus la même, et nous devons tout au contraire, ici et maintenant, « composer » avec la diversité culturelle. Au delà du simple exemple scolaire, on peut légitimement, deux siècles plus tard, , s’interroger sur les limites de la mise en oeuvre du principe républicain d’égalité de traitement. Il n’est pas interdit de réfléchir aux adaptations nécessaires. On est fondé à se demander, si les principes qu’au nom de l’égalité les institutions invoquent, n’aboutissent pas à une gestion, de fait, inégalitaire des réalités humaines et sociales qui forment la diversité culturelle. L’émergence récente sur la scène politique française de la question des discriminations directes ou indirectes dont sont victimes les personnes en raison de leur origine réelle ou supposée, conduit, en tous cas, le législateur à distinguer l’égalité réelle et l’égalité formelle et à s’interroger ainsi sur l’effectivité du droit.

Alors que les discriminations constituent un délit sévèrement sanctionnable, on ne peut que déplorer le faible nombre des condamnations prononcées. L’adoption de la loi contre les discriminations au travail et la transposition en droit interne des directives européennes devraient permettre de remédier, en partie, à ce qui apparaît comme une anomalie et est perçu comme une flagrante injustice.

De l’homme seul à la famille, une évolution majeure mais méconnue.

Il nous semble utile de resituer le débat au regard de l’évolution en France de la question migratoire. Une très rapide mise en perspective suffit à mieux saisir les changements intervenus et les enjeux pour la société française. Il est clair que l’on a insuffisamment tiré les enseignements du passage « de l’homme seul à la famille », pour reprendre l’heureux titre d’un ouvrage de Ahsène Zerhaoui.

Avec le regroupement familial, la migration n’est plus seulement de travail, masculine, individuelle et « provisoire », mais se transforme en migration de peuplement, familiale et d’enracinement durable qui sonne le glas du fameux mythe du retour au pays. Le projet initial s’en trouve totalement bouleversé. C’est un changement radical de nature et de perspective. Mieux réfléchir à cette « banalité », conduirait certainement à prendre la mesure des réalités actuelles, identifier les difficultés, les anticiper, informer l’opinion publique et préparer la société d’accueil. Cela permettrait de mieux penser et comprendre le rapport complexe de l’immigration aux institutions et des institutions à l’immigration. Avec ce changement de nature, l’immigration et la diversité culturelle deviennent une donnée structurelle de la société, une caractéristique sociale, sociologique et politique, une réalité que l’on persiste cependant à ne pas voir et à ne pas assumer. A partir du moment où il y a « reproduction sur place », selon l’évocatrice expression de Sayad, l’ immigration ne devrait plus être pensée en terme d’extériorité.

En effet, les enfants de migrants naissent en France ; ils ont vocation à devenir français. Mais, alors même, qu’ils n’ont à l’évidence pas migré, on persiste à les percevoir comme immigrés. Alors même qu’ils échappent de plus en plus à la possibilité d’être différenciés, alors que disparaissent progressivement les différences invisibles tels que la maîtrise de la langue et le niveau scolaire, comment interpréter cet acharnement à imperturbablement les désigner comme immigrés ? Les représentations sont tenaces, immigrés donc, ils sont et demeurent dans l’inconscient collectif. Ce sont les immigrés de la 2ème génération, de la 3ème, 4ème issus de l’immigration, les beurs, etc.

Derrière la désignation, n’est-ce pas le rappel lancinant à l’origine, le soupçon et l’illégitimité d’une « présence déplacée » qui suintent en dépit des efforts consentis pour « s’intégrer ». Français à part entière ou en devenir, ils brouillent les schémas mentaux et la symbolique, très rassurante « ligne de démarcation » entre les nationaux et les autres. Les identités tant collectives qu’individuelles se trouvent fortement interrogées. L’identité nationale ne peut plus être fondée sur la « race ou l’ethnie », mais bien au contraire sur la diversité humaine, la pluralité des cultures et la mise en partage de valeurs et d’idéaux communs. Il en est de même de l’idée de nation. Nous ne pouvons plus raisonner comme si nous vivions dans un monde composé de blocs ou de systèmes monolithiques et antinomiques, porteurs les uns et les autres d’une seule culture, différente et opposée aux autres. Une telle vision ne résiste plus à l’analyse. Sous l’effet de la mondialisation, mais aussi du déplacement des personnes, tous les pays, tous les systèmes sont traversés de contradictions et porteurs de valeurs culturelles imbriquées et multiples. Ainsi les processus identitaires collectifs ou individuels s’élaborent dans l’hétérogène, le conflit et la négociation, toujours ; ils prennent corps et se réalisent au contact d’autres cultures et d’autres codes.

Une vision masochiste et non assumée de l’immigration.

Alors que la France est, de toute évidence, une nation sociologiquement multiculturelle, comment ne pas regretter qu’en dépit pourtant d’une tradition séculaire, elle ne soit toujours pas à l’aise avec « son immigration ». Malgré l’antériorité de son expérience et ses succès en matière d’intégration, elle persiste à ne pas s’assumer ni se penser comme terre d’immigration, à ne pas assumer politiquement cette immigration et son corollaire, l’intégration. L’immigration familiale crée pourtant une situation de non retour.

« Eux c’est nous et nous c’est eux », pourrait-on dire de façon provocatrice, mais telle est bien la vérité qu’on tente cependant d’occulter. Pourquoi ne pas sortir d’une conception quelque peu masochiste de la question consistant à ne pointer que les difficultés, les risques ou les inconvénients ? Le taux des mariages mixtes, par exemple, entre femmes algériennes et Français est élevé en France comparativement à des statistiques identiques appliquées à des pays comme le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou l’Allemagne. Faire connaître et expliquer ces chiffres seraient de nature à ébranler quelques idées reçues, à rassurer et donner, en tous cas, une plus exacte perception de la réalité de l’intégration. Cette réalité , c’est aussi dans la France d’aujourd’hui, non seulement la composition de l’équipe de football et Zinedine Zidane, mais l’imprégnation culturelle indéniable, positive et perceptible dans l’art culinaire, par exemple, la culture, la musique, le cinéma…

Il serait aisé de multiplier les exemples d’enrichissement. L’immigration ce n’est pas seulement les ratés de l’intégration ou « les incivilités », leur médiatisation excessive et tendancieuse qui participe de la construction et de la perpétuation d’une image induite, plutôt négative de « l’immigré » mais surtout des jeunes issus de l’immigration, majoritaires dans certains quartiers. Ce qu’on continue, faute de mieux, d’appeler intégration est une affaire bien plus complexe et interactive qu’il n’y paraît, c’est aussi, pour la société « accueillante » l’expérience de la co-existence avec la diversité humaine, c’est l’expérience de l’ acceptation progressive d’une réalité nouvelle, c’est l’expérience de la lente transformation de la société elle-même et de l’identité nationale.

Interroger les allants de soi et les évidences.

Il n’est pas question d’éluder les problèmes mais de les remettre à leur juste place, de tenter d’en comprendre la complexité et les multiples causes afin d’ajuster les réponses, de ne plus se tromper de diagnostic ou administrer de mauvais remèdes. L’invocation excessive de l’argument de la diversité culturelle entendu dans le sens de l’irréductibilité culturelle conduit à ethniciser la question en la réduisant à l’extranéité, parfois réelle mais le plus souvent supposée, des personnes. Que dire, par exemple, de la récurrente référence à la « supposée culture d’origine » comme facteur explicatif majeur des problèmes.

Cette notion mérite d’être sérieusement interrogée au regard de la connaissance produite en la matière. Est – il encore possible comme le font les tenants du culturalisme ou du différencialisme de persister à vouloir essentialiser la culture ? L’idée d’une intégrité de l’identité est sérieusement remise en cause. Cette dernière comme la culture est une composition, une réinterprétation permanente, une construction au caractère composite. Cela conduit à accepter l’idée qu’il ne saurait, n’en déplaise aux culturalistes, exister de culture pure. La culture, comme l’identité, est heureusement impure, voire « adultérée » selon la truculente expression de Jacques Hassoun. La culture dite d’origine n’est qu’une part, une part seulement, d’un ensemble complexe et hétérogène composé de l’origine des parents, du lieu de naissance, de la langue maternelle, de la trajectoire personnelle, d’une multiplicité d’autres appartenances qui constituent la singularité de tout individu et en font, à chaque fois, un être unique.

L’héritage colonial : entre mémoire et refoulement.

C’est bien à l’ensemble profondément ancré dans les têtes, des représentations négatives qui constituent la figure commune de l’immigré que la société française devra s’attaquer pour changer les mentalités et modifier durablement le regard suspicieux ou connoté qu’elle porte sur « l’étranger » ou celui qui en a l’air. Peut-on longtemps encore à ce stade faire l’impasse sur la question de la mémoire coloniale devenue refoulé colonial ? Le débat en cours sur la torture, atteste s’il en était besoin, que les cicatrices ne sont pas refermées, que décidement la guerre d’Algérie n’est pas terminée et que la mémoire coloniale hante toujours les esprits.

Les polémiques récentes à propos du 17 Octobre 1961 viennent, à point nommé nous le rappeller. La France est assurément moins à l’aise avec son passé et la question du racisme qu’elle feint de le laisser paraître. « Il n’ a pas de colonialisme sans racisme » disait Aimé Césaire. L’histoire coloniale de la France ne peut s’effacer d’un trait de plume ou par occultation. Sait – on assez, par exemple, qu’en 1931, dans cette douce France, une des attractions de l’exposition coloniale internationale n’était rien d’autre que les zoos humains, où l’on exhibait des Kanaks « protégés » par des grilles ? Ne perdons pas de vue que des générations de petits français, « nos chères têtes blondes » ont appris à l’école de Jules Ferry dans le célèbre livre de lecture et d’instruction morale et civique intitulé « Le tour de la France par deux enfants » que « la race blanche est la plus parfaite des races humaines ».

Lors de l’assemblée générale du Fonds d’action sociale, le 16 janvier 2001, Elisabeth Guigou rappelait que « nous avions parfois donné le sentiment de rester un peu coloniaux dans nos têtes » et qu’il fallait « combattre partout où ils existent encore ou apparaissent sous de nouvelles formes les rapports de dépendance, de sujétion qu’ils soient juridiques, économiques ou psychologiques ? ». Tel est bien le problème. Il s’agit d’assumer notre histoire pour tourner la page et envisager l’avenir autrement. Nous pensons que le silence ou l’occultation sont la pire des thérapies, que le refoulé colonial pollue le débat sur l’intégration et entretient les représentations négatives qui s’expriment parfois sans retenue. Faut-il considérer le regain de racisme que la France vient de connaître comme un épiphénomène, un banal accident ou redoubler de vigilance ? Dans le sillage des propos de Mme Guigou, nous nous demandons s’il ne subsiste pas de notre passé de puissance coloniale, une survivance de la hiérarchisation des personnes en fonction de l’origine ethnique.

Dans cette hypothèse, la discrimination qui, à son tour, hiérarchise la place à occuper dans l’espace public, serait alors « naturellement » légitimée. Chacun à sa place, en quelque sorte. Si comme nous le redoutons, tel est le cas, on mesure le chemin à parcourir pour changer les mentalités et opérer les corrections sur nous-même évoquées par Abdelmalek Sayad. Nous pensons qu’une conception univoque et figée de la diversité culturelle pensée de façon exclusive à travers le prisme déformant de l’immigration renvoie, de façon inconsciente parfois, à cet héritage colonial, à des rapports de domination et de hiérarchisation qui postulent l’inégalité de la valeur des personnes. La banalisation des pratiques discriminatoires conforte cette analyse.

Parce que les discriminations ne sont que la mise en oeuvre des représentations entretenues sur l’autre, nous pensons que dans l’ombre portée de la banalisation des idées racistes, se sont insidieusement, sournoisement banalisées des pratiques illégitimes, interdites en droit, mais en réalité « autorisées » par la conspiration du silence et le consensus du non – dit qui entourent cette question. Ces pratiques sont très révélatrices de l’état réel de la société et de la prégnance qui perdure à la catégorisation et à la classification des personnes selon l’origine, mais également le sexe, le lieu d’habitation, le capital social. Un constat sévère et accablant dont les pouvoirs publics ont pris la mesure par des déclarations politiques sans équivoque et la mise en place d’un dispositif expérimental de lutte contre les discriminations qui, malheureusement, pour l’heure, peine encore à produire les résultats escomptés.

Du bon usage du spécifique entre nécessité et limites.

Cette émergence salutaire des discriminations et la mise en cause de la responsabilité de la société d’accueil, qu’elle induit, doivent nous conduire à un travail d’ introspection collectif pour modifier nos schémas mentaux ainsi que nos modes d’intervention. C’est à un tournant manifeste de la politique d’intégration auquel nous assistons. Un déplacement significatif s’opère. Le défaut d’intégration ne serait plus attribué aux seuls immigrés, ce public cible par excellence, destinataire de tant et tant d’actions, définit de manière consensuelle, à partir de besoins dits spécifiques décrits le plus souvent en terme de handicaps, carences, déficits ou autres difficultés présumées insurmontables. Ces besoins spécifiques fondent la justification récurrente à la mise en oeuvre de dispositifs particuliers et provisoires qui débouchent souvent sur un traitement social, séparé, et durable de populations ainsi stigmatisées, accusées en prime d’être responsables de leur non-intégration.

Ces dispositifs spécifiques présentent assez souvent un autre « inconvénient » (ou avantage ? ), celui de se substituer durablement aux services de droit commun, défaussés ainsi de leurs propres responsabilités. Pour éviter tout malentendu, précisons qu’il ne s’agit pas de nier l’existence de besoins spécifiques ou de toute prise en charge particulière à un moment donné de certains publics comme les nouveaux arrivants, par exemple, ne maîtrisant ni la langue, ni les codes du pays d’accueil. Il s’agit seulement d’attirer l’attention des professionnels sur le besoin d’en caractériser la nature avec précision afin de conduire des actions pertinentes, de qualité, ciblées, efficaces, transitoires, de courte durée, pour que, au plus vite, le recours au service classique du droit commun soit possible. Autant d’actions qui requièrent rigueur, professionnalisme et compétence, qui relèvent le plus souvent d’un domaine associatif ne disposant pas toujours du soutien financier, d’une reconnaissance suffisante et de la délégation de service public nécessaire pour les mener à bien. Tout se passe comme si ces actions portant sur des moments – clef de l’intégration, ne relevaient pas directement de la puissance publique. Tout se passe comme si une logique purement humanitaire, généreuse certes, mais alléatoire prévalait. Une logique qui, à l’évidence, n’assure pas à tous, un égal accès aux droits. Il n’est à aucun moment question de remettre en cause le rôle des associations mais d’en pointer les ambiguités, parfois les insuffisances, les limites aussi.

Nous souhaitons, par ailleurs, attirer l’attention sur la complexité des situations-problèmes rencontrées sur le terrain et sur la nécessité de procéder à une analyse globale et nuancée des processus à l’œuvre dont le caractère ethnique visible ne permet pas, seul, de rendre compte. Il apparaît, de la même manière, prudent de relativiser l’approche en terme de public-cible et nécessaire, de se référer à l’analyse de l’intégration comme processus dynamique et interactif impliquant deux acteurs : les personnes à intégrer, mais également la société dite d’accueil. Cette analyse nous révèle que le corps social interfère fortement, joue un rôle contradictoire, positif et facilitateur, mais quelquefois aussi éliminateur et excluant, dans le cas des discriminations, par exemple. Il s’avère donc plus que jamais fondé de considérer la société d’accueil comme un public à part entière et de la rendre destinataire d’actions de formation ou d’information pour atténuer les préjugés et éloigner peurs et fantasmes.

Service Public : un rôle symbolique, mais désignateur aussi.

On ne peut, à ce stade, que souligner le rôle hautement symbolique du service public, son effet d’entraînement et le caractère exemplaire, donc désignateur aussi, de son action. La posture adoptée assez souvent par les pouvoirs publics est significative et révélatrice d’une perception de l’immigration et des « immigrés » pensés en terme de problèmes et d’extériorité. La tentation symptomatique et ambiguë de recourir à des médiateurs, médiatrices, relais ou autres intermédiaires culturels « d’origine », pour aplanir les difficultés en externalisant leur mode de règlement en dit long sur la compréhension des processus, des résistances à l’œuvre et conséquemment sur la volonté réelle d’adapter voir de transformer les institutions pour une meilleure prise en charge de tous les publics. Il nous semble ( à l’exception notoire des problèmes liés à la méconnaissance de la langue ) que la préférence accordée à la « résolution des problèmes » sous la forme d’une véritable sous-traitance, parfois « communautaire » renvoie, en partie, à la perception ethnicisée et « classante » d’une immigration, d’une diversité culturelle, extérieures à la société française.

Nous pensons que ce mode de prise en charge est susceptible de générer nombre d’effets pervers ( l’origine serait – elle une compétence par exemple ?) et qu’il entretient en retour, l’idée d’un traitement à part, différent des autres, susceptible de nourrir, à son tour, un sentiment réel/ou supposé d’injustice, d’inégalité de traitement, de suspicion, d’illégitimité de la présence en France, potentiellement très conflictuel ainsi que nous le savons. Modifier pour le pacifier ce rapport, c’est rappeler sans cesse le sens de l’expérience migratoire et remettre la diversité culturelle à sa juste place. La migration est presque toujours un projet de promotion sociale, une tentative d’échapper à un sort scellé d’avance. L’expérience de l’exil, c’est-à-dire du hors lieu est celle du dépassement douloureux de sa propre culture et de ses propres valeurs. La migration familiale est une entreprise bien plus consciente et volontaire qu’on ne le croit, d’enracinement et d’acculturation, tournée délibérément vers l’avenir et dans laquelle la réussite des enfants est essentielle parce qu’elle viendra, à posteriori, légitimer le parcours migratoire et l’authentifier. Affirmer et assumer pleinement la place de l’immigration dans la société française et son caractère durable, voire irréversible, seraient, de nature à lever bien des doutes, des ambiguités ainsi que les incertitudes ( donc les angoisses ) qui caractérisent trop la relation immigrés et institutions. Ce serait, à terme, une façon efficace de ré-affirmer l’égal accès de tous au service public et de ré-instaurer dans la durée, un climat de compréhension et de confiance réciproques. N’est-ce pas le rôle premier du service public ? N’est-ce pas ce qui fonde son éthique ?

Diversité humaine, diversité culturelle et coexistence : problème ? ou questions de compétences ?

Nous avons tenté, dans une optique opérationnelle, de mettre l’accent sur la complexité des problèmes. Nous incitons, au Fonds d’action sociale à la prudence, et à dépasser l’évidente apparence des situations telles qu’elle se présente aux différents acteurs, parmi lesquels le service public joue le rôle principal. En réalité, la confrontation avec ce qu’on appelle la diversité culturelle constitue presque toujours, de prime abord un obstacle qui génère de l’appréhension, parfois du rejet. ? Nous pensons qu’un des moyens le plus sûr pour dépasser cet obstacle, gérer aussi la part d’inattendu et faire que la coopération l’emporte sur l’affrontement, réside dans la formation et la sensibilisation des personnels, hiérarchie incluse. Il ne suffit pas, en effet, de « former » les seules personnes en contact avec le public mais l’ensemble de la ligne managariale parce qu’elle est aussi porteuse de représentations. C’est l’institution toute entière qui est interpellée et sommée de se transformer. La « gestion » de la diversité ne peut assurément pas dépendre de l’implication personnelle seulement, de la générosité ou d’une plus ou moins grande proximité avec l’usager. Nous insistons sur la notion de compétences, de savoir et de savoir-faire et proposons un véritable travail de construction intellectuelle pour se les s’approprier. Il s’agit bien d’élever le niveau des compétences pour modifier les attitudes professionnelles. Nous ciblons, nous l’avons vu, le service public parce qu’il tient une place à part et qu’il doit d’être exemplaire, mais l’entreprise de qualification concerne tous les acteurs. L’acquisition de compétences est une piste prometteuse qu’il convient de privilégier, en formation initiale et continue. C’est ainsi qu’il devient possible de distinguer ce qui relève de l’origine, des difficultés sociales, de la langue, du capital social ou culturel, des enjeux de pouvoir, de la bonne ou mauvaise foi, de notre propre disponibilité intellectuelle, de notre capacité à écouter, …

L’élévation du niveau des compétences ne règle, certes pas, tous les problèmes, mais permet de conférer plus de sens encore, à l’activité professionnelle. Elle permet de ne pas s’en tenir à l’apparente ethnicisation des questions qui , à l’inverse gomme ou masque les autres aspects. La compétence conduit à ne pas « assigner à origine » les personnes et à accorder à la diversité culturelle la part, la juste part qu’il lui revient entre exaltation et occultation. .

Il ne sert à rien de se réfugier derrière des paravents imaginaires qui sont autant d’alibis qui masquent nos propres carences, nous empêchent de voir le monde tel qu’il est et de nous remettre en cause. Ce dont nous aurions pourtant bien besoin. La diversité c’est l’image de la France d’aujourd’hui. Combien de colloques, combien de séminaires faudra-t-il encore, pour que la société s’intègre enfin à cette réalité ?

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