L’écrivain et poète, par ailleurs enseignant, directeur de la revue Dédale et animateur de l’émission Cultures d’Islam, sur France Culture entend ici intégrer la dérive des siens et aider à leur ouvrir les yeux sur ce qui les aveugle ». Persiflage et érudition sont mis au service du projet de ce livre écrit dans l’urgence après les attentats du 11 Septembre : balayer devant sa porte ! L’auteur ne s’interdit pas de nommer les causes externes et connues de la maladie : l’islamophobie occidentale, nourrie de « non-reconnaissance » et d’exclusions ; le colonialisme et ses séquelles persistantes ; la politique extérieure des États-Unis, son hégémonie qui lui permet en toute impunité de mener une politique à courte vue, marquée du sceau du deux poids -deux mesures et du reniement de ses principes quand ses intérêts le demandent. Mais de cela, il ne veut retenir qu’un effet de catalyse.
Toujours il maintient le cap, et privilégie une « critique interne ». Il prévient d’ailleurs contre la facilité qui consisterait à renvoyer dos-à-dos les maladies, celle de l’Islam et celle de l’Occident : « Si tel était le cas, mon projet serait vidé de sa substance ; loin de moi de neutraliser la maladie dont je traite par l’invocation de la maladie de l’autre. » Le diagnostic ne souffre d’aucune ambiguïté : l’intégrisme est la maladie de l’Islam, et c’est en son sein qu’il faut en trouver les causes.
Plutôt que d’esquisser ici une démarche essentialiste – ce dont il lui a été fait reproche – A. Meddeb cherche à cerner la question de l’individu dans l’Islam aujourd’hui, les fondements, les principes qui guident sa relation au monde et aux autres, ce qui le constitue en tant que sujet ou au contraire l’entrave. Empruntant à Nietzsche la figure de « l’homme du ressentiment », il remonte loin dans l’Histoire pour extirper de cette terre d’Islam les radicelles d’une attitude culturelle qui se pose dans la négation de l’autre et l’oubli de soi. Aujourd’hui et là encore, les éléments qui composent le diagnostic ne sont pas totalement méconnus, à commencer par cette représentation idéologique « simplifiée et archaïque » de l’Islam dispensée à coup de pétrodollars par l’Arabie Saoudite
La conjonction détonante de ce wahhabisme saoudien et du Jihadisme » de Qotb, via la lutte armée en Afghanistan, a donné naissance aux Talibans et à l’organisation de Ben Laden. A. Meddeb pourfend aussi l’amnésie et l’ignorance par les musulmans de leur culture et de sa riche tradition exégétique, le nivellement par le bas des sociétés islamiques symbolisé par la teneur des prêches télévisés ou par l’instruction sans culture dispensée aux futures élites. Il ne tait pas la xénophobie et la mutation d’un antijudaîsme traditionnel en un antisémitisme moderne. Enfin, il regrette la disparition au sein de la société islamique d’une « tradition hédoniste, fondée sur l’amour de la vie » et déplore la triste réalité qui s’est emparée des rues de la cité : la pudibonderie, la haine de la sensualité, des « corps balourds coupés du souci de soi ». Ce souci de soi qui renvoie une fois de plus à cette question de l’individu et de l’affirmation d’un sujet souverain qui, au lieu de chercher à abolir l’autre, rechercherait « la confrontation des différences et le respect de la diversité du monde ».
Après avoir balayé quelques thèses en vogue depuis maintenant un an, A. Meddeb, en thérapeute, esquisse un double traitement. En direction des sociétés islamiques d’abord. Il voudrait les voir revenir à une profonde connaissance des débats, des polémiques et des controverses dont s’est nourrie la tradition. Lutter contre l’oubli permettrait que « s’instaure la liberté d’une parole plurielle, conflictuelle, entretenant le désaccord dans ta civilité ». La question juridique est centrale : c’est par elle que passe la mise en forme d’un droit adapté aux acquis de la modernité. Quant à l’école, priorité chère à l’Algérien Tahar Djaout, assassiné en 1993, il faudrait en extirper l’intégrisme ambiant. En direction des sociétés occidentales ensuite. Que l’Occidental se débarrasse de l’islamophobie consciente ou inconsciente dont à est l’héritier. Dans le champ de la croyance, il serait temps de « voir en Mohammed une figure sainte », mais également, dans les champs séculiers de l’art, de la poésie, de la philosophie, temps de désenclaver la référence islamique et, avec Dante, Goethe, Aragon d’accepter cette évidence historique que l’Islam est interne à l’Occident et qu’il participe à l’universalité du monde.
Mais cette intégration doit aussi se manifester dans le champ du politique. A. Meddeb pointe trois urgences : l’Irak, la question palestinienne, et la nécessité d’éclaircir les rapports entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis. On le voit, l’ordonnance repose sur une pharmacopée largement éducative. À n’en pas douter, l’analyse d’A Meddeb, pour pertinente qu’elle soit, souffre de l’absence ou de la sous-estimation du poids des évolutions sociopolitiques des sociétés musulmanes (mais aussi de celles des sociétés occidentales, où une importante communauté musulmane a fait souche) et des intérêts économiques et stratégiques mondiaux, américains notamment. Ceci n’infirme nullement son diagnostic, courageux certes, et surtout fort éclairant à l’heure où, lorsqu’il est question d’Islam et d’Arabe, l’obscurantisme et la suspicion gagne tous les étages de la société.
M. H.