A la recherche d’une texture dans les recherches interculturelles sur la schizophrénie. Contributions anthropologiques* / In quest of cross-roads in intercultural studies of schizophrenia. Par Ellen Corin *, Rangaswami Thara **, Ramachandra Padmavati ***

« Professeur agrégé, division de recherche psychosociale, départements de psychiatrie et d’anthropologie, centre de recherche de l’hôpital Douglas, université McGil, 6875, boulevard LaSalle, Verdun (Québec), H4H IR3, Canada

Director, Schizophrenia Research Foundation, SCARF Plot R17A, North Main Road, Anna Nagar (West Extn) Chennai, 600101 India

Deputy Director Schizophrenia Research Foundation, SCARE Plot R/7A, North Main Road, Auma Nagar (West Extn) Chennai, 600101 India

Reçu le 12 novembre 2003 ; accepté le 20 novembre 2003

In L’évolution psychiatrique 2004, volume 69 – N°1. © 2003 Publié par Elsevier.SAS.

Résumé

L’anthropologie et la psychiatrie partagent une longue histoire de collaboration. De plus en plus cependant, les questions qu’elles posent, leur langage expert et leurs approches semblent se développer dans des territoires séparés entre lesquels il semble difficile d’établir un dialogue. Les auteurs situent leurs réflexions sur la contribution de l’anthropologie à la science et à la clinique psychiatriques contemporaines sur l’horizon d’une articulation entre évidences et théories. Elles illustrent leur propos à partir des résultats de recherches interculturelles sur le cours de la schizophrénie. Alors que ces études indiquent de manière répétée que le pronostic de la schizophrénie est plus favorable dans les pays en développement, les variables examinées dans ces études s’avèrent incapables d’expliquer les différences observées. Une première piste de travail qui s’offre ici passe par une interrogation sur la construction de la notion d’évidence en recherche, sur les « résidus » qu’excluent les paradigmes de recherche dominants et sur leur signification possible. Une seconde voie de recherche s’appuie sur une réflexion concernant la manière dont le milieu social et culturel est susceptible d’influencer une expérience de soi et du monde altérée par la psychose. Pour illustrer cette seconde approche, les auteurs évoquent des études en cours dans le Sud de l’Inde auprès de patients en début de psychose et de leur famille. Elles en présentent brièvement le contexte, la méthodologie et certains résultats. Elles en discutent également les implications conceptuelles à partir des notions d’idiome culturel et de travail de la culture.

Abstract

Anthropology and psychiatry have a long history of collaboration. However, the questions they ask, their expert languages and their approaches appear to develop more and more within separate territories. The authors’reflections concerning the contribution of anthropology to psychiatry science and clinical practice develop under the horizon of an articulation between evidence and theory. They illustrate their argument on the basis of the results of cross-cultural research about the outcome of schizophrenia. While cross-cultural research indicates that the prognosis of schizophrenia is better in developing countries, the variables documented in these studies prove to be insufficient to explain the observed différences. A first avenue of research that is explored here builds on a questioning of the very notion of evidence, its residues and their possible significance. A second avenue leans on a reflection about the ways the social and cultural context might influence an experience of oneself and the world altered by psychosis. To illustrate this second approach, the authors evoke ongoing studies in South India with recently diagnosed psychotic patients and their families. They present briefly the context of these studies, the methodology and a few results. Conceptual implications are discussed in reference to the notions of cultural idiom and the work of culture.

Mots clés : Psychiatrie interculturelle ; Schizophrénie ; Culture ; Évidences en recherche ; Idiome culturel ; Travail de la culture

Keywords : Cross-cultural psychiatry ; Schizophrenia ; Culture ; Research evidence ; Cultural idiom ; Work of culture

Le rapport entre l’anthropologie et la psychiatrie a une longue histoire. À sa manière, chacune des deux disciplines a interpellé l’autre en l’invitant à élargir ses perspectives et à ouvrir le champ de réalité pris en compte dans la construction de son savoir, à déplacer son regard vers l’horizon : l’horizon lointain du social et de la culture, celui de sociétés autres dans le cas de la psychiatrie ; ou l’horizon intérieur que constitue l’expérience intime, toujours singulière, que viennent signaler ou marquer les phénomènes psychopathologiques dans le cas de l’anthropologie. Chacune de ces disciplines porte la marque de cette longue fréquentation. On peut en voir des signes dans la place occupée par l’expérience, les émotions, le Soi dans l’anthropologie contemporaine ; dans les travaux effectués en psychiatrie sociale et dans une pratique clinique davantage sensible à la culture dans le cas de la psychiatrie.

Et pourtant, les questions et les approches qui sont associées à la psychiatrie et à l’anthropologie semblent aussi se développer de plus en plus dans des champs séparés et leurs échos respectifs ont de plus en plus de mal à rejoindre ce qui se joue dans l’autre champ. La psychiatrie choisit ses nouveaux partenaires dans le domaine des sciences dites « dures » et l’anthropologie, dans celui des sciences littéraires ou critiques. On a l’impression d’une raréfaction des zones de débats où puissent se trouver mis enjeu les postulats de base concernant ce qu’il en est de la psychopathologie et de la culture : des zones frontières que l’orientation des langages experts propres à chacune des disciplines rendent de plus en plus difficile à approcher ou même à imaginer ; des territoires où les questions qui surgissent de la rencontre de l’autre champ éveillent la conscience de ses propres zones d’ombre, réouvrent les interrogations.

Dans ce contexte, l’apport de l’anthropologie ne peut se réduire à accumuler d’autres faits qui viendraient se juxtaposer à ceux qui intéressent la recherche psychiatrique contemporaine ; ni à développer de son côté des approches plus souples et plus complexes de la réalité sociale et culturelle, ni à une pure déconstruction des paradigmes de recherche contemporains pour en révéler les enjeux et les taches aveugles. C’est aussi de rendre compte de la logique propre qui organise sa démarche, de travailler à dégager les implications de ses données de recherche par rapport à une théorie de la psychopathologie, de chercher à établir un dialogue non seulement aux marges de l’autre discipline mais en son centre.

Ces réflexions concernent l’une de ces zones frontières dont l’importance ressort en creux à la fois du progrès récent des connaissances et de ce qui semble leur échapper dans un champ particulier de la recherche psychiatrique, celui de l’évolution de la schizophrénie dans diverses sociétés. Les difficultés rencontrées lorsqu’il s’agit d’interpréter les résultats de recherches nous paraissent renvoyer à une méfiance plus générale face à la théorisation dans les champs de l’épidémiologie psychiatrique et de la psychiatrie contemporaine. Nous allons donc nous situer ici sur le terrain de l’articulation entre évidences et théorie pour faire ressortir l’une des contributions possibles de l’anthropologie à la science et à la clinique psychiatriques contemporaines. Notre démarche concerne un « objet », la schizophrénie, que la psychiatrie contemporaine tend à revendiquer comme son bien propre, laissant aux chercheurs en sciences sociales des domaines plus flous comme ceux de la dépression ou de l’anxiété.

1. Les enjeux d’une recherche comparative

Il y a près d’un siècle, Emil Kraepelin a souligné le rôle important que les études comparatives et interculturelles avaient à jouer dans la construction d’une psychiatrie – scientifique » (Murphy, 1982 [1]). Pour lui, l’objectif général d’une psychiatrie comparative doit être de recueillir et de rassembler des informations permettant de clarifier, de préciser et d’élargir les connaissances actuelles concernant les troubles psychiatriques. Toutefois, pas plus que les données recueillies dans d’autres champs, les données de psychiatrie comparées ne parlent par elles-mêmes ; le sens qu’elles révèlent dépend en grande partie des questions qu’on leur pose. Les chercheurs se répartissent ici sur un continuum tendu entre deux pôles (Murphy, 1982 [1] ; Kleinman, 1988 [2]) : l’un met l’accent sur les similitudes et est à la recherche d’universaux, l’autre s’intéresse principalement aux différences -, l’un cherche à confirmer et à étendre ce que l’on connaît, l’autre se centre sur ce qui s’en écarte, sur ce qui ne cadre pas. La première de ces approches a généralement dominé dans le champ de la recherche psychiatrique et on a l’impression que son prestige se trouve renforcé par la place des neurosciences dans la recherche psychiatrique actuelle.

Dans son ouvrage intitulé Comparative Psychiatry [11, HBM Murphy, l’un des pionniers de la psychiatrie transculturelle, reconnaiît son propre biais en faveur d’une investigation des différences plutôt que d’une recherche de similitudes. Il dit vouloir prendre le contre-pied de ce qu’il considère comme la tendance dominante en psychiatrie : une volonté de généraliser ce que l’on a appris auprès d’un groupe particulier de patients à d’autres groupes de patients. Plus fondamentalement cependant, il soutient que le fait de centrer son attention sur ce qui semble être une exception constitue une étape première et essentielle lorsque l’on cherche à identifier et à formuler des lois universelles. Une telle attention permet en effet non seulement de tester la validité des lois connues mais aussi de les améliorer. Murphy regrette que l’esprit qui inspire la recherche interculturelle « en ait le plus souvent été un négatif, au sens où un tel esprit porte davantage à circonvenir ou à annuler les différences nationales ou interculturelles dans le champ de la psychopathologie, plutôt qu’à les exploiter pour mieux comprendre la psychopathologie » (If 11, p. 18).

On peut dire que les études interculturelles sur la schizophrénie effectuées sous l’égide de lOrganisation Mondiale de la Santé comportent un biais important en faveur de la découverte de ressemblances et d’universaux, se situant ainsi au pôle universalisant du continuum évoqué plus haut (Klemman, 1988 [21), Ainsi, la première annonce publique des résultats de l’Étude pilote internationale sur la schizophrénie mettait l’accent sur le fait que les données recueillies dans différentes cultures se ressemblent quant à ce qui concerne la forme et la configuration des symptômes et les taux d’incidence, tout au moins dans le cas de la schizophrénie définie dans un sens strict. Progressivement cependant, on a prêté plus d’attention aux résultats indiquant que le pronostic de la schizophrénie s’avère significativement meilleur dans les pays dits sous-développés, tels le Nigéria et lInde (Sartorius et al., 1978 [31). Des études de suivi à plus long terme ont confirmé cette tendance (Leff et al., 1992 [41), de même que d’autres recherches qui ont corrigé certaines des faiblesses méthodologiques de la première étude (Sartorius et al., 1986 [51 ; Craig et al., 1997 [6]). Il s’agit donc d’un résultat qui s’avère robuste et qui résiste à diverses tentatives d’explication par des biais méthodologiques (Harrison et al., 2001 [7]). Ces études confirment ce que l’on savait de l’hétérogénéité du cours de la schizophrénie en termes de pronostic. Elles en étendent aussi la portée en montrant que les variations observées concernent non seulement les personnes mais aussi les sociétés. Toutefois, on comprend encore mal ce que signifie une telle variation inter-sociétale en termes d’évolution, comment elle opère. Tout progrès dans cette voie nous paraît exiger un tissage beaucoup plus serré entre les « évidences » et une réflexion théorique.

On peut penser à plusieurs manières d’introduire de la théorie dans la recherche épidémiologique. Nous en retenons particulièrement deux. La première s , inspire des approches critiques. Elle implique que l’on questionne la notion même d’évidence, telle que la construisent la recherche épidémiologique et plus généralement la psychiatrie d’orientation biomédicale : non pour mettre de côté les avancées de l’épidémiologie mais pour situer leurs limites et s’interroger sur la signification possible de ce que laissent de côté les devis de recherche classiques en épidémiologie psychiatrique ; pour explorer des voies méthodologiques alternatives susceptibles de donner accès à ces « résidus » qui demeurent inaccessibles aux études épidémiologiques et psychiatriques conventionnelles. Cette première voie conduit à s’interroger sur les notions d’évolution et de résultat et repose en termes plus larges la question des processus médiateurs entre facteurs macrosociaux et troubles psychiatriques. Une seconde façon de convoquer la théorie passe par une réflexion sur la notion de culture et sur la manière d’en tenir compte dans les études comparatives.

L’hypothèse que nous voulons défendre ici repose sur l’idée que quels que soient la cause ou les mécanismes neurobiologiques qui lui sont associés, la schizophrénie est un trouble qui affecte profondément l’expérience de soi et du monde (Fabrega, 1989 [81). La manière dont les personnes peuvent intégrer et élaborer cette expérience altérée et ce qui leur sert de points d’appui ou de contrainte dans cette démarche constituent des médiateurs importants de l’influence de l’environnement sur l’évolution de la schizophrénie. Les résultats des recherches interculturelles relatives à l’évolution de la schizophrénie demandent dès lors que l’on examine la manière dont les caractéristiques du milieu social et culturel modèlent ou infléchissent cette expérience altérée par la psychose. Nous allons illustrer cette approche en nous appuyant sur une recherche exploratoire conduite à Chennai (ex-Madras) en Inde (Corin et al., [91).

2. La notion d’évidence

Le fait que le pronostic de la schizophrénie soit plus favorable dans les pays en développement s’est trouvé confirmé par les recherches subséquentes (Sartorius et al., 1986 [ 5 1). Cet avantage se maintient avec le temps, lorsque la période de suivi S’étend de deux à cinq ans puis à 15 et 25 ans. Ces résultats ont suscité beaucoup de scepticisme et cela, paradoxalement, tant du côté des psychiatres que de celui des chercheurs en sciences sociales (Cohen, 1992 [10]). Les débats se sont essentiellement centrés autour de questions méthodologiques. Ils ont eu comme effet de pousser les chercheurs à augmenter la rigueur de leurs devis de recherche et à revenir sur leurs données pour y déceler et y contrôler les Nources de biais possible. Ainsi, si on la compare à ]’Étude pilote internationale sur la ,chizophrénie, l’Étude sur les déterminants du cours des troubles mentaux graves repré,,ente en elle-même un effort pour surmonter certaines des limites méthodologiques de la première étude. Elle améliore la standardisation du repérage des cas en cherchant à identifier l’ensemble des cas qui se présentent pour la première fois pour une thérapie dans une aire géographique bien définie, que ce soit auprès de spécialistes formés à la médecine occidentale ou des spécialistes culturels traditionnels par exemple. LÉtude sur les déterminants améliore aussi la fiabilité des méthodes diagnostiques.

Hopper etWanderling (2000) [ 1 Il présentent une vision d’ensemble des travaux récents dans ce domaine, Les auteurs examinent aussi dans quelle mesure les différences d’évolution observées peuvent être l’effet de six sources de biais qu’ils examinent avec attention : des différences systématiques concernant les types de cas rejoints au moment du suivi, une ambiguïté diagnostique et le biais qu’auraient pu introduire ici des cas de psychose aiguë non affective en rémission -, une sélectivité des mesures de suivi -, le sexe et l’âge des patients ; un regroupement arbitraire des centres dans les deux catégories de pays « développés » et « en développement ». En regard de ce dernier point, les auteurs observent que Hong Kong a changé de groupe d’une étude à l’autre, passant des « pays en développement » aux « pays développés », avec l’effet que les odd ratios tendent à se réduire en regard des symptômes et à s’élargir quelque peu dans le domaine du fonctionnement. Pour chacune de ces sources de biais, les analyses indiquent que le devenir différentiel se maintient et qu’aucune de ces variables potentiellement confondantes ne suffit à expliquer les différences qui concernent l’évolution des personnes atteintes de troubles mentaux graves et particulièrement de schizophrénie. Pour ce qui a trait à la culture, les auteurs concluent : « Que les résultats se maintiennent à travers le temps, les devis de recherche, la composition des groupes et les mesures de suivi suggère que, quelle que soit son incohérence d’un point de vue anthropologique, (la culture) renvoie à quelque chose de réel »([121, p. 840).

Dans le cadre de cette première ligne de questionnement, la notion d’évidence est comprise comme une question essentiellement méthodologique. On examine et on teste l’évidence à partir de l’intérieur même du corpus des données épidémiologiques, sans interroger ces données comme telles. Cette approche confirme la robustesse des premiers résultats et suscite une série de questions auxquelles il ne parait pas possible de répondre tant que l’on demeure dans les limites du devis de recherche adopté pour ces études comparatives.

On peut cependant aussi approcher la notion d’évidence sous un autre angle. Toute observation implique en effet nécessairement un certain nombre d’hypothèses conceptuelles relatives à ce que l’on observe et qui influencent notre interprétation des faits observés, que les observations soient objectives ou subjectives (Kleinman, 1995 [121). On peut ajouter que les instruments à travers lesquels on décrit la réalité contribuent aussi à en construire le portrait. Kleinman s’interroge ici sur l’impression de certitude que produit le fait de recourir à des statistiques quantitatives agrégées grâce à des programmes statistiques sophistiqués. Une telle approche crée l’illusion que certains paramètres sur lesquels se fondent nos connaissances sont bien soutenus par les données et que leurs implications sont claires.

Nancy Andreasen (1994) [131, l’un des chercheurs de pointe en psychiatrie neurobiologique, met elle aussi en garde à propos de la manière dont on construit la notion d’évidence en sciences. Dans un éditorial publié dans l’American Journal of Psychiatry dans les

Les années 1990, elle introduit la notion de ahistorical fallacy (illusion anhistorique) qu’elle définit comme « un échec particulier à avoir le sens du passé, un échec dont souffrent certains individus et institutions, particulièrement aux États-Unis : une incapacité à considérer les choses sur l’arrière-plan d’un vaste horizon historique ». Cette attitude est ancrée dans trois postulats erronés : l’idée qu’une affirmation doit être vraie parce que c’est ce qu’enseignent les « experts » ; l’idée qu’une affirmation doit être vraie parce qu’elle est la plus récente à avoir été avancée ; l’idée qu’un accroissement d’informations équivaut à un accroissement de connaissances.

Une telle attitude conduit à balayer trop rapidement des questions qui devraient demeurer ouvertes. Nancy Andreasen l’illustre en se penchant sur la façon particulière dont les frontières de la schizophrénie se sont vues étendues et contractées au cours de l’histoire. Elle discute des implications de ces changements de définition par rapport à J’évaluation du devenir de la schizophrénie. Le pronostic plus négatif que prédit le choix d’une définition restrictive de la schizophrénie est en effet pour une part une autoprédiction puisque la chronicité est déjà inscrite dans la définition du trouble. Le pronostic devient alors également plus négatif pour ce qui concerne les troubles affectifs. Est-ce une amélioration en termes de nosologie, se demande l’auteur ? Elle répond : oui et non. La possibilité de prédire le cours de la schizophrénie s’améliore mais le prix à payer ici est un pessimisme considérablement accru quant à la maladie. D’un autre c’ôté, la possibilité de prédire l’évolution des troubles affectifs diminue. Lauteur se demande si l’on augmente ainsi les connaissances concernant la schizophrénie. Elle pense que oui mais que ce n’est pas sans coût, Nous ne savons pas vraiment quelles limites il faudrait utiliser et nous pourrions avoir la fausse impression que nous en connaissons plus que ce n’est le cas.

Ainsi, les conclusions dépendent du type d’évidence sur lequel on choisit de mettre l’accent. Si l’on revient aux études de l’OMS, on réalise que les similitudes importantes que l’on a décrites en matière de symptômes et de taux d’incidence et sur lesquelles on a souvent mis l’accent dans les publications, ne s’appliquent en fait qu’aux cas qui répondent à une définition restrictive de la schizophrénie (les cas classés sous S+ par le programme informausé CATEGO). Or, remarque Kleinman, on peut s’interroger sur « la signification épistémologique du fait d’éliminer la plus grande partie d’un échantillon qui témoigne d’une hétérogénéité, en vue de travailler avec un sous-échantillon plus homogène » (Kleinman 1988, ([2], p. 21), particulièrement lorsque l’on se place dans une perspective culturelle.

On pourrait aussi s’interroger sur l’exclusion des « psychoses aiguës non affectives en rémission » du champ des troubles de type schizophrénique. Les approches psychiatriques actuelles les situent en effet nettement à l’extérieur de ce dernier et tiennent pour acquise leur hétérogénéité par rapport à la schizophrénie. Il est évident que l’inclusion dans le DSM-IV d’un critère de durée des symptômes (au moins 6 mois) pour qu’un diagnostic de ,chizophrénie puisse être posé pousse dans ce sens. Par ailleurs, à partir de son expérience clinique à Fann, Dakar, au Sénégal, Henri Collomb (1965) [141 a soutenu l’hypothèse que les chances que des cas de bouffée délirante évoluent vers la schizophrénie sont considérablement plus élevées en France qu’au Sénégal où le trouble aurait davantage de chances d’être réversible. Ce constat clinique l’a amené à faire une série d’hypothèses qui impliquent notamment des facteurs liés au développement de la personne et à la mobilisation de l’entourage autour des troubles psychiatriques. On peut penser qu’un examen plus attentif de ces psychoses aiguës pourrait ouvrir des pistes de travail intéressantes quant au rôle possible de la culture par rapport à la psychose, plutôt que de ne les considérer que sous I’angle de facteur confondant.

En fait, il est probable que l’intérêt relatif d’une définition large ou restreinte de la schizophrénie et que ce que l’on décide d’inclure dans les devis de recherche ou d’en exclure découle directement de la manière dont on conçoit le processus même du cours : suivant que l’on considère que le cours est inscrit dans le trouble lui-même ; ou dans des facteurs de pronostic fixés dès le moment du premier épisode ; ou encore comme étant influencé par ce que Hopper et Wanderling (2000) [11 ] appellent « les contingences locales des trajectoires de maladie (cliniques et autres) » ([ 11 ], p 843). Ces dernières ont des chances de refléter, pour une large part, des dynamiques sociales et culturelles particulières à une société donnée.

3. La « Culture », une boîte noire ?

À l’autre pôle du continuum qui va de la psychopathologie individuelle à des variables macrosociales, le défi que rencontrent les études comparatives interculturelles est de préciser ce que recouvre la notion de « culture » et d’identifier les voies à travers lesquelles celle-ci est susceptible d’influencer le cours des problèmes psychiatriques.

Une première approche de ces questions se déploie à nouveau à l’intérieur du paradigme épidémiologique. On peut dire qu’elle en utilise le potentiel heuristique de manière maximale. Elle consiste à utiliser les comparaisons interculturelles d’une manière systématique afin de générer des hypothèses et de les tester. HBM Murphy [1] a brillamment illustré cette voie de recherche dans ses travaux comparatifs, sur la schizophrénie. Après avoir analysé de manière critique et rigoureuse la solidité et la validité des données épidémiologiques disponibles sur le cours de la schizophrénie dans des cultures particulières, il regroupe ces sociétés en fonction de leur parenté quant au cours de la schizophrénie. Une première catégorie comprend les peuples ou les sociétés caractérisés par un taux d’incidence de schizophrénie particulièrement élevé, comme les Irlandais et les Croates du Sud-Ouest. Murphy prête ici une attention particulière aux catégories de personnes qui paraissent particulièrement à risque de développer des problèmes de type schizophrénique dans chacun des contextes. Une deuxième catégorie regroupe les peuples ou les sociétés associés à un taux d’incidence particulièrement bas, tels les Huttérites, les Tongas du Sud du Pacifique et les aborigènes de Taiwan. Une troisième catégorie rassemble les peuples ou les sociétés chez lesquels on a observé un changement clair du taux d’incidence de la schizophrénie, d’un taux particulièrement bas à un taux particulièrement élevé. C’est le cas des Achineses du Nord-Ouest de Sumatra et des Tallensis du Ghana. En se fondant sur la littérature disponible, Murphy cherche alors à identifier les traits que partagent les peuples ou les sociétés qui appartiennent à une même catégorie.

Pour se guider dans sa recherche des facteurs sociaux et culturels qui pourraient influencer l’évolution de la schizophrénie, Murphy se fonde sur ce que l’on connaît des facteurs de risque et de protection dans le cas de personnes atteintes de schizophrénie, en tenant compte du type particulier de vulnérabilité associé à la schizophrénie. Il examine sur cette base ce qui ressort des travaux portant sur les sociétés qu’il considère dans sa comparaison. Il formule ainsi l’hypothèse que des taux d’incidence élevés sont reliés à des conflits intrapsychiques chroniques et que « l’incidence des cas de schizophrénie manifeste augmente quand les membres de la société sont exposés à des demandes conflictuelles ou indûment complexes de la part de l’environnement, c’est-à-dire à une sorte de double bind »([1], p. 70). Un autre facteur de contexte qui augmenterait les chances que des personnes vulnérables développent des problèmes manifestes de schizophrénie serait le fait que les gens sont « confrontés à la nécessité d’un changement de rôle ou de style de vie qui ne s’applique pas, ou n’est pas encore reconnu, par l’autre moitié de la société et pour lequel ils manquent aussi de modèle satisfaisant » ([1], p. 76). Revenant à ce que l’on sait des sociétés étudiées, Murphy montre alors comment ces facteurs généraux s’incarnent dans chacune de ces sociétés. Murphy dit avoir l’impression que ce qui différencie, d’une part les sociétés où les patients schizophrènes tendent à avoir davantage d’épisodes répétés, et d’autre part des sociétés où les patients soit demeurent chroniquement malades soit guérissent de manière consistante, relève de l’organisation sociale et de la cohésion.

L’approche de Murphy combine donc une grande rigueur méthodologique, un intérêt pour les « décalages » ou pour ce qui ne cadre pas avec un paradigme universalisant, et une créativité de pensée. Il s’appuie sur les connaissances actuelles et les théories relatives à la schizophrénie pour identifier des pistes de réflexion qu’il met à l’épreuve dans sa propre se des données disponibles et à partir desquelles il explore les mécanismes possibles de l’ action des facteurs macrosociaux sur le cours et l’évolution du trouble. Cette approche bien au-delà d’une invocation globale du r6k de facteurs tels que « le soutien social » ou la « tolérance ». En effet, remarque Murphy, on ne peut postuler au départ que ce qui a valeur de stress ou de protection dans la population générale s’applique aussi à des personnes souffrant de schizophrénie. Il écrit : « Pour évaluer ce qui constitue un stress pour un schizophrène ou une personne vulnérable à la schizophrénie, on doit étudier ces personnes elles-mêmes plutôt que de présumer ce qui constitue ou ne constitue pas un stress -, et la même chose vaut pour les facteurs de protection » ([11, p. 88).

La démarche de recherche de HBM Murphy illustre la manière dont évidences et théories peuvent se tisser à l’intérieur d’un paradigme de recherche épidémiologique. Dans un domaine différent, les travaux d’Alexander Leighton en épidémiologie psychiatrique (Leighton et al., (15], 1959 , Hughes et al., 1960 [161) avaient eux aussi conduit à s’interroger sur les dynamiques sociales impliquées dans la prévalence des problèmes psychiatriques et plus particulièrement, sur le rôle de la désintégration sociale à l’oeuvre dans certaines communautés. Sa description des notions d’intégration et de désintégration sociale et sa compréhension de leur impact sur la santé mentale reposaient d’une part sur des études ethnographiques conduites dans un petit nombre de communautés et de l’autre, sur une réflexion théorique qu’il développe autour des notions de valeur et de sentiment, de nonne et d’anomie. Les perspectives de recherche qu’illustrent les travaux de Murphy et de Leighton ont malheureusement largement disparu de l’horizon de la recherche épidémiologique. Cette dernière nous parait s’être en grande partie repliée sur des discussions d’ordre méthodologique.

Cependant, l’approche de Murphy comporte aussi des limites. La première est une faiblesse relative des ponts reliant des données épidémiologiques, qui parlent essentiellement de symptômes et de diagnostic, et les thèmes identifiés à partir de la littérature, le lien entre ces deux ordres de fait reposant sur les seules hypothèses du chercheur, Il y a donc nécessairement une certaine césure entre données épidémiologiques et matériel ethnographique. Il faut toutefois nuancer cette première critique puisque c’est l’identification des catégories de personnes qui ont le plus de chances de développer des troubles schizophréniques dans une société particulière qui guide Murphy dans son analyse des conditions de contexte. La seconde limite tient au risque qu’une telle approche D’implique une homogénéisation ou une caricature des cultures et des sociétés. Cette manière de faire le portrait des sociétés allait de soi à une époque dominée par le courant connu sous le nom de « culture et personnalité ». C’est à présent beaucoup moins acceptable alors que la notion même de culture est l’objet de vives critiques, particulièrement en anthropologie, et que l’on dénonce les risques d’objectification et d’essentialisation qu’implique une vision homogénéisante des cultures (Clifford et Marcus, 1986 [171). Les discours anthropologiques sont à présent dominés par les notions de « frontières changeantes », de voyage et d’échange, de métissage ; par l’idée d’une circulation des personnes, des pratiques et des idées dans un monde transnational. On peut par ailleurs aussi s’interroger quant au point aveugle que manifeste la difficulté de l’anthropologie contemporaine à penser la culture.

Si l’on revient aux travaux de l’OMS dans ce contexte, un des objectifs de l’Étude sur les déterminants de l’évolution était de préciser ce qui sous-tend les différences observées entre les sociétés et de cerner les variables médiatrices en jeu. Cette étude a privilégié l’étude de variables que des recherches conduites en Occident avaient déjà identifiées comme influençant l’apparition de troubles schizophréniques ou les risques de rechute, tels les événements de vie et les émotions exprimées. L’objectif était d’examiner dans quelle mesure ces facteurs permettent d’expliquer les différences observées entre les cultures. Une sous-étude a ainsi été conduite par une équipe de chercheurs (Wig et al., 1987 [18,19] ; Leff et al., 1987, 1990 [20,21 ]) au Danemark et dans le Nord de l’Inde sur le rôle des émotions exprimées par les membres de famille à l’égard du patient. À partir des résultats d’un suivi sur deux ans, les auteurs concluent qu’en ce qui concerne le Nord de l’Inde, les émotions exprimées ne permettent pas d’expliquer l’évolution plus favorable des patients. Fait peut-être plus significatif, l’importance relative des différentes émotions, leur évolution dans le temps et leur degré d’association entre elles ne correspondent pas à ce qu’on a décrit pour les sociétés occidentales. C’est donc tout le champ de la nature des émotions et de leur mode d’expression qu’il faut repenser lorsque l’on passe d’une culture à l’autre. Les auteurs concluent qu’il faut conduire d’autres études plus intensives qui cherchent à préciser la nature des relations émotionnelles dans la culture indienne. C’est à cette conclusion qu’arrivent aussi Jenkins et Karno (1992) [22] après une revue exhaustive de la littérature et sur la base des résultats de leurs propres recherches qui avaient porté sur des patients mexicains-américains et leur famille.

D’autres auteurs ont formulé des hypothèses plus générales sur les facteurs qui pourraient contribuer à expliquer les différences observées. Ainsi, en se fondant sur les résultats de l’Étude pilote internationale sur la schizophrénie, Cooper et Sartorius (1977) [231 discutent du rôle possible de la taille de la famille et de la structure sociale, du degré de spécialisation des rôles et des fonctions sociales, des conceptions en matière de maladie mentale, de la taille des communautés et de la survie différentielle des individus vulnérables. Ils proposent eux aussi de recueillir de nouvelles données à partir d’études de terrain qui touchent à la structure et aux fonctions familiales. Il est donc d’autant plus étonnant que l’Étude sur les déterminants du cours des troubles graves en santé mentale n’ait pas cherché à mettre ces hypothèses à l’épreuve et que les suggestions de Cooper et Sartorius n’aient pas été intégrées dans les études subséquentes.

On a ainsi l’impression que le défi posé par les données interculturelles recueillies par l’OMS sont demeurées relativement encapsulées, placées dans une sorte de niche sans que les auteurs sachent bien quoi faire avec elles. Pourtant, lorsqu’il commente les critiques faites à l’étude de l’OMS, Sartorius (1992) remarque : « Le fait que nos théories ne permettent pas de rendre compte des résultats trouvés devrait servir de stimulant pour reformuler nos théories plutôt que de ne servir qu’à mettre en question les résultats » ([24], p. 82). Une telle tâche semble être laissée à d’autres, dans un domaine séparé de la recherche épidémiologique en tant que telle.

Une nouvelle ligne de travaux plus récents en psychiatrie interculturelle se situe dans la mouvance de ce que l’on a appelé la « nouvelle psychiatrie interculturelle » (Kleinman, 1977, 1987 [25,26] ; Littlewood, 1990 [27]). Cette dernière prend le contre-pied du rôle central que la psychiatrie comparative a donné à la nécessité de distinguer les phénomènes de « pathogénie » et de « pathoplastie » lorsque l’on parle de l’influence de la culture. Selon cette distinction, que Kleinman présente comme une quasi-orthodoxie de la profession psychiatrique, la biologie serait déterminante quant à la cause et à la structure de « formes » particulières de maladies mentales, tandis que l’action des facteurs sociaux et culturels se limiterait à influencer le « contenu » des troubles. La nouvelle psychiatrie interculturelle propose de dépasser ce type de préoccupation pour la culturogenèse, avec les discours polarisés qui l’accompagnent, et de développer une approche plus complexe du rôle de la culture dans les problèmes de santé. Il s’agit de se centrer sur « les manières dont la culture influence la perception, la classification, le processus d’étiquetage, l’explication, l’expérience des symptômes, le cours, les décisions qui concernent le traitement et la maladie » Memman, ([251, p. 5). Dans cette perspective, la psychiatrie occidentale se voit elle aussi soumise à une analyse culturelle qui identifie les postulats et les valeurs propres aux sociétés occidentales et qui sous-tendent implicitement la description de certaines entités psychopathologiques ou le choix de certains critères diagnostiques (Littlewood et Lipsedge, 1987 [28] , Young, 1995 [29]). Certains en viennent à considérer la psychiatrie loccidentale comme une ethnopsychiatrie parmi d’autres (Gaines, 1992 [301).

La nouvelle psychiatrie interculturelle critique aussi une distinction trop rigide entre les phénomènes que recouvrent les termes anglais de disease et d’illness, des termes qui renvoient le premier à la maladie considérée comme une entité universelle à fondement biologique, et le second à l’expérience et aux interprétations culturelles de cette expérience (Good, 1996 [311). Ces deux niveaux de phénomènes sont en fait en interaction, l’expérience subjective et sociale de la maladie ayant une influence en retour sur la maladie elle-même et pouvant infléchir son évolution.

4. Tisser l’étoffe des connaissances

Dans un article où elle se questionne sur l’évolution de la notion de schizophrénie, Nancy Andreasen (1997) [32] rappelle aux lecteurs que cette « maladie énigmatique » se caractérise par une multiplicité de symptômes qui concernent la plupart des aspects de la cognition, des émotions et des comportements humains. Quelle que soit son étiologie, elle affecte donc le coeur de l’expérience de soi et du monde. On peut penser que c’est à partir d* une telle altération de J’expérience qu’il faut s’interroger sur le rôle de la culture et celui des relations sociales par rapport à l’évolution du trouble, sur ce qui compte comme risque ou comme protection dans ce contexte, sur la manière dont des cultures particulières modulent l’expérience de la maladie (Fabrega. 1989) [331.

Il faudrait ainsi dépasser les recherches existantes dans deux directions qui exigent chacune un recours à l’expertise d’autres disciplines : en direction des contextes sociaux et culturels, et en direction de l’expérience des patients, de la famille et des proches.

Lorsque l’on cherche à imaginer le type de tissage entre approches et disciplines qui serait le mieux à même de contribuer à une articulation entre théories et évidences dans les recherches transculturelles, une des images qui vient à l’esprit est celle d’une courtepointe ,ù des points de capiton fixeraient les deux étoffes de la courtepointe à intervalles .4guliers : chaque discipline développant ses propres recherches avec la logique et la rigueur qui lui sont propres mais avec des points de contact qui viennent progressivement enrichir et la transformer.

Or, on ne peut que prendre note de l’énorme asymétrie qui existe dans la recherche épidémiologique actuelle entre le degré de sophistication et de rigueur apporté à la mesure phénomènes psychiatriques, selon des méthodes qui tiennent compte des développements les plus récents dans le domaine des connaissances, et le caractère pour le moins rudimentaire de l’approche des phénomènes sociaux et culturels. Pour progresser dans ce domaine, il ne suffit pas de combiner méthodes quantitatives et qualitatives, ni études épidémiologiques et ethnographiques avec le résultat habituel que les deux séries de données tendent à demeurer isolées l’une de l’autre. Il faut encore que des lieux d’échange et de « passage » permettent aux deux catégories de partenaires de participer à une réflexion théorique plus large qui intègre l’expertise respective des chercheurs en sciences sociales et culturelles et des épidémiologistes.

Lorsqu’ils se réfèrent aux « contingences locales de trajectoires de maladies » Hopper et Wanderling (2000) ffl 11, p. 843), indiquent dans quel sens pourraient aller des recherches prenant la « culture » au sérieux. Ils invitent à passer de l’étude du contexte social et culturel global à celle de la manière dont la culture se traduit et se vit dans des existences concrètes, d’examiner quels sont les aspects de la culture qui paraissent mobilisés par des patients singuliers et leurs familles, C’est dans le même sens que va Nancy Waxler-Morrison (1992) quand elle invoque « la nécessité d’études ethnographiques portant sur des patients psychiatriques de manière à comprendre comment un bon pronostic est effectivement produit, si c’est le cas » ([341, p.77). Il faut tenir compte ici du fait que les facteurs qui s’avèrent les plus importants lors du début des troubles pourraient bien différer de ceux qui s’avèrent significatifs lors de son évolution.

Dans un article antérieur, Hopper (1991) [351 avait précisé les éléments qu’il faudrait investiguer : la multiplicité des croyances et leurs utilisations stratégiques par les différents acteurs ; le rôle du travail ou de formes de non emploi qui seraient socialement utiles ; ce qu’implique le fait de vivre avec quelqu’un de schizophrène pour les membres de la famille et la vie familiale , comment on fait pour se réconcilier avec soi-même et négocier l’expérience difficile du trouble au niveau subjectif ; comment le processus de guérison opère dans un contexte particulier,

Seules des études intensives portant sur des patients et leur famille semblent susceptibles de jeter une lumière nouvelle sur ces questions et permettre de découvrir le rôle de facteurs que l’on pourrait par la suite intégrer dans des études de suivi plus extensives. Il demeure vrai que certains aspects plus larges de la culture demeurent inaccessibles sur la seule base des récits recueillis auprès d’acteurs concrets. De tels récits peuvent cependant indiquer sous quel angle il faut considérer le contexte plus large. On pourrait dire qu’il s’agit de développer une analyse de type centrifuge au sens où elle s’enracine dans des récits singuliers, remonte progressivement le long des chaffies associatives dans lesquelles sont insérés les signifiants mobilisés dans les récits, et débouche enfin, toujours dans le même mouvement, sur les dynamiques sociales et culturelles propres à la société en question [9].

5. En guise d’illustration : une recherche effectuée dans le Sud de l’Inde

Au cours de ces dernières années, nous avons réalisé une série de recherches exploratoires dans le Sud de l’Inde, à Chennai (ex-Madras) et dans des milieux ruraux. Elles impliquent des personnes psychotiques rencontrées à différents moments de leur trajectoire de problèmes psychiatriques et dans différents types de lieux : une clinique externe de psychiatrie dirigée par la Schizophrenia Reasearch Fondation (SCARF) ; des temples et des darghas ou mosquées spécialisés dans le traitement de problèmes de type psychiatrique où patients et familles séjournent pendant des mois ou des années. Comme horizon pour comprendre certains aspects de la construction culturelle de la psychose, l’une des auteurs (EC) est aussi engagé dans une recherche qui porte sur des personnes engagées sur la voie ascétique de la spiritualité (les Sadhus ou Sanyasis), en collaboration avec Gilles Bibeau et Ravi Kapur (du National Institute of Advanced Studies de Bangalore).

Ces recherches s’organisent autour des questions suscitées par les résultats d’une recherche effectuée à Montréal ; nous les avons utilisées comme fil conducteur pour l’analyse de la manière dont culture et psychose s’articulent, en contexte indien mais aussi de manière plu s générale.

L’ étude montréalaise portait sur des personnes diagnostiquées comme schizophrènes et qui différaient quant à leur taux de réhospitalisation et à leur rapport aux services psychiatriques durant les quatre dernières années (Corin, 1990, 1998) [36,371. Cette recherche visait à explorer ce qui contribue au maintien des patients dans la communauté, à partir d’une exploration systématique de leurs perceptions, de leurs comportements et de leurs attentes dans les domaines des relations sociales et des rôles sociaux. Elle cherchait aussi à reconstruire la manière dont ces personnes habitent le temps et circulent dans l’espace urbain. Il s’agissait donc de chercher à comprendre ce qui aide des personnes qui ont reçu un diagnostic de schizophrénie à reprendre pied dans l’espace de la cité, à ne plus être réhospitalisées. Nous sommes partis d’une hypothèse simple, trop simple, qui voulait que c’est la difficulté de trouver une place par rapport aux institutions sociales et dans le tissu des relations sociales qui repousse les patients vers l’institution psychiatrique. Cette hypothèse établissait ainsi un lien entre ce que l’on pourrait appeler la désinstitutionnalisation sociale des patients et leur institutionnalisation psychiatrique.

Les données ont été recueillies au cours de plusieurs rencontres, à partir d’une grille d’entrevue ouverte. Tout en assurant l’exploration systématique d’un certain nombre de thèmes, cette grille laissait aux personnes la liberté de nous emmener aussi ailleurs, là où elles le voulaient. Il s’agissait pour nous de chercher à comprendre ce que signifie pour elles la notion de « réinsertion », du point de vue de leur monde. Dans chacun des domaines explorés, les données recueillies ont été quantifiées en fonction de ce qu’elles indiquent de la position de la personne sur un continuum de positions allant d’une orientation « vers » la société à une orientation « hors de » ou en retrait, dans les différents domaines explorés.

De manière intéressante, nos résultats ont été dans une direction opposée à nos hypothèses. L’analyse détaillée des corrélations entre les variables [361 a indiqué que c’est la possibilité de construire ce que nous avons appelé une position de « retrait positif » qui est associée au fait de ne pas être réhospitalisé. Cette expression traduit l’idée que la pauvreté relative des réseaux sociaux des patients et leur marginalité par rapport aux rôles sociaux semblent investies positivement sur un plan subjectif et compensées par des liens plus ténus, symboliques et imaginaires, avec le monde social. Une telle position de retrait positif semble donc avoir une influence protectrice pour des personnes diagnostiquées comme schizophrènes. L’analyse qualitative des récits des patients a mis en relief l’importance, pour les personnes qui n’ont plus été réhospitalisées, de pouvoir élaborer des espaces intérieurs de retrait, des espaces intimes, séparés, investis positivement et dont les personnes parlent comme de quelque chose de fragile ou de précieux, quelque chose qu’il faut protéger.

Les récits ont aussi illustré la créativité dont font preuve ces personnes pour réellement « habiter » une telle position à distance du monde social. Ils font notamment ressortir le rôle que joue ici une certaine forme de spiritualité, parfois mais pas toujours liée à des groupes religieux marginaux. Cette spiritualité semble conférer une sorte de texture au monde intérieur, permettre d’y lire les signes d’une présence. Lorsque ces personnes ont recours à des signifiants empruntés à des groupes religieux, elles les utilisent et les assemblent d’une manière que l’on pourrait dire vagabonde, plus proche du bricolage d’éléments parfois hétérogènes que de l’adhésion à un système de croyances. Il faut noter que les patients distinguent clairement une telle forme de spiritualité et un rapport au religieux qui se joue sur le mode d’une absorption et qu’ils associent aux crises psychotiques ou aux rechutes (Corin et Lauzon, 1992) [38].

Nous avons aussi été frappés par l’importance que les patients non réhospitalisés attachent à une manière particulière de circuler dans l’espace de la cité. Ils y investissen des lieux publics tels de petits restaurants, des centres d’achat, des parcs, des rues animées du centre ville : des lieux où il est possible d’être à la fois « avec » les gens et de ne pas interagir avec eux, d’être à la fois dedans et dehors, en bordure de la scène sociale. Des chemins de traverse qui semblent une métaphore privilégiée de ce double mouvement de l’être (être à la fois « dans » et « à la périphérie ») , des parcours dont la régularité impose un rythme, une pulsation à un temps souvent vide.

Plusieurs questions émergent de cette recherche. On peut d’abord se demander commen penser les rapports et les différences entre une telle position de « retrait positif » et ce que l’on a décrit comme les symptômes négatifs de la schizophrénie, des symptômes que les chercheurs tendent à associer avec un pronostic négatif. Cette question renvoie à la polysémie subjective de comportements ou d’attitudes dont l’hétérogénéité disparaît dans les descriptions objectives (Strauss, 1985) [39]. Y avoir accès requiert que l’on explore le sens que des attitudes ou des comportements revêtent pour les personnes elles-mêmes. Il faut aussi s’interroger sur la manière dont une telle position se trouve élaborée et éventuellement transformée dans le temps, au cours de la psychose et sur les circonstances sociales et culturelles qui favorisent son élaboration dans un sens positif. Enfin, on peut se demander dans quelle mesure une telle position reflète des stratégies de protection qui seraient le pendant de la vulnérabilité particulière associée à la schizophrénie, ou dans quelle mesure elle reflète l’influence de processus de marginalisation et de stigmatisation qui opèrent à l’égard des personnes psychotiques dans les sociétés occidentales.

Le choix de poursuivre des recherches autour de ces questions en Inde répondait à deux raisons principales : le caractère intriguant des résultats des recherche, comparatives de l’OMS qui indiquent que le pronostic de la schizophrénie est plus favorable en Inde ; et l’idée que la culture indienne pourrait ouvrir aux personnes des voies culturellement valorisées, ou tout au moins tolérées, pour l’élaboration d’une position en retrait. U une des auteurs (RT) a participé à une étude de suivi d’une cohorte de patients en première admission pour des problèmes de schizophrénie, une cohorte qui a par la suite été intégrée dans les études de l’OMS (Rajkumar et Thara, 1989 [40] ; Eaton et al., 1998 [4 Il , Harrison et al., 2001 [7]). Dans cette étude de cohorte conduite à Chennai, une diminution des comportements religieux est un des facteurs associés à la rechute lors du suivi. Les auteurs interprètent ce résultat comme « probablement seulement le reflet d’un ralentissement psychomoteur généralisé et d’une perturbation chaotique de la routine » (Rajkumar et Thara, 1989) [40]. De leur côté, Verghese et al. (1989) [42] ont noté qu’une augmentation de-, comportements religieux est associée à une évolution positive. Ces auteurs interprètent cette relation sur l’horizon de l’importance de la religiosité dans la culture indienne et font 1*hypothèse que cela pourrait constituer une manière efficace de contenir l’anxiété des patients.

Notre étude pilote a été réalisée auprès de patients d’une clinique externe à la Schizophrenia Research Fondation développée par SCARF. Une clinicienne formée a interrogé dix patients masculins dans la vingtaine qui avaient reçu un premier diagnostic de schizophrénie depuis entre deux et trois ans avant l’étude, ainsi qu’un membre de leur famille %ivant avec le patient, généralement la mère, une soeur dans un des cas. La plupart des patients étaient de classe moyenne, ce qui reflète l’appartenance sociale de la majorité de la clientèle de SCARE Tous les patients étaient sous médication neuroleptique mais la plupart d*entre eux y réagissaient peu.

Les récits ont été recueillis par le biais d’une grille d’entrevue semi-dirigée élaborée à Montréal par Corin et Lesage : le Turning PointIPeriod Interview (TPI). L’entrevue vise à reconstruire les principaux moments de l’évolution des problèmes depuis leur première apparition, tels que ces moments sont distingués et perçus par les acteurs eux-mêmes. La _grille spécifie les domaines à explorer pour chacune des périodes et laisse ouverte la formulation des questions en fonction du déroulement de l’entrevue. Nous explorons ainsi le champ des signes perçus et des symptômes, du coping, des explications, des réactions et de la recherche d’aide, du réseau social. Les récits sont soumis à deux types d’analyse. D’une part, une codification systématique permet une comparaison rigoureuse des récits : entre un patient et sa famille, entre les patients et entre les membres de famille. D’autre part, une analyse plus ouverte et qualitative vise à dégager les dynamiques sociales et les signifiants culturels mentionnés dans les récits et la façon dont les personnes les utilisent, dans quel contexte elles le font. Ces signifiants culturels mis en oeuvre dans les récits sont alors situés à l’intérieur d’un cadre culturel plus large à partir de la littérature et d’autres études complémentaires en cours. Cette manière de procéder permet de voir comment la culture se voit utilisée, traduite ou transformée au niveau des expériences concrètes [9].

Nous avons conduit depuis une étude parallèle avec des patientes femmes et sommes en train de mener une étude prospective auprès de 20 patients en premier épisode de psychose et qui sont ré-interrogées tous les trois mois sur une période de deux ans. Notre objectif est d’identifier des indices opérationnels qui permettent de décrire les aspects pertinents des dynamiques sociales et culturelles mobilisées lors d’un premier épisode de psychose, leur évolution à travers le temps et leur association avec l’évolution des patients. Nous allons nous borner à évoquer ici certains des résultats qui émergent de la première étude pilote afin d’illustrer la valeur heuristique de ce type d’approche.

À un premier niveau, les récits conduisent à repenser des notions telles que celles de « soutien social » et de « tolérance » qui ont souvent été invoquées de manière globale pour expliquer les résultats des études de l’OMS mais sans que l’on sache bien ce qu’elles recouvrent et ce qui les sous-tend.

Les récits permettent de « déplier » ces notions et indiquent à quoi elles renvoient dans la vie concrète. De façon générale, on ne peut qu’être frappé par la façon dont la plupart des familles semblent demeurer proches des patients et capables d’aménager autour d’eux un espace de sollicitude et de soutien impressionnant. Elles continuent à leur offrir soutien et conseils, préservant ainsi un mode de relation qui fait intégralement partie de la dynamique des rapports parents-enfants et affiés-cadets. Les membres de la famille mentionnent aussi les efforts explicites qu’ils font pour s’ajuster à la situation, contrôler leurs réactions et moduler leurs attentes, pour se retenir d’imposer trop de pression sur le patient. Les récits indiquent le degré étonnant auquel les membres de la famille semblent capables de préserver une vision positive du patient tel qu’il était « avant », dans le passé, en sorte que cette vision continue à représenter pour les proches le « vrai soi » du patient en dépit de comportements parfois très perturbés et perturbateurs. Dans ce contexte, la « tolérance » manifestée par la famille reflète un rapport différent à la temporalité, un partage particulier entre l’essentiel et l’accidentel dans ce qui définit l’identité d’une personne. On peut donc parler d’une intégration concrète et symbolique des patients dans le tissu social et la culture.

En parallèle, les récits font aussi ressortir l’étendue de réactions de tristesse et de deuil qu’entraîne, tant pour le patient que pour ses proches, l’incapacité du patient à remplir les rôles sociaux et les attentes associées à son statut social et à sa place dans la famille. Cet échec est souvent perçu par les patients comme une menace pour la position qu’ils occupent dans la famille et contribue à les amener à ne pas dévoiler ce qu’ils vivent, aussi longtemps que possible. Ils expriment une tristesse et une honte intenses. Les récits des parents reflètent l’importance des attentes et des rêves investis dans leur enfant, l’ampleur des sacrifices consentis pour que ce dernier puisse faire des études ainsi que la responsabilité dont le patient était investi par rapport à la destinée de la famille. On peut dire qu’un tel deuil n’est pas exclusif aux patients et aux familles indiennes. Dans ce contexte cependant. on peut penser qu’il se trouve aggravé ou creusé par l’importance attachée dans la culture au Dharma, une notion qui exprime l’ordre moral de l’univers et la nécessité pour chacun d’agir en conformité avec les comportements associés à sa position dans la parenté, la caste. l’âge, le sexe. Le fait d’évoquer globalement une notion de « tolérance » sans reconnaître le poids de ce contexte peut être de l’ordre de la caricature et n’est ni instructif ni très utile.

Il faut enfin réaliser qu’une telle « tolérance » à l’égard des troubles mentaux est loin d’être une attitude largement partagée par la société indienne dans son ensemble. Les récits évoquent la stigmatisation sociale importante qui s’attache à la présence de troubles mentaux et cela, tant à l’égard des patients qu’à l’encontre de leur famille. Ainsi, la présence de la famille proche aux côtés des patients ne peut simplement être qualifiée de « normale » ou de socialement normative et il faut chercher à comprendre ce qui vient soutenir les familles dans leurs efforts pour rester présentes au patient.

Deux choses ressortent des récits avec une force particulière. La première a trait au recours aux notions de Karma et à l’astrologie lorsqu’il s’agit d’expliquer la cause des problèmes des patients. La notion de Karma met en jeu des idées de transmission et de répétition, de rétribution et de délai. U astrologie permet de dresser la carte astrologique de la personne et d’y repérer la position des planètes favorables et défavorables, d’en prévoir les déplacements futurs. Elle réinscrit la dérive tragique d’une existence à l’intérieur d’un monde ordonné, lasitue dans un cadre cosmique plus large et en indique le cours prévisible. Ces deux registres d’explication permettent ainsi de situer les problèmes du patient à l’intérieur d’un cadre temporel et cosmologique plus large. Ils diminuent la valence de désordre associée aux troubles mentaux. On pourrait dire qu’un tel cadre permet aussi aux proches de prendre une distance par rapport à l’immédiateté et à l’urgence de la situation. Le second point qui ressort des récits est le fait que les proches, et particulièrement les meres. ont recours pour eux-mêmes à la spiritualité et à diverses techniques de méditation ,qui les aident à se recentrer sur leur monde intérieur. Nous avions aussi observé une attitude umilaire à Montréal, lors d’une étude conduite auprès d’immigrants d’origine indienne. La possibilité de se détacher du monde extérieur et d’élaborer une attitude de calme intérieur, k *articuler sur la dimension spirituelle de l’existence, nous avait alors semblé donner à tc, personnes une grande force face aux situations de la vie quotidienne ou à des problèmes eu importants.

À un second niveau, la culture propose des systèmes d’explication auxquels patients et timilles ont recours pour tenter de donner sens à ce qui se passe. A côté des interprétations en termes de karma ou d’astrologie que mentionnent les membres de famille, on retrouve àu,, i des explications qui évoquent les mauvais esprits ou la magie noire et cela, tant chez te, patients que chez les membres de leur famille. Cependant, de tels diagnostics mettent peu en branle un ensemble plus large de procédures réparatrices qui viseraient à restructurer la fabrique sociale et à réintégrer le patient dans la société, comme c’est le cas en .%trique (Corin et Bibeau, 1975) [431. On a l’impression que ces termes permettent en fait ,uriout de nommer et d’exprimer le sentiment d’étrangeté et d’aliénation ressenti par les çutients et par leur entourage. Les diverses causes évoquées semblent rarement converger en un système d’explication stable, comme si des problèmes de type psychotiques étaient t0u jours en excès par rapport à ce que peuvent en « lier » les systèmes d’interprétation . ulturelle disponibles. Ces explications se modifient généralement ou se déploient en purallèle au cours du temps, semblent de caractère plus fragmentaire qu’intégrateur.

A un troisième niveau, les récits indiquent que tant les patients que leurs familles ont recours à des signifiants religieux ou spirituels mais qu’ils le font de manières différentes. Les proches font une large place à l’accomplissement régulier de prières et de rituels pour e patient, que ce soit dans des temples ou à la maison, comme s’il s’agissait d’inscrire ainsi te patient dans une toile rituelle protectrice. De leur côté, les patients tendent plutôt à fréquenter les lieux religieux pour y trouver paix et silence, pour le calme et le répit qu’ils procurent. Ils peuvent ainsi rester assis ou y dormir durant des heures, dans l’enceinte des temples ou à la maison dans la chambre du pooja près de l’hôtel familial, ou encore fréquenter des lieux de pèlerinage. Les patients peuvent aussi invoquer des visions ou des signifiants religieux pour légitimer une position de retrait, parfois extrême, par rapport à la vie familiale et sociale. La place qu’ils donnent à des références de type religieux est plus élaborée que dans les recherches réalisées à Montréal, comme si les symboles religieux constituaient davantage en Inde une toile de fond mobilisable à diverses fins. On peut dire que dans le cas des patients, de tels signifiants semblent offrir un contenant à une expérience élusive, fournir des points d’ancrage minimaux à un être qui se sent à la dérive, servir de point d’appui à l’élaboration d’une position de retrait, permettre d’inscrire cette dernière dans l’espace de la culture.

C’est donc par le biais d’une élaboration complexe de leur propre expérience intérieure et en s’inscrivant elles-mêmes dans un espace culturel central incarné par un ensemble de valeurs, de croyances et de pratiques que les familles dessinent pour les patients un espace de réintégration. C’est davantage dans la marge que les patients s’insèrent dans un espace social partagé. Leurs récits font référence à une position de retrait importante qui apparaît sous diverses formes et semble participer d’un souci de protéger des frontières personnelles

et interpersonnelles perçues comme fragiles. Ce retrait peut évoluer vers un isolement croissant par rapport au monde extérieur, par exemple lorsque le patient ne participe plus au rituel des repas et se retire du champ des échanges et du partage, La plupart des familles ont du mal à accepter cette forme d’isolement qui va à l’encontre de la dynamique des rapports familiaux et de la dimension relationnelle de la personne, fortement valorisée en Inde (Kakar, 1981 [44] ; Marriott, 1989) [451.

Nous avons fait l’hypothèse que patients et familles s’inscrivent différemment dans l’espace de la religion et de la spiritualité, mettant ainsi à profit une tension inhérente à l’hindouisme même. Celle-ci concerne un contraste apparent entre d’une part les rituels et le culte contrôlés par le Brahmanes et qui sont hautement régulés , et de l’autre une voie plus singulière, intérieure vers la réalisation de soi et l’illumination. Une telle dichotomie se traduit dans la vie mondaine ordinaire dans les termes d’une tension, qui peut prendre la forme d’un conflit, entre d’un côté le fait d’assumer les responsabilités liées à la position que l’on occupe dans le monde et la vie des hommes de maison ; et de l’autre côté une attitude marquée par le renoncement et le choix d’une voie ascétique vers la spiritualité, telle que l’incarnent les figures du Sadhu ou du Sanyasi. Pour ces derniers, c’est une vie construite sur des mortifications et l’austérité qui permet d’accéder à l’illumination. Pour symboliser la rupture de leurs liens avec le monde, les Sadhus accomplissent ainsi leurs propres rites funéraires. Selon Madan (J 990) [46], le détachement qui est censé imprégner et colorer l’engagement de chacun dans le monde représente une sorte de compromis entre les deux attitudes, introduisant une posture de renoncement au sein des engagements du maître de maison.

Dans le cadre de ses travaux sur les rites de possession par les esprits, Vincent Crapanzano (J 977) a introduit l’idée que la possession constitue un idiome culturel qui condense « un ensemble de valeurs traditionnelles, de vecteurs interprétatifs, de patterns d’associations, de présupposés ontologiques, d’orientations spatiotemporelles et d’horizons étymologiques » ([471, p. 11). Un tel idiome peut servir de véhicule à l’articulation de l’expérience, un processus que Crapanzano définit comme une manière de construire un événement pour le rendre significatif et qui participe à la création de l’événement lui même. Le livre qu’il a édité avec Vivian GaiTison (Crapanzano et Garrison, 1977) [481 présente plusieurs études de cas qui illustrent la manière dont des personnes différentes peuvent s’approprier de manière singulière et contrastée un idiome culturel particulier, en fonction de leur trajectoire de vie, de leurs conflits psychiques et de leur position dans la société. On peut se demander dans quelle mesure, et quelle que soit sa signification culturelle fondamentale, l’ascétisme peut être considéré comme un langage culturel auquel des personnes pourraient avoir recours pour donner forme et sens à des expériences limite ou marginales.

La notion de « travail de la culture » élaborée par Gananath Obeyesekere (1986, 19901 [49,501 permet d’aller plus loin dans cette direction. Elle implique une forme spéciale de convergence entre certains processus culturels et certains aspects de la vie psychique, uni convergence qui permet d’élaborer culturellement des états subjectifs. Le « travail de 1 ; culture » désigne en fait la face personnelle de la transformation accomplie par la culture ou encore, le processus à travers lequel des motifs inconscients se voient transformés et symboles culturels. Un tel travail de la culture inscrit des dynamiques psychiques singulières dans un espace de communication, leur donne une existence culturelle tout en perme tant aux personnes de les élaborer, de les apprivoiser et de les transformer de manière significative. Dans ce contexte, les « symboles personnels » sont des symboles à double face, l’une psychique et l’autre culturelle. Ce sont des symboles qui à la fois ont une charge culturelle importante et sont directement en prise sur l’expérience personnelle. Ils sont simultanément personnels et culturels, privés et publics et leur interprétation requiert dès lors une double herméneutique : l’une qui considère leur signification singulière pour la personne et l’autre qui les comprend dans l’espace de la culture.

Nous suggérons que le retrait associé à l’ascétisme dans la philosophie indienne peut être conçu comme un tel symbole bi-face. Sa portée subjective, dans le cas de personnes psychotiques, prend sans doute sens sur l’horizon de la vulnérabilité particulière que l’on a décrite comme associée à la schizophrénie (Nuechterlein et Dawson, 1984) [5 1 ].

On peut par ailleurs penser que ce qui compte comme facteur de protection peut différer d *une société à l’autre, même parmi les pays dits en développement ou encore en fonction du stade d’évolution des problèmes. L’existence de différences collectives en matière d*évolution des troubles psychiatriques exige en effet que l’on saisisse la notion de protection au carrefour entre des aspects particuliers de l’expérience subjective et des orientations, valeurs ou symboles que proposent la culture ou la société. On peut ainsi penser que la dimension relationnelle et la quête étiologique jouent un rôle plus important dans des sociétés africaines et que la dimension « positive » du retrait positif s’y trouve accentuée aux dépends de celle de détachement.

6. À travers les frontières

Tisser ensemble théorie et évidences dans la recherche épidémiologique exige autre chose qu’un simple franchissement de frontières. Cela force à s’interroger sur la notion même de recherche interdisciplinaire. Dans la majorité des cas, on a l’impression que la collaboration demeure subordonnée à l’autorité de l’une des disciplines qui annexe les productions d’autres champs en les simplifiant, par exemple en les transformant en variables mesurables à l’aide d’échelles. C’est souvent le cas des études qui portent par exemple sur les réseaux sociaux, les systèmes de soutien ou la qualité de vie. Une telle approche a des chances d’oeuvrer essentiellement à l’extension du champ de légitimité d’un paradigme de recherche dominant à une époque ou dans un contexte particulier, une extension qui relève plus de la colonisation que de l’échange. Elle fait l’économie du risque qu*il y aurait à se trouver surpris ou mis en question par des connaissances qui seraient réellement nouvelles. Pour être réellement fructueuse aux niveaux théorique et méthodologique, une collaboration interdisciplinaire devrait au contraire opérer à partir des sommets de chaque discipline, c’est-à-dire à partir de ce qu’elles ont à proposer de plus avancé et de plus sophistiqué comme expertise dans leur champ, plutôt que sur des frontières ou dans des entre-deux.

Les notions de travail de la culture et de symbole personnel, avec la double herméneutique que commandent de tels symboles, permettent de mettre au travail simultanément ce que l’on connaît de l’altération de l’expérience dans la schizophrénie, que ce soit à travers les entrevues et des récits, des observations cliniques ou des recherches empiriques, et ce que révèlent des études en profondeur de la culture. Les nouvelles connaissances qui se dégagent au lieu d’articulation entre culture et expérience permettent un double enrichissement des connaissances et des approches : au niveau d’une compréhension du versant subjectif de la schizophrénie, de son impact sur les personnes et des possibilités de jeu qu’elle permet et oriente , et à celui d’une diversification des angles d’approche de cultures particulières, de leur hétérogénéité et de leur dynamique, de leurs modes d’appropriation, de déplacement ou de subversion par des personnes particulières.

On peut cependant penser que la possibilité de construire des ponts entre évidences et théories, ou de profiter d’évidences nouvelles et inattendues pour enrichir et ouvrir les théories existantes, est une question d’attitude d’esprit autant que d’expertise ou d’opportunité. Le degré de certitude attaché aux connaissances et aux pratiques qui se développent dans le champ de la recherche psychiatrique et les pratiques cliniques contemporaines, tout en moins en Amérique du Nord, tout comme l’arrogance dont témoignent trop souvent les chercheurs travaillant à partir d’une position purement critique et déconstructionniste, encouragent peu le type de dialogue dont nous parlons ici. De part et d’autre, on peut parler d’une hubris qui n’encourage guère l’exploration des résonances entre les champs. L’anthropologie contemporaine nous paraît pouvoir jouer ici un rôle clé, en fonction de la manière très particulière dont elle intègre perspectives critiques et interprétatives, des intérêts pour le contexte et pour l’expérience subjective, à cause aussi de la manière dont elle pose, et fait travailler, le rapport entre l’universel et le spécifique.

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