L’OMS fonde les plus grands espoirs sur la Conférence Européenne d’Helsinski qui doit se tenir en 2005. Cette conférence permettra une synthèse des développements, un maintien de l’élan initié en 2001, un véritable agenda pour une politique globale de santé mentale, un programme d’action étant attendu.
Un Conseil Mondial pour la Santé Mentale devra s’appuyer sur les expériences des pays les plus avancés.
Le Professeur Antonios Trakatellis, député européen, est le rapporteur pour le Parlement Européen du Programme d’action communautaire dans le champ de la Santé publique (PHP) qui doit être complété par les divers programmes nationaux. Il a organisé le, 7 mai dernier à Bruxelles, une conférence intitulée : Santé mentale et schizophrénie : esprits ouverts, portes ouvertes, entièrement dédiée à la santé mentale, thème qui a été défini comme une priorité par la Présidence grecque du Conseil Européen. D’emblée, il a été précisé que la santé mentale tient une place importante dans le PHP, avec un objectif de meilleure diffusion en Europe des informations concernant les maladies mentales, à commencer par les pratiques souhaitables comme ce qui concerne la prévention.
On assiste à un début de formulations partagées par les divers pays, à commencer par les problèmes sociaux impliqués. Il s’agit de définir une politique commune pour des maladies extrêmement fréquentes (un européen sur quatre est touché au cours de sa vie), de favoriser la recherche, en s’appuyant sur l’OMS.
Le Professeur Costas Stefanis, ministre grec de la santé et psychiatre, a fait parvenir une dizaine de propositions qui ont été lues en début de conférence. Elles concernent le rôle et la place de la famille, l’accès aux traitements, l’insertion par l’éducation et le travail, les effets économiques, la déstigmatisation, la collaboration entre les politiques communautaires.
Les options actuelles en santé mentale
Le Docteur Shekhar Saxena, coordinateur Santé mentale à l’OMS, a rappelé que si les troubles mentaux représentaient 10,5% des problèmes de santé en 1990, ils dépasseront les 20% en 2020. La dépression est la deuxième cause sur le plan mondial au niveau des besoins, après les cancers et devant les maladies cardiovasculaires. Quant aux handicaps, 30% d’entre eux sont concernés (en relation, surtout, avec les troubles thymiques, l’alcoolisme et la schizophrénie). Les pays européens sont plus impliqués (du fait probablement de la moindre fréquence des maladies infectieuses).
Au-delà de la pathologie, la souffrance globale de la famille, les conséquences économiques, le sentiment de honte avec marginalisation des malades doivent être pris en compte et trouver des réponses.
Le projet Atlas est une base de données des ressources existantes en santé mentale (il est facilement accessible : http: //mh-atlas.ic,gc.col).
En Europe, certains pays n’ont pas encore de politique de santé mentale, l’absence de formation aux soins primaires des équipes soignantes apparaît fréquemment relevée. Celle de structures adaptées demeure préoccupante dans les pays de l’Est. 20% des pays européens ne disposent pas encore de politique du médicament pour les psychotropes essentiels qui font, alors, cruellement défaut (anticomitiaux, antidépresseurs, neuroleptiques).
Partout la formation des généralistes est insuffisante, 70% des lits d’hospitalisation complète sont dans des hôpitaux psychiatriques ce qui est pointé par l’OMS comme très dommageable. Alors que le continent africain ne dispose que de 12.000 psychiatres, l’Europe voit ses 77.240 psychiatres et ses 285.000 infirmiers travaillant en psychiatrie continuer à être en position essentiellement intrahospitalière.
Les budgets consacrés à la santé mentale vont de 0 à 14% des dépenses de santé (13 à 15% pour la France) avec des différences énormes, de nombreux pays se situant en dessous des 4%.
A partir de ces constats, l’OMS centre ses recommandations sur la promotion des soins primaires, l’accès aux psychotropes nécessaires, la recherche, toutes données qui sont également capitales pour les pays développés. Trois scénarios proposent, en fonction des ressources, diverses actions centrées sur le développement des soins ambulatoires et la déstigmatisation.
L’OMS fonde les plus grands espoirs sur la Conférence Européenne d’Helsinski qui doit se tenir en 2005 (la Présidence sera alors finlandaise). Cette conférence permettra une synthèse des développements, un maintien de l’élan initié en 2001, un véritable agenda pour une politique globale de santé mentale, un programme d’action étant attendu.
Un Conseil Mondial pour la Santé Mentale (regroupant parlementaires, dirigeants en matière de santé, entrepreneurs) devra s’appuyer sur les expériences des pays les plus avancés.
Des chimiothérapies de mieux en mieux adaptées
Le Professeur Robert Kerwin (Institut de Psychiatrie et Maudsley Hospital de Londres) a retracé l’histoire des antipsychotiques, depuis la naissance des neuroleptiques dans les années cinquante. Les neuroleptiques atypiques, depuis 1990, offrent un bon ratio efficacité / effets secondaires, une amélioration des troubles cognitifs qui demeurent un problème majeur mais ils entraînent une prise de poids fréquente et des problèmes métaboliques. Une controverse a concerné, au Royaume-Uni, la prescription, en première indication, des neuroleptiques typiques ou atypiques dans un contexte marqué par le consentement obligé du patient et l’information de sa famille. Le NICE (National Institute for Clinical Exellence) a tranché en faveur des antipsychotiques atypiques alors qu’existe, dans ce pays, une tradition de doses trop importantes ce qui devrait induire une évaluation plus rigoureuse.
Aux Etats-Unis, 78% des prescriptions concernent des antipsychotiques atypiques pour 26,6% en Europe (le Royaume-Uni avec près de 50 % se situe en position médiane) avec des variations importantes et peu d’accès en Europe de l’Est.
Comment comprendre que « l’Europe demeure à la traîne » derrière, par exemple, Hong-Kong et Singapour alors que les preuves de meilleure efficacité ne cessent d’être mondialement répétées ? La nouvelle génération d’antipsychotiques atypiques (comme l’aripripazole aux USA) qui apportent un nouveau gain au niveau des effets secondaires (absence de prise de poids et de problèmes sexuels, moindre sédation) devraient accentuer un aspect nettement plus satisfaisant des prises en charge quand on prend en compte le fait que les antipsychotiques atypiques réduisent déjà les durées d’hospitalisation, limitent les rechutes, d’où des gains en coûts considérables alors que les chimiothérapies, même pour les produits atypiques, représentent moins de 5% des dépenses de soins.
Le coût de l’absence de traitement
Lieven Annemans, Professeur d’Economie de la Santé à Gand, a abordé ce qui relève de sa spécialité pour ce qui concerne plus particulièrement la schizophrénie. La perte de qualité de vie en l’absence de soins est considérable comme le poids du suicide (18% pour les hommes au cours des dix premières années d’évolution), celui des maladies cardiovasculaires si fréquentes dans cette maladie. Lieven Annemans a pointé les effets négatifs du ticket modérateur fréquemment employé en Europe occidentale, source pour cette pathologie de raccourcissements inadaptés des temps hospitaliers. Les études médico-économiques confirment qu’un suivi ambulatoire intensif, organisé par l’hôpital, permet une meilleure qualité de vie et des gains de coûts importants (par exemple, 8.400 euros par patient et par an). La compliance s’impose comme un élément majeur, puisque 80% des rechutes sont liées à une interruption du traitement d’où l’intérêt indéniable des antipsychotiques atypiques mieux tolérés sur le plan des effets secondaires. Les essais prospectifs devront concerner la vie réelle des patients, rechercher les moyens de mieux équilibrer les budgets en accentuant les ressources sur les méthodes de suivi ambulatoires tout en réduisant, là où elle existe, la surconsommation inadaptée et souvent iatrogène.
Le rôle vital des familles
Madame Begone Arino, est Présidente de la Fédération Européenne des Associations des familles de patients souffrant de maladies mentales (EUFAMI). Espagnole, elle s’est exprimée au nom de 500.000 familles Européennes qui désirent tenter d’influer sur les politiques de soins, à commencer par la planification des dispositifs. Elle s’est montrée convaincue « du rôle vital » joué par les familles, ce qu’elle perçoit comme étant encore difficilement accepté par les soignants. Les familles et les proches sont les premiers à connaître et reconnaître les problèmes rencontrés. Ils sont donc véritablement en position d’expert et pour cela doivent apprendre et être traités sur un pied d’égalité par les équipes. Il a été affirmé que les familles ont le droit d’améliorer leur propre qualité de vie. Dans un contexte fréquent de manque de soutien comme d’informations, la reconnaissance, à part entière, par l’OMS a marqué une étape importante.
Un eurobaromètre en santé mentale
Le Docteur Sami Pirkola a présenté ce qu’il appelle « un Eurobaromètre en santé mentale » qui aborde le bien être ou le mal être mental dans la population générale de l’ensemble des pays européens. En fait, de nombreuses études ont été menées par questionnaires et entretiens (CIDI, PSE…) sur, pratiquement, tous les continents pour des groupes de 3.000 à 10.000 personnes (NCS, ECA, Nemesis…).
Les comparaisons entre pays s’avèrent possibles malgré des difficultés méthodologiques qui n’invalident pas les réponses alors que les études multinationales demeurent rares (ODIN, EDEMeD).
Une étude concernant 16.000 participants de 15 pays et 2 régions (Allemagne de l’Est et Irlande du Nord) indique qu’un quart des européens font état d’un malaise ou de troubles psychiques avec des différences importantes selon les pays. Or, seul un quart d’entre eux entre en contact avec une offre de soins. Si les femmes reconnaissent facilement les troubles, ceux liés à l’alcool et à des problèmes sociaux concernent plus particulièrement les hommes. L’utilisation des soins apparaît extrêmement variable, l’accès étant le mieux organisé aux Pays-Bas avec 40% de personnes consultantes, ce chiffre atteignant à peine 10% dans de nombreux pays. L’Europe apparaît actuellement parcellisée pour ce qui concerne le recensement des besoins, les modes de soutien et leur évaluation. Elle l’est autant pour ce qui concerne l’approche et la compréhension de la maladie mentale et donc le statut et la reconnaissance de la santé mentale.
Que peut-on faire au niveau de l’Union Européenne ?
Une table-ronde au cours de la seconde partie de la conférence a réuni des représentants de divers pays, aux compétences multiples.
Horst Kloppenburg (DG santé et protection des consommateurs de la Commission Européenne) a affirmé que, pour lui, il n’existe pas de santé sans santé mentale qu’il ne faut surtout pas spécifier au risque de l’isoler. Il a évoqué « une stigmatisation terrible », « ce qui demeure trop souvent vécu comme une infamie pour ceux qu’il ne faut pas classer systématiquement dans le tiroir de la psychiatrie ». Au-delà du 1% de la schizophrénie, il lui semble nécessaire de se concentrer sur les troubles mentaux les plus fréquents qui intéressent le quart de la population.
Rodney Elgie du Forum Européen des Patients devant « des portes fermées par les préjugés et la crainte » a insisté sur l’intérêt d’expliquer dès le plus jeune âge ce qu’est la maladie mentale. Avec une ironie grinçante il a relevé qu’avec bientôt 450 millions d’européens chacun d’entre eux bénéficiera pour sa santé de 12 centimes de la Communauté Européenne alors que chaque vache européenne reçoit en moyenne actuellement 8 euros. Enfin pour que les maladies mentales soient acceptées comme les autres, il lui semble indispensable que les médias, à commencer par la presse, cesse de faire des « titres à sensations » lors de délinquance liée à la maladie mentale.
Le Professeur Giuseppe Nistico, qui est italien et député européen a plaidé pour un projet européen intégré de santé mentale en faisant appel aux meilleures compétences dans les domaines concernés. Le Professeur Philippe Cupers, chargé de la recherche à la Commission Européenne, a indiqué que les programmes de recherche initiés couvrent, de façon complémentaire, les aspects fondamentaux et appliqués. Le premier appel, parmi les thèmes retenus, incluait les troubles affectifs et la schizophrénie. Le second appel intéressera les mécanismes d’accoutumance et l’autisme.
Le Professeur Michel Bourin a centré son intervention sur la schizophrénie en termes de prévention, de critères d’évaluation adaptés, de qualité de vie avec le meilleur ratio possible efficacité / effets secondaires. Il a mis l’accent sur la nécessité de trouver des réponses aux troubles cognitifs, de rendre plus efficaces les prises en charge, notamment pour les exclus.
Le Docteur John Henderson, Conseiller principal du Mental Health Europe qui est une ONG (branche européenne du Mouvement pour l’Hygiène Mentale) a affirmé que « la santé mentale, c’est la santé de toute la population : toutes les familles sont concernées ». Il a précisé que des milliers de personnes languissent dans des institutions inadaptées à leur situation de dépendance, « pour ne pas parler des pays de l’Est » et qu’il fallait « ouvrir les portes », induire une réelle visibilité. L’exclusion sociale des malades mentaux demeure un problème grave : « l’emploi n’est pas possible sans une bonne santé mentale ».
Le Docteur Henderson a plaidé pour une amélioration des normes en matière de traitements nouveaux. Le Professeur Sir Michaël Rawlins, Directeur du NICE Britannique, a fermement regretté la lenteur des applications des résultats de la recherche en prenant l’exemple des antipsychotiques : « le rythme d’intégration est tragiquement lent ». L’évaluation doit tenir le plus grand compte de ce à quoi aspirent les patients en incluant leurs autres besoins, à commencer par la prévention des problèmes somatiques associés.
Le Docteur Pies Maria Furlan de Turin a fait part de l’expérience italienne marquée par la fermeture des hôpitaux psychiatriques et le développement des soins ambulatoires dans la communauté. Actuellement 4.500 lits sont installés dans les hôpitaux généraux, « ce lieu sacré de la médecine », après des efforts importants. Si on relève en Italie, actuellement, un professionnel en santé mentale pour 1.500 habitants, des problèmes persistent dans certaines régions. Pour rendre accessible les soins il faut les faire connaître et pour cela informer, surtout les jeunes, et travailler avec les familles. Lors d’une activité insuffisante dans la communauté, « la moitié de la population voudrait voir rouvrir les hôpitaux psychiatriques ».
Une volonté réelle
Le Professeur Antonios Trakatellis a conclu en réaffirmant la volonté de la Communauté Européenne de définir les meilleures pratiques en santé mentale afin de les diffuser dans les états membres. L’ampleur des besoins l’exige alors que des problèmes de santé en rien comparables bénéficient d’une mobilisation de premier plan (comme, par exemple, le Syndrome Respiratoire Aigu Sévère, qui a réuni l’ensemble des ministres de la Santé à Bruxelles pour quelques cas en Europe).
Certes, les obstacles ne manqueront pas et on peut penser que l’absence de perception d’une priorité de santé rencontrera le retard accumulé par les pays amenés à rejoindre la communauté tardivement. Mais, même confrontée à ses propres difficultés, la Communauté Européenne ne pourra pas se désintéresser de la santé mentale des pays pauvres pour lesquels la situation n’est en rien comparable.