La vie dans les hôpitaux psychiatriques de 1947 à 1959 par Jean-Claude Bernard et Jean Morenon

Paru dans : Nervure : Journal de psychiatrie, décembre 2003, mars 2004- Disponible à l’adresse : http://www.nervure-psy.com/ Textes collectés dans L’Information Psychiatrique de 1947-1949-1950 -1952. *Centre Hospitalier Spécialisé de la Savoie, 73011 Chambéry-Bassens. ** 8 rue des Tanneurs, 04500 Riez.

Jean-Claude Bernard et Jean Morenon nous livrent une chronique syndicale à partir de la thèse de l’un d’entre-eux (Jean-Claude Bernard, Histoire de contradiction ou les contradictions d’une histoire, Doctorat d’Université, thèse soutenue l 7 janvier 2001 à Grenoble).

La première partie de ce texte (qui en comporte quatre qui seront toutes publiées dans le Journal de Nervure), marquée par l’effervescence de l’après-guerre, est celle des questionnements sur l’impensable que l’on venait de traverser. Puis, se perçoit une lutte perdue d’avance où s’envolent des illusions : l’administration centrale a bel et bien reconquis le pouvoir.

Cette subordination des fonctions thérapeutiques au pouvoir administratif est alors très vivement ressentie. Mais, si « le militantisme n’est plus là », le bouillonnement persiste. La réflexion s’anime pour les différents acteurs dans l’institution et la dernière partie y est consacrée. Ce texte reflète, au jour le jour, la liberté d’expression d’alors au sein du « cadre ». On peut espérer que sont encore nombreux les lecteurs pour qui cette évocation sera parlante. Quand aux plus jeunes, sauront-ils percevoir, comme nous l’espérons, qu’il n’est pas réellement de faille entre cette « préhistoire » et leur condition actuelle ?


Première partie : 1947-1952 :

L’ombre des camps

Le pays d’où je viens

Avril 1947 : les conditions d’accueil des malades mentaux sont au premier plan des préoccupations syndicales. Elles sont dénoncées par Georges Daumézon, alors secrétaire général du Syndicat.

Citons Beley : « Peu de domaines de l’assistance ont plus souffert que l’assistance psychiatrique durant les années de guerre et d’occupation. Sur 96 H.P., 25 ont été fermés, soit par réquisition, soit par destruction. Les années 1940 à 1943 ont vu un effroyable massacre de nos malades dont des milliers sont morts de froid et de faim ». Si la situation actuelle est un peu moins tragique qu’elle n’était, elle continue à traduire une crise très grave, à vrai dire à peine latente depuis bien des années. Moins tragique ? Tout est relatif. Dans une conférence, le 30 avril 1947 à Poitiers, voilà le bilan qu’il rapporte : impossibilité de faire installer des W.C. dans les dortoirs pour supprimer les tinettes, pas de cloisons pour séparer les malades propres des malpropres à l’infirmerie, malades « vêtus n’importe comment, chaussés de débris (impossible d’obtenir des espadrilles cependant en vente libre ) », pas de rations alimentaires pour les psychopathes tuberculeux, une douzaine de toiles caoutchoutées pour un service de 350 malades, promiscuité, oisiveté dont personne ne se préoccupe…

En 1947 le personnel n’est plus seulement constitué par des gardiens et des gardiennes, des garçons ou des filles de salle mais également et désormais de personnel « instruit et hiérarchisé », leurs fonctions comportant des responsabilités précises et, en tout premier lieu, dans les rapports avec les malades.

A la recherche de l’Etat-thérapeute

En 1947, c’est aussi la question du rapport entre la folie et l’Etat. Pour G. Daumézon : « C’est la position que l’Etat croira devoir prendre en face des problèmes de la santé mentale qui revêtira une importance capitale. Dès que nous touchons à ces problèmes, se pose avec une acuité exceptionnelle la question de liberté et de limite de l’intervention de la société. Nous serions tentés de dire que la façon originale dont l’Etat traite le problème de la folie et des troubles mentaux est la pierre de touche du souci véritable qu’il a de sa mission humaine ». Cette position est claire et Robert Prigent, ministre de la Santé Publique, à la séance du 17 juillet 1947, intervient à l’Assemblée Nationale en ces termes :

« Certes, la richesse du pays en hommes a de l’importances, mais il faut d’abord considérer pour l’immédiat celle de la capacité pour la France de reconstituer des richesses qui pourront assurer la vie de ses enfants. J’ai donc dû m’incliner devant la décision du Gouvernement, d’ailleurs solidaire. Compte tenu de la réduction de 40/100 du programme primitivement prévu, le Gouvernement a accordé la priorité aux dépenses de rééquipement industriel de notre pays en réduisant, par contre, les crédits relatifs à ce qui a trait à la Santé Publique ».

Débuts agrestes d’une profession

Du côté des psychiatres en exercice, deux points sont à l’ordre du jour de leur activité syndicale. En premier lieu, une revendication quant à la revalorisation de leur profession, seule solution d’ensemble à la crise de la psychiatrie. Pour eux, la condition faite, notamment aux jeunes, est intolérable : il n’est plus possible que des jeunes médecins soient « condamnés à s’enterrer pour de nombreuses années dans un séjour qui pour être agreste n’en est pas moins dépourvu de l’activité intellectuelle et scientifique à laquelle ils étaient accoutumés ». Ils défendent l’idée d’une psychiatrie sociale dans la Cité : « Il faut choisir entre le psychiatre ermite et le psychiatre social », une psychiatrie non fonctionnarisée, détachée du cadre asilaire, quitte à laisser de côté les malades chroniques, « … ces malades que nous avons été les seuls à défendre à une époque où leur vie dépendait de chacun de nos efforts, et que l’on aura un peu l’impression de trahir ». L’Asile subsistera donc avec sa garderie d’arriérés et de déments d’une part, et d’autre part, sa « société » d’aliénés chroniques. Il sera en un certain lieu. Non loin de là, mais ailleurs cependant, s’élèvera le service ouvert avec ses malades. L’hôpital psychiatrique n’éclatera pas, mais plus modestement, se divisera en deux. Une laborieuse analyse de classe

A l’ordre du jour également, une prise de position politique à travers le souhait formulé par quelques-uns, dont G. Daumézon, de faire adhérer le Syndicat des Médecins des H.P. à la C.G.T. Cette proposition révélera les contradictions qui traversent le syndicat : « … la tendance politique de la C.G.T. peut gêner nombre de médecins, et provoquer leur démission ». Les critiques pleuvent : « il est, en effet, assez curieux que ce soit le moment où tant d’ouvriers quittent la C.G.T. pour retrouver leur liberté et leur personnalité que nous choisissions pour nous y intégrer. Mais enfin, on peut imaginer abdiquer l’une et l’autre, pour en tirer des profits matériels compensateurs » et plus loin : « Quels sont les intérêts communs des syndicats ouvriers et des médecins des H.P. ? Et croyez-vous que les métallurgistes, les mineurs, les P.T.T. ou les cheminots se mettront en mouvement pour nous valoir quelque avantage ! ». Et aussi : « Quel profit pourrons-nous en tirer ? Au point de vue prestige, le moins qu’on en puisse dire, c’est qu’il serait bien mince. Au point de vue matériel, croit-on que notre serment d’allégeance aux puissants du moment nous vaudra dans la société présente ou future, une place de choix et des traitements en rapport avec notre fonction sociale ? Il est permis d’en douter ». Devant les critiques formulées, malgré un référendum ayant donné une majorité de voix en faveur de l’affiliation à la C.G.T. et pour éviter la scission, l’adhésion est reportée et ne sera plus abordée.

Souvenirs, souvenirs

De quel prestige s’agit-il… ? Pendant que ce discours classique est tenu, G. Daumézon dénoncera, à nouveau, la condition des malades, à propos des rations de savon, dans un courrier adressé au Directeur de l’Entraide Sociale : « Si l’on compare, dans un établissement moyen, la quantité de savon utilisée en 39 et la quantité actuellement accordée de savon ou détersifs, très inférieure en qualité, on constate que la proportion est à peu près 1/4 de celle d’avant-guerredans beaucoup d’établissements, les malades ne reçoivent aucun savon pour les soins corporels, les malades se trouvent dans un situation plus mauvaise que celle connue pendant la guerre ».

Le 19 octobre 1948, devant la Commission des problèmes de Santé Mentale, Lauzier, Bonnafé et Godeau présenteront un rapport définissant les bases de la politique en matière de réorganisation des H.P. Y sont présentées les différentes infrastructures : blocs hospitaliers, unités d’accueil et d’observation, unités de séjour dont les installations absolument nécessaires seront : « chambres d’isolement de conception moderne, réservées à un seul malade, et non cellules pour bêtes féroces ; abolition des quartiers cellulaires ». Ils proposent, également, que des W.C. soient systématiquement construits dans les unités de soins et que le personnel soignant reçoive une instruction professionnelle effective.

Février 1949 : L’éditorial de G. Daumézon dénonce les contradictions qui traversent la pratique psychiatrique. Pour lui, elles sont liées aux orientations administratives qui sont opposées aux priorités médicales : « Pendant que nous essayons de concevoir les fondements de notre action et de notre raison d’être, l’administration, aux prises avec des influences variées, forge et démolit tour à tour notre moyen d’action ».

Comprenne qui pourra

Le moyen d’action, c’est, entre autre, le personnel secondaire des H.P., c’est-à-dire les infirmiers dont le statut vient d’être revu et corrigé par l’arrêté du 3 février 1949 qui définit les diplômes autorisant l’exercice de la profession d’infirmiers :

- peuvent exercer la profession d’infirmier sans limitation, les personnes possédant notamment, le diplôme supérieur d’infirmier de la Croix Rouge Française,

- sont autorisés dans le champ limité des établissements psychiatriques, les titulaires des diplômes des Etablissements Psychiatriques de la Seine et de 10 autres établissements sur le territoire,

- sont autorisés à exercer dans le seul établissement où le diplôme a été validé, les titulaires des titres de 23 établissements psychiatriques,

- sont autorisés à exercer, comme infirmier « auxiliaire » sans limitation, les titulaires du diplôme d’Etat d’assistante sociale, de sage-femme.

Pour G. Daumézon, ces autorisations relèvent du « sabotage de la formation professionnelle », et s’expliquent par « l’autonomie jalouse d’un certain bureau des infirmières qui refuse tous contacts avec la réalité et en particulier ignore tout des H.P. ». Pour lui, cela s’inscrit dans la logique du protectionnisme qui atteignit son comble sous le régime de Vichy et qui rendait obligatoire le diplôme d’Etat pour exercer la profession d’infirmier, loi qui n’avait pu être appliquée de par les réalités politiques et économiques du moment.

Remarquons que d’un côté, on dénonce l’ostracisme dont souffre l’infirmier des H.P. qui n’obtient pas de liberté d’exercice ; de l’autre, on déplore que « notre personnel » puisse se composer d’infirmiers autorisés ou diplômés dont le niveau de compétences ridiculisera tous les efforts des médecins ou infirmiers consciencieux (sic). Est-ce la limitation du champ d’exercice qui était rejetée ? On a, cependant, le sentiment, en poursuivant la lecture, que c’est davantage le caractère « démagogique » (sic) des revendications syndicales voulant faire obtenir un diplôme au plus grand nombre.

Des sous !

« Reflet de la valeur d’une masse d’adhérents sans formation, elles (les organisations syndicales) se sont désintéressées du problème technique d’organisation du service pour obtenir les chiffres de rétribution les plus élevés, pour les échelons les plus bas et les plus nombreux ». Désormais, très régulièrement, sera publié l’état des grilles salariales et des indemnités diverses versées au corps médical.

Toujours plus de malades

Mars/avril 1949 – L’information psychiatrique fait paraître un projet de fiche statistique pour les malades des H.P., qui s’appuie sur un rapport établi par l’Institut National d’Hygiène où l’on constate une nette augmentation du pourcentage des malades soignés en H.P. : 31,4/100 000 en 1835 et 299,3/100 000 en 1940. L’auteur de cette recherche l’explique de la façon suivante. Premièrement, « l’extension du domaine de la psychiatrie fait entrer à l’H.P. des gens qu’on n’eut point eu l’idée d’y envoyer au siècle dernier ». Secondairement, la diminution du seuil de tolérance de la société aux troubles mentaux. Ceci résultant, sans doute, de la complexité croissante des conditions de vie, surtout en milieu industriel et urbain. Troisièmement, les perturbations économiques et sociales créent des conditions génératrices de psychoses. Ces fiches à visée nosologique comprendraient des informations sur les différents syndromes psychopathologiques, biosomatiques et les étiologies dont les renseignements seraient du plus haut intérêt pour la Sécurité Sociale en permettant d’évaluer la durée moyenne du séjour, les pourcentages de sorties…

Des psychiatres bien notés mais

Circulaire du 2 mars 1949 : « Les H.P. sont autorisés désormais à recruter, en qualité d’auxiliaires sans intervention préalable d’un arrêté de dérogation, des infirmiers (ères) titulaires du diplôme d’Etat ou autorisés ».

Mai 1949 : situation toujours tendue entre administration centrale et psychiatres : contre l’avis de l’Ordre des Médecins, le pouvoir institue un diplôme unique pour la neurologie et la psychiatrie, supprime la commission d’études des problèmes de la Santé Mentale au sein du Conseil Permanent d’Hygiène Sociale et met en application un nouveau mode de notation administrative des psychiatres laissé à la charge des fonctionnaires locaux. Georges Daumézon dans son éditorial demandera à ses pairs de se positionner : « Lorsque des hommes sont chargés d’en garder d’autres (et que nous le voulions ou non telle est notre fonction sociale) deux positions s’offrent à eux : ou bien ils se font solidaires de l’oppression, déclarant que tout est pour le mieux, que la soupe est bonne, que seuls les méchants sont mécontents et leurs maîtres d’approuver à leur tour, ou bien ils se font solidaire de leur troupeau, mais alors ils encourent le risque de paraître aliénés du monde et plus encore des puissances. Et les puissants pour consolider leur pouvoir crieront bien haut ‘plus fous que les fous’ ».

Bien des apparences sont contre nous

Juin 1949 : Mobilisation autour de la sortie en salle d’un film, « La fosse aux serpents », racontant la vie d’internée d’une femme américaine. Dans son éditorial, G. Daumézon souligne la nécessité d’une participation active des psychiatres à la projection, le film contenant certaines inexactitudes ou injustices même « s’il n’en reste pas moins que la condition du malade mental est inhumaine, que nous le savons mieux que quiconque, que notre devoir est de le dire même avec ceux qui ont tendance à nous prendre pour les premiers de leurs tortionnaires, en concédant une fois pour toutes que bien des apparences sont contre nous ». Dans ce même numéro de L’lnformation Psychiatrique, L. Bonnafé pose, d’ailleurs, le problème de l’utilisation des cellules d’isolement, lieu de contention mais également de protection. Les réunions de pavillon…

A partir du deuxième semestre 1949, L’Information Psychiatrique accorde une place grandissante à ce qui deviendra le courant de la psychothérapie institutionnelle. Beley : Le comité technique de quartier : sa signification, ses fonctions (N.B. : on y parle de l’intérêt « de développer chez tous l’esprit d’entreprise ») : coordination, amélioration des conditions d’existence des malades et des infirmiers, réflexions sur la pratique relationnelle sont les maîtres mots.

G. Daumézon : Les réunions de pavillon. Il y parle de réunions sous la présidence du médecin, qu’il souhaiterait hebdomadaires pour chacun de ses pavillons, où se parlent les rapports au malade, les conflits d’équipe… S. Follin : Les réunions du personnel. Le but est de créer une « confiance réciproque et une véritable responsabilité collective » visant à une collaboration plus qu’à une soumission au traitement de la part du malade. S. Follin, dans son article, développe l’intérêt d’une formation pour les infirmiers qui se construise à partir du terrain, base d’une éducation continue, et dépasse le rapport au savoir du médecin comme élément d’une réalité intouchable.

Une révolution en marche

P. Balvet, à propos des réunions d’équipe avance des positions que ne renieraient pas les institutionnalistes. Les réunions sont le produit d’un moment de révolution de l’« asile » où le psychiatre, en tant qu’être en devenir, ne se considère pas comme le moteur de cette dynamique mais davantage comme un facteur désaliénant par la mise à jour des contradictions internes à l’H.P. Ces réunions ne sont pas isolées, elles sont même intégrées dans un développement historique, elles ne sont que le produit d’une praxis : « nées dans la chair même du réel », réel que lui, pose en termes de rapports de pouvoir entre psychiatre et infirmier : « Pourquoi en est-il ainsi ? Il n’y a qu’une réponse : parce que la société dans laquelle nous vivons est structurée ainsi, parce que le psychiatre et l’infirmier expérimentent et expriment cette société dans toutes ses contradictions. Ils partent de là, qu’ils le veuillent ou non… ». Au départ donc un rapport de dirigeant à dirigé, masqué tant que l’on voudra mais toujours présent. Contradiction « fondamentale » qui doit être reconnue comme telle sous peine qu’elle n’aliène davantage le malade. « … tant que la contradiction sociale qui est en lui ne sera pas radicalement dépassée, … l’asile restera l’asile, on ne dépassera pas la conception neuro-psychiatrique d’un hôpital comme un autre » et plus loin : « l’asile ne peut progresser vraiment tant que n’est pas remise en cause sa structure sociale, tant que ne sont pas proposés comme problèmes essentiels, le rapport « psychiatre-infirmier » et le rapport « médecin-malade ».

« Des contradictions à travers nous »…

Une révolution serait à faire à l’échelle sociale, mais P. Balvet pense cependant qu’au niveau de l’hôpital et par le biais des réunions, cette révolution est en marche. La réunion « doit être considérée comme d’une signification redoutable : c’est toute la structure sociale de l’établissement qui fait sa mutation, un pseudo-ordre en lui qui bascule et s’effondre ». C’est d’une rupture épistémologique dont il s’agit et qui traverse les H.P. Avant, ils étaient identifiés aux hôpitaux généraux (« où les contradictions sociologiques restent en grande partie masquées »), aujourd’hui, ils construisent seuls les bases d’une structure sociale nouvelle… P. Balvet affirme, dès 1949, les différences fondamentales qui nous définissent face à nos collègues de soins généraux. Il ira encore plus loin : « Seul l’H.P. peut la faire, cette révolution, parce qu’il porte en lui son aliénation : …La société qu’il constitue (et dont médecin et infirmier font partie intégrante) est une société « aliénée », dans le sens qui fait du prolétariat une fraction aliénée de la société, dans le sens où tous ceux qui luttent avec lui, participent consciemment et volontairement à son aliénation ».

Poursuivant son analyse de l’institution psychiatrique, il ajoutera : « C’est précisément parce que notre société asilaire est aliénée, que (dans la mesure où elle ne se trahit point elle-même pour des positions prestigieuses, pour des positions rentables : dans la mesure où elle prend conscience de cette aliénation comme sa réalité concrète et comme de son seul honneur) elle se trouve grosse d’un dépassement, grosse de tout l’avenir, elle s’est « avouée ».

C’est dans le quotidien, à travers l’analyse de la base matérielle et organisationnelle que chacun prendra « conscience de l’internement comme oppression… ». …Epoque révolue ou contradictions révolues ? Et c’est dans la conscience de cette aliénation que P. Balvet place le savoir du médecin psychiatre et non plus dans l’homme de science objectif : « l’homme des interrogatoires et des observation ». La réunion est devenue l’analyseur des contradictions socio-politiques qui traversent le champ de la psychiatrie. Sa conclusion est fulgurante : « une contradiction à travers nous cherche à se manifester, cherche sa crise. Il faudra bien, un jour ou l’autre, en prendre conscience ».

Organo-dynamisme et direction spirituelle

1949 sera encore l’année où la Commission des Maladies Mentales tentera, dans sa séance du 25 octobre, de définir la maladie mentale. Pour situer la difficulté d’un tel travail, voilà la conclusion faite par un médecin-chef de service à l’exposé qu’il venait d’effectuer devant des aumôniers et des psychiatres sur « les avantages de la conception organo-dynamique des troubles mentaux pour la direction spirituelle des psychopathes ».

« En terminant je pense ne pas manquer de respect à N. S. Jésus Christ en vous livrant les pensées qui, un jour, ont surgi en moi au cours d’une méditation sur le premier mystère douloureux.

Les voici : Par amour des hommes, N.S. n’a voulu ignorer aucune de leurs souffrances. Au jardin des Oliviers il semble même avoir connu la douleur morale intense que nos malades guéris d’un accès moral de mélancolie représentent comme la forme la plus intolérable de la souffrance. Celui qui s’est écrié : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », a-t-il donc subi un état de mélancolie ? Cette poussée victorieuse d’un psychisme inférieur qui submerge l’âme ? Ceci est inadmissible ! N. S. a bien ressenti le découragement, la lassitude et l’angoisse de l’âme unie au corps. Mais à aucun moment, son esprit divin n’a été entravé et la preuve en est qu’au cours de son agonie il a prononcé cette parole qui représente le point culminant de la vie spirituelle et de la liberté de l’âme : « Mon Père, si ce calice ne peut passer devant moi sans que je le boive, que Votre Volonté s’accomplisse ».

Que soit dispensée la formation suivante

1949 s’achèvera par une circulaire, celle du 30 novembre 1949, relative à la formation professionnelle du personnel soignant des H.P. Cette circulaire constate que « plus de la moitié des H.P., ou bien n’ont esquissé aucun effort dans ce domaine (la formation professionnelle) ou bien ont abandonné les initiatives naguère entreprises ». Elle recommande donc, pour l’infirmier, au vu de révolution des thérapeutiques, au vu de son rôle d’auxiliaire du médecin, et dans le cadre d’une formation interne à chaque établissement qu’il lui soit dispensée la formation suivante, traitant :

- des notions générales d’anatomie et de physiologie, des notions élémentaires d’hygiène, des notions essentielles de pharmacie et de petite chirurgie,

- des soins aux malades en général et aux malades mentaux en particulier,

- des notions sur l’H.P., les techniques psychiatriques et le rôle de l’infirmier d’H.P. Formation répartie sur deux ans, et a minima de 100 heures, et accessible aux seuls titulaires du Certificat d’Etudes Primaires.

Janvier 1950 : le 1er éditorial de G. Daumézon dénonce les attaques permanentes dont ils (les psychiatres) font l’objet de la part des administratifs, les directeurs de la Santé : « ce corps de fonctionnaires mène une politique purement égoïste ».

Mariage de raison ou mariage d’argent ?

Dans ce même numéro de janvier 1950 X. Abely critique sévèrement la création du C.E.S. de neuropsychiatrie. Pour lui, neurologie et psychiatrie relèvent de deux formations différentes parce qu’elles concernent deux affections différentes. D’autres au contraire se montrent plutôt satisfaits mais, apparemment pour des motifs moins scientifiques. S’il n’est que psychiatre, il ne peut solliciter que la direction d’oeuvres d’assistance et d’hygiène mentale, activité d’un intérêt immense, mais, il faut le dire, bien mal rétribuée. Dans tous les arrondissements sièges d’un hôpital psychiatrique, il sera en compétition avec des spécialistes autrement mieux armés que lui en connaissance de psychiatrie fine. Il ne lui restera que la clientèle privée, c’est-à-dire presque rien, puisque toute cette clientèle va au neurologue, et que les malades de neurologie ne vont à lui qu’exceptionnellement, en l’absence de ce spécialiste.

La commission des maladies mentales tranchera en proposant une situation intermédiaire : un diplôme sur quatre ans avec des années différenciées selon l’option choisie. Février 1950 : le syndicat des psychiatres des H.P. se prononce pour un mémorandum posant le problème de la santé mentale et de son devenir. Cela à une très large majorité : 135 sur 166 votants.

Comment réveiller l’Etat thérapeute ?

Une triple insuffisance, organisationnelle, législative et d’information vers la population, est constatée dans la lutte contre les maladies mentales. Cette situation induit un malaise profond entre les élus de ce syndicat et le pouvoir central : « la situation actuelle de l’assistance psychiatrique est inadmissible ». Pour la première fois, apparaît l’idée du budget global alloué au service psychiatrique départemental, et celle de la sectorisation. Avec elle, l’H.P. deviendrait simplement une des pièces de l’échiquier.

Ce mémorandum dénonce :

- le remboursement du soin médical compris comme un acte mesurable et quantifiable (ce qui, on le sait, sera réalisé avec la mise en oeuvre effective de la gestion informatisée des pratiques médicales),

- la loi de 1838 dont on souhaite qu’elle soit dépassée pour que puisse se mettre en place, effectivement, les bases de la prévention et des soins de postcure hors des H.P.,

- la subordination des médecins chefs de service au pouvoir administratif. Elle est à « proscrire » au profit d’un véritable dialogue, direct avec les pouvoirs publics. Pour cela, le syndicat demande la création d’un poste de conseiller médical auprès de l’administration centrale.

Le réveil de l’Etat thérapeute : Fleury-les-Aubrais Dans la « séance mémorable » du 23 mai 1950 de la commission des maladies mentales, les médecins se mobilisent. Il faut s’opposer à « l’arbitraire des pouvoirs publics » qui frappent l’un de leurs collègues, Georges Daumézon. Celui-ci, toujours secrétaire du syndicat des médecins des H.P., initiateur des premiers stages de formation continue pour les infirmiers dans son hôpital (des infirmiers de tout le territoire s’y rendaient), est remplacé dans ses fonctions de médecin-directeur de Fleury-les-Aubrais par un directeur administratif nommé par le Ministre de la Santé. Les psychiatres prennent alors la décision de ne plus participer aux travaux de la dite commission et en appellent à une large mobilisation. Ce sera le début d’un conflit qui va opposer le pouvoir central et les psychiatres pendant de nombreuses années. Ils dénoncent aussi, ce jour :

- les pressions subies par le personnel qui s’était réuni spontanément pour manifester son soutien, pressions exercées par le directeur,

- une enquête qu’il a conduite dans le plus pur style policier, tentant d’intimider les agents interrogés, faisant allusion à leur vie personnelle, exigeant la communication d’un texte qu’ils n’avaient pas à connaître, etc…

Tous des communistes

Enfin, signalons que deux employés de l’Etablissement ayant assisté, comme ils croyaient naïvement en avoir le droit, à la séance publique du Conseil Général où se décidait le sort de leur hôpital, ont été entendus par la police, sommés de remettre les notes prises au cours de la réunion publique etc…

On voit où conduit une décision injuste : la main mise du pouvoir administratif sur l’H.P. Alors que les directeurs administratifs, au moins ceux de recrutement plus politicien qu’administratif, se manifestent clairement comme des agents d’exécution d’une politique générale qui ignore l’intérêt commun des malades et de ceux qui les soignent. Les médecins et les infirmiers tombent, sans cesse, davantage d’accord pour formuler les mêmes revendications et exiger les mêmes réformes : accroissement du nombre du personnel et désencombrement ; conditions d’une thérapeutique effective et d’une atmosphère acceptable des services ; sélection et formation professionnelle plus poussées des infirmiers, avec comme corollaire des échelles de traitement meilleures à tous les niveaux, etc…

On note, à cette occasion, que les revendications des infirmiers sont prises en compte par les psychiatres qui affirment, dans le même temps, tout l’intérêt d’une collaboration véritable avec l’ensemble du personnel : « sans elle, rien n’est possible ».

Carences du cortex ou rapports sociaux de production Les six pages suivantes de ce même numéro de L’Information Psychiatrique, traitent de « la vie sans cortex » et de l’intérêt de l’étude clinique et expérimentale des carences globales du cortex. On s’éloigne de l’analyse des rapports sociaux de production. Les 9 et 12 juin 1950, le budget de la Santé est discuté à l’Assemblée Nationale.

L’encombrement des H.P. est une fois de plus constaté : 75 000 hébergés pour 60 000 lits, dans des conditions vétustes. 96 H.P. ont en moyenne plus de 75 ans. Un député regrette la diminution du budget consacré à la Psychiatrie, dénonce les dépenses somptuaires mal venues

En 1950 déjà : plus ça change…

A l’occasion du premier congrès international de psychiatrie qui se tiendra en septembre, le directeur de l’hôpital a proposé un crédit de plusieurs millions, non pour faire les travaux indispensables, mais pour installer une pièce d’eau spectaculaire, où des poissons rouges nageront dans un merveilleux bassin.

Question : les malades mentaux peuvent-ils souffrir ? Ce député manifeste sa colère devant la situation des H.P. telle que constatée par une commission de parlementaires : malades entassés, pas de lavabos, pas de tout-à-l’égout, la « soupe perpétuelle » pour les malades et le personnel, la pluie dans les dortoirs, des hommes en habits de prisonniers,…

Quant aux cours, nous en avons traversé une. C’est une véritable cour de prison, entourée de murs élevés sans ouvertures. Aucune vue sur l’extérieur n’est offerte aux malades. Dans la cour, où n’existent que deux bancs, 200 malades étaient entassés, les uns hurlant, les autres, accroupis comme des bêtes…

Plus horrible, encore, est le service des enfants, 72 de ces malheureux sont installés dans des baraques en ciment. Nous avons vu des enfants de sept ans qui paraissaient deux ans, gardés par un infirmier ou soi-disant tel, dans une petite cour de 50 mètres de long sur 20 mètres de large, avec pour tout siège un banc. Les enfants restent là accroupis toute la journée. Dans cette cour, pas un arbre, pas un jeu, pas un jouet. Nous vous disons très nettement que ce spectacle est terrifiant.

La réponse du Gouvernement est qu’il fait ce qu’il peut. Ce député l’interpellera aussi sur le remplacement des médecins-directeurs par des administratifs : « vous n’obtiendrez aucun résultat avec une telle politique. Nous vous demandons ce qui se cache derrière cette manoeuvre ». C’est finalement un sous-préfet qui remplacera Daumézon à Fleury-les-Aubrais comme directeur.

1951. Les illusions de l’après-guerre se sont envolées ; le constat est amer ; l’administration centrale a bel et bien reconquis le pouvoir qui était le sien avant 1939. C’est ainsi que nous avons assisté :

- à la désorganisation d’un hôpital siège d’une réforme, au mépris des avis du comité permanent d’hygiène sociale ;

- à des jugements de Salomon renvoyant, dos-à-dos, avec un blâme le médecin qui réorganise la vie sociale de ses malades et l’administration qui l’en empêche ;

- à des mutations dites « par intérêt du service » qui désorganisent toute l’économie de l’accession aux postes dans le cadre ;

- à une désorganisation vexatoire des jurys de concours ;

- à une politique de reconquête des directions médicales, non pas au profit d’une doctrine toujours soutenable quand bien même nous ne la partageons pas, mais bien plutôt au profit de « petits camarades ».

…que faire lorsque tel est muté « dans l’intérêt du service », lorsque tel dernier nommé du dernier concours, mais parent d’un Conseiller Général, est préféré à un collègue de huit ans plus ancien désigné par les plus hautes autorités techniques, lorsque implacablement l’Hôpital s’encombre et que le nombre des échecs thérapeutiques causés par l’entassement aggrave l’encombrement ?

Devant cette situation, le syndicat est divisé, certains souhaitent l’affrontement, contre le « renforcement de l’autorité de l’Etat, contre l’écrasement du pouvoir central » (Daumézon), d’autres la négociation. L. Le Guillant et L. Bonnafé, se rangent parmi les premiers.

1951 la réduction des dépenses de santé

Nous tenons à dire avec la plus grande clarté où nous voyons les causes réelles de l’attitude des Pouvoirs publics envers les services psychiatriques et envers leurs médecins. Ces causes sont pour nous simples et évidentes : s’il n’y a pas d’argent disponible pour payer des médecins et des infirmiers en nombre suffisant, pour réformer ou multiplier les organisations de prophylaxie et les établissements de soins, c’est que cet argent est consacré au budget de guerre. Si des décisions injustes sont prises à l’égard de certains collègues, c’est que pour appliquer une telle politique, que de nombreux Français n’acceptent pas, il a été nécessaire de renforcer l’appareil de l’Etat, à tel point que celui-ci peut maintenant se permettre d’agir comme bon lui semble. Quant aux gardiens, en ce début d’année 1951, leur situation nous est donnée à voir par le biais d’une petite correspondance qui figure dans ce numéro de janvier. Un psychiatre s’offusque de la prime d’insalubrité allouée aux infirmiers. Il s’y oppose en précisant que dans ce cas, les psychiatres devraient être également concernés par cette prime.

Mais une prime incongrue

Pour lui, il s’agit simplement d’une forme d’augmentation déguisée, liée à des salaires insuffisants. Mais, écrit-il : « Indemnité spéciale pour travaux pénible et insalubres ; comme si, par définition, être infirmier n’était pas insalubre et pénible. Ce métier implique le contact journalier avec des malades fiévreux, contagieux, tuberculeux, syphilitiques, gâteux, agités, demi-agités, quart-agités, épileptiques, dangereux, ennuyeux, sataniques ». Et pour montrer l’incongruité de cette prime, il ajoute : « Donnera-t-on une indemnité spéciale pour l’acte de vidange ou de nettoyage des égouts quand on s’apercevra que le vidangeur sent des odeurs pas toujours agréables et que l’égoutier promène ses bottes dans des eaux qui ne sont point lustrales ? ».

« …Nous aurions aimé, pour le comique de la chose, une codification plus précise : nombre d’heures de contact, indemnité proportionnelle au nombre de malades sus-visés, nature plus ou moins pénible ou insalubre du contenu des crachoirs, des bassins et des serviettes hygiéniques, indemnité spéciale pour chaque pansement de furoncle, pour piqûre de puce subie dans le service, etc… ». Il demeure que ce conflit qui oppose psychiatres et administration centrale réactive la contradiction interne qui existe au sein du syndicat, entre ceux qui affirment que toute action est et doit être pensée dans sa dimension politique, et ceux qui l’inscrivent dans une dimension seulement corporatiste : « Faisons moins de politique psychiatrique et plus de défense de nos intérêts ».

1952 : même discours sur la situation des hôpitaux et sur les conditions de prise en charge des malades. Dans L’Information Psychiatrique de janvier, un article est consacré au recrutement des élèves-infirmiers. Pour les deux psychiatres l’ayant rédigé, le problème est de sélectionner des candidats en éliminant ceux qui ont un niveau intellectuel trop bas ou présentant des troubles caractériels. Mais les critères existent-ils quant aux aptitudes requises et aux contre-indications physiques, intellectuelles et caractérielles pour exercer ce métier ? 1952 alcool, productivité et chômage…

Budget 1952 : séance de discussion à l’Assemblée Nationale. Le rapporteur de la commission de la Santé fait un constat alarmant sur l’augmentation croissante de l’alcoolisme. Les députés de gauche posent le problème des facteurs étio-pathogéniques : « Notre groupe, il n’est pas le seul, a dit à différentes reprises comment pourrait être réduit l’alcoolisme. Ce n’est pas par une politique d’interdiction, très souvent artificielle, ni par des mesures de coercition, mais grâce aux moyens modernes de thérapeutique, et surtout par l’amélioration des conditions de vie : logements sains, nourriture saine et abondante pour ceux qui travaillent. La cause des maladies mentales réside encore dans le surmenage. Ce n’est pas en invoquant la productivité et en augmentant le surmenage qu’on réduira le nombre des malades mentaux. En même temps et au premier chef, les maladies mentales ont pour origine l’incertitude du lendemain, la peur du chômage, l’angoisse qui résulte de la crainte de la guerre. Telles sont les causes de l’accroissement, dans notre pays, du nombre de malades mentaux ». Notons qu’une contradiction sera pointée par certains députés : dans le même temps où l’alcoolisme augmente de façon considérable, le Parlement autorise l’importation, la fabrication et la vente des essences d’absinthe sous quelle que forme que ce soit. Le débat portera aussi sur l’intérêt de développer les colonies familiales « car la diminution des coûts d’hospitalisation serait substantielle ».

Les mésaventures du no-restrain au pays de Descartes Dans le numéro de février, une autre contradiction va apparaître. G. Daumézon rappelle que la matière même de la folie, est celle de la liberté. Quelques pages plus loin, est publiée une note de la Préfecture de la Seine relative à la mise en service d’un nouveau modèle de maillot de contention ; dans les 13 pages qui suivront cette note administrative, Philippe Paumelle parlera du « no-restrain » développé par J. Conolly en Angleterre dès 1839.

Critique vis-à-vis de la pratique psychiatrique française Ph. Paumelle conclura son article en ces termes : « La résistance et l’agressivité manifestées par les aliénistes français en face du no-restrain, paraissent donc bien s’expliquer surtout, sinon par le refus, au moins par la difficulté d’envisager une réforme complète de leur comportement personnel manifestement mis en cause. Au demeurant, en effet, l’institution du no-restrain met en question bien plus que l’emploi de la camisole, tout l’ensemble des rapports médecin-malade, médecin-personnel, médecin-asile ». C’est donc l’institution de la psychiatrie dans son ensemble qu’il interroge.


La vie dans les hôpitaux psychiatriques de 1947 à 1959 Deuxième partie : 1952-1955 : Un univers qui décourage le dévouement*

*Les auteurs poursuivent leur lecture commentée de l’Information Psychiatrique des années cinquante.

Les infirmiers…

Le numéro des mois de mars et avril 1952, est consacré, à la formation des infirmiers des H.P., G. Daumézon, lui-même dans l’éditorial, affirme la nécessité d’une réglementation qui précise sans équivoque, la « subordination de l’auxiliaire du médecin à l’égard de ce dernier ». Alors qu’auparavant, avec les domestiques, dit-il, le médecin disposait sans ambages de son personnel, du recrutement jusqu’au licenciement, maintenant avec des auxiliaires « promus au rang de petits fonctionnaires ». Il en va tout autrement ; il ne peut plus les recruter lui-même. C’est, en conclusion, du problème de la formation et de la « restauration de l’autorité du médecin dans des formes correspondant à la qualification élevée de ses collaborateurs », que, dit-il, dépendra l’avenir de l’hôpital et du soin aux malades. Les 14 pages suivantes poursuivent l’analyse des problèmes actuels du recrutement et de la formation des infirmiers.

…Quantité et qualité négligeables ou méprisables…

Trois psychiatres, dont L. Bonnafé, se montrent favorable à l’amélioration de la situation salariale des infirmiers telle que la définit la circulaire d’octobre 1951. Ils rappellent, cependant, que les infirmiers sont souvent considérés « comme quantité et qualité négligeables ou méprisables ». Il dénoncent l’incohérence de la circulaire de 1949 dont l’orientation n’est pas de doter les établissements psychiatriques de véritables écoles d’infirmiers mais de combler les postes vacants. Ils posent le problème des tests de personnalité susceptibles d’autoriser un recrutement de qualité, en notant, toutefois, que l’on va de plus en plus vers l’embauche des sujets jeunes, fraîchement sortis de l’école, « porteurs d’ambition de carrière ». Cependant, demeure un problème, à savoir que ce jeune embauché se trouve non pas dans une situation de stagiaire, mais bien davantage dans celle d’infirmier comme les autres, et dont l’essentiel du travail est d’effectuer les gestes routiniers de la vie quotidienne. En réalité, « le temps nécessaire pour le véritable apprentissage, répétition des techniques, fignolage du métier, réflexion et discussion autocritiques sur les problèmes réels de la pratique n’existe pas ». …Mais patience, douceur, et maîtrise de soi Ces trois médecins, posent, enfin, la problématique de la valeur des diplômes délivrés dans les H.P. par rapport à celle du D.E.. Ils considèrent que la formation « Croix-rouge » n’est pas adaptée en l’état, pour des soins en psychiatrie, « chacun est ainsi amené à reconnaître d’autant plus grands les mérites des infirmières qui échappent à cette déformation ».

En psychiatrie, l’élève doit être formé d’abord sur le terrain, par des moniteurs de stages (cadres du personnel) dans un cursus composé d’une première année commune à toutes les écoles, une deuxième année rattachée à l’école spécialisée et une troisième année entièrement consacrée à la spécialité. En conclusion, ils affirment que les écoles d’infirmières en psychiatrie ne doivent pas copier celles des hôpitaux généraux. « Nous pensons qu’il s’agit de réalisations sans avenir, susceptibles au contraire d’entraver le développement des écoles de niveau technique très supérieur que nous souhaitons ».

Même numéro, article de Deshaies sur la sélection psychologique des infirmiers : le profil dont nous parlions plus haut est défini : « l’intelligence, la finesse intuitive, la pondération, la patience, la douceur, la maîtrise de soi, la facilité et la souplesse du contact inter-psychologique, l’initiative, le dévouement sont autant de qualités désirables ». Les différentes tâches pour lesquelles ils doivent être recrutés sont également détaillées : soins ménagers, physiques, psychiques, définis en ces termes : « surveillance, observation, activité thérapeutique élémentaire, activité réadaptative ». En synthèse, il préconise que la sélection psychologique des infirmiers soit effectuée par le biais de « cribles » multiples (niveau scolaire, tests … ), en deux étapes : le recrutement proprement dit, puis par l’observation du comportement du jeune sur le terrain de stage, le recours aux tests systématiques ne lui paraissant pas justifié. Le bon choix : se reconnaître volontairement des limites raisonnables

Dans un numéro ultérieur, Veil demande à ce que la sélection des infirmiers ne soit pas dévolue uniquement aux psychiatres même si, en vérité, « comme tout chef de service, et non sans excellentes et pertinentes raisons, le médecin-chef préfère choisir lui-même ses collaborateurs et supporte mal qu’on les lui impose – mais son autorité n’a nullement à souffrir de se reconnaître volontairement des limites raisonnables ». Pour lui, au contraire, l’examen psychotechnique des candidats infirmiers serait, de ce fait, hautement souhaitable.

Les psychologues : rapport d’auxiliaire ou d’égal à égal ? La commission des Maladies Mentales du 26 février 1952 statuera sur les rapports de collaboration qui peuvent exister entre psychiatres et psychologues : rapport d’auxiliaire ou d’égal à égal. L’ordre du jour de la séance suivante (mars 1952) sera consacré aux droits des malades. Peuvent-ils ou non faire appel aux tribunaux ? De nombreux psychiatres progressistes y sont favorables.

De son côté, G. Daumézon indique qu’il ne pourrait y avoir d’inconvénients à ce que, soit dans le Code Civil, soit dans la Constitution, figurât un article ainsi rédigé : « Tout sujet qui se voit privé de sa liberté pour maladie mentale ou pour toute autre cause, pourra faire appel aux tribunaux ».

Le numéro de décembre 1952 reproduit, in extenso la circulaire 148 qui définit le fonctionnement des H.P. Le Ministre rappelle qu’il lui parait utile que les directeurs départementaux de la Santé soient appelés, à titre consultatif, à assister aux commissions administratives et de surveillance, que les expertises effectuées pour les patients en Placement d’Office ne le soient pas par le médecin qui devra rédiger les certificats de 24 heures et de quinzaine, qu’il tient à ce que le terme d’asile d’aliénés soit rayé de la terminologie en usage, que l’uniforme des gardiens soit supprimé, que le personnel infirmier ait une attitude humaine avec les malades, que des mesures soient prises pour assurer un minimum de confort, d’hygiène aux différents pavillons des H.P., que les malades puissent manger chaud à tous les repas, qu’ils soient habillés décemment, qu’ils puissent conserver leur alliance et leurs vêtements personnels, que les femmes mariées hospitalisées soient appelées par leur nom de femme. Il demande, également, un nombre d’infirmiers suffisant dans les service : un pour dix ou pour quinze dans le cas de malades chroniques. Enfin, il désire être informé, semestriellement et annuellement, du fonctionnement des établissements psychiatriques. Les directeurs respectifs devront donc transmettre un rapport administratif et médical. En annexe, est joint un modèle type de budget qui doit permettre « un contrôle sérieux de la gestion financière et comptable des établissement psychiatriques ».

…Que l’uniforme des gardiens soit supprimé

Le 24 février 1953, le plan quinquénnal d’équipement sanitaire est discuté à la Commission des Maladies Mentales. Ce plan dresse le bilan d’une augmentation de la population hospitalisée, du développement de l’alcoolisme, du vieillissement de la population nécessitant « de conserver en annexe d’hôpitaux Psychiatriques ou de créer dans des hospices déjà existants, des unités de soins spécialisées dans l’accueil de cette catégorie de malades (principalement pour les femmes). Ces services pourraient être dotés d’un personnel médical et soignant spécialisé moindre que celui affecté aux Hôpitaux Psychiatriques et, par conséquent, un prix de journée inférieur à celui des Hôpitaux Psychiatriques pourrait y être pratiqué ».

Le 29 mai 1953, un arrêté vient valider les diplômes de formation professionnelle délivrés par 65 hôpitaux. Le 7 juillet de la même année une circulaire crée le diplôme d’infirmiers ou d’infirmières des H.P.

Novembre 1953 – Editorial de G. Daumézon. L’été 1953 ayant été marqué par des grèves dans le secteur public, le secrétaire général pose le problème de la solidarité vis-à-vis des mouvements de revendication. Le conseil syndical, consulté sur cette solidarité, se prononce nettement pour une abstention. Trois psychiatres se montrent favorables pour témoigner leur soutien aux luttes populaires. Les arguments avancés par les abstentionnistes sont les suivants : les chefs de service, directeurs des établissements doivent être solidaires avec l’autorité ; « dans la mesure où l’action entreprise (par d’autres) prend l’allure d’un désordre non toléré par le pouvoir, nous, chefs de service ou directeurs, ne pouvons marquer notre approbation ».

Nos intérêts sont différents de ceux des masses revendicatives. Nous ne devons agir que si nos intérêts de médecins des H.P. sont menacés. Etre solidaires ne nous rapporterait rien de la part du prolétariat, à l’égard duquel nous apparaissons comme des patrons.

Encore l’ombre des camps

G. Daumézon, pour élargir le débat au sein du Syndicat, développe une analyse vis-à-vis de laquelle il demande à ses pairs de se positionner : « La défense de l’homme est indivisible ». Huit ans après l’ouverture des camps de concentration, les psychiatres se doivent de regarder la réalité en face : les conditions de soins du malade mental n’ont fait que régresser. Dans ce contexte, il pense qu’ils doivent être solidaires avec ceux qui souhaitent améliorer les conditions de vie dans les H.P. Leur engagement, ou leur refus, signera la façon dont ils assument leur fonction. Dans les pages qui suivent, l’Information Psychiatrique reproduit un article d’un médecin, le Docteur Laroze, paru dans Le Concours médical du 10 octobre 1953 qui s’intitule « Médecins et grèves ». Ce dernier commente un texte publié dans Le courrier de Saône-et-Loire du 13 août 1953. Voilà le texte et son commentaire : « Le Docteur G. F… informe son aimable et assidue clientèle que pendant toute la durée de la grève, il ne recevra en consultation aucun membre des PTT, de la SNCF, ni aucun employé de la fonction publique dont l’administration participe à la grève suicide actuelle. Prière de ne pas insister ».

Le Docteur Laroze tente, tout d’abord, de dédramatiser : « Il est fort probable que notre confrère, sa colère calmée, n’aura rejeté aucun appel, même émanant d’un gréviste, et sans qu’il ait été nécessaire d’insister ». Il poursuit en précisant, cependant, que l’attitude de ce psychiatre est sûrement cautionnée par bon nombre de ses confrères : « Nous avons trop spontanément tendance à nous ranger du côté des patrons et non des ouvriers, des possédants et non des prolétaires, du côté des forts et non des faibles, alors que nous ne sommes ni patrons, ni possédants, ni forts. Nous nous rendons compte, un peu plus chaque jour, que nous sommes exploités, et nous ne manquons pas une occasion de nous en lamenter, mais nous conservons précieusement un complexe de bourgeois ». Or, poursuit-il, méfions nous. Certains sont convaincus d’appartenir à la classe dirigeante du pays, à « l’intelligentsia ». En réalité, nous sommes isolés dans le corps social, « seules les couches sociales les plus modestes et les moins fortunées nous considèrent comme des bourgeois », seules ces classes nous considèrent comme « solidaires de la classe d’un patronat qu’ils combattent ». Dans les faits, il n’existe aucune solidarité entre le corps médical et les véritables classes dirigeantes du pays. Le médecin est même considéré par le patronat d’abord comme un salarié en puissance « dont on peut acheter la capacité de travail, et au meilleur prix ». C’est ainsi que dans les conseils d’administration des Caisses de Sécurité Sociale, les employeurs s’emploient à réduire les honoraires.

Seuls les moins fortunés nous considèrent comme des bourgeois

En conclusion, dit-il, trop de ses confrères n’ont aucune conscience de la place qu’ils occupent au sein des rapports sociaux.

Ce ne sont ni la quête de monopoles médicaux auprès des employeurs, ni les flagorneries auprès des puissants du jour qui nous permettront d’obtenir l’adhésion de nos alliés naturels. C’est essentiellement par des contacts directs avec les représentants syndicaux des différentes catégories de travailleurs que nous pourrons exposer et faire accepter nos buts. Certains ont pensé que les Syndicats médicaux auraient gagné à s’affilier directement aux grandes Centrales syndicales ouvrières pour pouvoir, précisément, établir de tels contacts. Cette solution risque, cependant, d’entraîner un éclatement des Syndicats déjà existants, éclatement préjudiciable à nos intérêts en raison de notre petit nombre et de notre dispersion. Mais sans jouer les apprentis sorciers, et en partant de situations déjà existantes, il doit être possible au syndicalisme médical de retrouver des forces en reprenant, tel Atlas, contact avec la terre, – soit en l’occurrence – avec l’ensemble des malades.

1953 : premier plaidoyer pour le service ouvert Dans les dernières pages de l’Information Psychiatrique de 1953, quatre psychiatres dont H. Torrubia et L. Le Guillant font le point sur l’évolution de 100 entrantes dans un service fermé de la Seine (pp. 252 à 264).

Premier constat : de plus en plus de psychotiques peuvent être pris en charge dans des services ouverts, ce qui implique que les établissements psychiatriques de la Seine seront, d’ici quelques années « les dépotoirs des grands arriérés, des séniles, des médico-légaux et des chroniques : mi-hospices, mi-garderies, mi-prisons ». Deuxième constat : le dispositif de la loi de 1838 est considéré comme totalement inadéquat « aux nécessités techniques comme aux conditions plus générales, morales et sociales, de la thérapeutique psychiatrique ». Troisième constat : le placement libre répond aux besoins de l’immense majorité des malades hospitalisés. Il faut d’ailleurs remarquer qu’à Amsterdam, aucun internement n’était imposé par la contrainte.

Quatrième constat : l’H.P. est, de plus en plus, en décalage avec la vie, « enfermé dans ses propres murs, ses règlements et ses habitudes, immobile et pétrifié ». Cette réalité, à laquelle il faut rajouter l’insuffisance numérique du personnel infirmier et la réduction des possibilités technologique, induit un rejet et une crainte de la part du public (malades et familles) qui va ailleurs chercher des prestations de meilleure qualité. « Le caractère de classe de l’H.P. ne cesse de s’accentuer ». Les conséquences en seront une fuite des compétences vers l’extérieur. Avant d’énoncer quelques propositions, leur jugement tombe comme un couperet : « le traitement des malades mentaux dans des ‘établissements régis par la loi de 1838′ est dépassé historiquement. Toute la psychiatrie vivante se fait ou se fera de plus en plus dans un autre système médical, social, juridique et administratif ».

Modifier les conceptions passéistes

Il faut modifier l’état d’esprit de bon nombre de psychiatres dont les conceptions sont bien souvent passéistes, créer des lits de psychiatrie dans des structures recevant des malades de médecine générale, supprimer la tutelle de la loi de 1838 pour les H.P., réunir en un seul corps les psychiatres des hôpitaux installés en libéral et ceux du cadre des H.P., que les psychiatres en exercice innovent le plus possibles dans le cadre existant, en matière d’alternative à l’hospitalisation, qu’ils luttent pour de meilleures conditions matérielles, en personnel… qu’ils sachent également « se vendre » en démontrant l’efficacité de leurs pratiques par l’augmentation des sorties de malades. Février 1954. Devant l’état de la psychiatrie, dit G. Daumézon, deux attitudes pour le syndicat sont possibles : le sauve-qui-peut ou la lutte dans la solidarité. La première solution est corporatiste et c’est pour G. Daumézon, amer, l’orientation malheureuse qu’a pris le syndicat. Qu’en est-il des volontés originelles ? Si nous regardons, un peu superficiellement, l’évolution de notre Syndicat, les votes des assemblées générales de ces derniers temps, nous pouvons être amenés à penser que telle est la base d’union de notre cadre.

Depuis 1945, l’équipe du conseil syndical qu’il dirige a toujours travaillé dans le sens des intérêts des médecins et, au-delà, du malade. Or, le militantisme n’est plus là, les divergences de fond, dit-il, sont permanentes. « Notre syndicat ne peut être une société d’assurance limitée aux petits risques individuels ». Le syndicat, poursuit-il, doit sortir de la routine. En conséquence, le conseil dans son entier démissionnera en mai 1954.

Le militantisme n’est plus là

Dans ce même numéro, Oulès affirme l’importance des qualités personnelles de ceux qui sont au contact des malades : assistantes sociales, infirmiers,… Il apparaît élogieux pour ces derniers : formés au contact quotidien et permanent du malade dans l’ensemble de ses conduites, ayant acquis une connaissance empirique et (si on les y aide) réfléchie de ses modalités réactionnelles, ayant appris à s’attacher à un individu ou à un cas au cours des thérapeutiques médicales et de choc, ils sont seuls à même d’utiliser ces connaissances pour la rééducation. Ils ne sont plus des gardiens, « un bon infirmier suit le malade de l’insuline à l’atelier, il sait qu’il doit poser ses seringues et quitter sa blouse pour continuer son travail, que ses 8 heures de présence correspondent à des fonctions allant de la discipline au jeu ». En conséquence, dit-il, l’ergothérapie est un travail qui concerne, en tout premier lieu, l’infirmier.

Un bon infirmier…

Paul Bernard fait, ensuite, le point sur la situation des infirmiers en Angleterre et en Ecosse. Leurs conditions sont fondamentalement différentes : sélection, formation technique, niveau de vie, situation sociale sont nettement supérieures à ce que l’on connaît en France. L’infirmier y écrit beaucoup plus : en France, 2 ou 3 manuels d’infirmiers rédigés par des médecins, en Angleterre, une centaine, produits par l’infirmier lui-même. « Quels sont les infirmiers ou infirmières de nos hôpitaux qui auraient la culture suffisante pour rédiger un manuel ? ». Enfin, l’infirmier anglais possède une structure propre de gestion de sa profession qui assure le contrôle des pratiques infirmières. « Ce n’est plus un travailleur instruit passivement par le cours d’un médecin mais un technicien qui élabore sa propre technique, sa propre formation, et marque ainsi l’avènement de sa majorité ». Publication des débats du parlement du 14 décembre 1953. Un député interpelle le ministre au sujet d’une affaire de contention d’un malade à l’hôpital de Bastia, « attaché par des chaînes au sol ». Suivra le vote du budget au cours duquel on s’inquiétera de l’augmentation des hospitalisations : 75 000 en 1948, 100 000 en 1953 (la cause indirecte évoquée est toujours l’alcoolisme) et du nombre limité de lits : 60 à 70 000. La gauche demandera que le budget soit véritablement augmenté sous peine de condamner des dizaines de milliers de français à la mort psychique. Elle exigera, également, que l’Etat réfléchisse sérieusement au problème de l’alcoolisme, et que la prévention et la réadaptation des malades mentaux fassent l’objet d’une loi. Elle sera très critique vis-à-vis de la gestion étatique centralisée : « que votre administration centrale abandonne sa volonté aveugle de tout régenter sans tenir compte du cadre et de l’ambiance », ainsi qu’à l’encontre du gouvernement, dans la décision qu’il a prise de placer, sans aucune logique, 80 fillettes d’un Institut Médico-Pédagogique dans des services de psychiatrie adulte, l’intérêt de ces enfants n’ayant été à aucun moment pris en compte.

Les revendications doivent être corporatistes

Mars 1954. Réponse à l’article de G. Daumézon : l’action du syndicat doit-elle être politique ? Non, répond Deshaies. Les propos marxistes de certains ne peuvent être de mise en son sein. « La défense de l’homme relève du citoyen, et non du médecin en tant que tel. Le médecin, même psychiatre, a pour rôle spécifique le traitement du malade et de la maladie, y compris la considération des incidences sociales de cette dernière, mais le « lieu » de pensée et d’action demeure de qualité médicale, non politique ». Les revendications doivent être corporatistes, l’alliance avec les centrales syndicales ne se justifie que si elle a une incidence positive sur le traitement des médecins. Dans le même numéro, un questionnaire-guide est proposé aux lecteurs pour faire le point sur la qualité des prises en charge. Les questions posées (conditions de vie des malades, des personnels ) relèvent aussi d’une interrogation d’ordre politique sur l’état des H.P. : plus de 300 questions (pp. 102 à 117).

De la même façon, l’état des quartiers psychiatriques dépendant de l’Assistance Publique de Marseille dénotent des conditions de travail et de vie propres au sous-prolétariat (questions écrites des députés à l’Assemblée Nationale) : services de 230 malades où les soins sont assurés par 7 agents. Pendant l’hiver, faute de locaux, les malades passent 12 heures dans la cour des pavillons. 32 malades couchent sur des paillasses à même le sol dans l’infirmerie…

Le plan comptable

Avril 1954. L’essentiel de ce numéro est consacré à la conférence faite par Lauzier, médecin-directeur d’un H.P., à l’Ecole nationale de la Santé. L’objet en est la réforme de la comptabilité hospitalière. Que dit-il devant celui qui deviendra la futur directeur général de la santé, le Docteur Aujauleu ? l’heure où l’hôpital perd son caractère d’organisme charitable pour devenir un « producteur, marchand de soins, la question se pose de savoir si une comptabilité commerciale ne fournirait pas, aussi bien aux gestionnaires qu’aux contrôleurs, une information plus exacte, plus rapide et plus complète que celle dont nous pouvons actuellement disposer ».

Ce même médecin vante les réformes en cours en matière de comptabilité hospitalière, en faisant remarquer que la seule différence entre elle et la comptabilité commerciale (dont l’objet est de contrôler les plus et moins-values) se situe dans le fait qu’elle se limite au calcul et à l’analyse des prix de revient par service. La mise en place expérimentale du plan comptable à Dijon et à Prémontré ayant donné satisfaction, c’est donc à l’ensemble des H.P. du territoire qu’il va être appliqué. Son objet : « permettre aux autorités de tutelle d’évaluer, au prix d’un rapide examen, les efforts accomplis par les établissements sur certains points particuliers ».

De petits fonctionnaires ayant épuisé tout espoir de promotion

Editorial de mai 1954 rédigé par le nouveau secrétaire, P. Sivadon. Il fait état :

- d’une démobilisation chez les psychiatres des H.P. Il s’agit de savoir si notre syndicat est un organisme représentatif d’une corporation satisfaite de son état et dont il s’agit de maintenir les traditions et privilèges, ou s’il est l’instrument où viennent se cristalliser nos insatisfactions pour être transmutées en activités rénovatrices ;

- d’un clivage dans les choix professionnels. Que reste-t-il de nous ? De petits fonctionnaires ayant, bien avant la quarantaine, épuisé tout espoir de promotion de classe ou de grade, enfermés dans le dilemme, ou de bien faire leur métier en passant pour indisciplinés, ou d’être de parfaits serviteurs de l’Etat en trahissant leur vocation ;
- d’un rapport de force cependant favorable à un nombre croissant de malades et à la rareté des médecins et de leurs collaborateurs.

Il reste, aussi, que nous sommes cette poignée de techniciens sur lesquels la responsabilité de rendre la dignité d’homme à 100 000 malades dont la société fait des parias. Il reste que nous somme 300 là où nous devrions être 3 000. Il reste que notre technicité nous rend difficilement remplaçables et qu’au moment où la demande psychiatrique s’accroît dans le secteur privé, au moment où plusieurs dizaines de milliers de psychopathes manquent de spécialistes pour les traiter, on peut affirmer que l’administration hospitalière a davantage besoin des psychiatres que les psychiatres n’ont besoin d’elle. Mais on observe, surtout, que la particularisation des rapports sociaux commence son oeuvre « quand on lance une circulaire mettant en cause la structure même du Syndicat et qu’on reçoit quatre réponses ; quand on offre d’adresser gratuitement un document de l’O.M.S. sur l’organisation de l’Hôpital psychiatrique et que six collègues seulement manifestent leur intérêt, on peut se demander si une vague d’indifférence générale n’est pas en train d’anéantir toute possibilité de vie syndicale ».

L’idée d’un syndicalisme « apolitique » est fausse et enfantine

Cet éditorial est suivi d’un article de H. Ey qui trace les grandes orientations politiques du prochain conseil syndical : revendiquer et obtenir un statut décent en rapport avec celui dont disposent les psychiatres privés. « Il est grand temps de faire comprendre aux Pouvoirs Publics quel est notre rôle réel de médecin, quelle est notre véritable fonction ». On retrouve dans les pages suivantes, un article de L. Le Guillant en réponse à l’apolitisme voulu par certains dans l’action syndicale. Pour lui, c’est de l’hypocrisie. « J’ai toujours pensé et dit que l’idée d’un syndicalisme « apolitique » est fausse et même enfantine ; il n’est pas un aspect de notre carrière ou de nos conditions de travail qui ne soit étroitement lié aux problèmes politiques les plus généraux ». Ces prises de positions ont toujours coïncidé avec l’intérêt des malades. C’est, en tout cas, le but poursuivi. A l’opposé, l’apolitisme de certains est jugé comme une attitude de collaboration avec le gouvernement. « Si inféodation et duperie politique existent, c’est bien ici », dans ce comportement, qu’elles sont manifestes.

Où les réunions du personnel peuvent-elles se tenir ?

Suivra la publication d’une réponse du Ministre de la Santé à une question écrite : les réunions du personnel peuvent-elles se tenir dans l’enceinte d’un établissement ? Seules les réunions qui se tiennent dans les locaux régulièrement affectés aux organisations syndicales sont tolérées dans les hôpitaux. Un article de X. Abely, publié dans plusieurs numéros de l’Information Psychiatrique, traite des congés de longue durée chez les fonctionnaires.

Nous ne pouvons, en toute sincérité, qu’avouer à leur sujet notre ignorance pathogénique. Nous avons le devoir de ne pas monter en épingle les faits imprécis qui satisferaient nos conceptions organogénétiques ou psychogénétiques mais dont le caractère hypothétique et conjectural est encore indéniable. En présence des cas concrets que nous offre le problème de l’imputabilité, sachons reconnaître notre impuissance à conclure scientifiquement et n’en faisons pas l’occasion de controverses doctrinales. L’expérience nous a montré qu’en ce qui concerne les causes professionnelles les allégations présentées sont, en règle générale, d’une évidente insuffisance.

Le 27 avril 1954, la Commission des Maladies Mentales est consultée sur le projet d’arrêté préparé par la Direction de l’Hygiène Sociale, portant sur la réorganisation de la formation professionnelle dans les H.P. A cette occasion, Régis demande à ce que les recrutements d’élèves-infirmiers s’effectuent, chaque année, de façon régulière.

Pour la création d’écoles d’infirmiers

G. Daumézon et L. Le Guillant souhaitent la création d’écoles d’infirmiers dans les H.P. La discussion se développe, ensuite, autour des difficultés qui se posent pour des jeunes en formation (il leur faut du temps pour apprendre) et qui doivent effectuer des tâches quotidiennes lourdes. Puis, le salaire des élèves est évoqué : le principe de bourses ne pourra donner des résultats satisfaisants. Le temps d’enseignement devant être au moins de 15 heures sur les 45 heures hebdomadaires (selon L. Bonnafé). Le Docteur Aujaleu, directeur de l’Hygiène Sociale, pense que, dans ce cas, le principe du salariat sera refusé par le Ministère des Finances.

Le nouveau Secrétaire National, P. Sivadon demande qu’une place de professeur soit laissée à des infirmiers, surveillants, internes… Avant que la séance ne soit levée, il « fait connaître qu’il a été avisé d’un projet tendant à utiliser, pour créer un H. P., les ruines de baraquements d’un camp de prisonniers dans la région d’Oran ».

Rapport O.M.S. sur l’hôpital Psychiatrique Public. Deux pages y sont consacrées à l’infirmier psychiatrique. On dit qu’il est un agent capable d’agir seul, d’être thérapeutique, mais que cela est directement lié à sa formation et à la place qu’on lui laisse. Sa véritable zone de compétences : éveiller l’initiative chez « ses » malades et les aider à re-trouver leur personnalité et leur indépendance, surtout dans les activités extra-hospitalières, exige qu’il comprenne les relations qu’il entretient avec les individus et les groupes : le soin infirmier est donc un soin intellectuel.

Lever une hypocrisie

Dans le numéro de juillet 1954, débutera une controverse qui va durer plusieurs mois et provoquer des clivages importants au sein du syndicat : faut-il ou non sanctionner les comportements antisociaux des malades ? C’est un médecin-chef de Lannemezan, Ueberschlag, qui induit ce débat. Pour lui, on doit lever l’hypocrisie qui règne dans les services médicaux. Que fait-on en effet, dans une unité de soins, lorsque les malades vivent les traitements comme d’une répression ? Lorsque tel médecin ordonne d’isoler, d’attacher ou de transférer un malade, n’est-ce pas, tout autant, une sanction que la « salle de police » qu’il a instituée dans son service et qui est garante de l’ordre et de la tranquillité dans un pavillon ? De plus, précise-t-il, « notre salle de police n’a que deux places pour un effectif de 500 pensionnaires, et la moitié du temps, elle est vide ». En posant ce problème, il souhaite que ses pairs n’oublient pas les confidences spontanées de nombreux malades qui jettent un jour nouveau sur la signification profonde des traitements appliqués. « En effet, il semble que nombreux sont ceux qui, au moment du choc cardiazol ou de l’électrochoc, éprouvent une douleur et une angoisse indicible ; nombreux encore sont ceux pour qui la cure de Sackel est un affreux supplice ou qui n’acceptent qu’à contre-coeur les injections d’air, d’ailleurs toujours douloureuses dans le canal rachidien, ou de produits destinés à provoquer de la fièvre, etc.. Pour notre part, nous avons vu des malades s’évader ou tenter de s’évader pour échapper à des traitement que le psychiatre généralement leur impose non seulement sans solliciter leur avis mais nettement contre leur gré ».

Finalement, précise-t-il, « si nous posons ces questions, ce n’est pas seulement dans un esprit de vérité et de justice – car nous ne sommes point philosophes, nous sommes médecins – mais pour que nos malades soient enfin traités dans la dignité et sans hypocrisie, pour que, dans la mesure du possible, on sauvegarde leur responsabilité, afin de leur rendre leur personnalité ».

…et sanctionner les malades

Enfin, reconnaître qu’au-delà du comportement pathologique, le malade doit rendre des comptes par rapport à la loi du service, c’est l’admettre comme une personne, « un pauvre malade qui essaie de remonter la pente vers l’équilibre social, soutenu par son médecin, comme l’enfant qui, soutenu par son père, essaie de devenir un citoyen ». Ce numéro présente, ensuite, un compte-rendu d’une affaire de diffamation. Deux journalistes sont condamnés par la Cour de Cassation pour avoir raconté dans leur journal Franc-Tireur le peu d’attention manifestée par un psychiatre vis-à-vis des revendications de familles se plaignant des coups donnés par les infirmiers, « qu’il avait toléré, sinon autorisé la pratique, par les infirmiers placés sous ses ordres, de violences envers les malades et d’avoir maintenu des internements arbitraires ». 2 septembre 1954. Un débat officialise et clôt la polémique née du remplacement des médecins-directeurs par des administratifs. La loi autorise, désormais, cette gestion à tous les H.P. de plus de 1000 lits. Une relation étroite entre salle de police et système de travail ?

L’Information Psychiatrique de décembre 1954, Follin et Balier répondent à Ueberschlag : ses théories posent le problème du soin au malade mental sous l’angle de la rééducation. Pour eux, le soin ne peut se concevoir qu’en terme de réadaptation. Ils s’opposent, de fait, au travail des malades, que sous-tend le soin rééducatif, c’est de l’exploitation, le pécule est ridiculement bas. Finalement les malades « payent ce qui leur est dû ». L’article s’achève de façon très critique : « en définitive, il parait qu’il y a une relation étroite entre salle de police, punitions diverses et en général jugement et sanctions de caractère pénal et ce système de travail qui, malgré les déclarations emphatiques fait dans la pratique assez bon marché de la personne du malade ».

Le dernier article de fond de l’année 1954 est rédigé par P. Sivadon : « Faut-il supprimer la loi de 1838 sur les aliénés ? ». Il est très critique « le rituel de l’internement a pour fonction essentielle, dans la société, de consacrer l’état d’aliénation bien avant que de protéger les droits de l’individu ».

Il se positionne contre une loi spéciale pour les malades mentaux. La grande majorité peut être traitée sous le même régime que les autres malades, ce que quelques années auparavant ses pairs avaient déjà constaté. Si une loi doit être rédigée, elle doit permettre de traiter un malade inconscient ou dangereux pour la société et non consentant : soit une mesure de tutelle médicale, ou d’aider ou suppléer dans la gestion de leurs biens les malades partiellement ou totalement inaptes à cette gestion, soit une mesure de tutelle civile. Quant à la loi de juin 1838 : « conservons-la et laissons aux Préfets et à quelques médecins attardés de décider si tel ou tel est, ou non, atteint d’aliénation mentale ».

Sous des dehors d’amabilité, un complexe anti-blanc… 1955. Le premier numéro de l’Information Psychiatrique est, tout entier, consacré à la psychiatrie d’Outre-Mer. Différents constats : la dépression est rare chez les indigènes vivant dans leur milieu de vie habituel. Elle augmente, de façon importante, chez les sujets transplantés. Le système éducatif conditionne « largement la résistance psychique ultérieure du sujet continuant à vivre dans le groupe d’origine ». Cette psychiatrie connaît des conditions matérielles déplorables ainsi que des difficultés de communication, de compréhension, liées à des cultures différentes et à une grille de lecture construite ailleurs. Elle est confrontée à des rapports de classes parfois difficiles.

Une situation de fait attristante : c’est l’existence chez l’autochtone d’un complexe anti-blanc – sous des dehors d’amabilité coutumière, voire d’obséquiosité, alors même qu’on l’aborde « le coeur sur la main ». Il n’y a pas à se dissimuler qu’il existe là une grosse difficulté, quasi irréductible, qui boycotte systématiquement le « métropolitain » et qui doit tenir, elle-même, à l’existence d’un complexe d’infériorité – supériorité, et en définitive à un niveau mental général peu élevé. Il existe, heureusement, quelques exceptions rares. Mais elles confirment la règle…

Janvier 1955. C’est aussi le premier numéro de Vie collective et traitement, qui est un bulletin ronéotypé du personnel des établissements de soins pour malades mentaux, dirigé par G. Daumézon et Madame Le Guillant, édité par les Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active. Il a pour but de donner aux infirmiers des informations sur les méthodes éducatives employées, aujourd’hui, avec succès dans la réadaptation des malades mentaux, et sur les nouvelles thérapeutiques psychiatriques. Une rubrique sur la vie collective essaiera d’analyser les conditions de vie quotidienne des malades : comment améliorer l’atmosphère des repas, des soirées, l’accueil des malades, etc.

Dans cette première partie, les infirmiers pourront, dans de brefs comptes-rendus d’expériences, témoigner des transformations auxquelles il ont participé dans la vie de leur pavillon ou d’un service, de leurs initiatives, de leurs difficultés et de leurs réussites. Une seconde partie réservée aux traitements donne quelques conseils pratiques sur les soins, les thérapeutiques nouvelles.

L’hôpital psychiatrique doit être dirigé par un psychiatre Mars 1955 : le Docteur Ueberschlag réagit aux propos tenus dans une circulaire rédigée par l’association des directeurs administratifs des H.P. : à l’encontre de tous les constats effectués sur les effets positifs de la limitation du nombre de lits par H.P., ces derniers argumentent et justifient les normes supérieures qui obligent à la création de postes de directeurs administratifs. La loi l’autorise, rappelons-le, pour les H.P. supérieures à 1000 lits.

« Je trouve déplacé que des directeurs administratifs – et cette démarche suffit à juger de l’opportunité de les maintenir en place à la tête d’hôpitaux hautement spécialisés comme les hôpitaux psychiatriques – s’arrogent le droit de décider de la forme que doit prendre l’hôpital psychiatrique pour le grand bien des malades et en décidant, contrairement à l’avis de techniciens médicaux éprouvés, et cela uniquement pour maintenir leur prérogative périmée ».

La réaction du Conseil syndical va dans le même sens : « De même que les crédits du réseau routier sont confiés à un technicien, l’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, que les crédits de l’enseignement sont confiés à l’Inspecteur d’Académie, que le lycée est dirigé par un Proviseur et non par un économe, l’hôpital psychiatrique doit être dirigé par un psychiatre ». Un univers concentrationnaire qui décourage le dévouement Comme les années précédentes, les débats de l’Assemblée Nationale sont critiques vis-à-vis du budget et des orientations du Ministère de la Santé : quand et comment va-t-on réduire « l’augmentation des malades parqués dans un univers concentrationnaire par le surpeuplement, qui décourage le dévouement, la patience des médecins et des infirmiers ».

Devant l’incurie du gouvernement, un député propose la création de cliniques à la gestion autonome qui ne devraient rien « coûter à l’Etat, aux départements ou à la collectivité qui a acheté et équipé la maison… par la concurrence et la compétition que développerait une formule de cet ordre, il semble qu’on puisse contribuer utilement au renouveau de la psychiatrie française ». Le problème de l’alcoolisme est, ensuite, abordé ainsi que celui du lobby des bouilleurs de cru. L’intérêt des Placements Familiaux l’est également, non pas dans leur dimension thérapeutique mais bien parce qu’ils permettent de libérer des lits (il en manque 40 000).


La vie dans les hôpitaux psychiatriques de 1947 à 1959 – Troisième partie : 1955-1956 Tout le monde sait et nous ne le crions pas sur les toits

Un député, de gauche, Madame François, interpelle le gouvernement sur ce qu’elle pense être les véritables causes de la maladie mentale.

Pour lutter contre ce fléau qu’est l’alcoolisme, il faut s’attaquer aux causes sociales. « Vous vous attaquez aux effets en ignorant les causes. Quelles sont ces causes, sinon la misère effroyable qui règne actuellement et que vous ne pouvez nier, les conditions de vie difficiles, les cadences accélérées de travail pour les ouvriers, les taudis, les logements trop petits où s’entassent des familles entières, le manque de loisirs aussi bien à la ville qu’à la campagne ? Si vous voulez lutter efficacement contre l’alcoolisme, il faut, non pas reprendre une loi de Pétain de 1941, mais faire une politique de logements sains, clairs, une politique de reconstruction, facteur indispensable de lutte contre l’alcoolisme, organiser des distractions saines tant à la ville qu’à la campagne, assurer la sécurité du travail avec des salaires décents, en un mot faire la politique sociale que vous ne pratiquez pas actuellement ».

Avril 1955 : Trois psychiatres proposent leur expérience de l’utilisation de fiches perforées pour « classement et statistiques dans un service d’H.P. ». Pour eux, la qualité du système viendra finalement de « la précision des informations », qu’il s’agisse de noms, d’âge, des traitements ou des diagnostics.

Tout le monde sait et nous ne le crions pas sur les toits

Dans les pages suivantes, le résumé d’un article de Jayle est présenté sur « le drame hospitalier français ». Il pose, avant tout, le problème de la mise sous tutelle administrative des psychiatres. Voici les propos introductifs à cet article : « Les grand journaux médicaux dans leur partie professionnelle se contentent, d’ordinaire, en matière d’organisation hospitalière de reproduire les déclarations officielles des représentants des pouvoirs publics ou des organisations syndicales. Si bien que, pour le lecteur, on peut croire souvent que tout est pour le mieux dans l’hôpital où médecins et administrateurs concourent harmonieusement aux soins du malades.

Nous savons bien qu’il n’en est rien et nous sommes fort étonnés d’être les seuls à le dire ; lorsque certains d’entre nous dans ESPRIT en décembre 1952 ont crié au scandale de la vie du malade mental, un très éminent confrère éditorialiste du Concours Médical nous rappela à la bienséance. « Mais il en est ainsi pour tous hospitalisés. Tout le monde sait et nous ne le crions pas sur les toits » nous dit-il ».

L’éditorial du numéro de mai 1955 souligne les mêmes conflits de pouvoir entre médecins et administration centrale, concernant la direction des H.P. encore la défense de « nos malades ». Pour le conseil syndical, les établissements deviennent des « asiles pour les anciens préfets ». Oulès dresse, ensuite, une liste des principales références bibliographiques concernant les infirmiers, toutes le fruit de psychiatres. Oulès en profite pour définir le profil qu’il souhaite de l’infirmier :

« Ce que nous désirons n’est pas seulement l’élimination des personnalités psychopathiques, mais surtout ici aussi un « classement » des meilleurs, des sujets qui manifesteront un esprit inventif, de l’initiative, de la méthode, qui pourront passer des activités manuelles à l’observation clinique, qui auront du « contact ». Il appartient aux psychotechniciens de nous fournir les moyens de mettre en valeur ces critères. La tâche ne paraît pas insurmontable ».

Mai 1955 : promulgation d’un décret portant statut général du personnel des établissements d’hospitalisation, de soins et de cure publics, qui demeure valide.

Le compte-rendu d’un voyage d’études en Angleterre donne l’occasion à Ueberschlag de décrire l’organisation psychiatrique d’outre-Manche, bâtie à partir de structures intermédiaires, qui ne verront le jour que beaucoup plus tard en France.

Juillet 1955 : un arrêté du 28 de ce mois porte réorganisation de la formation professionnelle du personnel soignant des H.P. L’organisation générale de la scolarité est à la charge d’un médecin, les cours sont confiés à des médecins-directeurs, directeurs, médecins chefs, pharmaciens ou secrétaires de direction. Ils peuvent, cependant, être effectués par des infirmières, directrices ou à des monitrices d’écoles d’infirmières, mais on ne sait pas quel contenu ces dernières ont à traiter.

Des psychiatres ne supportant pas la tutelle administrative

Dans les dernières pages de l’Information Psychiatrique de 1955, deux faits apparaissent marquants :

- le premier, c’est la réponse de l’association des Directeurs administratifs des H.P. aux propos de Ueberschlag. Elle est cinglante : ce médecin est un irresponsable, qui avance des supputations diffamatoires lorsqu’il parle de combines, de manoeuvres, d’hypocrisie. Ce que révèle selon eux le courrier de ce médecin, c’est surtout un « crime de lèse-majesté » les psychiatres ne supportant pas une tutelle administrative,

- le second, c’est l’apparition d’un « billet d’humour » d’un certain Katatonos : « MAUX CROISES ». Il y tient des propos caustiques à l’encontre du système de santé français où le patient est un administré avant que d’être un malade, système qui crée des conformistes, « anciens bons élèves, qui appliquent pendant 40 ans ce qu’ils ont appris à l’âge de 25 ans », qui vise systématiquement la défense des intérêts acquis, qui produit des malades que souvent on n’arrive pas à faire entrer dans les cases, où dont les handicaps physiques, psychiques… ne sont plus en adéquation avec le niveau social que d’aucuns souhaiteraient voir dans les établissements. En conséquence, il faut rectifier les conditions de l’internement et refuser :

1° les malades dépourvus du certificat d’études primaires (de quoi auraient-ils l’air à côté d’infirmiers bacheliers ?) ;

2° les malades pourvus d’habitudes vicieuses, consistant à injurier, crier, casser les carreaux, uriner au lit, se suicider, etc.. (Ne faut-il pas, avant tout, créer un milieu normal pour le personnel ?) ;

3° les malades atteints d’affections réclamant des traitements médicaux. Seuls seront admis les sujets relevant d’un traitement étiopathogénique par les jeux et travaux. Soulignons l’intérêt de l’activité d’équipe, qui maintient en forme le personnel.

L’aliment de base de tout malade mental, et même des autres

Le mois suivant, même humour noir à propos d’un colloque sur la chlorpromazine qui se moque des discours grandiloquents.

D’heureuses formules sont émises. Par exemple : maladies mentales « à longue évolution » au lieu de « chronique », terme trop concis pour être honnête. Vous voyez l’astuce : plus de « chroniques », seulement des « évolués ». On apprit la guérison de névroses en huit jours pour toujours, à l’instar de certain « coricide ».

Des avares comptèrent à leurs malades le médicament, milligramme par milligramme, des prodigues en distribuèrent par kilos. Tous s’accordèrent à tenir la chlorpromazine pour l’aliment de base de tout malade mental digne de ce nom, et même des autres.

Animé par le sens social dont ne saurait plus être dépourvue toute réunion scientifique, le Colloque unanime proposa aux Pouvoirs publics l’adjonction obligatoire de chlorpromazine dans le pain et le sel pour le plus grand bonheur des peuples, enfin déconnectés d’avec leurs embêtements historiques.

De l’architecture d’oppression à l’architecture de liberté

1956. Le numéro de février est entièrement consacré à l’architecture des H.P. Paul Balvet s’intéresse à cet aspect dans un article intitulé : « De l’architecture d’oppression à l’architecture de liberté ». Il tient des paroles qui se veulent conciliatrices. Plutôt que de dénoncer les conditions oppressives, il veut davantage montrer l’humanisation à l’oeuvre dans les H.P. : « Depuis deux ou trois ans la situation a évolué de telle manière que la dénonciation du caractère oppressif de l’hôpital psychiatrique doit, à mon avis, passer en second plan. Il s’agit, au contraire, pour l’instant de montrer des réalisations ; celles qui sont faites (avec leur critique) et celles qui sont immédiatement possibles. Profitant d’un vent favorable, il faut porter l’effort sur les secteurs avancés ; c’est le meilleur moyen, actuellement, d’apporter aide à certains de nos collègues qui sans cela se décourageraient ».

Plusieurs fois il fera référence à la sexualité comme problématique non posée, facteur de résistance à l’ouverture :

« … ce qui freine l’open-door c’est en grande partie le problème sexuel ; celui-ci prend une importance de plus en plus grande. Il est encore chargé d’interdits qui ne sont pas tous légitimes et il est probable qu’il sortira peu à peu du dilemme dans lequel il se trouve enfermé. Des progrès architecturaux importants en dépendent ». La sexualité comme problématique non posée

Les points sur lesquels il faut agir sont tour à tour évoqués : les clés, les portes, les dortoirs, les jardins, les lumières permanentes la nuit, l’absence de volets : « …dans la Seine, on semble ignorer encore les veilleuses… On éclaire « a giorno » toute la nuit ; alors, il s’agit bien d’un comportement de brimades ». Il conclut en précisant que l’humanisation architecturale doit aller de pair avec le dépassement des Placements d’Office et l’individualisation des traitements biologiques.

Le numéro de mars 1956 traite de la condition d’exercice de la médecine dans le cadre des H.P. Une fois de plus, le problème des conditions de travail et surtout des salaires, plus lucratifs dans le privé, est posé. Dans cette note de mars, le conseil syndical exige un renversement de la situation financière statutaire des médecins dans l’intérêt de l’assistance psychiatrique (les H.P. risquent sinon d’être « boudés »), qu’ils ne soient plus considérés comme « médecins-fonctionnaires », qu’ils aient un complément à leurs traitements administratifs (par le biais d’une clientèle privée) et un complément de salaire sous forme d’une indemnité de rendement financée par la Sécurité Sociale.

Dans les pages qui suivent ces revendications, Beley parle de l’intérêt pour les patients d’utiliser le cinéma à l’H.P. Il souhaite consacrer régulièrement une rubrique à la fonction sociothérapique du cinéma, sans que cela « n’envahisse les pages destinées à la défense de nos intérêts professionnels ».

Mars 1956 toujours. L’Information Psychiatrique publie une partie du compte-rendu qu’a effectué Le Guillant, au sujet d’un voyage en U.R.S.S. au mois d’août 1955 (compte-rendu paru dans Le Concours médical) :

…Le Docteur Le Guillant porta son examen sur l’organisation de sa spécialité. Il a passé trois jours dans un hôpital psychiatrique de la banlieue de Moscou qui ressemble fort à Villejuif. Il y a constaté une organisation médicale vraiment extraordinaire. Pour 1 880 lits, il y a 127 médecins à temps complet, 419 infirmiers, 940 sanitaires divers, alors qu’à Villejuif, pour 2 000 lits, il y a 22 médecins dont quelques-uns à temps partiel, et 619 infirmiers ou personnel soignant. Les moyens de contention non seulement n’existent pas, mais sont même impensables. Dans le nombre d’infirmiers donné ci-dessus on ne compte que 8 hommes, tous les autres membres du personnel étant du sexe féminin. 9000 malades son traités par an dans cet hôpital. La durée moyenne du séjour est de 84 jours. Et l’orateur de décrire le climat de calme et de sérénité qu’il a trouvé dans cet hôpital. Psychothérapie, physiothérapie, ergothérapie (moins répandue qu’en France), cure de sommeil, sont concurremment utilisées. On recourt au silence. On arrive, ainsi, à une atmosphère de repos inconnue des établissements de même nature en France.

A l’occasion du décès d’un psychiatre célèbre, on apprend dans la rubrique nécrologique, que « ce Montaigne de la Psychiatrie » a défriché cette « forêt de ténèbres et de broussailles » et qu’il a participé à l’avènement d’une psychiatrie « scientifique, celle de la clinique claire, des diagnostics précis, des observations détaillées ».

De la salle de police

Le numéro de juin 1956, soit plus de 100 pages, se penche sur la problématique de l’attitude répressive en psychiatrie hospitalière. Il rapporte les débats de fond du 2ème semestre 54 qui ont traversé, suite aux positions de Ueberschlag, l’ensemble du syndicat des psychiatres des H.P. Georges Daumézon pose le problème : choisir ou pas de sanctionner et de réprimer renvoie, directement, à l’image que l’on a du malade ; de plus en plus de psychopathes sont hospitalisés en psychiatrie alors qu’auparavant, ils étaient dirigés vers les prisons. La loi induit elle-même l’ambiguïté, elle qui punit comme des délinquants, des sujets pourtant reconnus malades ; à la sanction – punition, il aurait pu être préféré la sanction économique : « qui casse paye ». Voilà les bases du débat.

Suit un long exposé de Ueberschlag, directement concerné puisque ses méthodes et sa « salle de police » sont à l’origine du débat. Nous résumons puisque nous en avons déjà parlé : si la société hospitalière vise la réinsertion du malade dans la « société normale », il faut appliquer au sein de l’établissement, une loi qui s’apparente à celle en usage à l’extérieur ; méthode préférable selon lui à l’utilisation de la camisole, du gardénal… Le ton à la fin de l’article devient plus agressif :

« Si quelqu’un veut bien nous montrer comment on peut à moindres frais d’efforts, de patience, et d’ingéniosité harassante, refaire d’aliénés asilaires des hommes, nous adopterons ces méthodes. Montrer, avons-nous dit, hic et nunc, et non pas inventer dans des hôpitaux, spacieux, confortables, supérieurement équipés, des malades sages et parfaitement « médicaux » tous promis à la guérison grâce au Progrès et à l’Elimination… des débiles, des vieux, des déments, des grabataires, des médico-légaux, des pervers difficiles, des déficitaires stabilisés et des alcooliques malades dont en outre on taira pas décence les exigences sexuelles, et par complaisance idéologique les conflits moraux ».

Taire par décence les exigences sexuelles

Notons que c’est la première fois que l’on s’inquiète, dans ces lignes, de la sexualité ou des convictions morales des personnes hospitalisées. Ueberschlag est encore plus corrosif dans les lignes qui suivent : « Nous connaissons des Collègues qui en appliquant aux malades des mesures « strictement médicales » consistant à les séparer de leur famille et de tous leurs biens, les priver de leurs droits civiques, les enfermer, les entourer de liens, les plonger dans un coma douloureux, violer leur correspondance et toute leur intimité, les gaver de force, ne tenir aucun compte de leur propos, les faire vomir et leur ouvrir le crâne, ont désormais perdu leur belle assurance « médicale » et se demandent si ce n’est pas là que le Médecin dépasse ses droits parce qu’on ne saurait faire fi de l’interprétation par le malade de ces actes traumatisants ni du jugement de valeur proprement personnel qui les alourdit nécessairement ».

Dans les pages suivantes, un avocat, en référence à la loi, développe l’idée selon laquelle le malade est placé sous une triple protection : autorités disciplinaires administratives, organes disciplinaires de l’Ordre des Médecins et Procureur de la République, il se trouve, en droit, protégé et garanti contre les abus de pouvoir médical.

S’il y en a un qui s’agite ce sera pareil !

La contradiction est présente immédiatement à travers les propos tenus par des infirmiers (qui pour la première fois ont la parole dans l’Information Psychiatrique) : ceux-ci regrettent un médecin-chef nommé ailleurs, qui était de leur côté : « lui, il ne soutenait pas les agités », et qui était prêt à faire respecter la loi. Ils donnent l’exemple d’un électro-choc effectué devant tous les autres malades pour calmer les patients et rétablir l’ordre. « Comme il y avait des murmures, le Docteur a dit : à qui le tour ? s’il y en a un qui s’agite ce sera pareil ! ». Minkowski, lui, défend l’idée selon laquelle le problème des sanctions relève de l’éthique personnelle du médecin et non d’une législation qui ne prendra jamais en compte la particularité de la situation.

« En bref, à partir du moment où nous codifions, où nous couchons sur le papier sous forme d’une formule précise, ce qui dans certaines circonstances et dans un « contexte » déterminé se montre justifié et même utile, nous courons le risque de faire fausse route ».

Un minimum de savoir fait apparaître les conduites punitives comme aberrantes

Bonnafé pose le problème des conditions matérielles : de plus en plus de malades, des locaux qui se sont dégradés… ainsi que celui de la conscientisation de ceux qui son engagés dans une pratique de soins.

« Un minimum de culture acquise chez certains permet une diffusion extrêmement large d’un minimum de savoir et de savoir faire, et au moins, fait apparaître les conduites punitives comme aberrantes, choquantes, ce qui est bien le premier moyen de leur proscription ».

Le débat continue avec Deshaies : le médecin ne doit pas sanctionner en tant que moraliste, juge, … mais il le peut en tant que psychothérapeute, les sanctions sont un moyen et non une fin en soi. Il conclut par une prise de position qui va à l’encontre de la défense du statut de médecin-directeur, l’ancien cheval de bataille, puisqu’il dit :

« Le principe qui consisterait à libérer le plus possible le médecin des entraves administratives en lui laissant la responsabilité de profiter ou non de cette liberté dans sa pratique personnelle, serait acceptable par tous et permettrait, à chacun, d’évoluer selon ses dispositions et sa technique personnelles ». Stven Follin

D’autres interviendront encore, Follin, Oulès. Oury conclura par une idée qui résume assez bien l’esprit des propos de tous ceux qui s’opposent à la notion de sanction :

« Il me semble intéressant de souligner que la punition bouche l’accès au langage, qui est le processus même d’une socialisation concrète et positive, c’est-à-dire d’une désaliénation ».

Juillet 1956. Le professeur Baruk se positionne vis-à-vis de la réforme des H.P., en précisant que les rapports entre directions administratives et psychiatres ne peuvent être que fonctionnels et, en aucune manière, hiérarchiques.

Toujours dans le numéro de juillet, on trouve une position du conseil syndical, il revendique une rémunération pour les médecins qui soit en rapport avec le nombre de malades suivis. Leurs honoraires seraient dans ce cas, calculés à partir du nombre de journées d’hospitalisation et de la cotation des actes médicaux.

Parler en langage médical du problème de l’argent

Les pages suivantes rapportent l’exposé fait, en décembre 1955, par Faure sur le problème de l’argent à l’H.P. Comment parler, en langage médical, du problème de l’argent ? A travers lui, et le travail d’ergothérapie qui le sous-tend, c’est de réapprentissage, de revalorisation, de réadaptation, de profits dont il faut parler, comme à l’extérieur, même s’il s’agit d’un salaire dérisoire.

« A côté de la pauvre petite question du maniement de quelques billets de 100 francs par un malade, ou de la tarification de l’heure de pécule à 2 f 50 ou à 3 f, se pose pour nous, à l’intérieur de l’H.P. comme au dehors, le problème géant de l’Argent dans la société des Hommes ».

* Quels sont les rapports sociaux de production en jeu ?

Les aliénés ne peuvent avoir d’argent à leur disposition « qu’avec l’autorisation du médecin chef du service intéressé » (article 201 du règlement modèle).

Article 171 : « Le médecin chef de service désigne seul les malades qui doivent y prendre part (à l’ergothérapie) et le genre de travail auquel ils peuvent être occupés ».

Article 172 : « Il est interdit d’occuper habituellement les aliénés à des travaux qui consistent exclusivement dans l’emploi de la force musculaire, tels que mise en mouvement des pompes, roues, manèges, et de les confier à des personnes étrangères à l’établissement ».

Comment parle-t-on du salaire ?

Le salaire sera pour eux (les malades) une nécessité de santé… il est sain qu’un individu qui a mis délibérément et librement (même s’il est malade mental) sa « force de travail » au service d’un labeur, reçoive un salaire dont il devient propriétaire.

C’est dire que le travailleur doit pouvoir utiliser librement, ou abandonner librement cette propriété symbolique représentée par l’argent qu’il a gagné ; ou tout au moins se sentir maître de cet objet qu’il aura façonné, pour lui ou pour un autre.

Ce salaire est dérisoire, mais le sentiment de propriété ne s’exerce pas seulement vis-à-vis des objets, mais de l’argent. Ce psychiatre cite d’ailleurs J.P. Sartre : « Arrêtez-vous à une vitrine avec de l’argent en poche : les objets exposés sont déjà plus qu’à moitié à vous ».

Dès lors, dira-t-il en conclusion, que l’on rétablit dans une société de malades internés, le rapport de l’argent,

« on rétablit dans ce système la notion d’une rémunération payée par la collectivité pour les qualités sociales de chacun de ses membres (y compris le travail et les services qu’il rend à tous), cette rémunération devient le signe de la santé, le signe de la disparition des symptômes morbides. C’est dans ce sens que l’argent est ici dans ce petit système social équitable, le symbole de la liberté recouvrée ou en train de se recouvrer. C’est en quoi le travail, l’argent et la sociabilité forment un tout indivisible et essentiellement psychothérapique ».

Ce problème du salaire sera abordé à la séance suivante de la Commission des Maladies Mentales. Les avis divergent sur le rapport ergothérapie/pécule. Si ce dernier devient salaire, ou si certains le souhaitent, le Ministère est clair : il s’y opposera. A la suite des échanges de vues, il apparaît qu’il serait

« théoriquement souhaitable, pour éviter de placer ces malades dans une position infantile, de leur verser un salaire réel. Mais, dans une telle perspective, il conviendrait également d’envisager de leur faire payer leurs frais de séjour. Or, il est difficile de penser, en raison des taux élevés auxquels atteignent les prix de journée en service de malades difficiles, que ces sujets puissent à la fois payer leurs frais de séjour et disposer de sommes leur permettant de couvrir leurs menues dépenses : tabac, journaux, etc. ».

Dans le même numéro l’ouvrage du Docteur Soubiran, « L’île aux fous » est commenté. Ce médecin raconte l’histoire d’un homme interné dans un quartier de Sureté dans des conditions inhumaines. On reproche à l’ouvrage son caractère dénonciateur :

« Une chose sont les personnalités compétentes qu’il faut alarmer, les pouvoirs publics qu’il faut ébranler, une autre le public qu’il faut instruire et éduquer. Et nous craignons que – tout au moins jusqu’à ce que le second volet du diptyque ne paraisse – ce livre n’ait un effet négatif, et soit mal compris, trop senti ».

L’année 1956 s’achève par un article de Ueberschlag ; il brosse un tableau de ce que devrait être une pratique hospitalière sociothérapique. Tout y passe : l’alimentation, les repas, le linge, les vêtements, l’habitat, les activités occupationnelles, récréationnelles, le sommeil,

« Si de jour tout cri, toute agitation et, bien entendu, toute violence constitue une urgence psychiatrique à laquelle on peut dans l’immédiat appliquer le garrot de l’isolement ou le calmant héroïque, il en est ainsi et à plus forte raison, de nuit, puisque non seulement le calme de tous les autres hospitalisés mais leur légitime sommeil est en danger. Le garrot ou le calmant ne dispense évidemment pas de l’intervention raisonnée, concertée et poussée qui guérira l’effet à sa cause même ».

Mais aussi le pécule à propos duquel apparaît, de façon fugitive, un rapport avec la prostitution. « Il faut que ce pécule soit adapté au coût de la vie à l’intérieur de l’établissement : tabac de cantine, vin, dettes de jeu… prostitution ».

Nous avons, ainsi, un discours tenu sur l’intégralité de la vie du malade : ses 8 heures de travail, 8 heures de récréation et 8 heures de sommeil sont codifiées.

Ueberschlag critique, également, le comportement du personnel infirmier. « Par l’indiscipline sous toutes ses formes : malpropreté, paresse, alcoolisme, absentéisme, le personnel nuit immensément à la récupération sociale des malades : il faut le lui faire comprendre. Par la ségrégation de caste aussi, entre personnel et malades d’une part, mais encore entre malades dociles, semi-acceptés, les « médico-sociaux »(de valeur morale plus souvent médiocre) et les répugnants, les gâteux, les chroniques « Ceux-dont-on-se-demande-si-on-ne-ferait-pas-mieux de-les-faire-disparaître », ceux dont on a décidé qu’on n’en ferait jamais rien, et qui offusquent tellement les bonnes gens ».

Un des derniers articles de cette année 1956, est rédigé par quelques collègues dont G. Daumézon. Il relate un travail statistique qui fait le point sur « le fonctionnement de l’appareil psychiatrique du département de la Seine de 1945 à 1955 ».

Leur constat : les caractéristiques intrinsèques de la population asilaire n’ont pas d’effet sur le fonctionnement de l’H.P. Celui-ci fonctionne, point. A l’inverse, la conjoncture politique, par exemple, « où s’inscrit le fonctionnement de l’appareil d’assistance, apparaît influencer très nettement ces modalités d’assistance. Il semblerait donc qu’il faille admettre que, au moins dans le cas particulier de la population et de l’intervalle de temps envisagés, tout se soit passé comme si les établissements psychiatriques considérés, créés pour répondre à certaines nécessités d’assistance, avaient imposé, de par leur type de structure et leurs modalités organiques de fonctionnement, un certain type d’assistance, sans rapport avec les caractéristiques intrinsèques de la population visée, et d’ailleurs variable avec la conjoncture ».

On peut donc dire que l’appareil d’assistance considéré est inefficace aux vues des fonctions qui lui sont assignées ou, plutôt, que lui attribuent les médecins.

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