Paru dans Nervure : Journal de psychiatrie, mars 2004
Disponible à l’adresse : http://www.nervure-psy.com/
* Praticien hospitalier, chef de service, Centre Hospitalier Esquirol, 57 rue du Maréchal Leclerc, 94413 Saint Maurice.
« La violence physique existe, même si ce n’est pas tous les jours, et si ce n’est pas grave »Propos d’un élève
Pour introduire ce sujet je voudrai proposer cette citation de Winnicot qui introduit son article sur l’agressivité et ses rapports avec le développement affectif (1) de la manière suivante : « L’idée maîtresse de cette étude, qui porte sur l’agressivité, est que si la société est menacée ce n’est pas tant à cause du comportement humain que du refoulement chez l’individu de sa propre agressivité ». Parler de la « violence » est un sujet sensible, sa médiatisation entraîne une certaine fascination, à la mesure du phénomène lui-même.
Pourquoi la violence comme forme d’expression aujourd’hui ? Qu’est-ce-que les comportements violents recouvrent comme situation d’un point que nous n’aborderons pas seulement comme clinicien, mais également d’un point de vue sociologique ?
Nous voudrions aussi évoquer le risque de recourir au même terme, de violence, pour désigner des attitudes, des gestes qui désignent, parfois, des violences particulières. Ainsi, il est habituel de parler de la violence en général, et non pas de comportements violents ou agressifs qui peuvent désigner des situations très différentes les unes des autres. Le principal problème lorsqu’on est confronté à la violence est de répondre par la violence.
Peut-on essayer de définir ce terme de violence, et préciser ce qu’il recouvre comme forme de violence en particulier chez l’enfant, et en milieu scolaire pour faciliter la discussion ?
Quand on parle de violence chez l’enfant, comment la définir, et à quoi peut-on la relier du point de vue de son développement, et du point de vue des relations parents/enfants ? Quelles réponses face à la violence ? Peut-on la prévenir ?
On ne peut parler de violence sans aborder un sujet dont on parle aussi beaucoup qui est la violence faite aux enfants par les adultes. J’évoquerai aussi ce qu’on appelle les conduites d’agressions sexuelles à caractère pédophile, celles qui se manifestent au sein de la famille ou en dehors. Quels rôles pour les familles dans ces situations ?
Pour aborder le premier point sur Pourquoi la violence comme forme d’expression aujourd’hui ? Qu’est-ce que les comportements violents recouvrent comme situation d’un point de vue sociologique et clinique ?
Il est assez banal d’évoquer les transformations profondes qu’a connu la société française depuis une cinquantaine d’années. Ces transformations ont profondément marqué l’organisation territoriale, l’habitat, le travail, les communications mais aussi l’organisation familiale. Dans ma pratique, je constate les modifications de la famille (d’un point de vue à la fois structural et qualitatif), par rapport à une certaine tradition antérieure, fréquence des familles recomposées, modification des rapports parents/enfants autrefois marquée par la différenciation des rôles avec une répartition assez précise de la fonction maternelle et du rôle du père. Une autre caractéristique, qui s’est profondément modifiée, est ce que j’appellerai la souplesse au sein des familles. Il est fréquent, à notre époque, de voir des familles fonctionner sur un mode où chaque conflit prend une importance vitale, et peut dégénérer en violence. Dans certaines familles, les gens sont incapables d’accepter le point de vue de l’autre et de manifester de la tolérance.
J’évoquerai, aussi, l’impact de la crise économique et du chômage sur la société et l’organisation familiale. On parle beaucoup d’exclusion, de précarité. Cette situation a un retentissement certain sur les fonctionnements familiaux et imprime un sentiment d’inquiétude, même quand on n’est pas directement concerné. Une enquête récente sur le moral des français montrait le pessimisme face à l’avenir. Tous ces facteurs qui contribuent à entretenir une certaine insécurité, en eux-mêmes, n’induisent pas la violence, mais sont, on le sait bien, des facteurs de risques.
Un autre point concerne le risque de recourir au même terme, de violence, pour désigner des attitudes, des gestes qui désignent parfois des violences particulières.
Lorsqu’on parle de la violence dans les banlieues, on évoque les voitures brûlées, les destructions et la violence à l’école et aux lycées, les agressions comme un tout, alors que les mécanismes et les causes ne peuvent pas tous se ramener aux mêmes conditions.
Il semble urgent d’éviter de désigner comme violence des initiatives, des paroles, des attitudes, des situations qu’on devrait, en toute rigueur, ne pas confondre avec la violence en général. On entend souvent parler de la violence en général pour expliquer la genèse de violences particulières. Même si beaucoup de comportements dans la société sont devenus violents, cela ne suffit pas pour expliquer toutes les formes de violence, et encore moins les excuser. Le risque d’un tel amalgame et d’une extension indéfinie du mot violence, c’est de justifier toute violence par une violence antérieure. Le violent se justifie toujours en disant qu’il ne fait que réagir à une violence qui lui a été faite et qu’il ne pouvait pas faire autre chose que recourir, lui aussi, à la violence. Il est donc important de bien définir la violence et ses caractéristiques.
Peut-on essayer de définir ce terme de violence, et préciser ce qu’il recouvre comme forme de violence en particulier chez l’enfant ? Quand on parle de violence chez l’enfant, comment la définir, et à quoi correspond-elle du point de vue de son développement, et du point de vue des relations parents/enfants ?
L’étymologie du terme de violence (vis en latin qui veut dire la force) et l’un des sens de ce mot dans son usage courant en français, prendre par la force, introduisent d’emblée une des caractéristiques de la violence, son aspect biface. D’un côté, la racine latine infiltre profondément la violence, pour en faire une force pulsionnelle, vitale, qui va donner à Bergeret l’idée de parler de violence fondamentale et, de l’autre côté, le versant de la destructivité recouvre le sens au point de la réduire abusivement à la pulsion de mort freudienne. Littré donne une définition intéressante de la violence : « Qualité de ce qui agit avec force ». La violence est inhérente à la vie. Les pulsions de vie et de mort sont, d’ailleurs, intimement liées. La violence est une possibilité propre à la volonté humaine. Il y a de la force dans l’appétit de vie et dans la pulsionnalité, comme l’exprime Philippe Jeammet. Violence inhérente à la vie et fortement ancrée dans le corps qui, pour se développer, à besoin de manger, d’incorporer et l’incorporation suppose la destruction de ce qu’on mange pour le transformer en nous-même.
Le terme de violence n’appartient pas directement au vocabulaire de psychologie et de psychanalyse de l’enfant. On le trouve surtout chez ceux qui s’occupent d’adolescents, notamment en rapport avec la délinquance juvénile. Dans ce cas la violence est d’abord repérée comme un comportement.
On constate, actuellement, une inflation des références à la violence des adolescents. Mais à côté de la violence agie des adolescents qui est à l’uvre dans la conduite délictueuse peut-on parler de violence dans l’enfance ? J. Bergeret, psychanalyste, parle de violence fondamentale (2) pour évoquer la force pulsionnelle vitale qui permet au bébé d’assurer sa survie. Cette force pulsionnelle vitale peut s’observer chez le bébé chez qui elle est particulièrement à l’uvre. Violence inhérente à la vie et fortement ancrée dans le corps. Dans les premiers mois de la vie de l’enfant quelque chose agit avec force que l’on peut nommer violence potentielle de l’enfant. Au départ le seul but est de rencontrer l’objet d’apaisement de cette tension inhérente à l’enfant (la faim par exemple). Les assises de la future personnalité se développent au cours de la relation entre l’enfant et sa mère. Cette dynamique a été très étudiée par les psychanalystes et psychologues d’enfants. La tendresse de la mère, la présence du père, la manière dont le couple gèrera les frustrations obligatoires et la quête de sensations de l’enfant sont fondamentales. En pathologie, dans le cas de carences relationnelles précoces, l’enfant recherche des sensations physiques douloureuses qui ont, toujours, une dimension autodestructrice. La violence destructrice est souvent le seul moyen pour les enfants caraencés d’arriver à se sentir exister.
Ainsi, pour les psychanalystes la violence est posée d’emblée comme un principe rivé à la vie. Mais alors, comment la canaliser afin d’éviter ses effets dévastateurs ? La violence de l’enfant s’inscrit dans le cadre de la relation avec son environnement qui contribue à organiser son développement. Ainsi s’opère un travail de refoulement et d’inhibition permettant de nouer des relations avec les autres. Ce travail de refoulement chez l’enfant permet aussi de penser à ce qui s’opère chez nous de refoulement vis à vis de nos propres pulsions de destruction. Dans les registres pathologiques, ces refoulements s’opèrent moins et le sujet passe rapidement de l’idée à l’acte agressif. Il est fréquent d’observer, dans certains contextes familiaux, comment les interdits fonctionnent mal et comment l’enfant semble livré à lui-même (3). Dans ce schéma que je propose d’une manière très simplifiée, il y aurait une violence fondamentale partie des instincts de survie, force d’adaptation, qui au contact de l’environnement au sens large, va subir un processus de maturation avec un renoncement à la satisfaction pulsionnelle immédiate.
L’hypothèse que nous ferons, avec d’autres, c’est que la violence chez l’enfant est une réponse à ce qui peut être considéré comme une atteinte de l’estime de soi (ou narcissisme) et une défense contre ce qui est perçu comme une menace sur l’identité (4).
C’est ce que nous observons souvent en clinique chez les jeunes adultes dont nous nous occupons. Le sujet potentiellement violent se sent diminué et menacé face à autrui, menacé dans son identité personnelle. Il y a, dans tout comportement de violence, un sentiment d’auto-défense, ou tentative de faire subir à l’autre ce qu’on a subi soi-même (5). Elle est, aussi, une tentative de maîtrise et de contrôle d’autrui par une mise à distance.
Le coup donné marque apparemment la différence, l’opposition mais, en fait, il témoigne aussi d’une proximité extrême puisque celle-ci va jusqu’au toucher, jusqu’au corps à corps. Sur le plan psychopathologique ce qui semble le plus caractéristique est la propension à la déliaison, la désintrication des pulsions violentes et des pulsions érotiques qui amènent l’émergence d’une agressivité libre (6).
D’ailleurs, les jeux virils, la taquinerie, les coups sont souvent un moyen pour les jeunes de commencer à négocier leur sexualité. La mise en jeu du corps ne correspond pas, simplement, chez l’enfant à du défoulement, il s’agit aussi de tentatives pour exprimer des expériences vécues (à la télé), et de mettre en forme notre perception de soi et du monde (7).
La violence caractérise cette action de l’homme consistant à détruire son semblable ou ce qui lui appartient, ou l’autre à travers son bien. Elle désigne donc, fondamentalement, des actes qui s’inscrivent dans le sensible, voire dans le concret comme les coups. Elle est une atteinte directe à l’intégrité des personnes et elle menace leur vie ou leur santé. Certes, on constate que les statistiques sont faibles par rapport au passé, mais ce qu’on appelle la petite délinquance a beaucoup augmenté ces dernières années (près de la moitié des vols avec violence sont le fait de mineurs).
Dans un dossier sur les jeunes paru dans Le Monde en 1996 à propos des effets de la crise et du chômage, on évoquait le manque de repères des jeunes, l’absence de conscience de classe, de limites. Ils n’ont ni adversaire, ni utopie, ni cause, juste la rage, une haine sans objet. Leur violence est plus imprévisible, plus sauvage qu’auparavent. Mais les jeunes de milieux défavorisés n’ont pas l’exclusivité de la violence, tels ces jeunes adolescents écroués après le meurtre d’une épicière pour « s’offrir un briquet Zippo » (Le Monde du 8-9 mars 1998). Comme le dit Le Monde ces jeunes qui ont déchargé un 357 Magnum sur une commerçante évoluaient « dans un monde virtuel ». Adeptes de jeux vidéo, la réalité allait dépasser la fiction. Cette arme c’était un peu la manette d’une Play station ; presque aussi simple à manipuler.
Ce sujet de la violence et des images, en particulier à la télé, on en parle beaucoup. La projection il y a quelques mois du film de Bertrand Tavernier « L’appat » a déclenché une polémique, parce qu’il était programmé en début de soirée. Ce film prêche contre la violence et montre comment des « adolescents normaux » peuvent basculer dans le crime. Ce qui est fascinant chez ces jeunes, c’est l’absence de culpabilité, le relachement du lien avec autrui. Ces antihéros ne peuvent consommer que des signes ou des images et font preuve d’une étonnante capacité à zapper entre l’innocence et l’horreur, à annuler toute culpabilité. A la télé, mais aussi dans les BD, les contes pour enfants, les enfants sont, sans cesse, confrontés à la violence imaginaire. Chacun choisit dans les images qu’il voit celles qui lui permettent de renforcer son identité. Plus un enfant est conditionné dans son milieu à des atteintes narcissiques, plus il sera réceptif aux images de violence qu’il verra. Pour P. Jeammet, la violence est une réponse à une attaque du narcissisme et une défense contre ce qui est perçu comme une menace sur l’identité (8).
Qu’est-ce qui fait que pour certains l’image de la violence peut avoir des effets catastrophiques sur un enfant ? Serge Tisseron insiste sur le fait qu’il faut, pour cela, que l’enfant ait vécu des expériences terribles (d’autorité, de coercition, d’humiliation, …) ou encore qu’il ne puisse construire des repères et des valeurs au sein de la cellule familiale. Par rapport à une époque pas si ancienne où la violence au cinéma était incarné par « West Side Story », aujourd’hui c’est plutôt « Pulp fiction » où la violence est démultipliée, et où l’horreur, c’est aussi d’éprouver de la sympathie pour les tueurs. L’image produit comme une déréglement de la distance des sujets aux choses. Nous avons tous vibré intensément au naufrage du « Titanic ».
Avant, il y avait chez l’enfant une barrière d’enchantement peut-être créée par l’imaginaire, et une capacité à inventer une rêverie. Après, il y a eut l’invention de l’immédiateté à soi à travers les jeux, la télé, la vidéo… Il y a comme une désubjectivation,… Contraction du temps et de l’espace. Plus de miroir qui nous sépare des images ; qui nous sont projetées directement.
Ce que l’on constate aussi fréquemment en clinique, ce sont des situations familiales avec de très grandes carences identitaires entre parents et enfants. C’est ce que, dans notre jargon, nous appelons des situations où existe peu de différenciation entre l’attitude des parents et les enfants. Peu d’interdits sont posés et, souvent, les parents se comportent comme des grands adolescents. Cette difficulté à poser la loi associée parfois, aussi, à une certaine fascination de la part des parents pour les enfants qui transgressent. Il est fréquent de constater dans certaines familles où existent des problèmes de passages à l’acte chez les adolescents, une certaine « fierté » de la part des parents, comme si ceux-ci admiraient, inconsciemment, le comportement de leurs enfants.
Je vous parlerai ainsi de Hugo… Hugo est un garçon intelligent de 10 ans. Il m’a été adressé avec sa famille, par sa psychothérapeute. Hugo est décrit comme extrêmement violent à l’école. Les parents de ses camarades de classe ont été jusqu’à faire une pétition à cause des problèmes de violence suscités par Hugo. Ses parents sont charmants et il n’existe pas de difficultés financières particulières dans la famille, ni de violence au sein du couple ou de la famille. Le père est très occupé, il est syndic de copropriété, rentre tard. Sa femme, qui travaille aussi, a la charge de ses enfants mais ne se plaint pas de l’absence de son mari à la maison. Elle doit fréquemment intervenir pour séparer les enfants qui se battent. Cela fait plusieurs fois que nous les voyons et l’état de Hugo semble s’améliorer progressivement.
Qu’exprime Hugo dans cette violence ? La difficulté des parents à poser la loi est une caractéristique retrouvée dans la famille de Hugo, comme dans beaucoup de familles. Tout en étant très proche de Hugo, son père ne se pose pas en tant que parent représentant la loi. On a même l’impression qu’il est dépassé, et éprouve presque une certaine fascination de Hugo ? (9). Une autre caractéristique, que nous avons vu évoluer au cours de la thérapie, c’est leur difficulté à vivre et à évoquer leurs propres conflits concernant Hugo. Les parents, au début, ne se contrariaient jamais… Progressivement au cours de la thérapie, les parents ont commencé à se différencier dans leurs comportements entre eux et vis-à-vis de Hugo… Cette relation est toujours en cours mais la comportement de Hugo n’est plus au centre des discussions et les parents acceptent de se remettre en cause…
Et aussi Fabien…
Dans une autre histoire, Fabien est pris dans une relation de rivalité entre ses parents en instance de séparation. Chacun se renvoyant la responsabilité de la violence de leur fils. Fabien se bat avec son frère, et ses parents sont incapables de les séparer. Ils étaient complètement absorbés dans leurs propres difficultés. Il a fallu que la violence atteigne un point tel que la justice a dû intervenir pour que ces parents commencent à réagir… Il est frappant de voir à quel point les parents ont renoncé à leur rôle de parents et sont absorbés par leur conflit. Pour appréhender leur situation, il a fallu, à la fois, les resituer vis-à-vis d’eux-mêmes et dans leur responsabilité vis-à-vis de Fabien.
Les enfants ont été témoins de la violence du père sur la mère. Une première hypothèse peut consister à concevoir les manifestations d’une identification au père. Dans un premier mouvement, l’enfant se sent abandonné « comme la mère ». Ce sentiment étant insupportable, il manifeste dans un second temps une rage narcissique (10). Sa violence, dans une dimension d’identification, lui permet d’être comme le père, celui qui abandonne, et non pas celui qui est abandonné. Il a l’illusion de maîtriser l’angoisse d’abandon et le narcissisme est partiellement restauré. On peut ausse évoquer les travaux de Winnicot sur la génèse de la psychopathie (11). Il met en cause les relations mère/enfants précoces. Une déficience dans le handling provoque très tôt chez l’enfant le sentiment d’une menace qui accompagne les représentations mentales de l’expression des désirs.
Je ne parlerai pas du travail réalisé au cours des thérapies mais de ce qui m’a étonné dans l’attitude des parents dans ces deux sitations très différentes.
La gène, voire la honte, à évoquer ce qu’ils vivent d’abord comme un échec comme parents. Quand cette souffrance commence à s’exprimer face à des situations de violence, il est frappant de constater à quel point cela pèse pour eux, alors que la première impression donne l’impression fausse qu’ils ne sont pas impliqués. Ces parents sont, au contraire, tellement immergés dans des difficultés et ils sont totalement dépassés.
Nous voudrions, à ce point de notre questionnement, insister sur l’importance du rôle parental et de la disponibilité des parents quand on aborde la question de la violence. Souvent, on dit que les parents ne se manifestent pas assez auprès de l’école, et de leurs enfants. Cela, aussi, doit être relativisé, ce que je constate, c’est à quel point ils peuvent changer complètement de comportement en fonction de la manière de les aborder et si ils sont abordés sans culpabilité.
Je pense ainsi à mon expérience auprès de familles soi-disant distantes de leur enfant qui me montrent des parents qui sont prêts à se mobiliser à condition qu’on les interpelle sans qu’ils se sentent coupables.
Parfois, il se sentent dépassés par les événements, n’ayant pas ou plus les moyens d’intervenir face à un enfant mis longtemps en position de toute puissance. A un moment donné commencent les histoires, la responsabilité des parents est alors engagée. Comment les aider à ce moment là ? Je crois qu’il est important de les aider à appréhender leur fonction sans les culpabiliser, ou leur donner des leçons. Ecouter ce qu’ils font, ce qui se joue entre eux et leur enfant. Il est banal d’insister sur la communication entre parents et enfants. Cela veut dire, à la fois, écouter et poser des limites. Ne pas chercher simplement à plaire à nos enfants. Nous nous rendons compte des limites des positions trop séductrices, avec le risque d’éviter les conflits ou alors brutalement d’être autoritaire. L’usage de l’autorité n’annule pas l’amour de nos enfants. L’enfant, et je m’en rends compte avec mes propres enfants, souvent doit s’appuyer sur une représentation fiable des valeurs des parents, et leur propre référence à l’autorité. Mes filles souvent me font remarquer mes propres contradictions entre mes discours et mes actes. Il ne faut pas seulement s’en agacer, mais se rendre compte de ce que nos propres confusions peuvent induire comme confusions chez l’enfant. Il ne faut pas, non plus, en conclure qu’il faut absolument et tout le temps, quelque soit notre état, avoir la même position inflexible et autoritaire vis-à-vis de nos enfants. Ils peuvent parfaitement comprendre nos faiblesses et nos forces. Il ne faut pas, non plus, trop les leur cacher. J’ai souvent été surpris comment les enfants pouvaient agir les fantasmes des parents, souvent dans des sentiments de révolte, d’injustice, de réparation.
On ne peut parler de la violence sans aborder un sujet dont on parle aussi beaucoup qui est la violence faite aux enfants par les adultes. J’évoquerai cette forme de violence dont on parle beaucoup actuellement, ce qu’on appelle les conduites d’agressions sexuelles et les conduites à caractère pédophile. Les conduites à caractère pédophile font partie des maltraitances à enfant, au même titre que d’autres conduites d’agression sexuelle rencontrées vis-à-vis des enfants.
La pratique de thérapies de couples et de familles montre la fréquence de comportements violents évoqués (violences sexuelles, maltraitances,…). Il y a des familles à transactions violentes comme il y a des formes de violence quand on ne peut plus communiquer. Il est important de mettre à jour ces comportements, qui existent parfois depuis longtemps avant qu’on ose en parler. Sur ce sujet règne, actuellement, une certaine fascination. Parler de la violence, c’est aborder la souffrance de la honte, le désir de revanche, mais c’est aussi mettre à jour souvent des comportements identiques dans les générations antérieures.
Sur le plan psychiatrique, les caractéristiques retrouvées dans les familles maltraitantes sont celles d’emprise, de séduction, de contrainte et de dépendance. Les psychanalystes parlent de relations duelles archaïques, de confusion de rôles et de déni de l’interdit. On peut saisir l’origine de cette violence dans l’absence de reconnaissance de l’autre, l’annulation, le travestissement des sensations et des émotions de l’autre au sein du groupe familial : « sentir, ressentir à la place de l’autre ». Dans la famille incestueuse se manifeste de façon pathologique la force du fantasme de l’enfant objet du plaisir sexuel pour un adulte.
La violence se manifeste sous deux formes, l’agression et la punition. Cette violence au sein de la famille renvoie souvent à des troubles du fonctionnement familial, parfois les parents eux-mêmes ont été maltraités. Cette violence faite aux enfants est d’autant plus difficile à déceler qu’elle s’accompagne de modes de relation et de communication particuliers à ces familles.
Je pourrai parler, ainsi, de la non délimitation de territoires ; ce qu’on pourrait appeler les territoires flottants. Personne ne peut s’enfermer. Il n’y a pas de délimitation de territoires. Mais il y a un certain type de familles où les portes ne se ferment pas : les salles de bain, voire les toilettes n’ont pas de clefs, les lits changent. On n’a pas le droit de fermer sa chambre.
Dans ces familles la toute puissance des parents inculque le respect et l’obéissance aux enfants, tandis que les mécanismes pervers d’une emprise hypnotique les empêche de parler. Et ceux qui parlent ne sont pas toujours crus. Souvent beaucoup se liguent pour préserver l’honneur des adultes et l’unité des familles au détriment des jeunes victimes. Seules les familles démunies sont plus facilement soupçonnées de négliger ou de maltraiter leurs enfants, et, de ce fait, plus surveillées par les services sociaux et signalées par les enseignants.
L’enfant victime de violence ne parle pas. Pris au piège de l’autorité de ses parents et du manque d’intérêts des autres adultes, il subit en silence les mauvais traitements, les coups et les abus sexuels. Il ne dira rien par crainte d’être battu, rejeté, abandonné ou encore abreuvé d’injures ou de paroles subtilement destructrices. Il ne dénoncera pas ses parents par loyauté familiale. On ne trahit pas les siens. Dans le cas d’inceste, s’ajoutent la honte, la peur de ne pas être cru, de perdre le respect et l’estime de soi et d’envoyer l’agresseur en prison. Pour l’enfant maltraité la réaction sera la peur qui peut aussi pousser l’enfant à faire peur. On trouve, ainsi, beaucoup d’actes de violence chez l’enfant qui a peur. Dans de nombreux cas, on a à gérer cette peur qu’il faut confronter avec notre propre peur. Peur de ce qui vient de l’extérieur, peur de l’étranger qu’ont vit comme intrusif. Souvent l’entourage participe de cette « loi du silence ». Les parents le font par crainte de se voir retirer les enfants, d’être jugés et emprisonnés pour des années. Les faits sont niés, minimisés. La parole de l’adulte prévaut sur celle de l’enfant, sauf s’il y a des preuves visibles des coups, des abus sexuels ou de la négligence. Pour certaines personnes la maltraitance sexuelle dans l’enfance peut ressortir bien longtemps après et avoir des effets ravageurs.
Comment alors protéger les enfants ? La loi étend son domaine de compétence, elle organise un réseau de juges pour enfants, de travailleurs sociaux, de médecins et de thérapeutes. Les plaintes parviennent, généralement, à l’autorité judiciaire à travers les signalements des hôpitaux, des écoles et des services sociaux.
La loi de juillet 1989 fait obligation aux personnels en contact avec les enfants de signaler tout ce qui est susceptible de révéler l’existence de mauvais traitements.
Mais faire cesser la violence par une condamnation pénale du parent maltraitant ou un placement temporaire ne suffit pas à rétablir l’équilibre relationnel dans la famille. Il est, cependant, très important de dénoncer les violences et de trouver les moyens psychothérapiques pour travailler avec des familles maltraitantes et incestueuses, d’autant que les violences subies dans l’enfance ont des conséquences à long terme. La violence peut, aussi, se perpétuer d’une génération à une autre et certaines victimes agressent, à leur tour, leurs frères et surs plus jeunes ou leurs enfants, voire leurs petits enfants, jusqu’à ce que le respect de soi soit à nouveau affirmé et imposé.
La révélation récente d’affaires de pédophilie a créé un électrochoc dans l’opinion publique, certaines au sein de l’Education Nationale (12) ont révélé l’ampleur de ce problème jusque là peu abordé en France. Après l’aveuglement et le déni, on assiste actuellement à une certaine exhibition alimentée par des affaires retentissantes. On peut assister à un risque de « chasse aux sorcières » comme aux Etats-Unis. Pour éviter ces dérives il faut montrer que l’on peut protéger les enfants, sans tomber dans les excès qui, de toute façon, ne règleront rien. Il n’est pas nécessaire d’en parler à tout prix, si l’enfant n’a pas l’air prêt. Mais, par contre, il est important de mettre en garde l’enfant qu’on ne peut avoir confiance en tout le monde.
Quel rôle pour la famille face à ces problèmes d’agressions sexuelles ?
On peut parler de la sexualité et des abus sexuels aux enfants, et leur apprendre à respecter leur corps et leurs émotions, les aider à se situer dans les générations. S’il arrive quelque chose à l’enfant, ce dernier pourra en parler naturellement. Et l’on ne se retrouvera pas avec trente ans de silence, comme ces familles à Cosnes-sur-Loire (12) où les enfants ont probablement dit des choses mais où les parents n’ont pas sû décoder leurs messages.
Bibliographie
(1) Winnicot D.W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, Paris, 1975.
(2) Bergeret J., La violence fondamentale, l’inépuisable dipe, Dunod, Paris.
(3) Dans un ouvrage récent D. Sibony évoque la violence comme piétinement ou « secousse originaire » du symbolique. Quand le jeu symbolique est bloqué dans la famille, le blocage de la transmission éclate avec violence chez les enfants, notamment dans les familles d’immigrés (Violence, D. Sibony, Seuil, 1998). « La violence est elle-même quête d’une limite qui pourrait l’arrêter » idem p. 111.
(4) Jeammet P., Comportements violents et psychopathologiques de l’adolescence, L’illégitime violence, sous la direction de François Marty, Erès.
(5) « Une violence exprime une violence antérieure, et que dans l’enchaînement se profile une violence originelle, non pas comme stock initial mais comme rapport à l’origine », D. Sibony p. 112.
(6) Balier C., Psychanalyse des comportements violents, PUF, Paris, 1988.
(7) Jeammet P., Idem, p. 41.
(8) Jeammet P., Comportements violents et psycholpathologie de l’adolescence, L’illégitime violence, sous la direction de François Marty, Erès, p. 36.
(9) A ce sujet Sibony à propos des causes de la violence le fait pour le jeune de ne trouver rien face à lui « une personne qui n’a aucune alterité. Il réagit au danger de n’être personne, d’être effacé. Quand une présence insignifiante lui montre qu’il n’y a pas d’autre pour lui, ça le rend furieux », p. 102.
(10) Kohut H., Réflexion sur le narcissisme et la rage narcissique, Rev. Franç. Psych., 1978, 4, 683-719.
(11) Winnicot D.W., L’agressivité et ses rapports avec le dévelopement de l’enfant, De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, Paris,1969, 80-97.
(12) Mise en examen d’un ancien instituteur soupçonnné d’avoir violé des dizaines d’enfants dans cette petite ville de la Nièvre.