L’accueil familial dans les pays en voie de développement : peut-on le rendre thérapeutique ? Par M. Boudef

Paru dans : Nervure : Journal de psychiatrie, Tome XVI – N° 5 – Décembre 2003 / janvier 2004

Disponible à l’adresse : http://www.nervure-psy.com/

M. Boudef : Service Hospitalo-Universitaire de psychiatrie adulte, Hôpital psychiatrique Razi, Route de Bouhdid, Annaba 23000, Algérie

La démographie galopante, les possibilités de logement limitées et la culture communautaire dans le tiers-monde ont des conséquences sociales souvent similaires : famille nombreuse, promiscuité, maladies et délinquance (Bensmail B., 1992).

Les caractéristiques de la famille nous intéressent particulièrement dans le cadre de ce travail qui concerne l’accueil familial thérapeutique en psychiatrie. L’étude de cet aspect de la prise en charge est intéressant à double titre. L’hospitalisation est une possibilité thérapeutique vite dépassée, en raison d’une offre très limitée, tandis que l’accueil familial est une donnée naturelle, très développée. Améliorer la prise en charge du malade mental en agissant sur les structures hospitalières est un leurre, en raison du coût exorbitant nécessaire à leur fonctionnement. Par contre tenter de rendre thérapeutique cet accueil familial naturel nous parait réalisable, moins coûteux et plus rationnel.

Dans cet article, nous rapportons les arguments qui semblent militer en faveur de cette option et qui sont liés aux caractéristiques familiales de patients psychotiques ; les réactions familiales à la maladie et les intérêts manifestés quant à son évolution. Plutôt que de répondre à la question, nous tenterons de mettre en place les éléments nécessaires pour démontrer la réalité de la disponibilité de la famille naturelle et de discuter la possibilité et les moyens de les rendre thérapeutique.

Le cadre théorique

Des colonies familiales à l’organisation du secteur

L’accueil familial thérapeutique est une notion qui a débuté il y a près d’un siècle dans le sud de la France (Hardy, 1995). Ce sont les fameuses colonies familiales dans le département du Cher essentiellement. Il s’agit à l’époque d’un transfert des malades chroniques fortement handicapés par leur maladies des hôpitaux de Paris vers les familles d’accueil qui étaient pour la plupart des cultivateurs ou des éleveurs. Il semble que les deux motifs importants qui ont prévalu dans la mise en place de cette pratique relèvent d’une même logique : trouver un débouché institutionnel aux nombreux « échecs thérapeutiques » de la région parisienne et aux cas désespérés tel que les arriérés profonds et les psychoses d’évolution déficitaire sévère (Tuffet J.L., 1980). Mais un débouché économique et honorable aux yeux de la société et quoi de plus honorable que de confier ses « être faibles » à une honorable famille.

Depuis une cinquantaine d’années cette pratique s’est enlisée dans une tradition régionale et n’a rien gagné au plan de la conceptualisation car le vent a tourné depuis les années soixante vers la notion de sectorisation ( Daumézon, Koechlin). En effet, la notion de secteur en France a été conçue essentiellement pour répondre au besoin de désengorger les hôpitaux psychiatriques mais aussi de manière honorable. Et quoi de plus honorable qu’une structure intermédiaire, légère et humanisée, puisqu’elle se situe à proximité du lieu de résidence du malade et lui offre la même équipe soignante là où il se trouve.

De l’accueil familial thérapeutique aux facteurs de changements

Dans une démarche dialectique, le développement du secteur et son épuisement (Chabannes J.P., 1995) a laissé place à la recherche d’autres moyens pour venir en aide aux nombreux malades qui ne trouvent pas de solutions et cela depuis le début des années 1980, mais le problème est abordé différemment. Cette fois-ci l’abord de l’accueil familial thérapeutique comporte d’emblée le germe de la réflexion théorique. Les familles d’accueil ne doivent pas recevoir plus de deux pensionnaires, tant les critiques négatives de ce type de placement ont été sévères en raison de leur éventuelle exploitation (Vallée A., 1995) et la qualité de l’apport thérapeutique que ces familles sont censées générer. Une autre limite est également soulignée ; elle concerne le risque de dérapage du thérapeutique vers le social (Baclet C., l995) : en effet l’accueil social doit être bien différencié de l’accueil thérapeutique en ce sens que les facteurs de changement thérapeutique méritent pour cela d’être identifiés.

Voici comment était décrit le changement thérapeutique dans le cas des colonies familiales (Amiel R., 1970) : c’est en recherchant des formules, où ces sujets sont groupés en petits groupes, que l’on aura les meilleurs chances de ne pas aggraver leur état. On connaît les classiques villages ou – colonies familiales – pour aliénés. Les malades confiés par deux ou trois à l’habitant, participent à la vie de la famille en situation quelque peu infantile, parfois un peu servile, et là réside sans doute le principal inconvénient de la méthode. Cependant on a vu des infirmes mentaux guérir sous l’influence bénéfique de cette vie d’un mode archaïque, dont l’aspect régressif constitue à lui seul une thérapeutique. Telle qu’elle est pratiquée actuellement, la réflexion porte justement sur la mise en évidence des facteurs en jeu ; en d’autres termes en quoi l’accueil familial est thérapeutique et sur quel savoir il se base (Sans P., 1995). Enfin dans le but de déterminer les facteurs de changements dans ce type de prise en charge, des méthodes structurées sont utilisées pour améliorer les compétences thérapeutiques des familles d’accueil (Meyers M., 1995).

Famille et stratégies de réhabilitation dans les pays en voie de développement

Dans les années soixante il était déjà établi que dans les pays en voie de développement en matière de structures d’accueil en psychiatrie, il existait dix fois moins de lits par rapport aux pays développés c’est-à-dire trois lits pour 10 000 habitants au lieu de trois lits pour 1000 habitants. Il était déjà établi que deux systèmes étaient utilisés pour le traitement et la réhabilitation des malades mentaux chroniques : les hôpitaux et la famille. Aussi les différents experts conseillaient l’usage simultané de ces deux structures pour répondre à l’immense demande en soins (Bartoli D., Collomb H., 1970). Les mêmes auteurs soulignait qu’en Afrique, la bonne tolérance des malades mentaux par le groupe familial et la collectivité permet de traiter presque la majorité des malades à l’extérieur de l’hôpital.

Dans ce type de pays le modèle de soins et de réhabilitation des malades mentaux chroniques s’est instauré en droite ligne du modèle du colonisateur avec tous les corollaires : enseignement, organisation et pratique. De plus la plupart du temps les initiateurs de ces modèles et des différentes méthodes de soins basent leurs arguments sur des croyances ou des principes, plutôt que sur la démonstration de la supériorité des résultats (Murphy H.B.L. et al, 1982).

Ces dernières années la réhabilitation du malade mental chronique dans les pays en voie de développement rejoint la question du droit humain et il n’est plus permis de ménager aucun effort pour réhabiliter ce type de malade, qu’il soit riche ou pauvre (Deva M.P., 1996). Les réunions récentes de l’Association Mondiale pour la Réadaptation Psychosociale (AMRP) ont montré un vif intérêt pour la prise en charge familiale dans les pays en voie de développement à faible revenu : en Inde et au Brésil (Baraceno B., 1996). Par ailleurs, de plus en plus les solutions préconisées par les experts dans ce type de pays reposent essentiellement sur le soutien familial (Rapport Harvard, 1995).

Sur un autre plan il est intéressant de relever l’absence de conflits d’école dans les pays en voie développement, sauf quelques rares exceptions marginales ; au contraire il y a lieu de noter l’absence d’idéologie explicative de type moderne concernant la maladie mentale (Mulindi S., 1992). Ainsi pour clore cet encadrement théorique il est très utile de souligner la chance qu’ont ces types de pays à introduire le modèle cognitivo-comportemental comme modèle théorique (Haffani F et al, 1990 ; Orley J., 1990 ; Ayala-Velazquez, 1990 ; Mulindi A.Z.S., 1990 ; Cosyns P., 1990). C’est à l’usage de ce modèle dans la réhabilitation du malade mental chronique à travers l’amélioration des compétences de son environnement familial que se consacre ce travail.

Procédure

Procéder à la démonstration de l’intérêt de rendre thérapeutique l’accueil familial naturel dans les pays en développement, c’est montrer d’une part la faisabilité de cette entreprise et d’autre part les moyens de la mettre en acte. Enfin l’extrapolation de la démonstration aux autres pays en voie de développement exige que les conditions spatiales et temporelles de celle-ci soient représentatives.

• La faisabilité signifie la présence concrète d’un environnement familial naturel. Cet environnement familial et ses caractéristiques peuvent être décrits à différents moments de la prise en charge d’un malade mental chronique dans le but de montrer à chaque étape la réalité de cette présence familiale, son engagement, ses compétences dans le domaine de la maladie mentale. Pour cela différentes études personnelles ont été rapportées d’une manière partielle . Le point commun à ces études est l’implication, la prise en charge du malade mental. Il s’agit d’études de clientèles recrutées au niveau de l’accueil des urgences psychiatriques ou de clientèles spécifiques comme celles des malades sous neuroleptique retard, enfin d’études concernant l’exploration des connaissances de la famille sur les troubles mentaux.

• Les moyens nécessaires à la mise en acte de l’accueil thérapeutique : après cette démonstration le but est de proposer un moyen adapté, efficace et réalisable. La démarche est appuyée sur les ressources et les possibilités thérapeutiques en place et sur la possibilité de les adapter à l’environnement familial réel, c’est-à-dire tel que décrit pour rendre le projet faisable. Dans le chapitre des moyens, une attention particulière est accordée à l’évaluation des résultats, en d’autres termes, à la démonstration de l’efficacité.

• La représentativité de la démonstration : les études cliniques rapportées et sur lesquelles se base ce travail sont réalisées dans un hôpital psychiatrique d’une capacité technique de 240 lits qui prend en charge un bassin de population estimé à trois millions d’habitants. La file active hospitalière annuelle est de l780 malades pour l’année 1995. La prise en charge du malade et de son traitement a recours aux deux systèmes de soins : le système hospitalier et le système traditionnel. Ces caractéristiques de l’environnement se rapprochent de celles des différents pays en voie de développement et permettent donc, sans grand risque de se tromper, de généraliser la démonstration qui fonde ce travail : rendre thérapeutique l’accueil familial dans les pays en voie de développement.

La disponibilité de la famille : une réalité

La quasi-majorité des patients qui consultent dans les services de santé mentale vivent dans leur milieu familial. Cet aspect est démontré dans plusieurs situations concrètes. Au cours d’une enquête réalisée au niveau des urgences psychiatriques drainant une région de trois millions d’habitants, nous avons pu apprécier l’importance de l’accompagnement familial. En effet, près de 80% des patients ont été accompagnés par la famille, entendue dans le sens le plus large : père, mère, frère, sœur, et alliés (tableau I).

Tableau I : Répartition des 709 malades enquêtés selon l’accompagnateur (11)

Accompagnateur – Fréquence – Pourcentage

Famille – 560 – 78,8%

Sans – 72 – 10,2%

Agent de Santé – 41 – 5,8%

Police – 27 – 3,8%

Voisin – 09 – 1,3%

Total – 709 – 100%

On retrouve la même proportion de malades accompagnés par leurs familles lors d’une étude similaire, réalisée à Constantine, par Merdji et al (1992) et à Casablanca par Louzi et al (1992).

Cette disponibilité ne semble pas fluctuer quelle que soit la situation et les conditions dans lesquelles se manifeste le besoin ou l’appel à l’aide. De nuit comme de jour, la famille accompagne son malade. Il est vrai, qu’a priori, on imagine que durant la nuit ou durant la soirée, certains membres de la famille seraient plus disponibles. Il n’en est rien, car les malades sont accompagnés de la même manière quelle que soit la tranche d’heure. La comparaison des malades accompagnés par leur famille est significativement plus nombreuse que les autres, quelle que soit la tranche d’âge (tableau II).

Tableau II : Répartition des 709 malades enquêtés selon la tranche horaire et le type d’accompagnement (11)

Tranche – Malades accompagnés par la famille – Malades accompagnés autrement – Total

0-6h – 11 – 9 – 20

6-12h – 282 – 88 – 370

12-18h – 154 – 16 – 170

18-00h – 116 – 33 – 149

p<0.001

Même le facteur saisonnier ne fait pas reculer la famille : qu’il vente ou qu’il pleuve la famille est là ; printemps, hiver, été et automne, les malades accompagnés par leur famille sont significativement plus nombreux (P<0.01) que les autres (tableau III).

Tableau III : Répartition des 709 malades en fonction du type d’accompagnement et de la saison (11)

Saison – Nombre de malades accompagnéspar la famille – Nombre de malades accompagnés autrement

Hiver – 140 – 52 – 102

Printemps – 161 – 31 – 192

Eté – 219 – 40 – 259

Automne – 50 – 15 – 65

p<0.01

L’accueil familial engage

Unique alternative offerte au malade sortant, c’est l’espace familial. Presque la totalité des patients sortent dans leur famille, quelle que soit la pathologie, l’âge, le sexe et la durée de l’hospitalisation. A cela on peut citer quelques rares exceptions, où des pensionnaires des deux hospices, situés dans la ville, nécessitent des soins psychiatriques. Ainsi, on se demande, comment les choses se passent dans une famille peu préparée. Quelle serait la relation entre la famille et le malade ?

Une étude consacrée à l’évaluation de l’autonomie de 200 schizophrènes DSM III-R, traités aux neuroleptiques à action prolongée et vivant en milieu familial, a montré une grande acceptation du malade (Boudef M. et al, 1992). On remarque que 97,5% des patients schizophrènes étudiés ont une intégration socio-familiale satisfaisante (bonne et moyenne) ; parmi eux, 22% sont seulement intégrés professionnellement (tableau IV).

Ainsi, la famille accueille et gère près de 30% de malades moyennement intégrés, ce qui signifie que l’attitude vis-à-vis du traitement et de la maladie n’est pas optimale. Par ailleurs, on dénombre finalement près de 80% des malades étudiés qui ne travaillent pas et dont la prise en charge est assurée entièrement par la famille.

Tableau IV : Répartition de 200 schizophrènes (DSM III-R) selon la qualité de l’intégration socio-familiale et professionnelle (10)

La qualité de l’intégration Socio-familiale(n) Socio- familiale (%) – Professionnelle (n) – Professionnelle (%)

Bonne – 138 – 69% – 09 – 4%

Moyenne – 57 – 28,5% – 36 – 18%

Mauvaise – 05 – 2,5% – 155 -77,5%

Total – 200 – 100% – 200 – 100%

Dans cette étude nous avons également noté une qualité d’observation du malade par sa famille qui témoigne de son intérêt à l’égard de cette prise en charge.

La famille a fait part d’une impression satisfaisante dans 51% des cas (tableau V).

Il s’agit là de familles de patients qui ne leur posent aucun problème relationnel lié à leur maladie et qui rend même des services quotidiens en faisant quelques courses plus ou moins élaborées.

A un degré moindre, l’impression livrée est de qualité modérée, dans 34,5% des cas, qui représentent des malades qui même s’ils ne se montrent pas positifs dans la vie quotidienne, ne posent pas de problèmes ou de conflits relationnels liés à la maladie.

Enfin la famille affiche une indifférence dans 13% des cas. Ce sont des familles blasées prenant en charge des malades depuis de très longues années, certains totalisant plus de 40 hospitalisations.

Tableau V : Répartition de 200 schizophrènes DSM III-R selon l’impression de la famille (10)

Impression de la famille – Nombre Pourcentage

Satisfaisante – 89 – 44,5%

Modérée – 69 – 34,5%

Mauvaise – 13 – 6,5%

Indifférente – 26 – 13,0%

Indéterminée – 03 – 1,5%

Total – 200 – 100%

L’engagement de la famille est démontré d’une autre manière, dans l’étude citée plus haut (Boudef et al, 1995). Le taux d’accompagnement est élevé, qu’il s’agisse des psychoses aiguës, de la schizophrénie ou des troubles névrotiques (tableau VI). Il nous semble intéressant de noter que le taux reste particulièrement élevé même chez les schizophrènes dont l’évolution chronique et grave, et suggère a priori une désaffection socio-familiale. Le taux le plus élevé dans les bouffées délirantes s’expliquera par le caractère soudain et spectaculaire des manifestations, suscitant une plus grande émotion.

Tableau VI : Taux d’accompagnement en fonction de la nature des troubles chez 709 malades examinés au niveau des urgences psychiatriques (11)

Nature des troubles – Taux d’accompagnement

Bouffées délirantes – 92%

Schizophrénies – 83%

Troubles névrotiques – 79%

Une étude consacrée à la relation médecin-famille et malade sous neuroleptiques retard a montré l’attachement de la famille à son patient à travers la médiatisation de ce produit retard et les bénéfices que retire le patient à travers cet engagement familial. Plus la famille comprend les modes d’actions du traitement et ressent les effets chez leurs patients, plus l’émotion exprimée diminue (Boudef M., 1995).

Accueil familial incompétent

Dans le but d’évaluer les connaissances des familles psychotiques chroniques concernant la gestion de la médication neuroleptique, nous avons effectué un sondage auprès des familles de malades hospitalisés. Trois médecins du service ont interviewé les familles sur la base d’un questionnaire fermé de type logique (vrai ou faux). Le questionnaire est une adaptation du test préliminaire, utilisé dans le module d’éducation au traitement neuroleptique de R.M Liberman (Traduction et diffusion dans les pays francophones par le Réseau francophone des programmes de réhabilitation psychiatrique « RFPRP »). Notre adaptation a consisté premièrement à transformer un questionnaire auto-administré en une échelle remplie par un clinicien et deuxièmement à traduire les questions en arabe algérien. Le questionnaire est composé de 18 questions touchant les quatre domaines de compétence :

• Domaine N°1 : Obtenir de l’information sur la médication neuroleptique.

• Domaine N°2 : Savoir prendre correctement les médicaments et en évaluer les effets.

• Domaine N°3 : Connaître les effets secondaires des médicaments.

• Domaine N°4 : Savoir discuter des problèmes de médicament avec son médecin.

Le tableau VIII résume les résultats de l’enquête exprimés en pourcentage de réussite, les réponses étant groupé par domaine de compétence.

Tableau VIII : Répartition des taux de réussite au test préliminaire du module d’éducation au traitement neuroleptique, adapté et traduit en arabe Algérien (40 familles enquêtées) ;score pour chaque domaine (1 à 4) et score total

Domaine de compétence – Taux de réussite

N°1 – 53%

N°2 – 85%

N°3 – 65%

N°4 – 71%

Score total – 68,5%

Nous supposons que la famille est encore plus compétente dans le domaine des neuroleptiques, eu égard à l’accompagnement du malade dans les différentes et nombreuses péripéties thérapeutiques. Par contre l’administration de ce questionnaire à des schizophrènes montrera probablement des scores beaucoup plus bas. Néanmoins comparé à des résultats similaires (Pomini et al, 1993) concernant 9 schizophrènes, le taux de réussite total est presque identique, soit autour 68%, avec les mêmes fluctuations des scores partiels pour les quatre domaines de compétence. Dans l’étude citée, les auteurs expliquent ces fluctuations au pré-test, par un artefact méthodologique, lié au moment où se déroule l’évaluation et d’autre part au test utilisé qui est peu intéressant dans les petits échantillons (QD4) ; par contre notre enquête évalue les connaissances chez la famille du malade et non pas chez le malade lui-même. Ainsi, les familles obtiennent un score relativement bas, à chaque fois qu’il s’agit de connaissances théoriques et générales sur la médication, dont les domaines n°1 et n°3 sont saturés. Dans les domaines les plus concrets ou les plus relationnels (domaines n°2 et n°4) les familles montrent davantage de réussite ; habilités acquises au fil des années auprès de leurs malades et son itinéraire médical. L’incompétence est donc manifestée dans le domaine de compétences relatifs à l’information sur la médication neuroleptique et à la connaissance des effets secondaires.

Du naturel au thérapeutique : les moyens

Dans les chapitres précédents nous avons décrit une famille offrant l’unique espace d’accueil du malade en l’absence de toute structure extra-hospitalière de suivi et de prise en charge, une famille pleine de dévouement et d’intérêt à l’égard du malade. Pourtant, il manque des compétences thérapeutiques à cette famille. Un profil similaire peut être retrouvé dans la majorité des pays en voie de développement ( Haffani F, 1992).

Rendre plus thérapeutique cet accueil familial naturel et spontané devrait constituer un travail important dans les années à venir. Il s’agit d’une alternative sérieuse, peu coûteuse, et plus adaptée culturellement par rapport au concept d’hôpital de jour dont l’usage a atteint vite son optimum (Ferrey C. et al, 1992 ; Chabannes J.P. et al, 1992).

Cette alternative se présente comme une possibilité réalisable grâce à l’avancée de l’approche cognitivo-comportementale, appliquée aux familles de schizophrènes. Dans ce domaine, plusieurs études ont montré l’efficacité de ces interventions thérapeutiques appliquées en milieu familial (Leff et Coll., 1982 ; Falloon et Coll., 1987 ; Hogarthy et Coll., 1986 ; Tarrier et Coll., 1988) où le taux de rechute des malades dont la famille a bénéficié d’une thérapie familiale comportementale (TFC) est significativement baissé par rapport aux témoins. Bien entendu, ces techniques thérapeutiques récemment développées, surtout aux U.S.A, ne sont introduites en France que depuis les années 90 (O. Chambon, 1992), nécessitent une adaptation et une traduction des instruments de mesure et d’intervention.

En effet, certains « modules » d’éducation et de formation d’origine anglo-saxonne et traduits en langue française méritent d’être utilisés moyennant des études de pré-faisabilité et d’adaptation. Ainsi, de l’accueil spontané et naturel, on pourra transiter à l’accueil thérapeutique familial avec moindre coût, puisque l’accueil existe, mais il reste à le rendre plus efficace car ces méthodes ont montré leurs effets (Falloon et Coll., 1987).

Sur le plan pratique, nous tentons une expérimentation d’une technique de thérapie familiale cognitivo-comportementale, basée essentiellement sur une éducation de la famille à propos de la schizophrénie et de son traitement, inspirée de l’approche de Falloon et Coll. (1984). Les familles recevront individuellement :

- une explication sur la genèse de la maladie basée sur la théorie biochimique et génétique ainsi que sur les stresseurs psycho-sociaux,

- une explication sur la gestion du traitement neuroleptique basée sur la partie question-réponse du module d’éducation au traitement neuroleptique de P. R. Liberman.

Les séances d’interventions familiales ont lieu pour les familles des patients hospitalisés au moment des visites que celles-ci rendent de manière fréquente à leurs malades. La durée des séances ne doit pas excéder les 20 à 30 minutes en raison du flux des visiteurs généralement très important. Le nombre de séances est limité à 5 au rythme d’une séance par semaine. Des mesures en pré et post-test sont réalisées pour permettre l’appréciation des acquisitions chez la famille et leur influence sur le taux de rechute chez les malades après une période d’une année (Fig 1).

Si les conditions naturelles de l’accueil familial sont réunies, l’application et l’affinement progressif des thérapies familiales cognitivo-comportementales dans les pays en voie de développement constituent une grande opportunité pour rendre cet accueil thérapeutique.

Conclusion

Dans ce travail, la nécessité de rendre thérapeutique l’accueil familial naturel est largement documentée. Les différents éléments en faveur de cette entreprise plaident en faveur de la mise en place du modèle cognitivo-comportemental : structuré et reproductible. Structuration de la méthode, ce qui nous permettra d’étudier les facteurs de changements et reproductible, ce qui permettra son usage à large échelle compte tenu des besoins en matière de santé mentale et notamment la pathologie lourde handicapante et chronique. Si une diminution des rechutes et des demandes d’hospitalisation vient vérifier l’hypothèse qu’il est faisable et efficace de rendre thérapeutique cet accueil naturel, une piste nouvelle peu coûteuse et accessible sur le plan technologique aux pays en voie de développement aura été définie.

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(36) Vallée A., Accueillants : à quel prix ? Symposium International sur L’actualité de l’accueil familial thérapeutique en psychiatrie, 18-20 Octobre 1995, Vichy, France.

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