(Extrait de Anthropologie, santé, maladie : autour d’études de cas, 1994, 142 pages.© ISBN 2-9503966-2-3. Tous droits réservés)
Nous allons aborder maintenant deux cas où l’enquête épidémiologique et la recherche anthropologique sont étroitement liées. Fort différents l’un de l’autre quant aux pathologies concernées et quant à l’insertion de la population des malades dans la société, ces deux cas dégagent quelques apports essentiels de l’anthropologie à l’épidémiologie génétique et les rapports entre les objectifs des anthropologues et ceux des médecins dans ce domaine. Il est à noter d’emblée que l’anthropologie intervient ici largement mais non exclusivement à partir de ses connexions étroites avec l’étude généalogique, telle qu’elle est pratiquée par la démographie historique. Elle y contribue de façon spécifique en tenant compte du fait que toute population humaine est avant tout une société, porteuse d’une culture les relevés généalogiques du démographe révèlent des faits dont l’explication se trouve dans les règles, les valeurs et le fonctionnement de ces sociétés et de ces cultures.
Dans le premier cas, une population isolée et hautement consanguine est marquée par la fréquence élevée d’une maladie héréditaire, et cette fréquence est en rapport direct avec des va-leurs culturelles et des comportements sociaux qui sont au coeur de la vie de cette communauté. Dans le second au contraire, la présence diffuse d’une pathologie pose des problèmes éthiques et l’anthropologue, par delà sa quête de connaissance se trouve confronté à des contradictions souvent inextricables.
Les méthodes d’évaluation rapide. Bernard Faliu
Je ne vais pas vous présenter les méthodes rapides en anthropologie, puisque cela a été fait dans un article récent (Desclaux 1992), mais plutôt vous expliquer ce qui m’a amené à m’y intéresser, pour introduire le débat sur ces méthodes. Alors que je travaillais au Pakistan en tant que médecin de santé publique, j’ai assisté à un séminaire destiné aux professionnels des Organisations Non Gouvernementales, au cours duquel une anthropologue américaine, consultante pour l’UNICEF, Pamela Hunte (1981), a présenté son expérience d’utilisation des méthodes rapides. Elle utilisait notamment, au cours de ses missions, l’ouvrage Rapid Assessment Procedures (RAP) (qui ne parle pas d' »Anthropologie » mais plutôt d' »Evaluation ») qu’elle a présenté (Scrimshaw et Hurtado 1987). De retour en France, je me suis aperçu qu’il y avait une demande importante concernant ce manuel, d’une part des professionnels de santé s’intéressant aux facteurs socioculturels, d’autre part d’étudiants en ethnologie qui considéraient que cet ouvrage bref avait le mérite de présenter beaucoup de notions sous une forme simple.
Cet ouvrage détaille principalement les méthodes de recherche les méthodes de recueil des données (entretiens individuels, entretiens de groupe, observation, observation participante), les méthodes d’enregistrement de l’information, les domaines sur lesquels doit porter l’enquête concernant des questions de santé, les méthodes d’analyse des données et de présentation des résultats, ceci en cinquante pages environ. D’autres travaux sur les méthodes rapides proposent des approches méthodologiques nouvelles qu’ils testent pour analyser leur validité notamment la méthode des vignettes cliniques qui consiste à interroger les « enquêtés » autour d’une histoire de cas (Mull 1985, Mull et al. 1990), la méthode qui consiste à interroger les « enquêtés » à partir d’une photographie (Mull 1990), le logiciel ANTHROPAC qui explore et analyse les modèles explicatifs (WHO/OMS 1991), le logiciel EMIC (Explanatory Model Interview Catalogue) (WHO/OMS 1991,Weiss et al. 1992). Ces publications, dont le RAP, m’ont donc permis de découvrir des méthodes présentées de manière accessible, qui me semblaient utiles pour mon travail en santé publique. Je me suis rapidement aperçu que ces travaux étaient très mal considérés par les ethnologues et anthropologues en France. Quand on essaie de préciser qui les utilise, on s’aperçoit que les méthodes rapides, c’est toujours « les méthodes de l’autre » qu’aucun français ne déclare utiliser. Si je demande à un ethnologue qui part sur le terrain un ou deux mois s’il utilise des méthodes rapides, il me répond « pas du tout » en paraissant très choqué. Qu’est-ce qui différencie donc la démarche d’un ethnologue qui utilise les méthodes rapides de la démarche de celui qui ne les utilise pas ?
Pour illustrer l’utilisation de ces méthodes, je vais présenter une enquête sur les perceptions des diarrhées qui a été réalisée dans le Nord du Pakistan (Coreil et Mull 1990). Tout d’abord, l’utilisation de méthodes rapides était rendue nécessaire dans cette recherche par le fait que la population concernée est installée dans une zone très montagneuse, accessible seulement entre le dégel du printemps et les pluies torrentielles d’été, pendant un mois environ. Le cadre de l’enquête était défini par les commanditaires de la recherche, et les chercheurs étaient tenus d’interroger 150 personnes. Ils ont relaté leur expérience et analysé toutes les difficultés et les limites qu’ils ont rencontrées dans cette enquête rapide (Coreil Les méthodes d’évaluation rapide 3 et Mull 1990). Ces chercheurs avaient travaillé plusieurs années auparavant en ethnologie « classique » dans d’autres régions du pays.
Au départ, aucun anthropologue pakistanais n’avait accepté de se rendre pour l’enquête dans cette région difficile, et les chercheurs ont dû employer des enquêteurs non formés aux sciences sociales. Il est rapidement apparu qu’il était impossible de travailler avec des enquêteurs de même statut social que les enquêtés (c’est à dire ne sachant ni lire ni écrire), qui maîtrisent parfaitement le dialecte local. D’autre part le Ministère de la Santé assigna aux chercheurs des collaborateurs pakistanais qui n’étaient ni formés, ni intéressés par cette recherche. Pour les chercheurs responsables du projet, la constitution de l’équipe d’enquête fut l’objet de multiples contraintes qu’ils percevaient comme des limites. Le propos de leur recherche, défini par les commanditaires, était de dégager des données descriptives, de préférence quanti-tatives, sur les perceptions des diarrhées, les itinéraires thérapeutiques, l’utilisation de la réhydratation par voie orale et la prise de décision dans la famille concernant les problèmes de santé. Ce domaine d’enquête ainsi défini, excluait certains thèmes perçus comme pertinents par les chercheurs tels que l’accouchement, la régulation des naissances, et les relations de pouvoir au sein de la population. Les difficultés éprouvées au cours de la réalisation de l’enquête comprenaient l’impossibilité de superviser tous les enquêteurs, les difficultés à obtenir le point de vue des femmes lorsque c’est le mari qui répond, même à une enquêtrice, l’impossibilité de trouver des enquêtrices locales âgées qui auraient permis une meilleure communication avec les familles (les enquêtrices étaient principalement des jeunes femmes sans enfant, d’origine urbaine).
Les premiers résultats de l’enquête montraient qu’il n’y avait pas de décès par diarrhées, tous les enfants décédés l’étaient, selon la mère, par cause de fièvre. De même d’après les réponses, la médecine traditionnelle semblait peu utilisée, alors que dans toutes les maisons on pouvait voir des bouquets séchés de plantes médicinales. Ces premières données et les erreurs observées dans la réalisation des premiers entretiens ont permis de réviser et d’adapter au jour le jour les questionnaires. A l’issue de l’enquête un rapport d’environ trente cinq pages a été produit. De l’avis des auteurs, dès qu’on accepte de travailler sur une commande, dans un cadre préalablement défini, les contraintes sont importantes, mais il est cependant possible de dégager des résultats valides et utiles. Il semble que dans ce cas, les biais introduits par le cadre de la recherche préalablement défini par ses commanditaires soient plus importants que ceux liés à l’utilisation des méthodes rapides.
Le point de vue sur cette question de l’anthropologue
K. Heggenhougen qui a rédigé un manuel d’anthropologie médicale (Heggenhougen et Drapper 1990) pour l’école de Médecine Tropicale de Londres, est que les méthodes rapides ne sont et ne doivent être utilisées que pour des travaux d’anthropologie appliquée. De « Peut-on utiliser les méthodes rapides ? », la question que l’on doit se poser devient « Peut-on refuser une recherche en anthropologie médicale appliquée lorsqu’elle est soumise à de telles contraintes ? ». Et K. Heggenhougen répond par une nouvelle question : « Si l’anthropologue refuse de participer à cette enquête rapide, cela va-t-il nuire à la population ? ». En d’autres termes l’anthropologue peut-il aider à défendre les intérêts (et la culture) de la population étudiée Et ici peut se poser la question de l’engagement d’un anthropologue est-il plus attaché à la pureté de sa science, ou aux populations auprès de qui il a vécu, et qu’il a étudiées ? Pour K. Heggenhougen les méthodes rapides sont en effet plus fiables lorsqu’elles sont utilisées par des anthropologues expérimentés, qui connaissent déjà la culture sur laquelle ils vont mener leur enquête. Les méthodes rapides ne permettent pas de réaliser des travaux dont les résultats seront reconnus et publiés dans les revues de sciences sociales les plus cotées, car leur objectif est avant tout opérationnel. La plupart des articles qui les mentionnent, publiés jusque là, sont d’ailleurs des articles méthodologiques (Bentley et al. 1988, Hurtado 1990, Les méthodes d’évaluation rapide 5 Vlassof et Tanner 1992, Manderson et Aaby 1992, Mull et Mull 1988). Ces publications montrent que le RAP offre une trame générale d’enquête, et elles précisent aussi les limites des méthodes rapides qui ne permettent l’exploration que de thèmes de recherche circonscrits, de données objectives (par exemple « où la population s’approvisionne-t-elle en eau ? » plutôt que subjectives et abstraites (par exemple la symbolique de l’eau).
Il semblerait donc que la polémique autour des méthodes rapides et plus précisément autour du RAP concentre toutes les questions que pose l’application de l’anthropologie.
En conclusion, je voudrais signaler ce qui est fait en France. Depuis environ un an, s’est mis en place, un Haut Comité de la Santé Publique, qui dit considérer l’importance des représen-tations de la santé pour la définition des politiques de santé. Un document de présentation de ce Comité a été distribué à tous les responsables de structures sanitaires, auquel avaient été joints les résultats d’une enquête du CREDOC intitulée « la perception de la santé ». Cette enquête repose sur 2000 questionnaires réalisés par entretiens téléphoniques en quinze jours…….. Face à cette attente affirmée qu’a la santé publique envers les sciences sociales, les méthodes rapides de type RAP (dont l’un des mérites est d’avoir, plus que toute approche « classique », tenté de préciser leur validité et leurs limites) sont peut-être un « moindre mal ».
Bibliographie :
Bentley M.E., Pelto G.H., et al. 1988 Rapid Ethnographic Assessment applications in a diarrhea management program. Soc. Sci. Med. 27 : 107-116.
Coreil J., Mull J.D. 1990 « Case Study : The Chitral Research Project » in Anthropology and Primary Health Care. Boulder, Westview Press, 315-324.
CREDOC (Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie). 1992 La perception de la santé (en Midi Pyrénées) Note de présentation des résultats de l’enquête réalisée par le CREDOC à la demande du Haut Comité de la Santé Publique, 10 p.
Desclaux A. 1992 Le « RAP » et les méthodes anthropologiques rapides en santé publique. Cahiers Santé 2 : 300-6.
Heggenhougen K., Drapper A. 1990 Medical Anthropology and Primary Health Care (an introduction and selected annotated bibliography). London : EPC Publication n°22, London School of Hygiene and Tropical Medicine.
Hunte P. 1981 The role of the Daï (Traditional Birth attendant) in urban Afghanistan : some traditional and adaptational aspects. Medical Anthropology 5 (1) : 17-26.
Hurtado E. 1990 Use of rapid anthropological procedures by health personnel in Central America. Food Nut. Bull. 12 : 310-312.
Manderson L., Aaby P. 1992 Can rapid anthropological procedures be applied to tropical diseases Hlth Pol. Plan. 7 : 46-55.
Mull D.S. 1990 Traditional perceptions of marasmus in Pakistan.
Mull D.S., Anderson J.W., Mull J.D. 1990 Cow dung, rock salt, and medical inovation in the Hindu Kush of Pakistan : the cultural transformation of neonatal tetanus and iodine deficiency. Soc. Sci. Med. 30 : 675-691.
Mull J.D. Les méthodes d’évaluation rapide 7 1985 Medical Anthropology : the Art and Science of People Studying People. Family Practice Research Journal 5 (2) : 67-78.
Mull J.D., Mull D.S. 1988 Mothers’ concepts of childhood diarrhea in rural Pakistan : what O.R.T. program planners should know. Soc. Sci. Med. 27 : 53-67.
Scrimshaw S.C.M., Hurtado E. 1987 Rapid Assessment Procedures for Nutrition and Primary Health Care Anthropological approaches to improving programme effectiveness. Los Angeles ; UCLA Latin American Center Publications, University of California.
Vlassof C., Tanner M. 1992 The relevance of rapid assessment to health research and interventions. Hlth Pol. Plan. 7 : 1-9.
Weiss M.G., Doongaji D.R., Siddharta S. et al. 1992 The Explanatory Model of Interview Catalogue (EMIC) : Contribution to cross-cultural research methods from a study of leprosy and mental health. British Journal of Psychiatry 160 : 819-830.
WHO/OMS (World Health Organization/Organisation Mondiale de la Santé) 1991 Report on an informal consultation on advanced methods for socioeconomic research on tropical diseases. TDR/SER/AM/ 91.3. New Haven, USA, 26-30 August 1991, 19 p.
Discussion :
Odina Sturzenegger – Je suis toujours étonnée du succès de ces enquêtes rapides auprès des décideurs. En fait, ça a toujours existé, sous forme de guides pour la collecte des données, sauf qu’on ne visait pas à faire « rapide ». C’était pour guider un premier terrain et aucun ethnologue ne pensait à faire une recherche rapide avec ça. En réalité, la possibilité de faire un travail rapide en anthropologie ne dépend pas du tout d’un guide, mais de la connaissance préalable qu’on a d’un terrain donné.
Bernard Faliu – Au cours des enquêtes par des méthodes dites « rapides », les enquêteurs choisissent un nombre limité de méthodes, puisque le temps est limité, et ils insistent sur la nécessité de valider l’information recueillie par ces méthodes, en utilisant une palette d’AUTRES méthodes, qui permettent de contrôler des informations qui sont recueillies uniquement par questionnaire ou par discussions de groupes.
Jean Benoist – Je voudrais simplement rappeler les condi-tions d’enquête. Cela se déroule souvent dans le cadre de pro-grammes où la densité médicale est beaucoup plus grande que la présence anthropologique. Alors, il faut ou bien évacuer complètement toute référence au social, ou bien en tenir compte et le faire à un rythme acceptable, qui permette de mettre au jour au moins quelques faits utiles. N’oublions pas que là où vous avez un anthropologue, vous avez cinq médecins, cent infirmiers, et des millions de malades… Bien souvent la recherche anthropologique est un peu conçue comme l’est le « check-up » par rapport à l’examen clinique. On peut faire des « check-up » de populations, du moins des tests d’enquête de prévalence, mais on ne peut pas faire des examens cliniques poussés sur d’énormes populations. Je ne dis pas que je trouve que ce soit satisfaisant, mais dans certains cas ne peut-on pas se demander si ce ne serait pas au moins un moyen minimum de prise de conscience des principales aspérités du social ?
Odina Sturzenegger – A ce moment-là, il ne faut pas parler d’anthropologie. Jean-François Werner – Cet exposé mériterait une longue discussion, mais je veux rappeler un point essentiel, c’est que la méthode ethnographique, marche sur deux pattes il y a d’abord l’observation, puis il y a tout le travail de recueil des discours, Les méthodes d’évaluation rapide 9 des représentations, des conceptions, etc. Et tous les ethnographes présents ici savent qu’il y a une discordance entre les pratiques effectives des gens, celles qui sont repérables par l’observation, et les discours qu’ils peuvent tenir. Le travail ethnographique est un va-et-vient entre l’observation, le recueil du discours et les entretiens.
Marc-Eric Gruénais – Je crois qu’il ne faut pas trop tirer sur les ambulances, mais c’est quand même très naïf, ces méthodes. La rapidité, pourquoi pas Ce qu’on peut critiquer, c’est l’absence totale d’objectifs au départ. Quand on connaît très bien un terrain, quand on sait très bien ce qu’on va faire ou le type de personnes à contacter, même un anthropologue fera une étude intéressante en une semaine. On l’a dit tout à l’heure certains anthropologues passent quinze jours, trois semaines, un mois sur le terrain, de temps en temps. Mais pour d’autres choses, il faut plus de temps. D’autre part ces méthodes sont tellement générales, elles ba-laient tellement large… On recherche régulièrement une espèce de clé, d’instrument miracle qui permettrait de satisfaire tout le monde. Ce qui m’amuse aussi c’est la critique récurrente à l’égard des anthropologues, sur le fait qu’ils prennent trop de temps, et que c’est pour ça que les épidémiologistes leur proposent des méthodes rapides. Çà m’amuse de voir des questionnaires d’épidémiologistes qui font quinze pages Pour que ça soit passé correctement, il faut à peu près trois heures d’entretien par personne. Les anthropologues devraient aussi proposer aux épidémiologistes des méthodes d’enquête rapides…
Kathleen Boulanger – J’ai toujours pensé que l’origine de cette procédure était Robert Chambles, avec son livre Putting the last first, où il s’est aperçu que beaucoup de « consultants » traversaient rapidement le terrain, toujours entre les deux saisons où ces régions étaient inaccessibles. Ne serait-ce que pour cela, ils avaient une conception complètement déformée de la réalité. Il a bien dit que c’était justement pour introduire un aspect anthropologique dans la recherche que font les « consultants », pour améliorer un projet, instaurer un programme, ou évaluer un programme en cours. Quand on engage un consultant, il doit travailler dans un délai bien précis. Il risque de gaspiller son temps en ne trouvant pas les personnes-clé, et ce genre de méthode peut l’aider à bien utiliser un temps toujours très limité. Mais c’est toujours dans un but précis, pas pour une recherche anthropologique, mais pour donner un apport anthropologique limité à une application. Sans cette contribution, même limitée, on a tendance à favoriser les données de type sociologique, issues d’une grande collecte de données, puis à travailler par ordinateur, à développer des corrélations, et à en sortir des conclusions. Grâce à ces méthodes on peut au moins introduire le qualitatif au sein d’une approche qui autrefois favorisait surtout la collecte de données beaucoup plus larges.
Doris Bonnet – Souvent on parle de « connaissance anthropologique » alors qu’il ne s’agit pas de connaissance anthropologique. On cherche à repérer les connaissances des populations, mais pas à découvrir leur système de pensée ou leurs conceptions. Par exemple leurs « conceptions en matière de diarrhée », ne sont pas leurs connaissances, mais leurs connaissances en fonction de ce que nous savons, nous, de la diarrhée. A la limite, c’est vraiment malhonnête ce n’est pas de l’anthropologie. C’est peut-être utiliser des méthodes en partie anthropologiques, mais pas toutes ni moi, ni tous les collègues ethnologues que j’ai autour de moi, nous n’utilisons des enquêteurs, sauf sur de petits points. Certes lorsqu’on a quinze ans ou vingt ans d’anthropologie derrière soi, on peut partir un mois au Congo. L’acquis est là on a une expérience qui permet d’être opérationnel parce qu’on poursuit un travail on a des questions qu’on n’a pas résolues, mais on va essayer. Ça n’a rien de comparable avec des méthodes qui consistent à regrouper des gens je les ai vus, sur le terrain, c’est des bulldozers. On re-groupe vingt personnes, on leur pose des questions1… ce n’est pas de l’anthropologie.
Bernard Faliu – On pourrait peut-être appeler ça de l’épidémiologie, ou de la recherche en santé publique à partir de concepts, ou d’idées, qui ont été révélés par les anthropologues. Et peut-être est-ce ainsi qu’il faut conclure ?
1 Allusion aux « focus-groups ».