Laurent GAUDÉ : « Eldorado »

Éditions Actes Sud, 2006. 238 p. – Prix éditeur : 18 €

Salvatore Piracci est commandant d’un navire ; il intercepte les bateaux d’immigrés. Toute sa vie, il ramène ces personnes dépourvues de moyens, qui manquent de mourir et dont l’espoir d’une nouvelle vie s’est envolé. Il endosse ce rôle paradoxal, et si insupportable, qui consiste à sauver des êtres de la violence de la mer afin de les remettre aux autorités et de mettre fin à ce qu’ils avaient tant espéré.
Ce roman nous livre l’histoire de deux hommes aux destins différents mais liés en même temps et dont les regards vont finir par se croiser. En effet, tandis que le commandant Piracci fuit sa vie et part à la recherche d’une identité autre, Soleiman quitte son pays dans l’espoir d’une vie meilleure, d’un eldorado. Mais cette conquête a un coût tant physique que psychique.
Le voyage du commandant est en fait une découverte de lui-même, mais surtout ce voyage est marqué par la volonté d’échapper à ce qu’il fût jusqu’à présent. Nous avons accès aux états d’âme d’un homme tourmenté et hanté par le regard des autres. En effet, le regard de l’immigré déchu, désenchanté qu’il croise sans cesse demeure dirigé vers lui et l’amène à se sentir coupable et responsable au point de remettre son existence en question.
Parallèlement, Soleiman est plongé dans une aventure dans laquelle il est capable de tout afin d’atteindre la terre de tous ses espoirs. Les valeurs auxquelles il aspirait lui échappent, il a le sentiment de n’appartenir à aucun groupe ou aucun lieu géographique mais l’espoir et la projection dans le futur le poussent à poursuivre son voyage.

Ce roman reflète une réalité psychosociale. En effet, même si les faits sont romancés, ils ne sont pas moins réels et porteurs d’une problématique sociale importante. En se plaçant à un niveau individuel et singulier et donc en nous livrant le combat psychique de tant d’hommes qui migrent, l’auteur dénonce l’existence des destins tragiques des migrants.
La mort poursuit les individus au sein de ces voyages. Mort physique, dans le sens où chaque étape est un danger, et mort psychique car l’individu est amené à se confondre avec des identités qui ne sont pas les siennes, à agir comme il ne l’aurait jamais fait et à avancer en laissant une partie de ce qui le caractérisait. De ce fait, l’identité est au centre de ce roman dans lequel nous voyons comment un sentiment, le sentiment d’exister, parfois si évident à nos yeux, peut devenir flou et le soi s’effriter.
Ainsi, l’empathie d’un homme, rongé par la culpabilité et ayant l’impression de participer à la mise à mort des individus migrants nous donne un autre regard sur la migration et surtout sur l’individu migrant. Enfin, ces deux portraits nous donne l’occasion de réfléchir à la valeur de la vie humaine.

Alexandra BORGEL

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