« Le Complexe de Di » par Dai Sijie. (notice bibliographique)

Par CLAIRE JULLLARD, Gallimard, 352 p.

Né en 1954 dans la province chinoise de Fryian, Dai Sjie vit depuis quinze ans en France. Il a réalisé plusieurs films, dont  » Chine, ma douleur  » (prix jean-Vigo 1989),  » Tang le onzième  » et « le Mangeur de lune ». « Balzac et la petite tailleuse chinoise , son premier roman, s’est vendu en France à 250 000 exemplaires et a été adapté au cinéma. Il a été traduit en 25 langues… mais toujours pas en chinois.

Dai Sijie imagine les tribulations du premier psychanalyste chinois. Hilarant.

Les raisons d’un succès : Oedipe en Chine

Le sage Confucius avait beau considérer le seuil de la quarantaine comme l’âge de la lucidité, Muo, le héros de Dai Sijie, n’en apparaît pas moins comme un jeune chien fou au caractère naïf et chimérique. Une des raisons à cela, comme on l’apprendra au cours du récit, est que ce fervent disciple de Freud n’a pas encore « connu » de femmes. Ce qui, dans son métier, peut se révéler source d’embarras. D’autant que l’ambition professionnelle de Muo est grande. Tout juste arrivé de France après de longues études, « le binoclard » veut devenir le premier psychanalyste chinois. Cependant, dès ses premiers pas sur sa terre natale, il sent qu’il aura du mal à se faire comprendre de ses compatriotes, Car ici on le prend tout au plus pour un diseur de bonne aventure. .

Face à l’ampleur de sa mission éducative, Muo décide de parcourir son vaste pays pour y semer la bonne parole. Devenu psychanalyste ambulant, notre héros sillonne les chemins à vélo. Attachée au porte-bagages, une fière bannière flotte au vent. Il y a fait imprimer son titre d’« interprète des rêves ». Ce Don Quichotte chinois a une autre mission secrète. Il veut délivrer sa dulcinée. Sa fiancée, affiiblée du surnom grotesque de Volcan de la Vieille Lune, est emprisonnée pour raisons politique – Muo n’aura guère de difficulté à rencontrer un juge corrompu mais, hélas ! celui-ci ne veut pas d’argent : il ne sait déjà plus qu’en faire. Non, ce que le juge Di lui demande, c’est de lui fournir une jeune vierge. Pas si facile à dénicher et surtout à livrer au magistrat.

Les lecteurs de Dai Sijie vont être surpris. « Le Complexe de Di » est un roman picaresque endiablé d’un ton fort différent de celui de « Balzac et la petite tailleuse chinoise*. Toutefois, son roman autobiographique, même s’il témoignait des camps de rééducation en Chine, n’était pas exempt d’humour. Et, à son tour,  » le Complexe de Di « , s’il peut sembler une pure fantaisie, n’est pas exempt de philosophie.

Au fil de ses pérégrinations, Muo connaîtra bien des mésaventures. Parfois tragiques mais le plus souvent loufoques. Il se retrouve ainsi amené à interpréter le sens obscur des rêves confessés par des jeunes filles sur la place du marché. L’élève psychanalyste devient amuseur public, Ses commentaires salaces font mourir de rire les foules amassées. Bientôt, la seule évocation du nom de Maître Freud suffit à déclencher l’hilarité générale.

Vaille que vaille, Muo poursuit son oeuvre prosélyte. Malentendus et péripéties délirantes s’enchaïnent, et le oilà considéré comme un criminel recherché par la police. Au terme de ses tribulations, ce Chinois en Chine réalise qu’il a surtout retenu de l’Occident l’esprit chevaleresque. Pour le reste, il doit bien constater que la logique cartésienne et même certaines thèses freudiennes font mauvais ménage avec la mentalité orientale (avec laquelle Jung, comprend-on, serait plus en phase). A l’arrivée ce  » Complexe de Di  » est un livre insolent et surréaliste, un voyage dans un pays dont les idéologues de tout bord, des jésuites du XVII ème siècle aux maoïstes, n’ont pas réussi à ébranler les fondements cultureWni les habitudes millénaires. Comme le bonheur de jouer au mah-jong en attendant que les crabes cuisent à la vapeur.

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