Le concept d’exclusion : histoire et processus.

Par Dr René Berouti.

Dans l’histoire et de nos jours, le concept d’exclusion réfute tout fatalisme. L’exclusion ne résulte pas d’un coup du sort. Les aléas de l’intégration socio-économico-culturelle doivent toujours faire la part des avatars liés à la peur de l’autre. Aujourd’hui comme hier, l’exclusion reste une impasse de “ l’objectalisation ”, de la construction du sujet. Sous l’angle de la peur imaginaire de l’homme dépouillé (nu, sale…) mais libre et menaçant, il existe une continuité historique entre l’enfermement des pauvres sous l’ancien régime (les arrêts anti-mendicité de nos jours ?…) et les tentations actuelles d’expulsion de forains, étrangers…

La dynamique d’exclusion a connu plusieurs périodes :

• Dans les temps anciens, l’exclusion est l’aboutissement paradoxal d’une certaine liberté à disposer de soi, devenue vagabondage, contre lequel la société établit tutelle (nos jeunes dans la rue seraient-ils les vagabonds d’autrefois et notre État providence, la tutelle ?).

• Après la Révolution Française, l’ordre social n’est plus fondé sur la tutelle mais sur la liberté assortie d’un contrat. Toutefois là où cette protection moins “ responsable ” qu’une tutelle défaille, l’effet pervers de la mobilité sera le paupérisme. Ce dernier, conjugué à la désaffiliation, sera à l’origine de l’exclusion par perte des liens de famille et de voisinage, après celui du travail.

• De nos jours, davantage encore que la perte des protections verticales de la tutelle ou des solidarités transversales, la maladie de l’exclusion résulte d’un défaut d’intégration, du rapport à soi-même (le dedans psychique) et à l’environnement (le dehors social). Et plus qu’une “ maladie du lien ” comme le dirait Xavier Emmanuelli, elle représente un véritable déracinement. Les effets de perte (emploi, logement, partenaires, famille) et l’insuffisance d’un travail de deuil (plus difficile tant l’exigence d’illusions est exacerbée), révèlent les défaillances initiales du fonctionnement mental et inscrivent une pathologie d’identité et de l’intégration sociale.

L’histoire a valeur d’enseignement :

L’histoire nous montre le glissement qui s’opère d’un équilibre social, basé sur la verticalité, à l’importance des échanges entre l’individu et les autres. Ainsi elle nous autorise quelques réflexions constructives :

• On se rappellera d’abord combien le vocable d’exclusion peut être une “ antourloupe” de bonne conscience, la fatalité conjurant la responsabilité d’exclueur, celle des politiques autant sinon plus que celle de la société civile.

• Ensuite, on n’oubliera pas que le recours au communautarisme comme ferment d’intégration, dans une société qui resterait civilement (et ethniquement cloisonnée), bien qu’économiquement libérale, contient son effet pervers de ségrégation et d’enfermement.

• Mais surtout on gardera à. Il y a toujours collusion entre intérêt particulier farouche et démission passive de responsabilité, aussi bien en l’exclu qu’en l’exclueur, dans leur monde intime de part et d’autre de la fracture sociétale. Ainsi toute exclusion naît sous l’emprise de la peur, d’une forme d’hostilité à l’autre mal ou non négociée. Il convient alors de détourner cette hostilité. L’exclusion se constituera dans l’absence ou l’esprit que l’exclusion, destin régressif de l’intégration, n’est jamais une pente naturelle passivement subie la perte d’empathie pour les problèmes de l’autre. Le début de toute dérive vers l’exclusion est ainsi le ne rien vouloir savoir de l’autre et devient indifférence.

Il y a donc trois temps successifs dans la constitution d’une exclusion :

Un temps conflictuel où la personne n’est pas encore perdue dans le rapport à l’autre. Il est suivi d’un second temps de marginalisation où le sujet rompant avec ses racines pulsionnelles va éviter l’autre et se faire rejeter. Le dernier temps est celui du temps figé de l’exclusion.

Ces trois temps, celui d’une dynamique psychique conflictuelle, celui d’une dynamique sociale interactive, celui d’une glaciation du clivage social, définissent le processus d’exclusion.

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