par M. Godfryd*
Paru dans « Act. Méd. Int. – Psychiatrie (18) n’ 10, décembre 2001 »
*CH Robert-Ballanger, Aulnay-sous-Bois.
** J. Romains, Knock, Gallimard, 1997.
La santé ne se laisse pas aisément définir, malgré les nombreuses propositions qui en sont faites, notamment dans les dictionnaires. La santé, ce n’est pas que « la vie dans le silence des organes » (R. Leriche), ni l’opposé de la maladie, ni le seul bien- être, ni le normal (1). Pour le Petit Larousse illustré (1984), la santé, c’est « l’état de celui dont l’organisme fonctionne normalement en l’absence de maladie ».
Pour le Grand Robert (1992), il s’agit du « bon état physiologique d’un être vivant, et notamment d’un être humain ; du fonctionnement régulier et harmonieux de l’organisme pendant une période appréciable [ … ] ».
Pour le Garnier Delamare (1995), tout se borne en quelque sorte à un « fonctionnement harmonieux du corps et de l’esprit ».
Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la santé est non seulement l’absence de maladie ou d’infirmité, mais un état complet de bien-être physique, mental et social » (2). Cependant le bien-être, notamment social, n’entre pas dans les compétences du médecin. Cette santé que vise l’OMS est plus un objectif destiné à guider un programme d’action gouvernemental, qu’une notion à contenu normatif. Aussi, « la santé n’est ni un concept scientifique, ni un concept médical, et encore moins une notion philosophique ou technique. C’est une notion de sens commun dont la sociopolitique s’est emparée pour en faire la grande chose que l’on sait avec ses ministères, ses administrations, ses économistes, ses organismes internationaux, etc. » (3).
Mais les soins ne participent que pour dix à vingt pour cent de l’état de santé des individus ; y participent également l’hygiène, l’alimentation, le logement, l’emploi, l’éducation et l’environnement social (4). Cela étant, le droit aux soins apparaît comme le corollaire du devoir de la collectivité à l’égard des individus. En 1990, le Conseil constitutionnel affirme qu’il appartient au Parlement comme au gouvernement de mettre en oeuvre les principes posés par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (5).
En 1994, le Conseil constitutionnel confirme la protection de la santé comme étant un principe de valeur constitutionnelle, mais qui doit être concilié avec des normes de même niveau : liberté individuelle et sauvegarde de la dignité de la personne (6). Le droit à la protection de la santé devient, aux côtés des principes de l’inviolabilité, de l’intégrité et de l’absence du caractère patrimonial du corps humain, l’un des éléments de cet ensemble de règles « qui tendent à assurer le respect [ … ] de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». Le droit à la santé perd ainsi une partie de sa spécificité pour devenir, au travers de la médiation du corps, un des aspects de la dignité de l’être humain.
HISTORIQUE
À partir du VIème siècle de notre ère, des établissements hospitaliers voient le jour en Occident. Au Moyen Âge, les soins donnés aux hospitalisés ne sont qu’un moyen pour atteindre leur âme. Sous l’autorité de l’évêque, ces structures fonctionnent sans aucune réglementation officielle, laissées à l’initiative de la charité individuelle par le truchement de legs et de dons. Mais au début du XVI, siècle, l’aumônier royal s’adjuge un droit général de surveillance sur tous les établissements hospitaliers du royaume. L’hôpital, considéré comme un service public, ne fera que se développer jusqu’à la Révolution de 1789.
En 1551, Henri Il autorise et impose une taxe communale destinée à la bienfaisance à l’hôpital, mais également au domicile des individus. En 1656, Louis XIV crée l’Hôpital général de Paris, et, dès 1662, il ordonne la même mesure pour toutes les villes importantes du royaume, afin d »‘y loger, enfermer et nourrir les pauvres, les mendiants, les invalides et les enfants orphelins » ; bref, c’est le « grand renfermement » (M. Foucault) des déshérités.
Une loi du 14 décembre 1789 attribue aux municipalités le pouvoir de « faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté et de la salubrité » (7). Pour la Constitution de 1793, « les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens de subsister à ceux qui sont hors d’état de travailler » (8). Une loi du 19 mars 1793 crée les « agences d’arrondissement » afin de mettre à la disposition des indigents un médecin (en réalité, un officier de santé), une accoucheuse et un dépôt de médicaments (9). La loi du 16 Vendémiaire, an V (7 octobre 1796) dessine pour les hôpitaux et les hospices un régime juridique fortement municipalisé : création de la structure dans le cadre communal, gestion de l’établissement par une commission de 5 membres, financement par la commune (octrois, taxes), les dons ou les legs privés.
La Constitution de 1848 fait passer la protection sociale par le travail et, pour ceux qui sont hors d’état de travailler, l’assistance n’est due que de façon subsidiaire (10). La première dimension du droit à la santé relève de l’hygiène publique, conçue comme l’instrument utilisé par l’État pour réaliser une politique de santé. Né au XVIII’ siècle, le mouvement hygiéniste s’affirme avec un décret au 18 décembre 1848 instaurant un Conseil d’hygiène dans chaque département, présidé par le préfet. La seconde dimension du droit à la santé est constituée par le droit aux soins. La santé, envisagée comme un risque dont il faut garantir les personnes en le mutualisant au sein d’institutions d’assurances sociales, apparaît au XIX’ siècle. Cette idée de solidarité a généré des systèmes de secours et de prévoyance du courant mutualiste, puis l’instauration de la Sécurité sociale en 1945.
La loi du 15 février 1902 confie aux communes l’essentiel des responsabilités en matière de police sanitaire, mais elle sera fréquemment modifiée en conférant aux préfets toujours plus de pouvoirs. L’hôpital, devenu le pivot du système de santé, se transforme radicalement : d’établissement communal d’hébergement des indigents, il devient centre de diagnostics et de soins, ouvert à tous, financé par la collectivité. La loi du 21 décembre 1941 inaugure l’ère moderne en reconnaissant le rôle du directeur d’hôpital et en ouvrant l’hôpital à une clientèle payante.
Le projet de Constitution du 19 avril 1946 garantit la protection de la santé dès la conception, ainsi que toutes les mesures d’hygiène et de soins que permet la science (11). Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et garantit à tous la protection de la santé (12). Rappelons que ce Préambule a été incorporé au bloc de constitutionnalité en 1971 par le Conseil constitutionnel (13), et qu’il constitue donc un ensemble juridique en vigueur.
Les ordonnances des 10 et 30 décembre 1958 mettent en place le système hospitalo-universitaire à l’instigation de Robert Debré.
La loi 31 décembre 1970 (« loi Boulin ») officialise la création d’un service public hospitalier et tente de coordonner le secteur public et le secteur privé (14). Les lois du 31 juillet 1991 (« loi Evin ») (15) et du 18 janvier 1994 renforcent la planification et élargissent les missions du service public hospitalier (16). Une ordonnance d’avril 1996 (« ordonnance Juppé » crée les Agences régionales de l’hospitalisation et transfère la quasi-totalité des compétences sanitaires des préfets aux directeurs de ces Agences (17).
SANTE ET DIGNITE DE LA PERSONNE
Le respect dû à la dignité de la personne s’exprime également dans le corps. C’est pourquoi santé et dignité constituent deux notions inséparables, voire consubstantielles. Le principe de respect de la dignité de la personne humaine a d’abord été reconnu par le droit international. On le retrouve dans le Préambule de la Charte des Nations Unies de 1945 (18), puis dans celui de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ainsi qu’à l’article premier de ce même texte (19).
De même, il figure dans le Pacte international de 1966 (20), dans la Convention européenne des droits de l’homme (21), dans la Convention européenne de bioéthique (22) et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (23).
En droit interne, la reconnaissance du principe est notamment retrouvée dans la loi du 27 juin 1990 et dans la première loi de bioéthique de 1994 (24).
Il est par conséquent admis que l’on ne puisse porter atteinte au corps- qu’avec le consentement éclairé du sujet. Ainsi, sauf si l’intéressé ne peut y consentir (urgence, coma, mineur), les actes de diagnostic et de soin ne peuvent être réalisés qu’avec son accord (25).
Mais le droit de la personne sur son corps comporte des limites, et la société se réserve la possibilité de passer outre en cas de risque vital. Un détenu, par exemple, ne peut pas se laisser mourir dans le cadre d’une grève de la faim. Il peut être procédé à son alimentation forcée lorsque ses jours sont en danger (26). Un témoin de Jéhovah peut être transfusé malgré son refus si une hémorragie menace son existence (27). De même, un certain nombre d’actes préventifs sont obligatoires : vaccinations, déclarations de certaines maladies, contrôles périodiques de santé (école, travail), examen prénuptial. Enfin, certains traitements peuvent être imposés en matière de maladie mentale (loi du 27 juin 1990), d’alcoolisme (loi du 15 avril 1954), de toxicomanie (loi du 31 décembre 1970) et de pathologie vénérienne.
Le droit à la santé est proclamé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (28), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (29) et le Préambule de la Constitution de l’OMS (2).
Dans le système du Conseil de l’Europe, le principe est affirmé dans la Charte sociale européenne du 18 octobre 1961 (art. 11) et la Charte « révisée » signée à Strasbourg le 3 mai 1996, tandis qu’un Protocole additionnel reconnaît un « système de réclamations collectives » (30).
Au niveau de l’Union européenne, le traité d’Amsterdam signé le 2 octobre 1997 confirme l’attachement des États membres « aux droits sociaux fondamentaux tels qu’ils sont définis dans la Charte sociale européenne, signée le 18 octobre 1961, et dans la Charte communautaires des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 ».
L’accès aux soins peut-être entravé par de nombreux obstacles : financiers, administratifs, juridiques, socioculturels. Le droit à la protection de la santé suppose l’accès aux soins, la qualité des soins et leur prise en charge. Sans le droit à la Sécurité sociale, le principe du droit à la santé ne peut qu’engendrer des inégalités, les soins étant alors réservés à ceux dont la situation économique le permet. Les inégalités d’accès aux soins sont pourtant nombreuses : localisation géographique des offres de soins, frais laissés à la charge des malades, praticiens en secteur II.
Une loi du 29 juillet 1998 pose le principe de la lutte contre les exclusions. Elle garantit l’accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé, de l’éducation, de la formation et de la culture, etc. (31).
Une loi du 27 juillet 1999 apporte une couverture maladie universelle ou CMU en généralisant la couverture sociale de base et en assurant une couverture complète aux personnes ayant renoncé aux soins, faute de ressources suffisantes (32). Elle instaure un système qui garantit à tous une prise en charge des soins par un régime d’assurance maladie et, aux personnes dont les revenus sont les plus faibles, le droit à une protection complète et à la dispense d’avance de frais (art. l1r).
Toutefois, des inégalités persistent, notamment en matière de prothèses dentaires et de lunettes. En outre, 25 % des défavorisés ne peuvent pas faire l’avance des frais médicaux. Il existe aussi d’importants retards dans la mise en oeuvre de soins. De plus, la complexité du système de protection sociale génère des obstacles à un accès effectif aux prestations sanitaires.
Pour les personnes en situation de précarité, c’est l’hôpital qui constitue bien souvent le principal recours par le truchement des services d’urgences. Mais, outre la dispensation de soins, la loi du 29 juillet 1998 affirme le rôle social des établissements hospitaliers (art. 67 à 77).
C’est dire que, si le système de protection sociale s’est amélioré, « les inégalités géographiques et sociales s’enchevêtrent et souvent se cumulent pour rendre aujourd’hui factice le principe du libre et égal accès de tous aux soins » (33).
Enfin, comme le souligne C. Schneider Brunner, la priorité en faveur des plus défavorisés peut être « un retour à une logique ‘assistancielle’ censée traiter l’exclusion sociale à court terme et éviter le développement de la précarité tout en acceptant, voire en légitimant, un système générateur d’importantes inégalités » (34).
REFERENCES
1. Canguilhem G, Le normal et le pathologique. Paris : PUF coll. Quadridge, 1991 (3e éd.).
2. Constitution de l’OMS. In : Godfiyd M, Le droit de la santé mentale par les textes.Paris : Heures de France, 2000, p. 15.
3. Tchobroutsky G, Wang 0. La santé. Paris PUF coll. Que sais-je ?, 1995.
4. Strohl H. Le mythe de l’accès aux soins, Dr. Soc. n° 9-10, 1995, op. 789-91.
5. Décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990. Rec. p. 33.
6. Décision n° 94-343 et 344 DC du 27 juillet 1994, JO 29 juillet 1994 ; Rev. fr. Dr. adm. 1994, p. 1019, note B. Mathieu ; Rev. Dr. publ. 1995, p. 51, comm. D. Rousseau.
7. Elshoud S. La politique de santé publique en France dans la période de l’entre-deux guerres. Thèse, Université Paris-II, 1997, p. 24.
8. Constitution du 24juin 1793, art. 21, in Les constitutions de la France depuis 1789. Paris : Flammarion, coll. GF 1979, p. 80.
9. Péquignot H. Éléments techniques, administratifs et financiers d’une politique sanitaire en France, cours ronéoté, ENA, 1953, p. 55.
10. Constitution du 4 novembre 1848, articles 8 et 13, op. cit., p. 263.
11. Le projet de Constitution du 19 avril 1946, articles 22 et 23, op. cit., p. 3 71.
12. Constitution du 27 octobre 1946, Préambule, al. 10 et 11, op. cit. p. 389.
13. Décision n° 71-44 DC du 16juillet 1971, Rec. p. 29.
14. Loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière, JO 3 janvier 1971, p. 70.
15. Loi n’ 91- 748 du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière, JO 1 août 1991, p. 10255.
16. Loi n’ 94-43 du 18janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, JO 19 janvier 1994, p. 960.
17. Ordonnance n’ 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée, JO 25 avril, P. 6324.
18. Charte des Nations unies et Statut de la ur internationale de Justice, (signée à San Francisco le 26 juin 1945). In : Reuter Petos A. Traités et documents diplomatiques. ris : PUE coll. Thémis, p. 35. 1982.
19. Déclaration universelle des droits de omme, adoptée le 10 décembre 1948. In : bert Jet Oberdorff H. Libertés fondamenles et droits de l’homme. Paris : Monchrestien, 1995,p. 167.
20. Pacte international relatif aux droits vils et politiques, Préambule et article -1, signé à New York le 16 décembre 1966. : Robert Jet Oberdorff H. Libertés fondantales et droits de l’homme. Paris : Monchrestien, 1995, p. 182.
21. Convention de sauvegarde des droits de comme et des libertés fondamentales, arti ? 3, signée à Rome le 4 novembre 1950, Cend’information sur les droits de l’homme, Conseil de l’Europe Strasbourg, n96– –
22. . Convention européenne pour la protection des droits de l’homme à l’égard des applications de la biologie et de la médecine du avril 1997, Conseil de lEurope, STE n’ 164.
23. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée à Nice le 7 décembre 2000, par le Conseil de l’Union européenne, Rev. Univ. Dr. Homme, 31 octobre 2000, n’ 3-5, pp. 171-81.
24. Loi n’ 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, art. 2, JO 30 juillet, p. 11056.
25. Code civil, article 16-3 ; Code de déontologie médicale, article 36-1, dans sa rédaction issue du décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995, JO 8 septembre 1995, p. 13305 ; Circulaire DGSID-H n° 95-22 du 6 mai 1995 dite « Charte du patient hospitalisé « , BO MASV95121, p. 11-23.
26. Code de procédure pénale, article D. 3 64. Paris : Litec, 2000.
27. CAA Paris, 9 Juin 1998, Mme Don voh cl Assistance publique – Hôpitaux de Paris, Rev. Fr. Dr. Adam, 1998, p. 1231.
28. Op. cit., article 25-1.
29. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, article 12-1, signé à New York le 16 décembre 1966, ratifié par la France le 29 janvier 1981 (décret n’ 81-77 du 29 janvier 1981), JO février 1981, p. 405.
30. Décret n’ 2000-110 du 4 février 2000, portant publication de la Charte sociale européenne révisée, signée à Strasbourg le 3 mai 1996 ; D. n° 2000-111 du 4 février 2000, portant publication du protocole additionnel à la Charte sociale européenne en prévoyant un système de réclamations collectives, fait à Strasbourg le 9 novembre 1995, JO 12 février 2000.
31. Loi n’ 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, JO 31 juillet 1998, p. 116 79.
32. JO 28 juillet 1999, p. 11229.
33. Johanet G. L’égalité d’accès aux soins rapport public du Conseil d’État 1998. La Documentation française. 1999, p. 433.
34. Schneider-Brunner C, La justice sociale dans les systèmes de santé européens Futurible, 201, septembre 1995, p. 5.